Sugestão de citação: Justus Van Effen (Ed.): "No. 22", em: Le Nouveau Spectateur français, Vol.2\002 (1725), S. 17-30, etidado em: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Ed.): Os "Spectators" no contexto internacional. Edição Digital, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.2016 [consultado em: ].
Nível 1►
No. 22
Metatextualidade► Suite des Reflexions Precedentes. ◀Metatextualidade
Nível 2► Le public a été fort partagé sur les pieces Dramatiques de Monsieur De la Motte ; les uns les ont trop admirez pour se donner le loisir de pénétrer jusques aux forces de leur admiration, les autres ont tel-[18]lement concentré leur attention dans ce qu’elles peuvent avoir de défectueux, qu’ils se sont aveuglez sur les beautez éclatantes, & sur l’art exquis qui y compensent abondamment les défauts. Des critiques quelquefois justes, mais presque toujours outrées, amères, injurieuses ont été entassées les uns sur les autres. La raillerie les a soutenues, & tous ses éforts réünis ont entrainé jusqu’aux sufrages de ceux-là même, qui avoient été les plus promts à prodiguer à ces pieces des applaudissements sans bornes.
Pour moi, j’avouë qu’il est difficile de ne pas remarquer dans Romulus & dans Ignez de très grand defauts tant pour le plan que pour l’éxécution. Mais j’ose soutenir que ces tragédies meritent pourtant l’attention du public ; les situations y sont en général parfaitement bien menagées, & presque toujours exposées de leur côté le plus interessant. J’y croi dévélopper encore autant que dans aucune autre Tragédie Françoise, l’art d’attacher les Spectateurs, d’exciter en eux, d’entretenir & d’augmenter de degré en degré les mouvements du cœur, qui des passions les plus desagréables en elles-mêmes font sortir la plus touchante satisfaction. Ceux qui les ont censurées, y decouvrent quelques faux caractères, quelques sentimens qui sont contraires à la nature, ou bien au dessus d’elle. Ils n’ont pas tort ; mais cependant leur [19] mauvais cœur m’étonne ; ils ne disent rien de tant d’autres Tableaux de mœurs excellens pour l’invention, & soutenus avec tout l’art & avec tout le jugement possibles. C’est là une injustice criante, il est inutile de le prouver, quiconque a l’esprit bon, sans avoir le cœur absolument mal placé, doit le sentir de reste.
Je ne suis pas moins choqué de l’artifice que les Censeurs de Monsieur De la Motte ont employé pour décrier la versification de ses Tragédies. Ils ont ramassé & etalé de suite un grand nombre de Vers foibles & Prosaïques qui sont répandus par tout le corps de ses pièces, & qui mélez à d’autres Vers plus harmonieux & plus soutenus se dérobbent presque à l’attention du Lecteur. Ce tour malin a produit son effet sur les esprits peu pénétrants. & voilà Mr. De la Motte qui passe auprès de la plus nombreuse partie du public pour ne savoir pas seulement bien tourner un Vers. J’avouë ingenument que dans Romulus & dans Ignez le nombre des Vers peu nerveux & souvent plats est excessif & qu’on en trouve quelque fois de cette sorte dans les endroits où il en falloit de très forts & de très poëtiques, mais j’ose soutenir d’un coté qu’on deshonoreroit par un artifice semblable, toutes nos plus excellentes tragedies ; & de l’autre, qu’il est absolument nécessaire dans ces sortes d’ouvrages, quelque relevé qu’en puisse être le sujet, de [20] méler des Vers foibles à des Vers pompeux. La premiere de ces veritez sautera aux yeux à quiconque voudra mettre en lambeaux les meilleures pieces de Corneille & de Racine, mais la seconde pour être sensible à besoin de quelques éclaircissements.
Je croi que c’est un prinicpe aussi sur que simple, que le stile doit être proportionné aux sujets qu’il exprime ; Il est certain par consequent, qu’il y a autant de fadeur dans des termes grands & magnifiques qui masquent une matiere commune, que dans des expressions basses & populaires qui avilissent des sujets nobles & relevez.
Appliquons ces maximes à la Tragedie. Il est certain qu’elle roule toûjours sur un grand évenement, & qu’elle répresente des personnes Illustres, dont le cœur est agité par des passions nobles, & généreuses ; Il s’en suit qu’en général la Tragédie demande des expressions fortes & sublimes, & puisque l’usage veut que ces expressions soient assujesties à une mesure & à une cadance, il s’en suit encore qu’elles doivent être rélevées par une harmonie noble & brillante. Mais il n’est pas moins certain que dans toutes ces piéces Dramatiques, il y a des circonstances ordinaires de la vie humaine, qui conduisent les grands mouvemens, qui les font naitre, où qui les lient les uns aux autres. Tel est le recit d’une chose peu interessante d’elle-même [21] mais essentielle à l’intrigue d’une piéce, tel peut être encore un ordre, une commission qu’un Prince donne à un de ses Domestiques. Ne seroit-il pas pueril au suprême degré de prêter de l’Emphaze à un discours de cette nature, la beauté de la Poësie ne seroit-elle pas du fard dans une occasion pareille.
Les Rois & les Héros, qui ont le cœur aussi élevé que l’esprit, ne parlent-ils pas dans certaine circonstances comme les autres hommes, & ne seroit-ce pas s’éloigner du naturel sans lequel rien n’est beau, & les faire extravaguer pitoïablement, que de leur faire répandre les fleurs de la Rethorique sur les affaires les plus communes de la vie Civile. Je ne veux pas que sur les sujets les plus ordinaires, les Princes s’énoncent en termes bas, & tirée de l’usage de la populace ; Il faut leur mettre dans la bouche des expressions qui dans une situation pareille, seroient emploïée par des gens bien élevez, & je croi qu’il y a du jugement & de l’art à renfermer alors ces expressions dans des Vers, qui aprochent de la Prose
Citação/Divisa► A l’on vû de part le Roi de Comagene, Sait-il que l’attends. ◀Citação/Divisa
C’est ainsi que Racine fait parler Titus : Il n’y a là à proprement parler, que de la Prose ; Mais ce grand Poëte auroit com-[22]mis, selon moi, une faute impardonnable, si dans cette occasion, il avoit fait prononcer à l’Empereur des paroles plus éloignées de l’usage ordinaire & renfermées dans des Vers plus nombreux & plus ronflants.
Cet art de mettre le stile & la cadance de niveau avec la nature des sujets, n’est pas seulement aimable par lui-même ; il est encore extrémement propre à faire mieux sentir les endroits où de grands mouvements, ou des veritez sublimes sont peintes avec des couleurs convenables. Quand un Poëte donne la torture à son génie dans toute l’enchainure d’une Tragédie pour embellir des choses communes par des termes recherchez ; quand il s’efforce continuellement à les offrir à l’oreille dans des sons harmonieux, il court risque de lasser l’esprit par des ornemens si suivis & de le frapper foiblement lorsque ces mêmes traits & ces mêmes sons nombreux, mieux en leur place, sont destinez à se rendre maitres de notre imagination & de notre cœur. Ils ne sont propres à nous étonner à nous enlever, que lorsqu’ils semblent sortir du sein de la matiere & qu’ils font un brillant contraste avec des termes plus simples & avec des Vers moins soutenus, qui se baissent avec ce qu’ils doivent exprimer. Si l’on vouloit bien se servir de cette maxime en examinant les Vers des Tragédie de notre Autheur, peut-être remplaceroit-on par [23] quelques louanges plusieurs censures amères, dont on l’a cru digne.
Si je m’imagine que Romulus & Ignez malgré des fautes assez grandes, & assez nombreuses marquent pourtant un Poëte au-dessus du commun ; j’ai une opinion bien plus avantageuse des Macabées ; Je ne sache pas qu’on en ait fait une critique, & je croi qu’il seroit fort difficile d’en faire une bien judicieuse, à moins qu’elle ne fut bien courte.
Le seul défaut essentiel que j’y trouve c’est la nature du sujet ; Je n’aime pas que la Religion chausse le Cothurne, & je trouve que des gens payez pour divertir le public, & qui ne sont pas soupçonnez généralement d’un excez de devotion, n’ont pas trop bonne grace à faire les Prédicateurs. Mais lorsque j’éloigne mon attention de cette idée, je ne saurois m’empêcher de croire que peu de piéces ont été produites sur le Theatre François, qui soient fort supérieures à celles dont je parle. L’art ne sauroit gueres rendre plus interessant un sujèt extrémement interessant par lui-même.
Si le génie Poëtique consiste essentiellement dans la force & dans la justesse des Tableaux, ceux que Monsieur De la Motte étale dans cet Ouvrage, de la manière la plus touchante, doivent convaincre tous ceux qui ont une imagination, & un cœur, du génie Poëtique de cet estimable Ecri-[24]vain. Le naturel & l’extraordinaire s’unissent dans les caracteres de cette piéce de la maniere la plus merveilleuse & la plus interessante. Ce qui étonne & agite le plus une ame capable de beaux mouvemens, c’est la tendresse la plus vive que la nature puisse inspirer à une Mere pour un Fils, l’espérance d’une maison illustre ; Tendresse qui subsiste dans un même cœur avec la pieté la plus pure, la plus ferme, & la plus Héroïque, qui en triomphe sans l’affoiblir ; C’est cette même pieté qui dans l’ame d’un Héros religieux s’unit avec l’amour le plus délicat & le plus tendre, sans que ces deux dispositions du cœur, qui se livrent de continuels combats, puissent se détruire. En vain diroit-on que ces situations touchantes ne sortent pas du genie du Poëte mais de la nature du sujet. Il en est de même de toutes les situations semblables ; le merite du Poëte ne consiste, qu’à les sentir avec force, à les developper, & à les exposer dans leur jour le plus frappant.
Pour rendre entiérement justice à cet excellent Ouvrage, je dois ajouter que la Versification m’en paroit plus nerveuse que celle des autres Tragédies de l’Autheur. S’il y a des lambeaux languissants, peut-être la place où ils sont les authorise-t’elle, & doit les faire considérer comme un effet de l’art du Poëte ; Et s’il s’est glissé des Vers peu nerveux dans des endroits, où il en falloit de parfaitement soutenus, ces petits de-[25]fauts se dérobbent à l’attention d’une ame entiérement entrainée par les grands mouvemens, par l’élévation des pensées, & par la beauté des maximes.
L’Ouvrage de Monsieur De la Motte qui s’est le plus attiré le dégout du public & les railleries de ses confreres en Apollon, c’est le recueil de ses Fables. Je ne saurois nier qu’il ne s’y trouve des imperfections capables de justifier en parties l’idée desavantageuse, que la multitude des Lecteurs en a conçûë sur la foi des Critiques. Mais j’ose soutenir malgré ces imperfections, qu’en général ces fables sont essentiellement bonnes, ingenieuses, propres à faire l’effet, qui est le but de ces sortes de piéces, & qu’elles marquent un génie supérieur. Pour en juger d’une manière éclairé, on n’a qu’à prendre pour guide le discours de l’Autheur sur la nature des Fables ; les idées en sont simples, nettes, bien arrangées, & accessibles au simple sens commun accompagné & soutenu d’une médiocre attention. Je sai que ces Fables ne sont pas précisement dans le gout de celles, qui donneront selon toutes les apparences l’immortalité à la Mémoire de Monsieur de la Fontaine, mais elles n’en sont pas moins bonnes ; l’Autheur lui-même le fait voir avec évidence dans le discours dont je viens de parler, & j’ose défier ces Censeurs d’y répondre d’une maniere sensée.
Les défauts que je trouve dans cet Ou-[26]vrage, sans le mépriser, sont d’une autre Nature. Monsieur De la Motte répand dans tous ses Ouvrages l’aimable caractére d’honnete homme, qui est si capable de faire gouter les talents de l’esprit ; il les embellit encore d’un art de modestie, qui releve d’une maniere si éclatante la beauté de l’imagination ; s’il en sort, on remarque sans peine que ce n’est que par licence Poëtique, & pour imiter l’orgueilleux Enthousiasme de ses prédecesseurs. Le caractere d’honnete homme, d’ami du bon-sens & de la vertu regne dans ces Fables comme dans ses autres productions ; Mais je ne sai par quel hazard la touchante modestie s’en éloigne presque pour faire place à une vanité choquante. La plûpart de ces petites pieces ont des testes ou des queuës aussi grosses & quelquefois plus grosses que le corps même. Ce sont des discours à part, desquels d’ordinaire l’Ouvrage principal est entiérement independant. Il y en a un petit nombre que je ne desapprouve pas, ce sont des especes de Dédicaces, ou les loüanges les plus délicates, se sont envelopées de termes simples, & semblent se dérobber du cœur sans que l’esprit s’en mêle ; si ces Panegyriques ont pour soutient la verité, il semble qu’il faut les admirer comme les marques évidentes d’un génie peu commun & d’une heureuse invention, qui caracterise le plus essentiellement un Poëte. Les piéces accessoires qui me deplaisent dans [27] cet Ouvrage, ne manquent pas non plus du côté de l’esprit & de la justesse des idées ; ce qui m’y paroit rébutant c’est un amour propre, qui ne daigne pas seulement se couvrir de la moindre enveloppe. L’Autheur est presque par tout mêlé avec les Animaux, les plantes, & les vertus personalisées, dont il fait nos Docteurs. Il ne se perd jamais de vuë. Sa gloire est du moins aussi présente à son esprit que la Morale qu’il tâche à nous insinuer, & l’on peut dire qu’un bon tiers du Livre consiste en Apologies & en Préfaces, dont quelques-unes pourroient servir de discours Préliminaire à tout l’Ouvrage. Il paroit être continuellement sur des épines ; Tantôt il se met en garde contre les Critiques possibles ou probables, & il veut les repousser avant qu’elles le frappent. Tantôt il se félicite de son art, & de son invention. Il indique la maniere, dont il en embellira la piéce qu’on va voir, il applanit pour elle la route de l’admiration, qui de sa nature ne veut point être sollicitée, & qui se refuse aux objets qui en sont les plus dignes lorsqu’on veut lui ôter le plaisir de s’y donner de son propre mouvement. C’est là peut-être la cause machinale du peu de gout qu’on a pour les fables mêmes, & je ne saurois attribuer l’immodestie que Monsieur De la Motte étale ici sans réserve, qu’à l’adulation de ses amis qui peut lui avoir persuadé, qu’il a un droit absolu sur [28] les applaudissemens du public & qu’à leur défaut, il peut s’en dédommager par ses propres mains.
Voila l’imperfection principale que je trouve dans cet Ouvrage, imperfection qui sort du cœur, & non pas du génie, & qui place plûtôt Monsieur De la Motte au rang des Poëtes, qu’il ne l’en exclut. Je rémarquerai dans le même Ouvrage quelques défauts qui coulent d’une autre source ; cependant je croi qu’ils ne les deshonorent pas & qu’il faut les mettre uniquement sur le compte de l’esprit humain qui, quelque fort & quelque judicieux qu’il soit, est sujet à l’inattention & à la foiblesse de se laisser séduire par des fausses lueurs, que lui offre le feu de l’imagination.
Monsieur De la Motte est quelquefois indocile à ses propres préceptes, ou du moins il ne les a pas toujours présens à son esprit. Dans son discours il desaprouve avec justice les Fabulistes, qui préviennent la curiosité du Lecteur, & qui l’instruisent dans un prologue, du sujet qu’ils vont envelopper dans une Allegorie, je suis si fort convaincu de la bonté de cette regle que je trouve même peu judicieux de placer au frontispice des Fables, des Titres qui en indiquent le sens. Mais c’est l’usage, ne poussons pas jusques-là la sévérité ; restons en à ce qu’il y a de déplacé dans les Prologues en question. La Fable est une Enigme, dont la Morale est le mot, & il est ridi-[29]cule de placer le mot avant l’énigme ; en agissant de cette maniere, on rend l’allegorie absolument inutile & pour l’agrément & pour l’utilité, & l’on prodigue de l’imagination & de la justesse sans le moindre fruit.
Il est étonnant que Monsieur De la Motte ait si bien senti ce défaut du jugement, & qu’il y ait donné pourtant avec si peu de circonspection. Heureusement les exemples en sont rares, mais en voici un, qui est très marqué ; C’est dans le Conquérant & la pauvre femme. Dans un Prologue presque aussi grand que la Fable même, Monsieur De la Motte déclame contre les Monarques, qui perdent leur temps à conquerir, & qui s’ôtent par là le tems & les moyens de bien gouverner. Les images de la Fable conduisent au même sens qui perd par cette espece de répétition sa grace & sa force ; C’est dommage que le discours direct ne se trouve pas à la fin de l’Allegorie ; tout seroit en sa place, & je suis sur que cette piéce paroitroit un Chef-d’œuvre à tous ceux qui auroit du discernement, & de l’équité. Qu’on en juge par ce lambeau du Prologue même :
Citação/Divisa► Mais que devez vous être ? & qu’est ce qu’un Monarque ?
C’est plûtôt un Pasteur qu’un maitre du troupeau, [30]
C’est le Nocher qui gouverne la barque
Non le posesseur du Vaisseau.
Votre Empire s’étend du couhant à l’Aurore.
Cent peuples suivent votre loi.
Vous n’étes que puissant encore ;
Gouvernez bien ; vous voilà Roi . . . . .
Si Dieu sur votre front grava sa ressemblence
C’est moins en égalant votre pouvoir au sien,
Qu’en vous faisant, pour notre bien,
substitut de sa Providence.
Veillez donc à ce bien, qu’il veut vous confier ;
Mettez là votre gloire, & n’en cherchez point d’autre.
Craindre, aimer, obéïr ; voilà notre metier. Et nous rendre heureux, c’est le votre. ◀Citação/Divisa
Metatextualidade► Voilà de grandes véritez exprimées par des termes bien unis & bien simples. Ce n’est pas un merite médiocre. ◀Metatextualidade ◀Nível 2 ◀Nível 1