Zitiervorschlag: Justus Van Effen (Hrsg.): "No. 23", in: Le Nouveau Spectateur français, Vol.2\003 (1725), S. 31-43, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.2017 [aufgerufen am: ].
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No. 23.
Metatextualität► Suite des Reflexions Precedentes. ◀Metatextualität
Ebene 2► Voici encore une autre imperfection, qui se decouvre dans les Fables de Monsieur De la Motte ; Hé ! dans quelles productions de l’esprit humain ne s’en rencontre-t’il pas ? Pour la faire sentir. Je me sers de la même idée, [32] <34> que je viens d’employer. L’Allégorie de la Fable est une Engime, & la Morale en est le mot ; ou bien c’est une suite d’expression figurées qui enveloppent une maxime de devoir. Une Enigme seroit bien imparfaite si tous les traits en étoient appliquables, avec la même justesse, à differents sujets. Des expressions quelque figurées qu’elles soient, seroient certainement defectueuses, si avec une facilité égale on y pouvoit puiser deux idées differentes, quoique voisines. Il en est de même de la Fable ; pour que le fond en soit parfait il faut que toute l’enchainure d’images, qu’on met en œuvre, ne developpe dans l’esprit qu’un même précepte, qu’une même maxime. J’avouë, que sans rendre une Fable vitieuse, il se peut que ce tissu d’images, outre une verité principale, qui s’offre à la justesse d’esprit de la maniere la plus frappante, indique encore de veritez subalternes, plus éloignées & moins sensibles. Mais une Fable est indubitablement imparfaite quand deux véritez sortent avec une égale force de la même Allegorie, laissant le Lecteur incertain, sur leur choix, & qu’on a besoin de l’interprétation de l’Autheur pour deviner la maxime, que, par le secours de son imagination, il a voulu faire passer de sa raison dans la notre. Monsieur De la Motte a encore senti cette verité dans la Theorie sans avoir la force de la suivre toujours dans l’exécution ; cet écart est encore rare chez [33] lui, mais il est réel ; qu’on en juge par ces quatre Vers, qui font l’application d’une de ces Fables.
Zitat/Motto► Le prudent fait tirer son bien
Même de l’Ennemi qui pense à le détruire.
Autre Morale y viendroit aussi bien.
Tel nous sert, en voulant nous nuïre. ◀Zitat/Motto
L’Autheur se décele ici lui-même, mais il y a quelques autres endroits de ses Fables où il fait la même faute sans la déclarer, & apparemment sans la sentir lui-même.
Je remarquerai encore que dans quelques-unes de ces piéces, la Morale ne tient pas tout à-fait ce que l’Allégorie avoit promis. On l’interesse à l’action, qui sert d’enveloppe ; les images sont agréables, arrangées avec art, assaisonnées de pensées justes & fines ; tout ce riche appareil fait attendre des maximes qui lui sont proportionnées, & après avoir préparé & ouvert son ame à quelque précepte d’une utilité peu commune, on est surpris & choqué de ne rencontrer qu’une regle de conduite, qui n’a rien que de trivial. Cette maniére de surprendre a quelque chose de burlesque ; Elle produit à peu près le même effet que cette fin d’un Sonnet de Scarron :
Zitat/Motto► Faut il donc s’étonner qu’un méchant pourpoint noir
Que j’ai porté trois ans soit percé par le coude. ◀Zitat/Motto
[34] Je n’approuve pas non plus l’interpretation de certaines Allegories, dont le sens faute aux yeux, & qu’une seule expression vive d’un des Interlocuteurs fait sentir de reste. L’Autheur remarque lui même que le plus grand plaisir que font les Fables c’est de procurer aux Lecteurs la satisfaction touchante de se féliciter de leur pénétration, qui en devine le sens. Si ce sens sort de la Fable même, avec assez de justesse & de force, on ne fait qu’en diminuer l’impression, en le développant d’avantage, & l’on chagrine le Lecteur, en se défiant de ses lumieres. Le défaut n’est que trop rémarquable dans la Fable du Ciron, qui voyage avec le bœuf, & qui par bonté d’ame craint de le faire succomber sous le poids de son petit corps ; ce défaut dis-je est remarquable dans cette piéce. L’Autheur le remarque lui-même, & il ne s’en cache pas dans la courte explication qu’il donne de son Allégorie.
Zitat/Motto► Je laisseroie le Fable toute nue,
Qu’ici plus d’un Ciron se reconnoitroit bien.
Tel qui se grossit à sa vuë
Se croit quelque chose & n’est rien ? ◀Zitat/Motto
N’auroit-il pas fini d’une maniere plus brillante, plus vive, & plus propre à remplir ses Lecteurs d’images & d’idées, en se contentant du discours dédaigneux du Bœuf.
[35] Zitat/Motto► On arrive pourtant jusqu’à la Capitale:
Cadet Ciron sain & sauf arrivé
Demande excuse au bœuf, qu’il croit avoir crevé.
Que me parle la haut ? dit d’une voix brutale Messire Bœuf, C’est moi. Qui ? Me voila.
Eh l’ami qui te savoit là ? ◀Zitat/Motto
Rien ne fait plus languier un ouvrage qu’une abondance inconsiderée ; & l’art le plus grand en matiere d’écrire c’est l’art de finir. C’est d’ordinaire l’amour propre qui le fait négliger. On a fait quelques Vers, dont on est content ; ils sont superflus, mais on ne veut pas les perdre, par la grande raison qu’on les a faits. C’est une verité que je sai par expérience.
Ma derniére critique roulera sur le stile ; c’est le grand & souvent l’unique objèt de la censure Françoise, quoiqu’il trouve beaucoup d’indulgence chez les Nations qui croient le bon sens le caractere essentiel de l’Esprit humain. Décrediter un Ouvrage & l’accabler de railleries, c’est mépriser un batiment, parce qu’on y decouvre quelques pierres inégales, ou parce que la peinture n’en est pas en quelques endroits assez uniforme.
Je conviens que de s’attacher uniquement à cette censure vetilleuse, est pardonnable à des personnes dont la vuë ne s’étend pas plus loin ; que vouloit-on que critiquât Momus fabliste ? l’essentiel même des Fables de son adversaire ? Il n’y entendoit [36] rien. Les piéces qu’il a fait lui-même dans ce genre le démontrent. Mais ses critiques sont-elles du moins fondées ? pas toujours, selon moi ; mais trop souvent, je trouve dans le stile des Fables nouvelles du bas, du pueril, & du recherché ; mais ces défauts n’y choquent que dans un très petit nombre d’endroits. Pour ce que regardent le bas. Monsieur de la Motte impose en quelque sorte silence là-dessus à ses Lecteurs ; Les nuances, dit-il, qui par rapport à la Fable distinguent le familier du bas ne sont pas assez déterminées, & il n’y a qu’une vuë délicate & exercée qui puisse les appercevoir ; l’ignorance les confond aisément &c. Je crains bien que semblable à la plûpart des Lecteurs, je n’aye pas cette vuë délicate & exercée. Mais il me semble que l’Autheur auroit du épargner à notre ignorance l’occasion de se méprendre, & qu’il auroit agi quelquefois prudemment, en ne saisissant pas la nuance du familier la plus voisine du bas. Du moins étoit-il obligé de suivre cette regle en adressant ses leçons aux Princes. Il auroit dû s’y porter, en vertu d’une de ses propres maximes, qui permet aux fabulistes d’élever un peu leur stile, avec le sujèt.
Zitat/Motto► Princes, à vous le dé. . .
Rois vous aimez la gloire, & c’est bien fait à vous. ◀Zitat/Motto
J’ai bien de la peine à ne pas trouver ces [37] expressions basses, sur tout dans les endroits où elles sont placées. Rien n’étoit plus aisé, sur tout à un Autheur qui versifie aussi facilement que Monsieur De la Motte, que de menager ici à la simplicité de son stile un peu plus de Noblesse. S’il avoit dit
Zitat/Motto► Rois, vous aimez la gloire, & c’est avec raison. ◀Zitat/Motto
Je m’imagine que personne ne se seroit avisé de trouver du bas dans cette Apostrophe, quoique familiaire.
L’Autheur donne encore qulequefois dans le pueril, & même dans le plat ; ce malheur lui arrive sur tout, quand il veut répandre du riant dans le familier ; c’est-à-dire quand il veut être plaisant ; Il est aisé de le lui pardonner c’est un petit desastre assez commun. De cette source vient son Gressier solaire, qui affadit, au lieu de faire rire.
Peut être ne suis-je pas assez difficile ; mais j’avouë que je ne trouve pas le même défaut dans ces Vers
Zitat/Motto► Dom Jugement, Dame Mémoire
Et Demoiselle imagination, ◀Zitat/Motto
J’avouë ingenument que je n’ai pas le gout assez fin, pour comprendre que dans ces titres de Dom de Dame & de Demoiselle appliquées aux facultez personalisée de l’ame, il y ait quelque chose de plus fade, [38] que dans les dénominations humaines données aux Animaux qui sont les acteurs des Fables. Telles sont Maitre Corbeau, Jean Lapin, Compere Renard. Je remarquerai encore, que ces derniers noms n’enrichissent pas de la moindre idée accessoire les Fables où ils se trouvent ; Au lieu que les dénominations appliquées ici au jugement, à la Mémoire & l’imagination ont avec les sujets une assez fine convenance, qui les caracterise.
On s’est moqué de notre Autheur sur ce compliment ; qu’il addresse à Madame la Marquise de Lambert.
Zitat/Motto► Le fait est de ta compétence
J’y peins le disgrace d’un Chien. ◀Zitat/Motto
S’il y avoit là de la faute, elle viendroit ou d’un grossier manque de jugement, ou d’une ridicule envie de plaisanter ; certainement il n’y a rien de si bouffon, que de faire de la disgrace d’un Chien, un fait de la competence d’une Dame, à qui on donne un merite extraordinaire. Heureusement pour Monsieur De la Motte, cette censure est de mauvaise soi, s’il y en eut jamais, & le ridicule apparent qu’on trouve dans ces Vers doit retomber sur la grossiere & indigne malice du Critique.
Il déchire ces deux Vers de la période dont ils ne sont qu’une partie, & il fait un sens à part de ce qui ne fait que conduire [39] <36> au sens véritable. Il est contenu dans ces quatre Vers.
Zitat/Motto► Lis ma Fable ; le fait est de ta compétence ;
J’y peins la disgrace d’un Chien
Qui fera voir à tous ce que tu sais si bien,
Qu’amitié veut de la prudence. ◀Zitat/Motto
Le fait est de la compétence de la Marquise, par ce qu’il confirme une Maxime, dont la pratique lui est familiaire. Rien de plus claire ; il ne laisse pas d’y avoir des gens plus integres, à qui les deux premiers Vers déplaisent, pour ainsi dire, par impatience, & qui sont choquez du burlesque apparent qui s’y trouve ; Mais est-ce la faute de l’Autheur qu’ils ayent si peu de flegme ?
Ses Critiques lui reprochent encore qu’il est souvent trop recherché dans ses tours, & dans ses expressions. Mais tous les exemples qu’ils en alleguent ne prouvent pas selon moi la justesse de leur censure.
Dans la Fable intitulée la Syrene, l’Autheur introduit un homme qui ne voyant de cette Nymphe que les parties supérieures en devient amoureux. Neptune l’accorde à ses desirs, mais dès que cet Amant la possede il n’a plus d’yeux pour les beautez de sa maitresse ; Il ne voit que ce qu’elle a de difforme :
Zitat/Motto► Le désirant ne vit que la tête & le corps
Le jouissant ne vit que la queuë & l écaille <sic>, ◀Zitat/Motto
[40] J’avouë que dans l’usage ordinaire on ne dit pas le desirant & le jouissant. Mais si l’Autheur s’étoit prêté à la disette de la langue, il auroit été obligé de se servir d’une circonlocution qui eut noyé & affoibli son sens ; Et heureux le Lecteur, s’il en avoit été quitte pour quatre Vers au lieu de deux. Il me semble qu’on devroit savoir gré à un Autheur de ce qu’il nous épargne des paroles vuides & que dans cette occasion il y a de la partialité dans la déclatesse de ne pouvoir pas soufrir qu’il sorte un peu des bornes étroites de l’usage.
Ces termes extraordinaires ne doivent être accusez d’affectation, que lorsqu’ils contiennent un sens, que des expressions simples & usitées auroient exposé avec la même précision & avec la même force. Conséquemment à cette regle j’ose censurer ici deux tours d’expression empruntez du barreau, sans la moindre nécessité. Dans la Fable des deux songes l’un blanc l’autre noir dont le premier divertissoit l’imagination d’un esclave, tandis que l’autre répandoit l’amertume sur toutes les nuits d’un grand Sultan. Monsieur De la Motte l’exprime ainsi :
Zitat/Motto► D’un Esclave le blanc s’étoit fait domestique
Et le noir avoir pris le grand Seigneur à bail
Même à bail emphithéotique. ◀Zitat/Motto
Ne valoit-il pas mieux dire naturellement [41] que ce songe s’étoit emparé pour toujours du sommeil du grand Seigneur. Bail emphithéotique dit-il quelque chose de plus. Dans les facheux de Moliere un maitre dit à son valet.
Zitat/Motto► T’es-tu de ce chapeau pour jamais emparé. ◀Zitat/Motto
Y auroit-il beaucoup d’esprit à remplacer ces termes naturels par ceux-ci.
Zitat/Motto► Le chapeau l’as-tu pris à bail
Même à bail emphithéotique. ◀Zitat/Motto
Je sens bien que cette figure cherchée de loin ne s’accorderoit pas à l’impatience du Maitre, en question ; mais outre que je croi qu’elle seroit par tout mal placée, excepté dans la bouche d’un practicien ; il est difficile qu’elle convienne plus mal à qui que ce soit, qu’à un Autheur occupé à exposer le sujet d’une Fable.
Une affectation de la même nature faute aux yeux dans le prologue d’une autre Fable destiné à exalter le merite de l’invention :
Zitat/Motto► Les Fictions d’autrui n’excitent point ma veine
Si le fond n’est à moi j’y batis avec peine.
Je craindrois toujours que le dol
Ne m’en dépossédât sous ombre de justice,
Et qu’un jour le maitre du Sol
Ne revendiquât l’édifice. ◀Zitat/Motto
Il m’est difficile de comprendre comment [42] l’Autheur a pu donner dans ces figures recherchées. Je ne saurois que le mettre sur le compte d’un vif desir d’établir son habileté, en cherchant les fleurs Poëtiques jusques dans le terroir éloigné & ingrat du barreau ; Mais il n’a pas songé qu’en associant ainsi Baldus à Apollon il jettoit une obscurité impénétrable même à des gens fort éclairez, dans un stile, qui de son propre aveu doit être familier & populaire ; Est il naturel de s’imaginer que pour entendre des Fables il faille avoir étudié le Practicien François. Monsieur De la Motte n’est pas plus heureux à chercher ses manieres de parler dans la discipline militaire, qu’à les emprunter du Palais. Témoin ce début d’un de des Prologues.
Zitat/Motto► Alte là, Lecteur, & qui vive ;
Es-tu le Partisan ou l’envieux du beau. ◀Zitat/Motto
J’ai de la peine à croire que cette incartade Soldatesque plaise d’avantage aux Partisans du beau, qu’à ceux qui en sont envieux. Mais j’y trouve pourtant un Tableau vif du personage que Monsieur De la Motte joue dans la plûpart de ces discours Préliminaire ; Il y est toujours sur le qui vive. C’est un Soldat en sentinelle ; Le poste qu’il garde c’est son livre, avant que d’en permettre l’entrée, il demande le mot à tout le monde. A qui se déclare Partisan du beau, il laisse le passage libre, pour l’aller [43] trouver dans les Fables nouvelles, Mais <sic> il fait tous ses efforts, pour repousser ceux qui ne sont pas pour le beau & pour son livre dans de si favorables dispositions. ◀Ebene 2 ◀Ebene 1