Le Nouveau Spectateur (Bastide): Discours XVII.
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Discours XVII.
Zitat/Motto
. . . . Veteres arias tibi de pulmone
revello.
Zitat/Motto
Pers. Sat. V, v. 92.
Je m’efforce de vous détromper & de vous faire revenir de vos ridicules & anciennes idées.
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Ne détournez point les yeux ; c’est à
vous que mon signe s’adresse, c’est vous à qui je
veux parler . . . . Vous tournes la tête, vous cherchez
quelqu’un à qui ce signe puisse s’adresser ? Je vous dis que
c’est à vous-même ; personne ici ne m’intéresse que vous. Vous
sçavez que depuis long temps je vous ai montré de
l’attachement. . . . Mais vous ne voulez point entendre mon
signe, vous évitez mes regards : oh, vous ne gagnerez rien à ce
manége ; je suis décidé à vous parler, & vous serez obligé
de m’écouter. . . . Ah ! vous cédez enfin, vous venez à moi !
mais vous avez l’air étonné, confus : pourquoi cet air-là ?
Est-ce que vous devineriez ? . . . Oui, c’est cela même, vous
soupçonnez quelque dessein sérieux…. Vous ne vous trompez pas.
Je veux vous parler de Dorimene. Je veux vous dire que tout le
monde vous reproche les procédés que vous avez avec elle, le ton
que vous avez pris chez elle. On m’en parle tous
les jours ; j’ai voulu en être témoin, j’y suis venu aujourd’hui
exprès pour cela : je vous écoute depuis deux heures, vous
examine, l’examine elle-même, & je vois que vous n’êtes
point condamné injustement. Il faut que je vous parle sur cela.
Je suis l’ami de votre famille, l’allié de votre mere, & de
plus le censeur du ridicule, l’homme de qui la nation attend
l’extirpation de la fatuité, & de la réforme des
mœurs. . . . Comment, Monsieur, vous me demandez en quoi vous
vous êtes rendu coupable ? Je dirois en tout, je vous
reprocherois toute votre conduite, tous vos procédés, tous vos
discours, si je croyois qu’il fallût allumer des flambeaux pour
vous éclairer. Ne croyant pas cela, ne m’imaginant pas que vous
puissiez manquer à toutes les loix de la bienséance, de la
discrétion, de la justice, sans être vous-même
votre juge, je me contenterai de vous dire que le crime qu’on
vous reproche est affreux. Quoi ? manquer à Dorimene, à une
femme qui a tant fait pour vous ; vouloir afficher en elle, un
esclave ; abuser des égards que l’on a pour elle dans sa maison,
pour y contrarier opiniâtrément tout le monde, y commander, y
décider souverainement ? . . . . Vous êtes bien aveugle. Quoi,
vous ne voyez pas que c’est par pitié pour sa situation que l’on
vous dissimule devant elle le courroux que fait naître votre
conduite ! Je dis courroux, & l’expression n’est pas trop
forte ; c’est le sentiment qui fait naître la tyrannie à
l’aspect de la victime qu’elle immole. Mais parlons de bonne
foi, vous êtes aussi instruit que moi-même des crimes que je
vous reproche, & je perdrois mon temps à vouloir vous
éclairer là-dessus ; c’est de l’erreur qui vous
porte à les multiplier sans cesse, que je dois vous parler. Vous
attachez de la vanité à tout cet étalage de domination ; vous
vous figurez qu’il est du bon ton d’enchaîner une femme au char
triomphal sur lequel votre amour propre se promene tous les
jours : voilà les fondemens de votre procédé. Je vous assure,
Monsieur, que jamais édifice ne déposa autant contre les faux
principes d’un Architecte. Je ne sçais pas bien précisément
quelle est la convention que les jeunes gens peuvent avoir faire
entr’eux au sujet de tous ces travers qui les caractérisent
aujourd’hui ; j’ignore s’ils se surpasseroient à cet égard,
& qu’en conséquence ils soient obligés d’extravaguer pour
parvenir à cette renommée dont l’ambition les dévote ; mais ce
que je sçais, c’est que parmi nous, parmi les
honnêtes gens, la morale & la raison ont des loix si
austeres que, qui trompe une femme est cruel, qui l’affiche est
bas, qui la tyrannise est infame. Voilà toutes les épithetes
employées ; s’il falloit que j’en trouvasse une quatrieme pour
titrer l’homme qui ajoute à la tyrannie le cruel orgueil de s’en
décorer, j’y serois fort embarrassé. C’est une lâcheté si
deshonorante, que la femme même qui souffre qu’on l’en rende la
victime, en est punie dans le monde comme complice, & est
tous les jours appellée au tribunal de l’honneur, pour rendre
compte des motifs de sa patience, qu’elle ne peut faire excuser
que par un extrême aveuglement. . . . . . . J’allois continuer,
mais je fus interrompu. Mon cher parent, me dit le fat à qui je
parlois, écrivez tout ce que vous dites-là, & il se trouvera
des gens qui en pourront profiter. Pour moi, je
vous avoue que je suis dans une disposition toute contraire.
Vous ne connoissez pas les femmes, vous ne sçavez pas que tous
nos crimes auprès d’elles sont de situation. Esclavage ou
tyrannie, voilà notre lot. Critiquez-nous après cela. . . . Il
me tourna le dos, & s’eloigna. O jeune homme ! je ne vous
critiquerai plus ; vous ne méritiez pas l’honneur que je vous
faisois.