Le Nouveau Spectateur (Bastide): Discours XI.
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Discours XI.
Zitat/Motto
Quod huic officium, quoe laus, quod
decus crit tanti, quod adipisci cum dolore corporis velit, qui
dolorem, summum malum sibi esse persuaserit ? Quam porro quis
ignominim, quam turpidinem non pertulerit, ut effugiat dolorem,
si id summum malum decreverit ?
Cic. Tuscul. Quaest. I. II, C.6.
Si un homme est persuadé que la douleur est le souverain mal; quel devoir, quelle vertu, quel acte honorable voudra-t’il pratiquer, s’il ne peut en venir à bout sans s’exposer à la douleur ? D’un autre côté, quelle honte, quelle infamie n’endurera-t’il pas pour éviter un si grand mal ?
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Brief/Leserbrief
Metatextualität
Monsieur, une chose
surprenante qui est arrivée tout récemment dans ma
province, m’engage à vous écrire. Vous ne serez pas
fâché de pouvoir en faire part au public ; j’ose
même vous assurer d’avance que vous aurez peu
souvent occasion de l’entretenir aussi utilement. J’ai promis de supprimer les noms,
& j’y suis obligé.
Allgemeine Erzählung
M. de Fortia venoit
d’épouser à Paris la femme la plus accomplie qu’une
heureuse destinée ait jamais présenté à un honnête
homme. Il l’avoit amenée depuis quelques jours
à ***, où une charge considérable semble le fixer
pour toujours. Dès que nous vîmes Madame de Fortia,
nous crûmes voir une Divinité, & nous nous
empresâmes à lui témoigner notre admiration &
notre bonheur. Malgré le plus sublime esprit, qui la
rend un peu sérieuse, elle prenoit part chaque jour
à nos divertissemens, dont elle étoit l’objet, &
l’arrangement de tous les gens de condition de la
ville étoit de les faire durer encore quinze jours :
mais au milieu des fêtes & des plaisirs, on vit
arriver un homme très-capable de les troubler.
C’étoit M. le Président de ***, frere de M. de
Fortia. Il m’a permis de vous
raconter fidélement cette histoire, dont la fin lui
sera un éternel honneur ; ainsi je dirai tout, comme
je l’ai vu, & comme tout le monde l’a senti. Le
Président étoit en horreur à ***, & cette
aversion étoit injuste. Il
arrivoit de la campagne, où la haine de lui-même
l’avoit forcé de se retirer depuis quelques jours ;
cette même haine le ramenoit. On ne prend point des
résolutions constantes, quand on n’a pas la paix
avec son cœur. M. de Fortia aimoit son frere, mais
il n’aimoit pas à le voir. Il avoit été obligé de
lui faire part de son mariage, &
cette attention indispensable, étoit le prétexte de
son retour. Il n’avoit parlé de lui qu’en gros à sa
femme, il fut pour lors obligé de le lui faire mieux
connoître.
M. de Fortia n’insista point, & dès le
lendemain lui présenta son frere. Le
compliment qu’il fit à Madame de Fortia, fut assez
poli ; quel sauvage eût pu lui en faire un autre ?
Elle y répondit avec beaucoup de modestie. Il
s’assit à côté d’elle, & l’examina beaucoup.
La fievre n’étoit pas si continuelle, qu’il
n’eût des intervalles. On s’aperçut qu’il se calmoit
auprès de sa belle-sœur : & M. de Fortia surtout
commença à espérer le miracle dont sa femme s’étoit
flattée. Mais cette aurore d’un beau jour ne dura
pas ; les brouillards reparurent, & Madame de
Fortia même essuya sa mauvaise humeur. Elle ne se
découragea point ; l’intérêt qui la faisoit agir,
l’eût animée contre de plus grandes difficultés. Il
vint un moment où cet homme sauvage fut obligé
d’avouer qu’il n’étoit pas propre à la société,
& qu’il avoit des choses qui devoient
extrêmement choquer. Madame de Fortia sentit qu’il falloit le prendre dans cet instant.
Madame de Fortia se sentoit réellement
touchée : elle trouvoit dans cet aveu la
confirmation de sa propre présomption ; elle se
sentoit capable de donner du corps à ses idées, en
les liant à la suite d’un certain nombre de
principes clairs ; mais elle n’aimoit point à
écrire : elle est née paresseuse, elle craignoit la
jalousie des femmes, & elle ne put se résoudre à
écrire : elle crut d’ailleurs qu’il suffiroit
qu’elle dît en détail tout ce qu’elle pourroit
penser journellement su le sujet qu’elle avoit à
traiter, & ce fut la parti qu’elle prit ; mais,
comme avoit dit le Président, ce n’étoit pas la même
chose. Il se passa plusieurs jours, pendant lesquels
elle essaya son remede. Il y eut des momens où elle
vit qu’il faisoit réellement effet. Le Président
venoit la voir tous les matins ; il vouloit la trouver seule, & il le disoit ;
ils avoient des conversations ensemble ; il louoit
beaucoup son esprit ; il lui disoit que la seule
personne à qui il eût pardonné d’en avoir depuis son
malheur, c’étoit elle : mais tout cela ne produisoit
rien ; il sortoit avec tous ses vices & toutes
ses douleurs. Un jour qu’elle rêvoit plus tristement
à cette affreuse situation, M. de Fortia entra dans
sa chambre avec un air désespéré : elle lui en
demanda la raison.
Madame de Fortia l’interrompoit pour lui
promettre ce qu’il souhaitoit, & dans l’instant
même se mit à écrire. Le Président arriva dans le
temps qu’elle travailloit. Elle ne lui dit pas ce
qu’elle faisoit pour lui, mais elle lui parla du
jugement qui révoltoit toute la ville. Elle avoit la
liberté de lui faire des réprésentations ; il parut
les écouter. Le cœur n’étoit pas innocent, & il
en convint.
On devine aisément tout ce qu’elle lui dit :
il ne s’offensa point, & en la quittant :
Elle emporta ce reproche dans son cabinet,
& croyant alors l’avoir mérité par une paresse
& des scrupules condamnables, elle ne quitta
plus le discours qu’il ne fût fini. Lorsqu’elle
l’eut achevé, elle le lui envoya, joint à la lettre
qui suit, sans en prévenir son mari.
Je ne vous envoie point le discours,
Monsieur, parce qu’il m’a été imposible d’arracher
le consentement de celle qui l’a écrit ; mais vous
allez voir l’effet qu’il produisit. Madame de Fortia
comptoit voir le Président le lendemain. Son
espérance fut déçue. Elle envoya chez lui : on lui
fit dire qu’il étoit parti pour la campagne. Elle
espéra qu’il n’y seroit pas un long séjour ; mais la
semaine s’étant passée, sans qu’elle eût de ses
nouvelles, elle se disposoit à l’aller joindre avec
son mari, lorsqu’on lui annonça M. de Mirel (ce
gentilhomme, si considéré ; à qui le Président avoit
fait perdre son procès huit jours auparavant.)
Madame de Fortia n’avoit pas envoyé cet
argent, & il ne lui fut pas difficile de le
faire croire à M. de Mirel ; mais de qui pouvoit
partir cette action admirable ? Le Président étoit
le seul qu’on n’en soupçonnât pas ; son départ &
son silence ne souffroient pas qu’on se fît la
moindre illusion là-dessus. Après avoir beaucoup
conjecturé, ils crurent qui c’étoit à M. de Fortia qu’il en falloit faire honneur ;
& en effet, rien n’étoit si probable ; mais M.
de Fortia qui parut chez sa femme dans ce même
moment, s’en défendit si ingénument, qu’on vit qu’il
n’y avoit pas al moindre part. Enfin, les
conjectures étant épuisées, M. de Mirel alloit se
retirer, & déclaroit que son intention étoit de
déposer chez un Notaire, les douze mille livres,
lorsqu’on annonça le Président. Madame de Fortia fit
un cri en l’entendant nommer : elle alla au-devant
de lui, & lui voyant un air ouvert qu’il n’avoit
jamais eu :
L’on étoit dans le plus grand étonnement ;
personne ne parloit, & ce silence eût duré
long-temps, si M. de Mirel, à qui l’extrême
gratitude imposoit des devoirs, n’avoit cru qu’il ne
lui suffisoit pas de sentir. Il déclara au Président
qu’il n’acceptoit point le don qu’il vouloit lui
faire. Si aujourd’hui le sentiment vous paroît si
doux à suivre, lui dit-il, qu’il vous fasse même
renoncer, par un charme unique, à l’honneur qui vous
revient de votre procédé ; pourquoi ne me seroit-il
pas permis de sentir à mon tour ? Je sçais que c’est
vous faire perdre une partie de votre plaisir ; mais
vous me devez ce sacrifice en faveur du chagrin que
ma causé la perte de mon procès. On eut beau la
presser & lui disputer le droit
qu’il réclamoit, il ne fut pas possible de lui faire
accepter l’argent. Ce combat finit par un expédient
que trouva M. de Mirel, qui fut d’appliquer les cinq
cens louis à quelque œuvre de charité ; mais il fut
renouvellé le lendemain par un incident auquel on ne
s’attendoit pas. La partie adverse de M. de Mirel,
qui avoit aussi des sentimens d’honneur, convaincue
par le procédé du Président, qu’elle avoit gagné
injustement sa cause, ne voulut pas profiter d’un
avantage mal acquis, & courut en faire sa
déclaration à Madame de Fortia. Il y avoit moins à
disputer avec celui-ci qu’avec M. de Mirel. On
conclut à réunir les deux sommes, & à en former
la dot d’une jeune orpheline à qui Madame de Fortia
s’intéressoit.
Fremdportrait
Il méritoit plus de pitié que de haine. C’étoit
un homme, à la vérité, très-méchant, très-dur,
très-processif, très-dangereux ; mais les plus
cruels revers avoient fait ses vices, en
aigrissant son ame ; & dès-lors, il n’étoit
pas aussi juste que naturel de la haïr.
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Dialog
On peut adoucir ce
caractere, lui dit Madame de Fortia ; je crois
qu’on s’y est mal pris. Si vous me permettez,
j’essayerai, sans paroître m’en charger. Vous êtes
bien capable de faire des miracles, lui dit-il,
tristement ; mais, en vérité, j’ose douter que
vous fassiez celui-ci. Mon frere, trompé
long-temps par les femmes, a un souverain mépris
pour elles, c’est-là le sort de son mal, & qui
méprise les femmes, est insensible aux graces. Ce
n’est pas par les graces que je m’y prendrai,
reprit-elle ; c’est un moyen dont je craindrois,
pour moi-même, trop d’effet, & que je sens que
j’employerois mal dans cette crainte. Mais il y a
d’autres remedes. Puisqu’il a été malheureux, il a été sensible ; on ne cesse jamais
tout-à-fait de l’être ; on n’a peut-être jamais
parlé qu’à son esprit, & c’étoit à son cœur
qu’il falloit parler.
Fremdportrait
C’est un homme de près
de cinquante ans, d’une taille élevée, d’une
figure noble, mais dont les traits étoient alors
altérés, & qui, brusque dans ses manieres,
étoit insolent dans ses discours. Il ne
dissimuloit point la méchanceté de son esprit ;
l’épigramme régnoit jusques dans ses regards ;
mais on voyoit un homme souffrant, agité, &
tout cela, comme je l’ai dit, pouvoit être regardé
comme l’effet d’une fievre continuelle.
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Dialog
Mon frere me paroît
bien heureux, lui dit-il ensuite ; il ne pouvoit
épouser personne de plus aimable que vous. Et en
continuant avec cette liberté qui vient de
l’impertinence habituelle : On dit que vous
l’aimez ? Madame : s’il peut croire cet amour
aussi réel qu’apparemment il l’est, il jouira d’un
bonheur parfait. . . . Il n’a donc plus rien à
desirer, répondit-elle, avec beaucoup de douceur ;
car il est bien sûr d’être aimé ; je serois bien
ingrate, si je ne l’aimois pas, après ce qu’il a
fait pour moi. Ah ! c’est parce que vous seriez
ingrate, qu’il peut n’être pas tranquille,
répondit-il ; on connoît la révolte des esprits,
quand le devoir se présente avec des chaînes,
& votre sexe surtout les voit avec horreur.
Madame de Fortia, qui vit qu’il falloit paroître
penser comme lui, laissa déchirer prudemment les
femmes, & sourit au lieu de répondre. . . .
N’est-il pas vrai ? Madame,
continua-t’il ; les femmes ont une étrange
organisation : Je vois que vous n’en prenez pas le
parti ? Avec cette équité qui décele beaucoup
d’esprit, nous pourrons vivre ensemble.
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Dialog
J’ai oui dire que
vous aviez été malheureux ? lui répondit-elle avec
un sérieux animé ; devez-vous vous étonner que
votre esprit & votre humeur aient éprouvé
quelque révolution ? Mais je suis persuadée que
vous ne serez pas toujours comme cela. Oh !
toujours, Madame, répondit-il ; les causes de mon
mal ne cesseront qu’avec ma vie ; je ne voudrois
pas qu’elles cessassent ; elles entretiennent la
juste haine que j’ai pour l’univers. . . Mais
cette haine, aujourd’hui nécessaire à votre
consolation, ne subsisteroit plus si vis idées
devenoient plus riantes ; &, si vous me
permettez de vous parler librement, je suis
persuadée qu’il y a du remede à votre état. . . Où
sont-il ces remedes ? Madame. Pour agir
efficacement, il faudroit qu’ils fussent
proportionnés aux maux qu’ils ont à guérir ; &
croyez-moi, les maux que j’endure,
les maux que j’ai soufferts sont trop immenses,
trop affreux, trop gravés dans mon cœur pour ne
pas résister à tout l’effort humain. . . . Je ne
le croirai pas, reprit Madame de Fortia ; j’oserai
même dire, dans un moment où je ne crains pas
d’être accusée de vanité, que j’ai assez d’esprit
pour penser qu’il y a des remedes certains. . . .
Mais où sont-ils donc ? Madame. . . . Dans les
réflexions, mon frere ; dans l’examen profond des
causes du malheur de la nature humaine, & des
avantagés attachés à ce même malheur. Je connois
ces réflexions, répondit-il en l’interrompant : je
ne les ai pas faites ; car nous ne sommes pas
capables de les faire nous-mêmes, quand nous
souffrons beaucoup : mais je les ai-lues ; j’ai
trouvé mille beaux discours sur l’adversité : j’ai
voulu les lire tous, j’ai voulu les goûter, &
pas un ne m’a touché. Il n’y a point
de consolation générale contre des douleurs
particulieres. J’ai écouté des gens qui avoient de
l’esprit, mais qui paroissoient s’attendrir sur
nous pour en montrer, ou pour gagner du pain ;
j’ai trouvé des officieux qui vont offrant à tout
le monde le secours de leur rhétorique, de ces
gens qui veulent paroître sentir les douleurs de
tous les affligés, & sont peut-être dans le
fonds, les êtres les plus durs & les plus
insensibles qu’il y ait au monde. J’ai chassé des
Comédiens méprisables, & je n’ai pas voulu
qu’ils me fissent l’injure de croire qu’ils
pouvoient me consoler. Je conviens cependant,
continua-t’il, qu’il y a des personnes capables de
me faire respecter leurs réflexions, & de me
les rendre utiles ; vous, Madame, par exemple,
vous pourriez concevoir cette espérance, elle
seroit fondée: mais voulez-vous que je vous dise
ce que je pense de mon esprit
actuellement ? Il est entiérement prévenu contre
les raisonnemens, persuadé que les hommes ne
s’attendrissent pas de bonne foi, & qu’ils ne
réfléchissent pour nous, même dans le malheur le
plus grand, que par amour-propre. Il faudroit que
je pusse lire un discours fait pas le sentiment,
dirigé par la raison ; où je trouvasse, tout à la
fois, des idées profondes & des mouvemens
d’humanité ; qui me fît sentir qu’on a senti mon
état, & qu’on s’en est pénétré, & qu’on a
voulu réellement me donner le courage de combattre
le charme fatal d’une douleur habituelle. Si je
trouvois cela, peut-être pourrois-je encore
guérir ; mais encore une fois, Madame, où le
trouver ? Qui voudra se pénétrer de sentimens
tristes pour un malheureux que l’opinion publique
a proscrit ? Personne n’aura cette
générosité, & personne peut-être n’en est
capable.
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Dialog
J’en ai toute la
raison possible, lui dit-il ; mon frere que vous
croyez changé, vient de combler son deshonneur par
un jugement iniqué : il a déjà rendu quelques
arrêts injustes, mais celui-ci surpasse tous les
autres. On sera obligé de la faire interdire,
c’est une chose odieuse & j’en suis indigné.
C’étoit la cause la plus simple, le droit le plus
positif. . . . Eh ! Madame, continua-t-il, vous
auriez pu me sauver ce chagrin. Il
vous a dit qu’il dépendoit de vous d’adoucir son
humeur barbare : pourquoi ne l’avoir pas fait,
pourquoi n’avoir pas pitié de moi-même ? . . .
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Dialog
Vous avez raison,
lui dit-il, mais cet homme étoit heureux, &
n’avoit jamais éprouvé de revers ; je n’ai pu
souffrir un bonheur qui me faisoit sentir plus
vivement mes peines, & j’ai prononcé. . . .
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Dialog
Je pourrois, lui
dit-il, vous reprocher une partie des
sentimens que j’ai eus en prononçant injustement ;
vous en connoissiez le principe ; vous en sçaviez
le remede ; vous n’avez pas voulu vous y opposer ?
Je méritois peut-être, dans mon état, un peu plus
de compassion.
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Brief/Leserbrief
« Je sais ce que
vous voulez, mon frere ; je cede aux espérances
que vous me donnez. J’ai écrit ce que j’ai pensé,
& comme je l’ai pensé : c’est le cri de la
nature qui s’explique ici, & j’ai pris le ton
qu’elle-même inspire à ceux à qui elle se fait
sentir. Il y a long-temps que l’on éprouve que
l’on plaît toujours assez à l’esprit,
lorsque l’on sçait parler au cœur ; mais il y a
long-temps aussi qu’on l’oublie ; c’est un malheur
général. Je pourrois étendre cette réflexion ; il
est facile de raisonner avec esprit contre l’abus
de l’esprit, mais je suis plus pressée d’agir que
de raisonner. . . . En vous représentant bien la
vérité des maximes que vous allez lire, toutes les
fois que l’amertume de votre cœur se fera sentir
par un nouvel accès, soyez persuadé que vous vous
sentirez soulagé. Dites-vous encore alors, que les
plus grands hommes & les plus honnêtes gens
ont été malheureux. Il est bien consolant de
pouvoir se dire, dans la douleur, qu’on a eu des
pareils qui ont été l’admiration du monde. Vous
voyez d’ailleurs que c’est presque toujours au
mérite le plus distingué que la fortune s’attaque,
& croyez-vous que, si on vouloit,
on ne tirât pas de grands soulagement de cette
seule pensée ? Je ne veux pas risquer de vous
ennuyer par une lettre trop longue, mais
certainement, mon frere, si tout ce que cous lirez
dans le discours qui suit, pouvoit s’imprimer dans
votre esprit, votre guérison seroit assurée. Je
dis votre guérison, car il ne faut pas douter que
l’état où vous êtes ne mérite le nom de maladie.
Au nom de Dieu, mon cher frere, faites-vous un peu
de violence ; regardez devant vous les biens qui
s’offrent & que vous rejettez ; vous êtes
encore dans l’âge des plaisirs, & vous les
méprisez. Vous avez pour ressource l’esprit ;
& vous ne lui laissez que le cruel pouvoir
qu’il a de nuire & de troubler. Je sçais que
l’habitude de souffrir à quelque chose de doux,
qui fait envisager les remedes avec horreur ; mais
quand tout le monde nous a fait
sentir que nous sommes dans un état à mériter sa
pitié, il faut croire que nous sommes
très-malades, & que notre haine pour les
remedes est une trahison de la nature. »
Ebene 4
Dialog
Je viens, Madame,
lui dit-il, moins instruit que reconnoissant, vous
rendre les plus humbles actions de graces de ce
que vous venez de faire pour moi ; car il m’est
bien aisé de reconnoître vos principes & votre
générosité dans un envoi de douze mille livres,
que je viens de recevoir d’une main inconnue. J’ai
sçu, Madame, que vous aviez fait de vives
représentations en ma faveur à M. le Président
de **, & ce trait de bonté m’instruiroit seul,
si mon cœur ne devinoit pas . . . .
Ebene 4
Dialog
Vous m’avez alarmée,
lui dit-elle ; j’allois partir pour vous joindre :
sans Monsieur (en montrant M. de Mirel) qui est
venu m’apprendre une nouvelle que je vois bien que
vous sçaviez avant moi, je vous aurois trouvé en
chemin. . . . Commençons, lui dit-il, en
s’inclinant avec respect, par
sçavoir ce que c’est que cette nouvelle que
Monsieur vous a apprise. De la façon dont vous
m’en parlez, je vois que j’y suis intéressé. . . .
Elle lui conta le fait, & quand elle fut à la
reconnoissance que M. de Mirel avoit voulu lui
témoigner : Monsieur vous a rendu justice, lui
dit-il ; toute la reconnoissance de ce qui lui
arrive vous est dûe. C’est moi, qui ai envoyé les
douze mille livres, Madame, mais c’est vous, qui
m’en avez donné le conseil ; c’est vous, dont les
avis m’ont éclairé, & m’ont fait sentir que je
n’avois aps rendu justice à Monsieur, que j’avois
mal vu son affaire, & qu’enfin je lui avois
fait tort de cinq cens louis. . . . Monsieur,
continua-t-il, en se tournant vers M. de Mirel,
votre sensibilité vous fait ici autant d’honneur
qu’un acte libre pourroit vous en faire, mais elle
est juste, elle est indispensable, & Madame ne doit point vous priver du plaisir
de la faire éclater. Quand à moi, je ne mérite
aucuns remerciemens ; je n’ai fait que mon devoir.
Metatextualität
J’aurois voulu qu’on eût pu
m’envoyer le discours de cette charmante
consolatrice. Il est indubitable que nous n’y eussions
trouvé des choses bien pensées & très-touchantes. Les
femmes excellent dans cette matiere : Eh ! qui peut mieux
parler du malheur & de ses avantages, que celles qui
peuvent faire nos plus grands plaisirs & nos plus grands
malheurs !
Metatextualität
Au défaut de ce que nous perdons,
je risquerai quelques réflexions qui viennent de m’être
communiquées par une personne à qui j’avois fait confidence
du récit qu’on vient de lire.
Metatextualität
Mais j’ai promis la dissection du cœur d’une
coquette ; il faut, je crois, commencer par remplir mes
engagemens. C’est l’Anglois qui va parler :
Metatextualität
Dissection du cœur
d’une Coquette.
Metatextualität
Dissection du cœur
d’une Coquette.
Ebene 3
Traum
Metatextualität
« Après avoir donné la
dissection de la tête d’un petit maître, je
rapporterai ici la dissection du cœur d’une coquette
suivant ma promesse, & je ferai part au public
de ce que nous y observâmes de plus curieux.
Metatextualität
J’ai promis un discours sur
l’adversité. Le voici.