Sugestão de citação: Justus Van Effen (Ed.): "II. Dialogue", em: Le Nouveau Spectateur français, Vol.3\002 (1723-1725), S. 147-153, etidado em: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Ed.): Os "Spectators" no contexto internacional. Edição Digital, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.2036 [consultado em: ].
Nível 1►
II. Dialogue.
Nível 2► Satire► Diálogo► Metatextualidade► De Silvandre, qui vient de perdre son Pere, & de Damon, qui vient lui faire des complimens. ◀Metatextualidade
Comment ! on vous a laissé entrer ; j’avois dit que je ne voulois voir personne : je suis accablé d’affaires
J’ai cru, Monsieur, qu’étant aussi ami de la maison que je le suis, l’ordre n’étoit pas pour moi, j’avois trop d’impatience de venir m’affliger avec vous de la mort de Monsieur votre Pere.
Ah, mon pauvre ami ! je n’ai gueres le [148] tems de m’affliger, il n’y a qu’une heure que mon Pere est mort, & vous ne sçauriez croire tout ce que j’ai fait depuis ce tems-là : j’ai déja visité tous ses papiers, je suis, comme vous sçavez, son seul héritier, & je dois avoir l’œil qu’on ne détourne rien.
Ce sont de ces soins qu’on ne peut se dispenser de prendre.
La succession n’est pas mauvaise ; j’ai trouvé mon Pere beaucoup plus riche que je ne pensois ; il n’a pas un sol de dettes ; & tout est dans le meilleur ordre du monde ; me voilà en état de prendre une plus belle Charge : j’ai sçu que celle de . . . , étoit vacante, & j’ai . . . .
Je louë vos précautions, & le courage avec lequel vous soutenez votre affliction.
J’ai aussi trouvé beaucoup d’argent comptant, & j’étois occupé à le compter quand vous êtes entré. En verité je ne comprens pas mon Pere, d’avoir gardé tant d’argent chez lui. [149]
C’est-à-dire que vous pourriez payer votre nouvelle Charge argent comptant ?
Ouï, & c’est ce que j’ai mandé, & par où j’espere avoir la préference ; mais auparavant il faut me défaire de la Charge que j’ai : je viens d’envoyer l’offrir à Monsieur de. . . . qui m’a paru en avoir envie, je n’ai pas perdu mon tems, comme vous voyez, depuis que mon Pere est mort ; il est vrai que pendant son agonie j’ai disposé tout cela ; car il faut dire les choses comme elles sont : quand j’ai vû qu’il n’en réchaperoit pas, j’ai jugé qu’il étoit inutile de s’affliger, & qu’il falloit penser l’essentiel.
Et sçaviez-vous que vous trouveriez les choses en si bon état ?
J’en étois presque assuré, car pendant sa maladie je ne me suis occupé qu’à avoir là-dessus les lumieres dont je pouvois avoir besoin. Mon Pere me voïant affligé à l’excès, m’avoit, pour me consoler, fait entrevoir [150] en général une partie de ce que j’ai trouvé à sa mort.
En verité voilà un bon Pere, & je ne puis retenir mes larmes.
Hé ! mon Dieu, ne me faites point pleurer, j’ai encore d’autres soins à prendre, ne faut-il pas donner les ordres pour son enterrement ; c’est par là que je prétens faire voir, que si j’ai eu un bon Pere, il a aussi laissé un Fils fort reconnoissant & fort touché de la mort ; car mon cher ami, je veux que tout soit magnifique, & qu’on juge de ma douleur par ma dépense. Le Prieur devroit être venu ; car j’oubliois de vous dire que j’ai eu aussi le tems d’envoïer chez lui.
Je m’étonne qu’il ne soit pas venu, ces Messieurs-là viennent ordinairement sans qu’on les mande : ils ont un instinct qui les avertit de la mort des gens de qualité. Mais voulez-vous donc faire un enterrement si magnifique ? On disoit que Monsieur votre Pere vouloit être enterré simplement, & qu’il avoit ordonné qu’on emploïât cette dépense en aumones & en prieres. [151]
Il est vrai qu’il m’a recommandé ce que vous dites, mais ce n’est pas pour moi. Est-ce qu’on pense aux morts quand on fait leur enterrement ? c’est l’affaire de leurs enfans & de leur famille. Voyez-vous, dans le dessein que j’ai de changer de condition & de me mettre sur un autre pied, il est bon de préparer les esprits, & que l’enterrement sonne bien pour moi dans le monde. J’ai déjà composé son billet d’enterrement, lisés. . .
Quoi vous avez pû faire encore cela depuis que Monsieur votre Pere est mort ! je loüois votre courage, mais il faut admirer votre presence d’esprit, vous n’avez manqué à rien, & le billet est tout-à-fait bien tourné.
Aussi j’y ai pensé à deux fois, & trois jours avant que mon Pere fut mort, j’avois rêvé à ce billet. Je suis fâché de n’avoir pas dès ce tems-là fait avertir le Prieur, & fait écrire la liste de ceux à qui je dois envoïer des billets, je ne veux oublier personne, cela va m’occuper tout le jour, & je voi bien que [152] je n’aurai pas aujourd’hui un moment, où je puisse pleurer & m’affliger en liberté.
Vous avez apparemment ordonné des Messes & des Prieres pour le repos de son ame ?
Non, je vous avouë que c’est la seule chose que j’ai oublié, vous faites bien de m’en faire souvenir, je n’y aurois pas pensé ; j’ai tant d’autres affaires . . .
Si vous voulez, je me charge de ce soin-là : en voulez-vous un grand nombre ?
Oui, car je veux que cela me fasse honneur ; il en faut sur-tout un grand nombre à ma Parroisse, je ferai plaisir au Curé . . .
Vous ferez encore quelque chose de plus agréable au Curé, puis que vous ordonnerez sans doute un beau luminaire ? [153]
Nous en raisonnâmes hier ensemble pendant que mon Pere entroit dans son agonie, il me dit que je ne pouvois faire le luminaire trop beau. Mais écoutez, choisissez, pour faire dire des Messes, les Eglises où il y va plus de beau monde, afin que l’on sçache que je n’ai rien épargné. Adieu, mon cher ami, je ne puis m’empêcher de pleurer en vous embrassant : helas ! mon Pere, mon pauvre Pere ! Dites, je vous prie en sortant que je ne voi personne, & que mon excessive douleur ne me permet pas de recevoir des visites.
Oh ! que ceux qui perdent des parens, dont ils héritent, ont raison de ne voir personne ; ce n’est qu’en se cachant qu’ils peuvent faire croire qu’ils sont affligez. ◀Diálogo ◀Satire ◀Nível 2 ◀Nível 1