Zitiervorschlag: Jean-François de Bastide (Hrsg.): "Discours XVII.", in: Le Nouveau Spectateur (Bastide), Vol.2\017 (1758), S. 425-431, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.2012 [aufgerufen am: ].


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Discours XVII.

Zitat/Motto► . . . . Veteres arias tibi de pulmone revello.

Pers. Sat. V, v. 92.

Je m’efforce de vous détromper & de vous faire revenir de vos ridicules & anciennes idées. ◀Zitat/Motto

Ebene 2► Ne détournez point les yeux ; c’est à vous que mon signe s’adresse, c’est [426] vous à qui je veux parler . . . . Vous tournes la tête, vous cherchez quelqu’un à qui ce signe puisse s’adresser ? Je vous dis que c’est à vous-même ; personne ici ne m’intéresse que vous. Vous sçavez que depuis long temps je vous ai montré de l’attachement. . . . Mais vous ne voulez point entendre mon signe, vous évitez mes regards : oh, vous ne gagnerez rien à ce manége ; je suis décidé à vous parler, & vous serez obligé de m’écouter. . . . Ah ! vous cédez enfin, vous venez à moi ! mais vous avez l’air étonné, confus : pourquoi cet air-là ? Est-ce que vous devineriez ? . . . Oui, c’est cela même, vous soupçonnez quelque dessein sérieux…. Vous ne vous trompez pas. Je veux vous parler de Dorimene. Je veux vous dire que tout le monde vous reproche les procédés que vous avez avec elle, le ton que vous avez pris chez elle. On [427] m’en parle tous les jours ; j’ai voulu en être témoin, j’y suis venu aujourd’hui exprès pour cela : je vous écoute depuis deux heures, vous examine, l’examine elle-même, & je vois que vous n’êtes point condamné injustement. Il faut que je vous parle sur cela. Je suis l’ami de votre famille, l’allié de votre mere, & de plus le censeur du ridicule, l’homme de qui la nation attend l’extirpation de la fatuité, & de la réforme des mœurs. . . . Comment, Monsieur, vous me demandez en quoi vous vous êtes rendu coupable ? Je dirois en tout, je vous reprocherois toute votre conduite, tous vos procédés, tous vos discours, si je croyois qu’il fallût allumer des flambeaux pour vous éclairer. Ne croyant pas cela, ne m’imaginant pas que vous puissiez manquer à toutes les loix de la bienséance, de la discrétion, de la justice, sans être [428] vous-même votre juge, je me contenterai de vous dire que le crime qu’on vous reproche est affreux. Quoi ? manquer à Dorimene, à une femme qui a tant fait pour vous ; vouloir afficher en elle, un esclave ; abuser des égards que l’on a pour elle dans sa maison, pour y contrarier opiniâtrément tout le monde, y commander, y décider souverainement ? . . . . Vous êtes bien aveugle. Quoi, vous ne voyez pas que c’est par pitié pour sa situation que l’on vous dissimule devant elle le courroux que fait naître votre conduite ! Je dis courroux, & l’expression n’est pas trop forte ; c’est le sentiment qui fait naître la tyrannie à l’aspect de la victime qu’elle immole. Mais parlons de bonne foi, vous êtes aussi instruit que moi-même des crimes que je vous reproche, & je perdrois mon temps à vouloir vous éclairer là-dessus ; c’est de l’erreur qui [429] vous porte à les multiplier sans cesse, que je dois vous parler. Vous attachez de la vanité à tout cet étalage de domination ; vous vous figurez qu’il est du bon ton d’enchaîner une femme au char triomphal sur lequel votre amour propre se promene tous les jours : voilà les fondemens de votre procédé. Je vous assure, Monsieur, que jamais édifice ne déposa autant contre les faux principes d’un Architecte. Je ne sçais pas bien précisément quelle est la convention que les jeunes gens peuvent avoir faire entr’eux au sujet de tous ces travers qui les caractérisent aujourd’hui ; j’ignore s’ils se surpasseroient à cet égard, & qu’en conséquence ils soient obligés d’extravaguer pour parvenir à cette renommée dont l’ambition les dévote ; mais ce que je [430] sçais, c’est que parmi nous, parmi les honnêtes gens, la morale & la raison ont des loix si austeres que, qui trompe une femme est cruel, qui l’affiche est bas, qui la tyrannise est infame. Voilà toutes les épithetes employées ; s’il falloit que j’en trouvasse une quatrieme pour titrer l’homme qui ajoute à la tyrannie le cruel orgueil de s’en décorer, j’y serois fort embarrassé. C’est une lâcheté si deshonorante, que la femme même qui souffre qu’on l’en rende la victime, en est punie dans le monde comme complice, & est tous les jours appellée au tribunal de l’honneur, pour rendre compte des motifs de sa patience, qu’elle ne peut faire excuser que par un extrême aveuglement. . . . . . . J’allois continuer, mais je fus interrompu. Mon cher parent, me dit le fat à qui je parlois, écrivez tout ce que vous dites-là, & il se trouvera [431] des gens qui en pourront profiter. Pour moi, je vous avoue que je suis dans une disposition toute contraire. Vous ne connoissez pas les femmes, vous ne sçavez pas que tous nos crimes auprès d’elles sont de situation. Esclavage ou tyrannie, voilà notre lot. Critiquez-nous après cela. . . . Il me tourna le dos, & s’eloigna. O jeune homme ! je ne vous critiquerai plus ; vous ne méritiez pas l’honneur que je vous faisois. ◀Ebene 2

Fin du second Tome. ◀Ebene 1