Zitiervorschlag: Jean-François de Bastide (Hrsg.): "Discours XII.", in: Le Nouveau Spectateur (Bastide), Vol.2\012 (1758), S. 294-338, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.2007 [aufgerufen am: ].


Ebene 1►

Discours XII.

Ebene 2► L’adversité énerve les ames communes, souvent mêmes elle les corrompt. Celles qu’elle laisse avec leurs vertus, peuvent être regardées comme des prodiges. Les dernieres méritent notre estime ; les autres paroîtront plus dignes de compassion que de mépris, si l’on considere la foiblesse incontestable de la nature. Quel respect, quelle admiration ne méritent donc [295] pas ces ames fortes, ces ames divines, qui, au milieu des orages & des tourmens, prennent encore de nouvelles forces & deviennent supérieures à elles-mêmes ! C’est ce que l’on voit quelquefois : exemples précieux que l’homme sensible ne voit point sans devenir vertueux, que tous les esprits sont forcés d’admirer, qui fortifient les cœurs les plus estimables, & dont l’impression fait le caractere de tous ceux pour qui il peut y avoir des exemples utiles.

Mais si l’adversité peut faire des prodiges si beaux ; si par les effets qu’elle produit, le courage qu’elle donne, l’impression qu’elle fait, la nature peut être domptée, la vertu acquérir des défenseurs généreux, la morale voir naitre des héros, combien ces effets merveilleux n’augmentent-ils pas de prix, lorsque c’est dans l’ame d’un Magistrat qu’ils se font admirer ! [296] Fremdportrait► Un Magistrat, comme pere du citoyen, puise des bienfaits dans sa vertu. L’effort de cette vertu produit bientôt le dernier effort de la sensibilité & de la justice. Jugeant dès-lors par sentiment de tout ce que l’adversité mérite de consolation & d’égards, & ayant dans ses mains le fort des malheureux, s’il ne peut être que cela, il est du moins généreux dans tout le préambule de la justice. ◀Fremdportrait

On a vu trop souvent des Magistrats écouter avec impatience, & répondre avec dureté : c’est qu’ils n’avoient point été malheureux. L’homme naturellement dur, n’aimant point à accorder sa pitié, refuse jusqu’à son attention. Par un contraste trop évident entre son caractere & le droit de la nature, plus une situation est déplorable, moins elle excite sa sensibilité ; vous n’êtes plus recommandé [297] auprès de lui que par votre droit à sa justice ; eh ! quelle justice que celle qu’on ne rend plus, que parce qu’on ne peut la refuser.

L’adversité est non-seulement un avantage pour nous, par rapport aux autres ; mais elle l’est encore par rapport à nous-mêmes. On ne sçauroit disconvenir qu’il n’y ait une douceur extrême attachée à la bienfaisance. L’épreuve du malheur la rend en nous ingénieuse & féconde. Dans mille circonstances la seule sensibilité n’eût pas suffi pour nous rendre bien-faisans. Il y a des malheureux qui se taisent ; peu d’hommes ont le courage de consentir à faire pitié. On voit tant de dureté dans les hommes, on est si convaincu que leur commisération même est insultante, on entend répéter tant de fois dans le jour cette maxime vulgaire, mais trop fondée, [298] qu’il vaut mieux faire envie que pitié, qu’on n’est plus le maître de forcer la nature & l’amour propre à la violence qu’exige un aveu si humiliant. Voilà donc des milliers d’hommes, avec lesquels il faut avoir le don de pénétration ? La sensibilité seule peut-elle le donner ? Non, assurément ; il faut avoir senti le malheur, pour deviner le malheur qui se déguise. La sensibilité donnera tout au plus le don de deviner qu’un homme souffre, qu’un homme est malheureux ; mais elle ne donnera rien de plus ; conséquemment elle fera peu de chose : l’infortune a des détails ; c’est dans ces détails qu’est le malheur ; on n’a rien fait si on n’y entre ; comment y entrer sans une expérience acquise par les chagrins ?

Concevez à présent, je vous prie, combien l’infortune est avantageuse dans le point dont il s’agit ; à celui [299] qui l’a éprouvée. Avec toute l’humanité possible, on eût peut-être à peine connu, sans cette épreuve, la froide satisfaction de n’avoir point fait de mal, de n’avoir point commis d’injustices : le charme de la bienfaisance, le plaisir inexprimable de faire des heureux, eussent été des êtres à jamais ignorés. Mais que le Magistrat a encore d’avantages dans cette partie sur l’homme privé ! Les bienfaits ont un ordre de mérite reconnu ; plus ils sont essentiels, plus la récompense s’en fait ressentir dans l’ame de celui qui aime à les répandre. Telle est la condition d’un Magistrat sensible, s’il a été malheureux. Il connoît le cruel état de la douleur : il est plus en état de calmer la fureur des procès ; il peint avec force le chagrin qu’on auroit de la perte d’une cause qu’on croyoit juste ; il ne se contente pas d’épouvanter l’esprit, il attaque le [300] cœur ; c’est à lui qu’il parle : les moyens qu’il y emploie sont infaillibles ; il a souffert, il a connu le chagrin dévorant, & sa sensibilité ramene sur ses levres cette voix du cœur exercée autrefois par la douleur, & formée à l’art précieux de persuader. Placé sur le trône de la justice, il dépouille cette gravité toujours effrayante, souvent injurieuse, qu’il semble que son état exige, & qu’il n’autorise point. L’humanité eût suffi pour lui apprendre que tous les hommes méritent des égards ; mais le malheur lui a appris que des égards ne sont pas suffisans pour les hommes qu’un appareil effrayant fait toujours trembler dans les poursuites les plus justes. Il les rassure par la politesse du ton, par la douceur des regards, par l’attention la plus scrupuleuse, & s’il est obligé de faire un malheureux, en détruisant par son jugement des prétentions chiméri-[301]ques, il adoucit la sévérité de la loi par l’air de regret répandu sur ses traits. Est-il contraint d’écouter des accusations contre un coupable, il est intérieurement son défenseur jusqu’au dernier moment, avant que d’être son Juge. Il écarte tous les faux jours que la prévention répand trop souvent sur un fait même vrai ; il épluche, questionne, retourne de cent façons l’esprit des accusateurs : l’impression qu’a laissée en lui l’adversité, est une lumiere sans cesse renaissante, qu’il emploie à pénétrer dans les cœurs & dans les esprits, le plus avant qu’il est possible. Après les plus exactes recherches, il doute encore de la vérité d’un crime dont le châtiment doit lui arracher des larmes ; il n’a jamais assez de preuves, & lorsqu’il n’est plus en droit d’en exiger, lorsqu’il est contraint de prononcer, c’est un père qui punit un fils ; la justice est obéie, mais [302] la nature est épargnée autant qu’elle peut l’être.

Parcourons d’autres objets. L’on sçait avec quelle inconsidération on forme dans le monde des jugemens, & avec quelle rapidité ces jugemens courent. L’homme est né si méchant, que même sans aucun dessein, sans nul motif, il répandra, souvent avec goût, les médisances les plus deshonorantes ! La moindre apparence aura assez de crédit sur son esprit, pour lui tenir de preuves du fait le plus important à examiner. Il aura à peine entrevu la possibilité d’une action dont l’humanité exige du moins de douter, qu’il en garantira la certitude. Je veux le supposer sans méchanceté déterminée, sans nul objet, &, pour ainsi dire, dans la sécurité la plus parfaite ; il n’en répandra pas moins ses songes, ses visions, avec cette indiscrétion, cette ardeur, ce plaisir dont l’affreuse [303] calomnie a donné l’exemple : il aura bien-tôt pour échos les honnêtes gens ; car l’exemple les entraîne toujours comme les autres : mille voix répéteront le deshonneur d’un homme sans reproche, & souvent d’un homme qui, dans le cas présent, aura mérité, par sa conduite, l’estime générale. L’amitié éclairée, la vérité généreuse auront beau s’élever contre un oracle trompeur ; leur témoignage, leurs cris, leurs gémissemens seront des digues très-impuissantes contre un torrent par lequel les esprits sont irrésistiblement emportés. Tel est le succès de toutes les médisances ; tel est le caractere de tous les hommes. Que fait le sage dans ces circonstances critiques, s’il a connu l’infortune ? Il entend avec douleur des bruits toujours suspects, quoiqu’accrédités ; il remonte à leur source, tâche d’en découvrir les causes ; il en suppose, s’il n’en [304] trouve pas, & tant qu’il n’est pas contraint par l’évidence, il reste toujours décidé à l’incrédulité. Le malheur lui a appris à se défier des jugemens des hommes ; il a éprouvé leur méchanceté, & il commence toujours par prendre le parti de la nature contre eux, persuadé que, qui se plaît à médire, n’est guere capable de bien juger. Ve sage respectable, cet ami de l’humanité reçoit quelquefois la récompense de sa générosité ; car on peut appeler de ce nom la charité qui s’arme contre le torrent de la médisance. Le triomphe de la vérité fut les apparences, n’est pas éternel ; il arrive quelquefois que l’innocence, long-temps cachée ou méconnue, perce à travers les voiles sombres de la calomnie : quels ne sont pas alors le plaisir & la gloire du héros qui l’a constamment défendue ! Le charme de la plus belle action se joint dans son [305] cœur au plaisir nouveau d’être l’objet de la vénération publique. Il reçoit un tribut consenti, & il trouve encore le secret d’en augmenter le prix, en refusant d’en jouir avec éclat. Sa victoire ne se borne point à un avantage passager, comme toutes celles qui ne procurent que de la gloire ; elle devient éternelle par une fuite de son principe. Toutes les fois qu’il prendra le parti d’un accusé, il jouira de la consolation d’exercer avec succès sa bienfaisance : on n’osera plus insister devant lui lorsqu’il aura parlé : le respect de sa vertu perpétuera l’impression de son triomphe : il ne fera pas disparoître la médisance ( elle habite pour jamais dans les cœurs ), mais il la fera taire ; ce sera un ennemi qu’il aura enchaîné, & qui sera toujours timide devant lui. C’est toujours un assez grand avantage pour l’humanité ; une assez grande gloire [306] pour son protecteur ; & un plaisir bien consolant & bien doux pour une ame qui sçait sentir. Voilà ce que produit l’adversité à celui qui sçait faire usage des leçons précieuses qu’elle grave dans le cœur.

On peut dire, sans se donner un air de philosophie austere, que les Magistrats n’ont pas toujours l’air de dignité que leur état exige. Quelques-uns nés dans l’opulence, élevés dans le faste, conservent encore long-temps l’élégance de la parure, le brillant des manieres, après y avoir renoncé par le choix d’un état que la simplicité & la modestie doivent caractériser. Quel spectacle pour ces malheureux, dont toute la ressource est de trouver dans un Juge incorruptible, un sage solide & éclairé, qui s’attache à débrouiller l’obscurité d’une affaire, & sçache fixer la certitude d’un droit ! Pour l’homme du monde, pour l’homme [307] qui pense, ce n’est peut-être pas la même chose. Dans cette nation frivole, mais spirituelle, on ne juge pas des qualités d’un homme par les bigarrures de l’extérieur. On a vu si souvent le Militaire efféminé faire des actions admirables dans les Champs de Mars, & le Magistrat petit-Maître prononcer en sage consommé sur le thrône de Thémis, qu’on n’apprécie plus ni l’un ni l’autre sur les apparences. Mais le peuple, qui ne pense point, & dont la jalousie éternelle & machinale s’exerce sur tous les heureux, ne distingue point deux hommes dans un ; il ne voit qu’un petit-Maître dans un Magistrat qui l’est ; & ne supposant pas même la connoissance des loix dans un homme qui affiche la mode & les plaisirs, il fait le mal sans crainte & par vengeance. L’adversité sauve le Magistrat de cette sorte de dégradation. Elle le rend mo-[308]deste, solitaire & compârissant. C’est un bonheur pour lui ; car le respect de son état & l’attachement à ses devoir, ont des douceurs inexprimables : c’est un bonheur pour l’humanité ; car la vue d’un Juge recueilli, modeste & charitable, imprime l’amour de la justice, le respect des loix & la crainte des châtimens.

On peut regarder les malheurs qui arrivent à quelques hommes, comme une source d’avantages pour tous les hommes, comme une source d’avantages pour tous les hommes. Je viens de prouver que rien n’est plus vrai par rapport à la morale ; il ne me sera pas plus difficile de faire voir que c’est une vérité également incontestable par rapport à l’esprit & aux arts.

Il est des hommes nés sages, & capables de très-grandes choses, que l’attrait du monde entraîne dans la dissipation, & que l’habitude d’une molle oisiveté retient, malgré eux, dans les [309] entraves d’une paresse dont ils rougissent quelquefois, & qu’ils ne peuvent vaincre. C’est une perte pour le public éclairé. Cette paresse invincible, dans les hommes dont je parle, le prive de mille productions, ou infiniment agréables, ou infiniment utiles : c’est même un sujet de douleur pour lui ; car lorsqu’on a l’amour des arts & de l’esprit ( & cet amour est dans le public ) ; on voit avec regret la perte qu’ils font par la négligence de les cultiver : ce regret augmente à mesure que l’objet, dont la dissipation le fait naître, laisse plus apercevoir de raison & de mœurs. C’est-là le cas de souhaiter que l’homme ingénieux & estimable éprouve quelque malheur : l’exemple de ceux qu’un revers a conduit dans la solitude, & qui y ont puisé le goût du travail, excite à ce souhait intérieur, & le justifie. Combien de grands hommes eussent tou-[310]jours été inutiles, si la fortune leur avoit toujours été fidelle ! L’univers profite & jouira toujours du fruit de leurs productions immortelles. Quel malheur pour nous & pour eux-mêmes, qu’ils n’eussent jamais été malheureux !

Il y a autant de preuves de ce que j’avance, qu’on pourroit faire de raisonnemens pour le prouver encore. Malgré une évidence sensible, je ne me dissimule pas qu’il s’élevera contre ces réflexions mille cris d’esprits superficiels. L’adversité, toujours envisagée avec horreur par les ames foibles, ne peut leur paroître reconnoissable si elle est embellie ; elle ne peut être rendue au vrai que par les plus sombres couleurs. Ainsi les couleurs touchantes & agréables dont je la peins, le caractere que je lui donne, les avantages & les bienfaits que je lui prête, les honneurs que je lui décer-[311]ne, paroîtront les songes d’un esprit triste, endormi dans des fleurs ; & les impressions utiles que pourront faire ces songes supposés, seront regardées conséquemment comme ces attendrissemens dangereux que font naître les fictions romanesques. Mais laissons les petits esprits & les ames foibles ou efféminées, juger & condamner. Reconnoissons la vérité dans tous les tableaux qui nous la représentent. L’adversité est cruelle ; l’adversité est avantageuse. On peint le même objet dans les plaisirs & dans les larmes. Parce qu’on l’aura vu dans le premier tableau, sera-t’on fondé a le méconnoître dans le second ? C’est la vérité qui décide ; les couleurs n’y font rient.

Metatextualität► J’interromps ces réflexions pour ne pas fatiguer les esprits. J’y reviendrai une autre fois. ◀Metatextualität [312]

Ebene 3► Brief/Leserbrief► Monsieur le Spectateur,

Je suis né tendre jusqu’au mépris de mes plus chers intérêts pour l’objet que j’aime. Je ne connois plus que lui, même dans le tourment de ses rigueurs. Je ne me plains point de son indifférence, si elle est l’effet de la vertu : j’affecte au contraire d’applaudir à des principes qu’on ne voit plus sur la terre, qu’on ne suit plus, & qui interdisent à mon amour-propre le droit de me reprocher l’humiliation de mes inutiles soupirs. Si elle a sa source dans une répugnance bizarre, j’étudie l’art de plaire ; je cherche à me faire aimer par des choses qui soient faites sans art, & toujours je me fais un bonheur particulier, en attendant le bonheur plus grand où j’aspire. Voilà comme j’aime avant que d’être aimé. Vous voyez déjà qu’il y a bien de bonnes choses dans mon cœur ? Mais pas-[313]sons à d’autres sentimens, car ils changent de forme dans tous les hommes en devenant plus vifs, & prennent, pour ainsi dire, un autre nom. Les miens, quand mon bonheur est assuré, ne parroissent plus aussi agréables que je viens de vous les représenter ; & une certaine singularité qu’on y remarque ( en comparaison de ce qu’ils ont été d’abord ), les soumet peut-être à une opinion arbitraire. Je suis jaloux, c’est-à-dire, soupçonneux ; mais c’est l’effet de la grande passion, & elle doit être mon excuse. Il est aisé de voir que l’amour-propre n’y a aucune part ; car dans mes reproches, Qui sont rares, il perce je ne sçais quelle modestie qui fait voir que je me plains, parce que je souffre, & non parce que je suis humilié. Je conviens cependant qu’une agitation souvent injuste, quelquefois violente, qui trouble perpétuellement le repos d’un [314] objet à qui on s’est engagé solemnellement de n’offrir que des plaisirs, est condamnable dans un amant ; & que l’innocence de son principe la défend mal contre le reproche de son mauvais effet : je conviens de cela, quoique je sçache très-bien que beaucoup de femmes, qui aiment, ne sont pas des juges si séveres des mouvemens d’un cœur jaloux, & que quelques-unes même ne regardent la jalousie que par le côté qui décele le sentiment d’un cœur passionné. Voilà comme je suis. Des vertus & des défauts sont le fonds de mon caractere ; mais les unes montrées au naturel, sans craindre jamais qu’on en abuse, & les autres cachés avec soin, sentant qu’on peut légitimement m’en punir ; mais les uns & les autres n’agissant jamais, ne se développant que par le principe d’une passion toujours extrême. Il semble qu’avec un cœur aussi tendre [315] on doive être sûr de toucher le cœur le plus insensible. Cependant j’éprouve le contraire. J’aime avec fureur une femme qui, de son aveu, n’a ni insensibilité, ni pruderie, & qui de plus ne sent aucune aversion pour moi ; & je ne puis m’en faire aimer. J’ai tout essayé, tout ce que l’imagination peut suggerer à un amant riche, délicat, inventif, & rien n’a pu l’attendrir. Je lui parlai l’autre jour pour la vingtieme fois ; j’étois désespéré, j’avois les larmes aux yeux : je lui fis pitié sans doute ! Elle me dit qu’elle ne me haïssoit pas, mais qu’elle ne vouloit point aimer. Ebene 4► Dialog► Eh ! pourquoi me désespérer ? Si c’est vertu, vous êtes condamnée par l’humanité, qui exige quelquefois que l’on soit foible ; si c’est inquiétude, vous offensez l’amant le plus tendre. . . . C’est terreur, me dit-elle, crainte de l’avenir, [316] défiance de moi-même ; non que je m’abandonne ici à des idées austeres, & que je me frappe du danger que peut courir la vertu dans un engagement trop tendre : je ne suis peut-être pas assez vertueuse pour me faire des devoirs : non, l’inquiétude qui m’agite, est d’une nature plus délicate, & offre plus de difficultés à détruire. Je crains les violences de la passion, les secousses qu’elle fait éprouver à une ame née pour le repos : vous sçavez comment j’ai vécu jusqu’à présent ? La tranquillité a fait mon bonheur, bonheur foible à la vérité, mais enfin solide : il me sauve de la dépendance. Si aujourd’hui je me laisse séduire à l’appât de plus grands plaisirs, je sçais à quoi je m’espose ; je commence par perdre sans être sûre de gagner. Voilà ce qui me retient, ce qui me donne la force de vous résister. Je sçais ce que vous m’allez dire, mais je sçais [317] aussi qu’on ne peut rien répondre à ce que je vous dis. . . . Non, m’écrirai-je, en me précipitant à ses genoux, je n’ai rien à vous dire. Mes vœux, mon amour, mon désespoir, ne sont point des autorités ; & de plus, je n’en veux employer aucune. Vous vous défendez par des raisons, & moi, je veux triompher de ces raisons sans les attaquer ; c’est votre cœur seul que je veux vaincre ; je sens que l’excès de mon amour me permet cet espoir. . . . . ◀Dialog ◀Ebene 4 Je me croyois plus avancé après cette conversation ; mais elle n’est pas comme les autres femmes avec qui on gagne en parlant ; je me trouve toujours au point d’où je suis parti quand j’ai commencé à lui parler. Ayez la bonté de m’apprendre, Monsieur, par la voie de vos feuilles, ce que vous croyez que je doive faire pour attendrir une femme si forte & si cruelle. [318] ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 3

Ebene 3► Réponse

Un spectateur ne doit point répondre à des questions qui tendent à favoriser les foiblesses humaines. Il y a déjà assez de moyens pour subjuguer une femme raisonnable qui résiste, sans que je me mêle d’en suggérer à l’homme impitoyable qui veut troubler le repos de celle dont il parle ici. Il est peut-être permis d’employer tous les moyens de séduire, quand on aime éperduement & ; mais il est défendu par l’honneur d’en conseiller aucun. Cette maxime ne cessera d’être vraie, que lorsque les honnêtes gens s’accorderont à ne plus regarder une résistance vertueuse que comme un violement des loix de la société.

Allgemeine Erzählung► Je me souviens, à ce sujet, d’un homme qui vint me demander de quelle façon il faudroit qu’il s’y prît pour suborner une gouvernante qui [319] gardoit à vue une jeune personne qu’il vouloit enlever. Ebene 4► Dialog► Monsieur, lui dis-je, si vous étiez le père de cette Demoiselle, & qu’on vînt vous dire que j’aurois donné un conseil pour cela, que penseriez-vous de moi ? ◀Dialog ◀Ebene 4 Mon étourdi ne répliqua pas, & fit une pirouette. ◀Allgemeine Erzählung ◀Ebene 3

Hélas ! il n’y a que trop de ces conseillers dangereux. Sans eux, peut-être, on compteroit un peu moins difficilement le nombre des ménages désunis & des familles déshonorées. Leur complaisance fatale a enhardi des hommes lâches à favoriser à prix d’argent les plus méprisables passions, & ne doutons point que la chaîne de ces basses intrigues, dont l’amour & la raison frémissent également, ne se fût pas si prodigieusement étendue, sans le mauvais effet de cette premiere complaisance. Femmes raisonnables, & qui voulez résister, ne souffrez ja-[320]mais que l’ami de l’amant qui vous aime, vous parle pour lui ; vous n’avez pas trop de votre vertu pour lui résister à lui-même. Après avoir écouté un ami sensible, vous écouteriez un confident mercénaire ; après avoir écouté ce confident pour une passion innocente, vous l’écouteriez pour des desseins moins innocens, & d’une foiblesse à l’autre, vous éprouveriez enfin qu’un moment d’imprudence peut décider de la destinée & du deshonneur d’une femme. Vous êtes entourées d’hommes que votre raison irrite ; ils n’épargneront rien pour écraser l’ennemi qui les brave ; vous pertez dans votre cœur le germe des foiblesses des sentimens mondains ; ils le sçavent ; ils feront briller les diamans à vos yeux, ils vous les feront offrir par ce même confident que vous aurez déjà écouté pour un objet plus noble ; vous écouterez encore, & vous [321] serez séduite. Souvenez-vous de ce qui fut dit à une de nos Reines au sujet du pouvoir de l’or. Un satyrique de sa Cour prétendoit en sa présence qu’il n’y avoit d’honnêtes femmes qu’autant qu’on ne les attaquoit pas par les présens. Ebene 3► Dialog► Oh ! vous m’offririez tout ce que vous voudriez, lui dit la Reine, que vous ne me séduiriez pas : mais, Madame, si je vous offrois dix millions. . . . Je vous assure qu’ils ne me tenteroient pas. . . . Si j’allois jusqu’à trente ? . . . . Ce seroit la même chose. . . . Si je vous en offrois cent ? . . . . Pas d’avantage. . . . Mais enfin si je poussois jusqu’à mille ? . . . . Oh, vous en direz tant qu’à la fin. . . . Eh bien, Madame, vous voyez qu’il ne s’agit plus que de trouver les millions. . . . ◀Dialog ◀Ebene 3 Femmes raisonnables, voilà votre leçon. L’or peut vous séduire, & il double dans les mains d’un confident adroit. [322]

Metatextualität► Je reviens aux réflexions sur l’adversité. ◀Metatextualität

Ebene 3► « L’on connoît le prix de l’amitié dans tous les âges, & le besoin de cette amitié dans un âge avancé. Pendant les jours heureux de la vie, les plaisirs tiennent lieu de tous ; ils emportent loin de la situation présente, ils sauvent tous les chagrins lient à tous les objets, & remplissent toute l’imagination, s’il ne remplissent pas tout le cœur. Mais ce temps si doux, n’est séparé d’un autre très-triste ; que par un espace bien court. Ces mêmes plaisirs si agréables, hâtent encore un avenir cruel par les petits excès qu’ils demandent nécessairement ; les maladies & la vieillesse les suivent, les chagrins prennent leur place. Quel changement de scene & de situation ? L’esprit même change avec les objets qui [323] l’agitoient si doucement. Si l’on éprouve encore des desirs, l’humiliante impossibilité de les satisfaire en fait autant de supplices : si les idées se conservent encore un peu riantes, à peine a-t’on voulu les suivre, qu’on éprouve toute la difficulté qu’oppose à leur réalisation une machine fatiguée, une ame refroidie & paresseuse, un monde inexorable qui ne nous compte plus pour rien, lorsque nous ne sommes plus bons à tout. Fatigué & honteux de faire une sorte de métier, on prend le parti de la retraite, on compte sur quelques amis, on espere en voir remplir le vuide par leur société ; mais reste-t’il des amis à ceux qui dans les hommes n’ont jamais cherché que des témoins & des compagnons de leurs plaisirs ? On éprouve bientôt un abandon général. Combien alors un homme [324] qui a été recherché, fêté & chérie, ne se sent-il pas pas humilié & délaissé ? Quel vuide & quel ennui ne succede pas à cette plénitude de plaisirs, formée du moins par l’amusement toujours renaissant de les faire naître & de les varie ? Mais ne lui reste-t’il pas la ressource des livres & des talens ? Car je lui en suppose : non, il ne lui reste rien : ces ressources seroient des consolations pour un homme que le monde a quitté. Il veut ouvrir des livres, ils lui tombent des mains ; il s’endort sur les premieres pages : son esprit toujours attaché sur les objets qui l’ont uniquement touché, les ramene sans cesse sous ses yeux, & chaque ligne ne lui offre que leurs images trompeuses & désormais tourmentantes. Veut-il revenir à l’usage de ses talens ? Tentative éga-[325]lement inutile ; il n’est plus jeune, d’ailleurs, il ne les retrouve plus en lui : pourquoi cela ? c’est qu’il n’a plus de témoins, & que tout ce qui n’est propre qu’à servir à l’amusement, perd son attrait & sa consistance, en perdant ce droit de communication, qui en est l’ame & qui souvent en fut le principe. On a dit : Il ne suffit pas d’avoir une belle maison, il faut encore avoir quelqu’un à qui on dise, voilà une belle maison ! Je n’avance rien ici qui ne soit vrai, & que n’éprouvent tous les jours des milliers d’hommes qui n’avoient jamais pensé que cette vérité pût exister. L’adversité prévient ce malheur, auquel il n’y a point de remede, elle accoutume de bonne heure à penser, à être seul, à se passer des hommes. La solitude prématurée à laquelle elle contraint, pour quelque temps, n’a rien d’humiliant, parce qu’elle [326] est volontaire quoique forcée, & qu’elle ne fait cesser qu’autant qu’on veut, les rapports avec un monde que l’on retrouve après le cours du chagrin. Les causes de cette solitude une fois cessées, on rentre dans la société des hommes ; on les retrouve tels qu’ils étoient, on retrouve avec eux les mêmes plaisirs ; mais on les a connus ; on a été frappé de leur dureté envers ceux que le malheur force à s’éloigner d’eux, & cette impression qu’un secret mépris accompagne, & qui se tourne en réflexion continuelle, prépare aux outrages auxquels on doit s’attendre encore dans la vieillesse, & donne le courage d’envisager ce temps inévitable sans horreur.

Fixons les yeux sur d’autres points de vue ; il s’en présente mille dignes d’être offerts à nos réflexions. Le père de famille a des devoirs in-[327]dispensables ; c’est de son exemple que vont couler les idées, & les mœurs des jeunes objets qui se forment sous ses yeux. L’intérêt de sa maison, l’intérêt même de la société exigent de lui l’attention la plus scrupuleuse à cet égard. Quels soins pourra-t-il leur donner, si toujours occupé de plaisirs, il consacre tout son temps aux besoins de son cœur ! Quelle éducation pourront recevoir ses enfans ? quels talens, quelles qualités pourront-ils acquérir ? si, livrés à eux-mêmes, ou abandonnés à un gouverneur choisi à la hâte, ils n’ont rien de plus frappant devant les yeux que la vie constante d’un père qui semble conspirer contre leur innocence & leur raison, par l’exemple qu’il leur donne. Un malheur imprévu devient alors une source d’avantages pour le père & pour les enfans : heureux événe-[328]ment qui va faire succéder, dans le premier, les maximes solides aux idées frivoles ; & dans les autres, l’impression d’une sagesse imposante aux tentations d’une vie trop capable de séduire l’esprit & le cœur.

Fremdportrait► Une femme brillante, toujours fêtée, toujours heureuse, est une mere bien incapable de conduire sa fille dans les sentiers de la raison & de la vertu. En a-t-elle l’esprit ? peut-elle en avoir le temps ? Dans le tumulte des plaisirs les plus variés & les moins interrompus, la raison peut-elle parler à son cœur ? peut-elle y faire entendre sa voix, si aisément étouffée par le cri continuel des objets frivoles ? Non, sans doute ; une mere coquette, une mere joueuse, une mere ambitieuse, n’ont plus d’instans à donner à l’éducation de la fille même, qui demande les soins les moins diffé-[329]rés. Cependant la nature profite de cette négligence homicide ; elle égare par ses inspirations un cœur & des sens qui pouvoient recevoir la loi de la raison, & elle abuse enfin de son triomphe malheureux. Quelle source de douleurs pour une famille deshonorée ? Ce malheur ne seroit point arrivé, si la mere, tristement traversée dans ses plaisirs ou dans ses intrigues, avoit elle-même connu le malheur. Ce père de la raison, ce bienfaicteur de l’humanité, eût fait passer dans son ame ses conseils & ses maximes : la tendresse & l’honneur eussent pris la place des idées frivoles ou criminelles, & la fille éclairée par un repentir effectif, fût peut-être devenue aussi vertueuse, qu’elle sera à jamais étourdie & méprisée. ◀Fremdportrait

Combien ces réflexions ne déviendront-elles pas plus sensibles, [330] si je les étends jusqu’à ces parens odieux, à qui la nature n’a jamais parlé ; & qui, tyrans impitoyables de leurs enfans infortunés, ne leur ont donné le jour que pour le leur ravir, pour ainsi dire, par une violence barbare ! Ici les idées du lecteur me préviennent ; elles se portent sur l’objet que j’envisage par un instinct qu’éclaire le sentiment & la pitié. Je vois ses yeux fixés sur ces gouffres immenses, que d’innombrables victimes remplissent de leurs gémissemens ; j’entends ses soupirs secrets, je le vois frémir : que cette horreur est naturelle ! Qui pourroit voir, sans frémir, l’humanité immolée ? . . . Quelles mains barbares ont enchaîné dans ces prisons affreuses, quoique sacrées, les malheureux objets qui nous attachent des larmes ? Aurai-je le courage de le dire ? La nature répugne à les nom-[331]mer. Peres cruels & sanguinaires, objets d’une affreuse haine & d’un éternel mépris, venez entendre votre arrêt trop légitime ; venez apprendre par nos murmures trop naturels le sort que vous méritez & qui cous est préparé : vous verrez vos enfans malheureux vivre & mourir dans les tourmens réunis d’une imagination révoltée & d’un cœur ulcéré ; vous serez sensibles à des gémissemens horribles, & vos remords seront plus cruels que les bourreaux. Je distingue ici les vocations & les violences, les appellés & les victimes ; il est même inutile de le dire. L’on croira aisément que je ne veux parler que de ces objets déplorables, sur lesquels l’ambition ou la haine ont seules prononcé. Combien, malgré cette distinction, ne reste-t-il pas de sujets à pleurer ? Mais ces parens que je condamne comme dé-[332]naturés, sont peut-être aussi à plaindre que leurs victimes. C’est peut-être le malheur qui les a portés à cette extrêmité. Ils aimoient des enfans précieux ; ils ne pouvoient leur faire un sort digne de leur tendresse ; ils ont voulu leur assurer du moins un asyle, & leur ressource cruelle leur paroît peut-être aussi affreuse que le mal qu’elle a réparé ? Non, ne souffrons pas que notre sensibilité nous abuse ; ne cherchons point une excuse à des tyrans qui n’en ont point. C’est dans les plaisirs que cet homicide a été conçu ; la vanité méprisable, l’amour de soi-même en ont donné la premiere idée sous le masque de l’ambition ; & l’amour du plaisir, l’orgueil des alliances, la soif de l’or ont érigé en maximes les conseils perfides de la vanité. Ces exemples de cruauté sont bien moins communs dans les maisons [333] où l’adversité s’est fait sentir, que dans celles où elle n’a jamais été connue que de nom. L’adversité donne les sentimens de la nature ; elle place un père au milieu de ses enfans : il en est mieux en état de connoître leur caractere, de lire dans leur cœur, & par conséquent de leur préparer un avenir heureux, par le choix d’un état qui leur soit propre. On ne sçauroit contester à l’adversité ces avantages inestimables ; en les lui accordant, on sent qu’elle perd son nom ; & on est tenté de ne la plus envisager que comme un trésor dans une famille. » ◀Ebene 3

Il regne dans la nature un malheur général ; tous les ordres, tous les états offrent des objets sans nombre dignes d’émouvoir la sensibilité. Qu’il est doux de pouvoir s’attendrir en faveur de ceux qui méritent notre pitié ! L’homme toujours heureux, ignore ce [334] plaisir de l’ame ; il a des liaisons avec tout le monde, & n’a des sentimens pour personne ; le charme des bienfaits semble le fuir ; aussi peut-on le regarder comme étranger partout.

Un militaire à la tête de sa compagnie, un particulier à la tête de sa maison, un général à la tête de son armée sont trop souvent des hommes durs, dignes de commander ou d’être servis par des antropophages. Des soldats exténués, des domestiques malades, des officiers blessés ou accablés de fatigue, n’ont jamais remué un instant leurs entrailles : aussi la nature outragée fait-elle quelquefois éclater sur eux sa vengeance légitime ; leurs revers, lorqu’ils en éprouvent, leurs disgraces, leurs maladies, sont des spectacles délicieux pour leurs victimes devenues impitoyables. Heureux si ces effets de leur cruauté peuvent les frapper & leur faire faire des réfle-[335]xions : ils prendront des sentimens, acquerront des amis, & jouiront jusqu’au tombeau, d’une sorte d’empire ; car l’homme né pour se faire obéir, a le sort d’un roi lorsqu’il se fait aimer.

Metatextualität► Je reviens au magistrat : c’est là mon objet principal. ◀Metatextualität Je vois une perfection dans cet état auguste ; elle dépend de la possession de quelques vertus très-rares. Ces vertus ne peuvent être dans bien des magistrats que l’ouvrage du malheur. Heureux celui qui les acquiert à plus de frais. Un bien communicable, une sensibilité fructueuse, redoublent de prix à proportion qu’ils ont coûté à acquérir.

Je vois dans l’étendue de la magistrature des membres adorés. Je sens mon ame voler vers eux, pour leur payer un juste tribut d’amour & de vénération. Je crois voir des dieux bien-faisans toujours occupés du bonheur [336] des hommes, & toujours plus heureux que les heureux qu’ils font. La douce agitation que me fait éprouver leur aspect enchanteur, me laisse la liberté de réfléchir, d’examiner : je recherche la source de cette humanité adorable, qui me charme & me rend vertueux ; je la trouve dans des malheurs secrets qu’ils ont toujours cachés, & qui laissent à leur sensibilité tout l’honneur de leur vertu.

D’après cette expérience, je fais des réflexions, & je ne les dissimulerai pas. Selon moi, il seroit à souhaiter que chaque magistrat eût éprouvé des revers, & en conservât toute l’impression, lorsqu’il est admis dans le sanctuaire de Thémis. Cette opinion paroîtra outrée ? Je demande d’être écouté. Qu’est-ce qu’un Magistrat ? Un ami éclairé des hommes, un protecteur incorruptible de l’ordre, un père rende de l’orphelin, un cher vigi-[337]lent de la patrie, un vengeur infatigable du crime. Voilà le caractere & les devoirs d’un juge. Le jour qu’on en prend le titre, on s’engage solemnellement à être tout cela : engagement difficile à remplir. Qu’on se représente toutes les qualités nécessaires pour arriver à cette perfection ; la prospérité, leur nuit, & le malheur les donne. L’adversité est donc nécessaire à la réunion, à l’activité des vertus qu’exige cet état respectable. On peut trouver quelques juges parfaits, malgré l’obstacle d’un bonheur non interrompu ; mais cela ne détruit pas la vérité de ma maxime qui, étant générale ne peut point trouver une contradiction légitime dans quelques faits particuliers.

Reconnoissons donc les avantages de l’adversité. Dans tous les rangs, dans tous les états, on a intérêt de se persuader qu’elle en a de très-grands ; [338] c’est une consolation pour le présent, si l’on n’est pas heureux ; c’est une provision pour l’avenir, quelque heureux qu’on puisse être ; car doit-on se flatter de jouir d’une félicité invariable ? ◀Ebene 2 ◀Ebene 1