Le Nouveau Spectateur français: II. Dialogue
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Nível 1
II. Dialogue.
Nível 2
Sátira
Diálogo
Metatextualidade
De Silvandre, qui
vient de perdre son Pere, & de Damon, qui
vient lui faire des complimens.
Silvandre. Damon.
Silvandre.
Comment ! on vous a laissé entrer ; j’avois dit que je
ne voulois voir personne : je suis accablé d’affaires
Damon.
J’ai cru, Monsieur,
qu’étant aussi ami de la maison que je le suis, l’ordre
n’étoit pas pour moi, j’avois trop d’impatience de venir
m’affliger avec vous de la mort de Monsieur votre Pere.
Silvandre.
Ah, mon pauvre ami !
je n’ai gueres le tems de m’affliger, il
n’y a qu’une heure que mon Pere est mort, & vous ne
sçauriez croire tout ce que j’ai fait depuis ce
tems-là : j’ai déja visité tous ses papiers, je suis,
comme vous sçavez, son seul héritier, & je dois
avoir l’œil qu’on ne détourne rien. Damon.
Ce sont de ces soins qu’on ne peut se
dispenser de prendre. Silvandre.
La
succession n’est pas mauvaise ; j’ai trouvé mon Pere
beaucoup plus riche que je ne pensois ; il n’a pas un
sol de dettes ; & tout est dans le meilleur ordre du
monde ; me voilà en état de prendre une plus belle
Charge : j’ai sçu que celle de . . . , étoit vacante,
& j’ai . . . . Damon.
Je louë
vos précautions, & le courage avec lequel vous
soutenez votre affliction. Silvandre.
J’ai aussi trouvé beaucoup
d’argent comptant, & j’étois occupé à le compter
quand vous êtes entré. En verité je ne comprens pas mon
Pere, d’avoir gardé tant d’argent chez lui. C’est-à-dire que vous pourriez payer votre nouvelle
Charge argent comptant ? Silvandre.
Ouï, & c’est ce que j’ai mandé, & par où
j’espere avoir la préference ; mais auparavant il faut
me défaire de la Charge que j’ai : je viens d’envoyer
l’offrir à Monsieur de. . . . qui m’a paru en avoir
envie, je n’ai pas perdu mon tems, comme vous voyez,
depuis que mon Pere est mort ; il est vrai que pendant
son agonie j’ai disposé tout cela ; car il faut dire les
choses comme elles sont : quand j’ai vû qu’il n’en
réchaperoit pas, j’ai jugé qu’il étoit inutile de
s’affliger, & qu’il falloit penser l’essentiel. Damon.
Et sçaviez-vous que vous
trouveriez les choses en si bon état ? Silvandre.
J’en étois presque assuré, car
pendant sa maladie je ne me suis occupé qu’à avoir
là-dessus les lumieres dont je pouvois avoir besoin. Mon
Pere me voïant affligé à l’excès, m’avoit, pour me
consoler, fait entrevoir en général une
partie de ce que j’ai trouvé à sa mort. Damon.
En verité voilà un bon Pere, & je
ne puis retenir mes larmes. Silvandre.
Hé ! mon Dieu, ne me faites point
pleurer, j’ai encore d’autres soins à prendre, ne
faut-il pas donner les ordres pour son enterrement ;
c’est par là que je prétens faire voir, que si j’ai eu
un bon Pere, il a aussi laissé un Fils fort
reconnoissant & fort touché de la mort ; car mon
cher ami, je veux que tout soit magnifique, & qu’on
juge de ma douleur par ma dépense. Le Prieur devroit
être venu ; car j’oubliois de vous dire que j’ai eu
aussi le tems d’envoïer chez lui. Damon.
Je m’étonne qu’il ne soit pas venu,
ces Messieurs-là viennent ordinairement sans qu’on les
mande : ils ont un instinct qui les avertit de la mort
des gens de qualité. Mais voulez-vous donc faire un
enterrement si magnifique ? On disoit que Monsieur votre
Pere vouloit être enterré simplement, & qu’il avoit
ordonné qu’on emploïât cette dépense en aumones & en
prieres.
Silvandre.
Il est vrai qu’il m’a
recommandé ce que vous dites, mais ce n’est pas pour
moi. Est-ce qu’on pense aux morts quand on fait leur
enterrement ? c’est l’affaire de leurs enfans & de
leur famille. Voyez-vous, dans le dessein que j’ai de
changer de condition & de me mettre sur un autre
pied, il est bon de préparer les esprits, & que
l’enterrement sonne bien pour moi dans le monde. J’ai
déjà composé son billet d’enterrement, lisés. . . Damon.
Quoi vous avez pû faire
encore cela depuis que Monsieur votre Pere est mort ! je
loüois votre courage, mais il faut admirer votre
presence d’esprit, vous n’avez manqué à rien, & le
billet est tout-à-fait bien tourné. Silvandre.
Aussi j’y ai pensé à deux fois,
& trois jours avant que mon Pere fut mort, j’avois
rêvé à ce billet. Je suis fâché de n’avoir pas dès ce
tems-là fait avertir le Prieur, & fait écrire la
liste de ceux à qui je dois envoïer des billets, je ne
veux oublier personne, cela va m’occuper tout le jour,
& je voi bien que je n’aurai pas
aujourd’hui un moment, où je puisse pleurer &
m’affliger en liberté. Damon.
Vous
avez apparemment ordonné des Messes & des Prieres
pour le repos de son ame ? Silvandre.
Non, je vous avouë que c’est la
seule chose que j’ai oublié, vous faites bien de m’en
faire souvenir, je n’y aurois pas pensé ; j’ai tant
d’autres affaires . . . Damon.
Si
vous voulez, je me charge de ce soin-là : en voulez-vous
un grand nombre ? Silvandre.
Oui,
car je veux que cela me fasse honneur ; il en faut
sur-tout un grand nombre à ma Parroisse, je ferai
plaisir au Curé . . . Damon.
Vous
ferez encore quelque chose de plus agréable au Curé,
puis que vous ordonnerez sans doute un beau luminaire ?
Silvandre.
Nous en raisonnâmes hier
ensemble pendant que mon Pere entroit dans son agonie,
il me dit que je ne pouvois faire le luminaire trop
beau. Mais écoutez, choisissez, pour faire dire des
Messes, les Eglises où il y va plus de beau monde, afin
que l’on sçache que je n’ai rien épargné. Adieu, mon
cher ami, je ne puis m’empêcher de pleurer en vous
embrassant : helas ! mon Pere, mon pauvre Pere ! Dites,
je vous prie en sortant que je ne voi personne, &
que mon excessive douleur ne me permet pas de recevoir
des visites. Damon.
Oh ! que ceux
qui perdent des parens, dont ils héritent, ont raison de
ne voir personne ; ce n’est qu’en se cachant qu’ils
peuvent faire croire qu’ils sont affligez.
Nível 2
Sátira
Diálogo
Metatextualidade
De Silvandre, qui
vient de perdre son Pere, & de Damon, qui
vient lui faire des complimens.