Le Nouveau Spectateur (Bastide): Discours XII.
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Ebene 1
Discours XII.
Ebene 2
L’adversité énerve les ames communes,
souvent mêmes elle les corrompt. Celles qu’elle laisse avec
leurs vertus, peuvent être regardées comme des prodiges. Les
dernieres méritent notre estime ; les autres paroîtront plus
dignes de compassion que de mépris, si l’on considere la
foiblesse incontestable de la nature. Quel respect, quelle
admiration ne méritent donc pas ces ames fortes,
ces ames divines, qui, au milieu des orages & des tourmens,
prennent encore de nouvelles forces & deviennent supérieures
à elles-mêmes ! C’est ce que l’on voit quelquefois : exemples
précieux que l’homme sensible ne voit point sans devenir
vertueux, que tous les esprits sont forcés d’admirer, qui
fortifient les cœurs les plus estimables, & dont
l’impression fait le caractere de tous ceux pour qui il peut y
avoir des exemples utiles. Mais si l’adversité peut faire des
prodiges si beaux ; si par les effets qu’elle produit, le
courage qu’elle donne, l’impression qu’elle fait, la nature peut
être domptée, la vertu acquérir des défenseurs généreux, la
morale voir naitre des héros, combien ces effets merveilleux
n’augmentent-ils pas de prix, lorsque c’est dans l’ame d’un
Magistrat qu’ils se font admirer !
On a
vu trop souvent des Magistrats écouter avec impatience, &
répondre avec dureté : c’est qu’ils n’avoient point été
malheureux. L’homme naturellement dur, n’aimant point à accorder
sa pitié, refuse jusqu’à son attention. Par un contraste trop
évident entre son caractere & le droit de la nature, plus
une situation est déplorable, moins elle excite sa sensibilité ;
vous n’êtes plus recommandé auprès de lui que par
votre droit à sa justice ; eh ! quelle justice que celle qu’on
ne rend plus, que parce qu’on ne peut la refuser. L’adversité
est non-seulement un avantage pour nous, par rapport aux
autres ; mais elle l’est encore par rapport à nous-mêmes. On ne
sçauroit disconvenir qu’il n’y ait une douceur extrême attachée
à la bienfaisance. L’épreuve du malheur la rend en nous
ingénieuse & féconde. Dans mille circonstances la seule
sensibilité n’eût pas suffi pour nous rendre bien-faisans. Il y
a des malheureux qui se taisent ; peu d’hommes ont le courage de
consentir à faire pitié. On voit tant de dureté dans les hommes,
on est si convaincu que leur commisération même est insultante,
on entend répéter tant de fois dans le jour cette maxime
vulgaire, mais trop fondée, qu’il vaut mieux faire
envie que pitié, qu’on n’est plus le maître de forcer la nature
& l’amour propre à la violence qu’exige un aveu si
humiliant. Voilà donc des milliers d’hommes, avec lesquels il
faut avoir le don de pénétration ? La sensibilité seule
peut-elle le donner ? Non, assurément ; il faut avoir senti le
malheur, pour deviner le malheur qui se déguise. La sensibilité
donnera tout au plus le don de deviner qu’un homme souffre,
qu’un homme est malheureux ; mais elle ne donnera rien de plus ;
conséquemment elle fera peu de chose : l’infortune a des
détails ; c’est dans ces détails qu’est le malheur ; on n’a rien
fait si on n’y entre ; comment y entrer sans une expérience
acquise par les chagrins ? Concevez à présent, je vous prie,
combien l’infortune est avantageuse dans le point dont il
s’agit ; à celui qui l’a éprouvée. Avec toute
l’humanité possible, on eût peut-être à peine connu, sans cette
épreuve, la froide satisfaction de n’avoir point fait de mal, de
n’avoir point commis d’injustices : le charme de la
bienfaisance, le plaisir inexprimable de faire des heureux,
eussent été des êtres à jamais ignorés. Mais que le Magistrat a
encore d’avantages dans cette partie sur l’homme privé ! Les
bienfaits ont un ordre de mérite reconnu ; plus ils sont
essentiels, plus la récompense s’en fait ressentir dans l’ame de
celui qui aime à les répandre. Telle est la condition d’un
Magistrat sensible, s’il a été malheureux. Il connoît le cruel
état de la douleur : il est plus en état de calmer la fureur des
procès ; il peint avec force le chagrin qu’on auroit de la perte
d’une cause qu’on croyoit juste ; il ne se contente pas
d’épouvanter l’esprit, il attaque le cœur ; c’est à
lui qu’il parle : les moyens qu’il y emploie sont infaillibles ;
il a souffert, il a connu le chagrin dévorant, & sa
sensibilité ramene sur ses levres cette voix du cœur exercée
autrefois par la douleur, & formée à l’art précieux de
persuader. Placé sur le trône de la justice, il dépouille cette
gravité toujours effrayante, souvent injurieuse, qu’il semble
que son état exige, & qu’il n’autorise point. L’humanité eût
suffi pour lui apprendre que tous les hommes méritent des
égards ; mais le malheur lui a appris que des égards ne sont pas
suffisans pour les hommes qu’un appareil effrayant fait toujours
trembler dans les poursuites les plus justes. Il les rassure par
la politesse du ton, par la douceur des regards, par l’attention
la plus scrupuleuse, & s’il est obligé de faire un
malheureux, en détruisant par son jugement des prétentions
chimériques, il adoucit la sévérité de la loi
par l’air de regret répandu sur ses traits. Est-il contraint
d’écouter des accusations contre un coupable, il est
intérieurement son défenseur jusqu’au dernier moment, avant que
d’être son Juge. Il écarte tous les faux jours que la prévention
répand trop souvent sur un fait même vrai ; il épluche,
questionne, retourne de cent façons l’esprit des accusateurs :
l’impression qu’a laissée en lui l’adversité, est une lumiere
sans cesse renaissante, qu’il emploie à pénétrer dans les cœurs
& dans les esprits, le plus avant qu’il est possible. Après
les plus exactes recherches, il doute encore de la vérité d’un
crime dont le châtiment doit lui arracher des larmes ; il n’a
jamais assez de preuves, & lorsqu’il n’est plus en droit
d’en exiger, lorsqu’il est contraint de prononcer, c’est un père
qui punit un fils ; la justice est obéie, mais la
nature est épargnée autant qu’elle peut l’être. Parcourons
d’autres objets. L’on sçait avec quelle inconsidération on forme
dans le monde des jugemens, & avec quelle rapidité ces
jugemens courent. L’homme est né si méchant, que même sans aucun
dessein, sans nul motif, il répandra, souvent avec goût, les
médisances les plus deshonorantes ! La moindre apparence aura
assez de crédit sur son esprit, pour lui tenir de preuves du
fait le plus important à examiner. Il aura à peine entrevu la
possibilité d’une action dont l’humanité exige du moins de
douter, qu’il en garantira la certitude. Je veux le supposer
sans méchanceté déterminée, sans nul objet, &, pour ainsi
dire, dans la sécurité la plus parfaite ; il n’en répandra pas
moins ses songes, ses visions, avec cette indiscrétion, cette
ardeur, ce plaisir dont l’affreuse calomnie a donné
l’exemple : il aura bien-tôt pour échos les honnêtes gens ; car
l’exemple les entraîne toujours comme les autres : mille voix
répéteront le deshonneur d’un homme sans reproche, & souvent
d’un homme qui, dans le cas présent, aura mérité, par sa
conduite, l’estime générale. L’amitié éclairée, la vérité
généreuse auront beau s’élever contre un oracle trompeur ; leur
témoignage, leurs cris, leurs gémissemens seront des digues
très-impuissantes contre un torrent par lequel les esprits sont
irrésistiblement emportés. Tel est le succès de toutes les
médisances ; tel est le caractere de tous les hommes. Que fait
le sage dans ces circonstances critiques, s’il a connu
l’infortune ? Il entend avec douleur des bruits toujours
suspects, quoiqu’accrédités ; il remonte à leur source, tâche
d’en découvrir les causes ; il en suppose, s’il n’en trouve pas, & tant qu’il n’est pas contraint par
l’évidence, il reste toujours décidé à l’incrédulité. Le malheur
lui a appris à se défier des jugemens des hommes ; il a éprouvé
leur méchanceté, & il commence toujours par prendre le parti
de la nature contre eux, persuadé que, qui se plaît à médire,
n’est guere capable de bien juger. Ve sage respectable, cet ami
de l’humanité reçoit quelquefois la récompense de sa
générosité ; car on peut appeler de ce nom la charité qui s’arme
contre le torrent de la médisance. Le triomphe de la vérité fut
les apparences, n’est pas éternel ; il arrive quelquefois que
l’innocence, long-temps cachée ou méconnue, perce à travers les
voiles sombres de la calomnie : quels ne sont pas alors le
plaisir & la gloire du héros qui l’a constamment défendue !
Le charme de la plus belle action se joint dans son cœur au plaisir nouveau d’être l’objet de la vénération
publique. Il reçoit un tribut consenti, & il trouve encore
le secret d’en augmenter le prix, en refusant d’en jouir avec
éclat. Sa victoire ne se borne point à un avantage passager,
comme toutes celles qui ne procurent que de la gloire ; elle
devient éternelle par une fuite de son principe. Toutes les fois
qu’il prendra le parti d’un accusé, il jouira de la consolation
d’exercer avec succès sa bienfaisance : on n’osera plus insister
devant lui lorsqu’il aura parlé : le respect de sa vertu
perpétuera l’impression de son triomphe : il ne fera pas
disparoître la médisance ( elle habite pour jamais dans les
cœurs ), mais il la fera taire ; ce sera un ennemi qu’il aura
enchaîné, & qui sera toujours timide devant lui. C’est
toujours un assez grand avantage pour l’humanité ; une assez
grande gloire pour son protecteur ; & un
plaisir bien consolant & bien doux pour une ame qui sçait
sentir. Voilà ce que produit l’adversité à celui qui sçait faire
usage des leçons précieuses qu’elle grave dans le cœur. On peut
dire, sans se donner un air de philosophie austere, que les
Magistrats n’ont pas toujours l’air de dignité que leur état
exige. Quelques-uns nés dans l’opulence, élevés dans le faste,
conservent encore long-temps l’élégance de la parure, le
brillant des manieres, après y avoir renoncé par le choix d’un
état que la simplicité & la modestie doivent caractériser.
Quel spectacle pour ces malheureux, dont toute la ressource est
de trouver dans un Juge incorruptible, un sage solide &
éclairé, qui s’attache à débrouiller l’obscurité d’une affaire,
& sçache fixer la certitude d’un droit ! Pour l’homme du
monde, pour l’homme qui pense, ce n’est peut-être
pas la même chose. Dans cette nation frivole, mais spirituelle,
on ne juge pas des qualités d’un homme par les bigarrures de
l’extérieur. On a vu si souvent le Militaire efféminé faire des
actions admirables dans les Champs de Mars, & le Magistrat
petit-Maître prononcer en sage consommé sur le thrône de Thémis,
qu’on n’apprécie plus ni l’un ni l’autre sur les apparences.
Mais le peuple, qui ne pense point, & dont la jalousie
éternelle & machinale s’exerce sur tous les heureux, ne
distingue point deux hommes dans un ; il ne voit qu’un
petit-Maître dans un Magistrat qui l’est ; & ne supposant
pas même la connoissance des loix dans un homme qui affiche la
mode & les plaisirs, il fait le mal sans crainte & par
vengeance. L’adversité sauve le Magistrat de cette sorte de
dégradation. Elle le rend modeste, solitaire &
compârissant. C’est un bonheur pour lui ; car le respect de son
état & l’attachement à ses devoir, ont des douceurs
inexprimables : c’est un bonheur pour l’humanité ; car la vue
d’un Juge recueilli, modeste & charitable, imprime l’amour
de la justice, le respect des loix & la crainte des
châtimens. On peut regarder les malheurs qui arrivent à quelques
hommes, comme une source d’avantages pour tous les hommes, comme
une source d’avantages pour tous les hommes. Je viens de prouver
que rien n’est plus vrai par rapport à la morale ; il ne me sera
pas plus difficile de faire voir que c’est une vérité également
incontestable par rapport à l’esprit & aux arts. Il est des
hommes nés sages, & capables de très-grandes choses, que
l’attrait du monde entraîne dans la dissipation, & que
l’habitude d’une molle oisiveté retient, malgré eux, dans les
entraves d’une paresse dont ils rougissent
quelquefois, & qu’ils ne peuvent vaincre. C’est une perte
pour le public éclairé. Cette paresse invincible, dans les
hommes dont je parle, le prive de mille productions, ou
infiniment agréables, ou infiniment utiles : c’est même un sujet
de douleur pour lui ; car lorsqu’on a l’amour des arts & de
l’esprit ( & cet amour est dans le public ) ; on voit avec
regret la perte qu’ils font par la négligence de les cultiver :
ce regret augmente à mesure que l’objet, dont la dissipation le
fait naître, laisse plus apercevoir de raison & de mœurs.
C’est-là le cas de souhaiter que l’homme ingénieux &
estimable éprouve quelque malheur : l’exemple de ceux qu’un
revers a conduit dans la solitude, & qui y ont puisé le goût
du travail, excite à ce souhait intérieur, & le justifie.
Combien de grands hommes eussent toujours été
inutiles, si la fortune leur avoit toujours été fidelle !
L’univers profite & jouira toujours du fruit de leurs
productions immortelles. Quel malheur pour nous & pour
eux-mêmes, qu’ils n’eussent jamais été malheureux ! Il y a
autant de preuves de ce que j’avance, qu’on pourroit faire de
raisonnemens pour le prouver encore. Malgré une évidence
sensible, je ne me dissimule pas qu’il s’élevera contre ces
réflexions mille cris d’esprits superficiels. L’adversité,
toujours envisagée avec horreur par les ames foibles, ne peut
leur paroître reconnoissable si elle est embellie ; elle ne peut
être rendue au vrai que par les plus sombres couleurs. Ainsi les
couleurs touchantes & agréables dont je la peins, le
caractere que je lui donne, les avantages & les bienfaits
que je lui prête, les honneurs que je lui décerne,
paroîtront les songes d’un esprit triste, endormi dans des
fleurs ; & les impressions utiles que pourront faire ces
songes supposés, seront regardées conséquemment comme ces
attendrissemens dangereux que font naître les fictions
romanesques. Mais laissons les petits esprits & les ames
foibles ou efféminées, juger & condamner. Reconnoissons la
vérité dans tous les tableaux qui nous la représentent.
L’adversité est cruelle ; l’adversité est avantageuse. On peint
le même objet dans les plaisirs & dans les larmes. Parce
qu’on l’aura vu dans le premier tableau, sera-t’on fondé a le
méconnoître dans le second ? C’est la vérité qui décide ; les
couleurs n’y font rient.
Hélas ! il n’y a que trop de ces conseillers dangereux.
Sans eux, peut-être, on compteroit un peu moins difficilement le
nombre des ménages désunis & des familles déshonorées. Leur
complaisance fatale a enhardi des hommes lâches à favoriser à
prix d’argent les plus méprisables passions, & ne doutons
point que la chaîne de ces basses intrigues, dont l’amour &
la raison frémissent également, ne se fût pas si prodigieusement
étendue, sans le mauvais effet de cette premiere complaisance.
Femmes raisonnables, & qui voulez résister, ne souffrez
jamais que l’ami de l’amant qui vous aime,
vous parle pour lui ; vous n’avez pas trop de votre vertu pour
lui résister à lui-même. Après avoir écouté un ami sensible,
vous écouteriez un confident mercénaire ; après avoir écouté ce
confident pour une passion innocente, vous l’écouteriez pour des
desseins moins innocens, & d’une foiblesse à l’autre, vous
éprouveriez enfin qu’un moment d’imprudence peut décider de la
destinée & du deshonneur d’une femme. Vous êtes entourées
d’hommes que votre raison irrite ; ils n’épargneront rien pour
écraser l’ennemi qui les brave ; vous pertez dans votre cœur le
germe des foiblesses des sentimens mondains ; ils le sçavent ;
ils feront briller les diamans à vos yeux, ils vous les feront
offrir par ce même confident que vous aurez déjà écouté pour un
objet plus noble ; vous écouterez encore, & vous serez séduite. Souvenez-vous de ce qui fut dit à une de nos
Reines au sujet du pouvoir de l’or. Un satyrique de sa Cour
prétendoit en sa présence qu’il n’y avoit d’honnêtes femmes
qu’autant qu’on ne les attaquoit pas par les présens.
Femmes raisonnables, voilà votre leçon. L’or peut vous
séduire, & il double dans les mains d’un confident adroit.
Il regne dans la
nature un malheur général ; tous les ordres, tous les états
offrent des objets sans nombre dignes d’émouvoir la sensibilité.
Qu’il est doux de pouvoir s’attendrir en faveur de ceux qui
méritent notre pitié ! L’homme toujours heureux, ignore ce plaisir de l’ame ; il a des liaisons avec tout le
monde, & n’a des sentimens pour personne ; le charme des
bienfaits semble le fuir ; aussi peut-on le regarder comme
étranger partout. Un militaire à la tête de sa compagnie, un
particulier à la tête de sa maison, un général à la tête de son
armée sont trop souvent des hommes durs, dignes de commander ou
d’être servis par des antropophages. Des soldats exténués, des
domestiques malades, des officiers blessés ou accablés de
fatigue, n’ont jamais remué un instant leurs entrailles : aussi
la nature outragée fait-elle quelquefois éclater sur eux sa
vengeance légitime ; leurs revers, lorqu’ils en éprouvent, leurs
disgraces, leurs maladies, sont des spectacles délicieux pour
leurs victimes devenues impitoyables. Heureux si ces effets de
leur cruauté peuvent les frapper & leur faire faire des
réflexions : ils prendront des sentimens,
acquerront des amis, & jouiront jusqu’au tombeau, d’une
sorte d’empire ; car l’homme né pour se faire obéir, a le sort
d’un roi lorsqu’il se fait aimer. Je vois une perfection dans cet état auguste ; elle
dépend de la possession de quelques vertus très-rares. Ces
vertus ne peuvent être dans bien des magistrats que l’ouvrage du
malheur. Heureux celui qui les acquiert à plus de frais. Un bien
communicable, une sensibilité fructueuse, redoublent de prix à
proportion qu’ils ont coûté à acquérir. Je vois dans l’étendue
de la magistrature des membres adorés. Je sens mon ame voler
vers eux, pour leur payer un juste tribut d’amour & de
vénération. Je crois voir des dieux bien-faisans toujours
occupés du bonheur des hommes, & toujours plus
heureux que les heureux qu’ils font. La douce agitation que me
fait éprouver leur aspect enchanteur, me laisse la liberté de
réfléchir, d’examiner : je recherche la source de cette humanité
adorable, qui me charme & me rend vertueux ; je la trouve
dans des malheurs secrets qu’ils ont toujours cachés, & qui
laissent à leur sensibilité tout l’honneur de leur vertu.
D’après cette expérience, je fais des réflexions, & je ne
les dissimulerai pas. Selon moi, il seroit à souhaiter que
chaque magistrat eût éprouvé des revers, & en conservât
toute l’impression, lorsqu’il est admis dans le sanctuaire de
Thémis. Cette opinion paroîtra outrée ? Je demande d’être
écouté. Qu’est-ce qu’un Magistrat ? Un ami éclairé des hommes,
un protecteur incorruptible de l’ordre, un père rende de
l’orphelin, un cher vigilent de la patrie, un
vengeur infatigable du crime. Voilà le caractere & les
devoirs d’un juge. Le jour qu’on en prend le titre, on s’engage
solemnellement à être tout cela : engagement difficile à
remplir. Qu’on se représente toutes les qualités nécessaires
pour arriver à cette perfection ; la prospérité, leur nuit,
& le malheur les donne. L’adversité est donc nécessaire à la
réunion, à l’activité des vertus qu’exige cet état respectable.
On peut trouver quelques juges parfaits, malgré l’obstacle d’un
bonheur non interrompu ; mais cela ne détruit pas la vérité de
ma maxime qui, étant générale ne peut point trouver une
contradiction légitime dans quelques faits particuliers.
Reconnoissons donc les avantages de l’adversité. Dans tous les
rangs, dans tous les états, on a intérêt de se persuader qu’elle
en a de très-grands ; c’est une consolation pour le
présent, si l’on n’est pas heureux ; c’est une provision pour
l’avenir, quelque heureux qu’on puisse être ; car doit-on se
flatter de jouir d’une félicité invariable ?
Fremdportrait
Un Magistrat, comme pere du
citoyen, puise des bienfaits dans sa vertu. L’effort de
cette vertu produit bientôt le dernier effort de la
sensibilité & de la justice. Jugeant dès-lors par
sentiment de tout ce que l’adversité mérite de consolation
& d’égards, & ayant dans ses mains le fort des
malheureux, s’il ne peut être que cela, il est du moins
généreux dans tout le préambule de la justice.
Metatextualität
J’interromps ces réflexions pour ne pas fatiguer les
esprits. J’y reviendrai une autre fois.
Ebene 3
Brief/Leserbrief
Monsieur le Spectateur, Je
suis né tendre jusqu’au mépris de mes plus chers
intérêts pour l’objet que j’aime. Je ne connois plus que
lui, même dans le tourment de ses rigueurs. Je ne me
plains point de son indifférence, si elle est l’effet de
la vertu : j’affecte au contraire d’applaudir à des
principes qu’on ne voit plus sur la terre, qu’on ne suit
plus, & qui interdisent à mon amour-propre le droit
de me reprocher l’humiliation de mes inutiles soupirs.
Si elle a sa source dans une répugnance bizarre,
j’étudie l’art de plaire ; je cherche à me faire aimer
par des choses qui soient faites sans art, &
toujours je me fais un bonheur particulier, en attendant
le bonheur plus grand où j’aspire. Voilà comme j’aime
avant que d’être aimé. Vous voyez déjà qu’il y a bien de
bonnes choses dans mon cœur ? Mais passons
à d’autres sentimens, car ils changent de forme dans
tous les hommes en devenant plus vifs, & prennent,
pour ainsi dire, un autre nom. Les miens, quand mon
bonheur est assuré, ne parroissent plus aussi agréables
que je viens de vous les représenter ; & une
certaine singularité qu’on y remarque ( en comparaison
de ce qu’ils ont été d’abord ), les soumet peut-être à
une opinion arbitraire. Je suis jaloux, c’est-à-dire,
soupçonneux ; mais c’est l’effet de la grande passion,
& elle doit être mon excuse. Il est aisé de voir que
l’amour-propre n’y a aucune part ; car dans mes
reproches, Qui sont rares, il perce je ne sçais quelle
modestie qui fait voir que je me plains, parce que je
souffre, & non parce que je suis humilié. Je
conviens cependant qu’une agitation souvent injuste,
quelquefois violente, qui trouble perpétuellement le
repos d’un objet à qui on s’est engagé
solemnellement de n’offrir que des plaisirs, est
condamnable dans un amant ; & que l’innocence de son
principe la défend mal contre le reproche de son mauvais
effet : je conviens de cela, quoique je sçache très-bien
que beaucoup de femmes, qui aiment, ne sont pas des
juges si séveres des mouvemens d’un cœur jaloux, &
que quelques-unes même ne regardent la jalousie que par
le côté qui décele le sentiment d’un cœur passionné.
Voilà comme je suis. Des vertus & des défauts sont
le fonds de mon caractere ; mais les unes montrées au
naturel, sans craindre jamais qu’on en abuse, & les
autres cachés avec soin, sentant qu’on peut légitimement
m’en punir ; mais les uns & les autres n’agissant
jamais, ne se développant que par le principe d’une
passion toujours extrême. Il semble qu’avec un cœur
aussi tendre on doive être sûr de toucher
le cœur le plus insensible. Cependant j’éprouve le
contraire. J’aime avec fureur une femme qui, de son
aveu, n’a ni insensibilité, ni pruderie, & qui de
plus ne sent aucune aversion pour moi ; & je ne puis
m’en faire aimer. J’ai tout essayé, tout ce que
l’imagination peut suggerer à un amant riche, délicat,
inventif, & rien n’a pu l’attendrir. Je lui parlai
l’autre jour pour la vingtieme fois ; j’étois désespéré,
j’avois les larmes aux yeux : je lui fis pitié sans
doute ! Elle me dit qu’elle ne me haïssoit pas, mais
qu’elle ne vouloit point aimer.
Je me croyois plus avancé après cette
conversation ; mais elle n’est pas comme les autres
femmes avec qui on gagne en parlant ; je me trouve
toujours au point d’où je suis parti quand j’ai commencé
à lui parler. Ayez la bonté de m’apprendre, Monsieur,
par la voie de vos feuilles, ce que vous croyez que je
doive faire pour attendrir une femme si forte & si
cruelle.
Ebene 4
Dialog
Eh ! pourquoi me
désespérer ? Si c’est vertu, vous êtes condamnée
par l’humanité, qui exige quelquefois que l’on
soit foible ; si c’est inquiétude, vous offensez
l’amant le plus tendre. . . . C’est terreur, me
dit-elle, crainte de l’avenir, défiance de moi-même ; non que je m’abandonne
ici à des idées austeres, & que je me frappe
du danger que peut courir la vertu dans un
engagement trop tendre : je ne suis peut-être pas
assez vertueuse pour me faire des devoirs : non,
l’inquiétude qui m’agite, est d’une nature plus
délicate, & offre plus de difficultés à
détruire. Je crains les violences de la passion,
les secousses qu’elle fait éprouver à une ame née
pour le repos : vous sçavez comment j’ai vécu
jusqu’à présent ? La tranquillité a fait mon
bonheur, bonheur foible à la vérité, mais enfin
solide : il me sauve de la dépendance. Si
aujourd’hui je me laisse séduire à l’appât de plus
grands plaisirs, je sçais à quoi je m’espose ; je
commence par perdre sans être sûre de gagner.
Voilà ce qui me retient, ce qui me donne la force
de vous résister. Je sçais ce que vous m’allez
dire, mais je sçais aussi qu’on ne
peut rien répondre à ce que je vous dis. . . .
Non, m’écrirai-je, en me précipitant à ses genoux,
je n’ai rien à vous dire. Mes vœux, mon amour, mon
désespoir, ne sont point des autorités ; & de
plus, je n’en veux employer aucune. Vous vous
défendez par des raisons, & moi, je veux
triompher de ces raisons sans les attaquer ; c’est
votre cœur seul que je veux vaincre ; je sens que
l’excès de mon amour me permet cet espoir. . . . .
Ebene 3
Réponse Un spectateur ne doit
point répondre à des questions qui tendent à favoriser les
foiblesses humaines. Il y a déjà assez de moyens pour
subjuguer une femme raisonnable qui résiste, sans que je me
mêle d’en suggérer à l’homme impitoyable qui veut troubler
le repos de celle dont il parle ici. Il est peut-être permis
d’employer tous les moyens de séduire, quand on aime
éperduement & ; mais il est défendu par l’honneur d’en
conseiller aucun. Cette maxime ne cessera d’être vraie, que
lorsque les honnêtes gens s’accorderont à ne plus regarder
une résistance vertueuse que comme un violement des loix de
la société.
Allgemeine Erzählung
Je me souviens, à
ce sujet, d’un homme qui vint me demander de quelle
façon il faudroit qu’il s’y prît pour suborner une
gouvernante qui gardoit à vue une jeune
personne qu’il vouloit enlever.
Mon étourdi ne répliqua pas, & fit une
pirouette.
Ebene 4
Dialog
Monsieur, lui dis-je,
si vous étiez le père de cette Demoiselle, &
qu’on vînt vous dire que j’aurois donné un conseil
pour cela, que penseriez-vous de moi ?
Ebene 3
Dialog
Oh ! vous m’offririez tout ce
que vous voudriez, lui dit la Reine, que vous ne me
séduiriez pas : mais, Madame, si je vous offrois dix
millions. . . . Je vous assure qu’ils ne me tenteroient
pas. . . . Si j’allois jusqu’à trente ? . . . . Ce
seroit la même chose. . . . Si je vous en offrois cent ?
. . . . Pas d’avantage. . . . Mais enfin si je poussois
jusqu’à mille ? . . . . Oh, vous en direz tant qu’à la
fin. . . . Eh bien, Madame, vous voyez qu’il ne s’agit
plus que de trouver les millions. . . .
Metatextualität
Je reviens aux réflexions sur
l’adversité.
Ebene 3
« L’on connoît le prix de
l’amitié dans tous les âges, & le besoin de cette amitié
dans un âge avancé. Pendant les jours heureux de la vie, les
plaisirs tiennent lieu de tous ; ils emportent loin de la
situation présente, ils sauvent tous les chagrins lient à
tous les objets, & remplissent toute l’imagination, s’il
ne remplissent pas tout le cœur. Mais ce temps si doux,
n’est séparé d’un autre très-triste ; que par un espace bien
court. Ces mêmes plaisirs si agréables, hâtent encore un
avenir cruel par les petits excès qu’ils demandent
nécessairement ; les maladies & la vieillesse les
suivent, les chagrins prennent leur place. Quel changement
de scene & de situation ? L’esprit même change avec les
objets qui l’agitoient si doucement. Si l’on
éprouve encore des desirs, l’humiliante impossibilité de les
satisfaire en fait autant de supplices : si les idées se
conservent encore un peu riantes, à peine a-t’on voulu les
suivre, qu’on éprouve toute la difficulté qu’oppose à leur
réalisation une machine fatiguée, une ame refroidie &
paresseuse, un monde inexorable qui ne nous compte plus pour
rien, lorsque nous ne sommes plus bons à tout. Fatigué &
honteux de faire une sorte de métier, on prend le parti de
la retraite, on compte sur quelques amis, on espere en voir
remplir le vuide par leur société ; mais reste-t’il des amis
à ceux qui dans les hommes n’ont jamais cherché que des
témoins & des compagnons de leurs plaisirs ? On éprouve
bientôt un abandon général. Combien alors un homme qui a été recherché, fêté & chérie, ne se
sent-il pas pas humilié & délaissé ? Quel vuide &
quel ennui ne succede pas à cette plénitude de plaisirs,
formée du moins par l’amusement toujours renaissant de les
faire naître & de les varie ? Mais ne lui reste-t’il pas
la ressource des livres & des talens ? Car je lui en
suppose : non, il ne lui reste rien : ces ressources
seroient des consolations pour un homme que le monde a
quitté. Il veut ouvrir des livres, ils lui tombent des
mains ; il s’endort sur les premieres pages : son esprit
toujours attaché sur les objets qui l’ont uniquement touché,
les ramene sans cesse sous ses yeux, & chaque ligne ne
lui offre que leurs images trompeuses & désormais
tourmentantes. Veut-il revenir à l’usage de ses talens ?
Tentative également inutile ; il n’est plus
jeune, d’ailleurs, il ne les retrouve plus en lui : pourquoi
cela ? c’est qu’il n’a plus de témoins, & que tout ce
qui n’est propre qu’à servir à l’amusement, perd son attrait
& sa consistance, en perdant ce droit de communication,
qui en est l’ame & qui souvent en fut le principe. On a
dit : Il ne suffit pas d’avoir une belle maison, il faut
encore avoir quelqu’un à qui on dise, voilà une belle
maison ! Je n’avance rien ici qui ne soit vrai, & que
n’éprouvent tous les jours des milliers d’hommes qui
n’avoient jamais pensé que cette vérité pût exister.
L’adversité prévient ce malheur, auquel il n’y a point de
remede, elle accoutume de bonne heure à penser, à être seul,
à se passer des hommes. La solitude prématurée à laquelle
elle contraint, pour quelque temps, n’a rien d’humiliant,
parce qu’elle est volontaire quoique forcée,
& qu’elle ne fait cesser qu’autant qu’on veut, les
rapports avec un monde que l’on retrouve après le cours du
chagrin. Les causes de cette solitude une fois cessées, on
rentre dans la société des hommes ; on les retrouve tels
qu’ils étoient, on retrouve avec eux les mêmes plaisirs ;
mais on les a connus ; on a été frappé de leur dureté envers
ceux que le malheur force à s’éloigner d’eux, & cette
impression qu’un secret mépris accompagne, & qui se
tourne en réflexion continuelle, prépare aux outrages
auxquels on doit s’attendre encore dans la vieillesse, &
donne le courage d’envisager ce temps inévitable sans
horreur. Fixons les yeux sur d’autres points de vue ; il
s’en présente mille dignes d’être offerts à nos réflexions.
Le père de famille a des devoirs indispensables ; c’est de son exemple que vont couler les
idées, & les mœurs des jeunes objets qui se forment sous
ses yeux. L’intérêt de sa maison, l’intérêt même de la
société exigent de lui l’attention la plus scrupuleuse à cet
égard. Quels soins pourra-t-il leur donner, si toujours
occupé de plaisirs, il consacre tout son temps aux besoins
de son cœur ! Quelle éducation pourront recevoir ses
enfans ? quels talens, quelles qualités pourront-ils
acquérir ? si, livrés à eux-mêmes, ou abandonnés à un
gouverneur choisi à la hâte, ils n’ont rien de plus frappant
devant les yeux que la vie constante d’un père qui semble
conspirer contre leur innocence & leur raison, par
l’exemple qu’il leur donne. Un malheur imprévu devient alors
une source d’avantages pour le père & pour les enfans :
heureux événement qui va faire succéder, dans
le premier, les maximes solides aux idées frivoles ; &
dans les autres, l’impression d’une sagesse imposante aux
tentations d’une vie trop capable de séduire l’esprit &
le cœur. Combien ces réflexions ne
déviendront-elles pas plus sensibles, si je les
étends jusqu’à ces parens odieux, à qui la nature n’a jamais
parlé ; & qui, tyrans impitoyables de leurs enfans
infortunés, ne leur ont donné le jour que pour le leur
ravir, pour ainsi dire, par une violence barbare ! Ici les
idées du lecteur me préviennent ; elles se portent sur
l’objet que j’envisage par un instinct qu’éclaire le
sentiment & la pitié. Je vois ses yeux fixés sur ces
gouffres immenses, que d’innombrables victimes remplissent
de leurs gémissemens ; j’entends ses soupirs secrets, je le
vois frémir : que cette horreur est naturelle ! Qui pourroit
voir, sans frémir, l’humanité immolée ? . . . Quelles mains
barbares ont enchaîné dans ces prisons affreuses, quoique
sacrées, les malheureux objets qui nous attachent des
larmes ? Aurai-je le courage de le dire ? La nature répugne
à les nommer. Peres cruels & sanguinaires,
objets d’une affreuse haine & d’un éternel mépris, venez
entendre votre arrêt trop légitime ; venez apprendre par nos
murmures trop naturels le sort que vous méritez & qui
cous est préparé : vous verrez vos enfans malheureux vivre
& mourir dans les tourmens réunis d’une imagination
révoltée & d’un cœur ulcéré ; vous serez sensibles à des
gémissemens horribles, & vos remords seront plus cruels
que les bourreaux. Je distingue ici les vocations & les
violences, les appellés & les victimes ; il est même
inutile de le dire. L’on croira aisément que je ne veux
parler que de ces objets déplorables, sur lesquels
l’ambition ou la haine ont seules prononcé. Combien, malgré
cette distinction, ne reste-t-il pas de sujets à pleurer ?
Mais ces parens que je condamne comme dénaturés, sont peut-être aussi à plaindre que leurs
victimes. C’est peut-être le malheur qui les a portés à
cette extrêmité. Ils aimoient des enfans précieux ; ils ne
pouvoient leur faire un sort digne de leur tendresse ; ils
ont voulu leur assurer du moins un asyle, & leur
ressource cruelle leur paroît peut-être aussi affreuse que
le mal qu’elle a réparé ? Non, ne souffrons pas que notre
sensibilité nous abuse ; ne cherchons point une excuse à des
tyrans qui n’en ont point. C’est dans les plaisirs que cet
homicide a été conçu ; la vanité méprisable, l’amour de
soi-même en ont donné la premiere idée sous le masque de
l’ambition ; & l’amour du plaisir, l’orgueil des
alliances, la soif de l’or ont érigé en maximes les conseils
perfides de la vanité. Ces exemples de cruauté sont bien
moins communs dans les maisons où l’adversité
s’est fait sentir, que dans celles où elle n’a jamais été
connue que de nom. L’adversité donne les sentimens de la
nature ; elle place un père au milieu de ses enfans : il en
est mieux en état de connoître leur caractere, de lire dans
leur cœur, & par conséquent de leur préparer un avenir
heureux, par le choix d’un état qui leur soit propre. On ne
sçauroit contester à l’adversité ces avantages
inestimables ; en les lui accordant, on sent qu’elle perd
son nom ; & on est tenté de ne la plus envisager que
comme un trésor dans une famille. »
Fremdportrait
Une femme brillante,
toujours fêtée, toujours heureuse, est une mere bien
incapable de conduire sa fille dans les sentiers de la
raison & de la vertu. En a-t-elle l’esprit ?
peut-elle en avoir le temps ? Dans le tumulte des
plaisirs les plus variés & les moins interrompus, la
raison peut-elle parler à son cœur ? peut-elle y faire
entendre sa voix, si aisément étouffée par le cri
continuel des objets frivoles ? Non, sans doute ; une
mere coquette, une mere joueuse, une mere ambitieuse,
n’ont plus d’instans à donner à l’éducation de la fille
même, qui demande les soins les moins différés. Cependant la nature profite de cette négligence
homicide ; elle égare par ses inspirations un cœur &
des sens qui pouvoient recevoir la loi de la raison,
& elle abuse enfin de son triomphe malheureux.
Quelle source de douleurs pour une famille deshonorée ?
Ce malheur ne seroit point arrivé, si la mere,
tristement traversée dans ses plaisirs ou dans ses
intrigues, avoit elle-même connu le malheur. Ce père de
la raison, ce bienfaicteur de l’humanité, eût fait
passer dans son ame ses conseils & ses maximes : la
tendresse & l’honneur eussent pris la place des
idées frivoles ou criminelles, & la fille éclairée
par un repentir effectif, fût peut-être devenue aussi
vertueuse, qu’elle sera à jamais étourdie &
méprisée.
Metatextualität
Je reviens au magistrat : c’est là mon objet principal.