Zitiervorschlag: Justus Van Effen (Hrsg.): "III. Dialogue", in: Le Nouveau Spectateur français, Vol.3\003 (1723-1725), S. 154-155, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.2037 [aufgerufen am: ].


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III. Dialogue.

Ebene 2► Satire► Dialog► Metatextualität► De Cornelie Dame du Monde, & de Clelie Fille à marier. ◀Metatextualität

Cornelie. Clelie.
Cornelie.

Quand faudra-t-il donc, ma belle Demoiselle, vous faire des complimens ? je suis persuadée que cela ne tardera pas, & que vous serez mariée cet hiver : Madame votre Mere le souhaite fort.

Clelie.

Il est vrai que j’ai lieu de me loüer de ma Mere ; il ne tient pas à elle, que je ne trouve un party tel que nous le souhaitons, & tous les jours, elle & moi, nous en cherchons un dans le Dictionnaire de Morery. [155]

Cornelie.

Que voulez-vous dire dans le Dictionnaire de Morery ?

Clelie.

Ouï, Madame, c’est-là ou on trouve des gens de la condition qui nous convient, & vous sçachez que je ne veux me marier qu’à un homme de grande qualité. Je veux un mari d’un beau nom, d’une maison ancienne, & dans l’épée. On nous avoit parlé du fils d’un Gouverneur de Province ; mais on en dit assez peu de chose, & nous n’y voïons, ni Cordons bleu, ni Maréchaux de France.

Cornelie.

N’est-ce pas assez, que cette famille soit d’une ancienne Noblesse, que ce Gouverneur de Province ait du bien, & que son fils soit en passe de devenir un jour Maréchal de France& Cordon-bleu ?

Clelie.

Hé si, Madame, est-ce là être de qualité ? Nous voulons un mari qui ne soit pas le pre-[156(mier de sa race qui ait eu ces distinctions, dont les parens ayent été quelque chose, & qui puisse dire Monsieur mon Pere, Madame ma Mere.

Cornelie.

Je crains fort que vous ne soyez pas si-tôt mariée.

Clelie.

Ho ! que si ; nous n’en sommes qu’à la moitié du Dictionnaire, & nous avons déjà trouvé plus de dix familles où il doit y avoi <sic> des garçons à marier.

Cornelie.

Vous en trouverez encore d’autres sans doute ; je change donc de sentiment, vous serez mariée avent que d’avoir achevé votre Dictionnaire.

Clelie.

Non, nous le lirons jusqu’au bout, afin de pouvoir choisir entre les familles de qualité que nous y trouverons.

Cornelie

C’est-à-dire que, dès que vous aurez trou-[157(vé quelqu’un tel que vous le cherchez, vous l’épouserez, bien assurée qu’on ne vous refusera pas.

Clelie.

Me refuser, moi ! ho ! ma chere Madame, vous ne sçavez donc pas le bien qu’on me donne en mariage ?

Cornelie.

Je sçai que vous êtes un fort bon parti ; mais croïez-vous qu’il n’y en ait pas d’aussi bon que vous ?

Clelie.

D’aussi bon ! Non assurément. Depuis que je me connois, j’ai entendu tout le monde me dire que j’étois le meilleur parti de France, & qu’il ne tiendroit qu’à moi de choisir dans les Maisons les plus qualifiées.

Cornelie.

Vous n’avez qu’une chose à craindre ; c’est de ne pouvoir de votre côté trouver un parti assez bon pour vous.

Clelie.

Ne pensez pas vous en moquer ; je comp-[158(te assurément que le parti, quelque avantageux qu’il puisse être, sera fort au-dessous de moi, & que le mari que j’épouserai m’aura assez d’obligation, pour me laisser la maîtresse, & n’attendre de moi aucune complaisance : c’est la moindre chose que je doive esperer.

Cornelie.

Quelque riche que vous soïez, votre mari voudra être le maître.

Clelie.

Lui ! il n’osera, je vous en répons, il craindra trop que je ne me fasse séparer, & qu’il ne soit obligé de me rendre mon bien.

Cornelie.

Il n’y a pas moyen de vous contredire plus long-tems. Ouï, Mademoiselle, vous vous marierez à qui il vous plaira ; vous serez la maîtresse, on n’osera vous contraindre.

Clelie.

Vous voulez railler ; mais quoi ! est-ce que les filles qui ont du bien autant que j’en ai, se marient autrement ? suis-je la seule. . . . [159(

Cornelie.

Non, Mademoiselle, vous n’êtes pas la seule qu’on ait renduë folle, à force de lui dire qu’elle est un bon parti. . . ◀Dialog ◀Satire ◀Ebene 2 ◀Ebene 1