Zitiervorschlag: Jean-François de Bastide (Hrsg.): "Discours IX.", in: Le Nouveau Spectateur (Bastide), Vol.2\009 (1758), S. 235-244, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.2004 [aufgerufen am: ].


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Discours IX.

Ebene 2► Je prie mes Lecteurs de me permettre de placer ici le récit d’une tradition Juive, qui amenera une aventure digne de l’attention d’un lecteur sensé. Ebene 3► « Moyse appellé par une voix du ciel, au sommet d’une montagne, y eut une conférence avec l’être suprême, qui lui permît de lui faire diverses questions sur sa <sic> conduite de l’univers. Au milieu de ce divin dialogue, Moyse eut ordre de regarder [236] en bas sur la plaine. Il y avoit au pied de la montagne une source d’eau vive. Un soldat à cheval descendit pour en boire. Celui-ce ne se fut pas plutôt retiré, qu’un jeune garçon parut au même endroit, où il trouva une bourse pleine d’or que le soldat avoit laissé tomber, la prit & s’en alla. Un vieillard accablé de fatigue, & du poids des années, y vint ensuite, & après avoir étanché la soif qui le brûloit, s’assit à côté de la fontaine, pour se reposer. Le soldat qui avoit perdu sa bourse, y retourne pour la chercher, & la demande à ce vieillard, qui proteste qu’il ne l’a point vue, & appelle Dieu à témoin de son innocence. Le soldat ne veut pas l’en croire sur sa parole & le tue. Là-dessus, Moyse frappé d’épouvante & d’horreur, tombe sur son visage. Aussitôt la voix de Dieux se fit entendre, & lui [237] parla en ces termes : Ebene 4► Dialog► Ne sois pas surpris, Moyse, de cet événement, & ne demande pas pourquoi le juge de l’univers l’a voulu permettre ; mais sçache que ce vieillard avoit assassiné le père du jeune garçon. » ◀Dialog ◀Ebene 4 ◀Ebene 3

Allgemeine Erzählung► J’étois hier entré dans un café pour y parler à quelqu’un, & j’y fus témoin d’une aventure tragique qui me rappelle cette tradition mémorable. Le Chevalier de * * & le Baron de * * * étoient dans le même café, & se parloient tout haut de choses indifférentes. Je remarquai que la Baron ne ménageoit pas le genre humain, & vouloit passer pour méchant. La Marquise de * * & sa fille passerent alors dans un carrosse brillant. Le baron, en les voyant, fit ce cri de petit maître que l’impertinence a inventé, & qui, accompagné d’un certain air goguenard, fait tout de suite une réputa-[238]tion à des femmes, qui très-souvent méritent l’estime. Ce cri impertinent fit rire tout le monde dans le caffé, & moi tout le premier. Je n’avois pas l’honneur de connoître ces Dames ; le Chevalier les connoissoit & étoit un de leurs plus intimes amis. (J’ai sçu, depuis, que la mere & la fille ont toujours vécu irréprochables du côté de la vertu). Il demanda au Baron s’il les connoissoit. Ebene 3► Dialog► Non, répondit-il ; je ne vais pas chez elles, & je ne sçais pas pourquoi ; car on y vit joliment. Cela signifie beaucoup de choses, lui dit le Chevalier, & je puis vous assurer que comme vous l’entendez, il n’est rien de plus faux ; on vous en a imposé. Cela ne se peut pas, reprit le Baron ; car au moins on y soupe, & elles ne sont pas riches. Je suis très-bien instruit. Monsieur, j’ai l’honneur d’être leur ami, dit le Chevalier ; je les vois tous les jours, & je vous proteste. . . . [239] Eh, non Monsieur, est-ce que des femmes pauvres sont sages ! L’ami d’une maison est le premier trompé, je sçais ce que je dis ; & là-dessus il commença une histoire qui étoit affreuse. Le Chevalier l’interrompit. Monsieur, j’ai eu l’honneur de vous dire que j’étois leur ami ; il me semble que vous ne devez pas aller plus loin. ◀Dialog ◀Ebene 3 Le Baron insista. Le Chevalier sortit ; je crus qu’il prenoit le parti d’un homme prudent, & que cette affaire n’auroit pas de suite. Le Baron le suivit, quand il eut lâché toutes ses horreurs. Je me sentis soulagé en le voyant partir. La calomnie, surtout celle qui part des petits maîtres, m’a toujours indigné. Je m’entretenois, avec mon voisin, de l’auteur de ce libelle odieux, & je souhaitois presque qu’il fût puni un jour de son insolence, lorsque quelqu’un qui venoit de sortir rentra, & nous dit que le Chevalier venoit [240] d’être tué par le Baron. Ebene 3► Dialog► Ah ! mon Dieu, m’écriai-je, ce n’est pas lui qui devoit mourir ; la providence, en cela, est injuste. Pas tant que vous le croyez bien, me répondit tout bas cet homme. Il avoit fait, il y a deux ans, contre le Baron, des couplets affreux qui ont perdu ce dernier dans le monde ; ◀Dialog ◀Ebene 3 il n’y avoit que moi, qui le sçut, & je le dis aujourd’hui. ◀Allgemeine Erzählung

Soyons toujours irréprochables. Il y a une justice vengeresse qui répand des bras sur la terre à l’instant que nous devenons criminels ; & le secret de nos crimes ne sert un jour qu’à faire mieux admirer la vigilance du juge suprême.

Metatextualität► Voici deux faits aussi certains qu’incroyables, arrivés l’un en Angleterre, l’autre en France. ◀Metatextualität Allgemeine Erzählung► Il n’y a que peu d’années qu’un Anglois, nommé Lapirius dans l’auteur où j’ai lu ce fait [241] hérita d’un grand bien par le testament de son pere, à l’exclusion de son frere aîné, dont la vie avoit été très-déréglée. Ce dernier, touché de honte & d’un sérieux repentir, devint dans la suite un modele de raison & de sagesse. Lapirius, charmé du retour de son frere, lui écrivit un matin un bilet conçu en ces termes :

Ebene 3► Brief/Leserbrief► « Je vous envoie ici, mon cher frere, le testament de notre père. Si Dieu lui avoit prolongé la vie jusqu’ici, il ne l’auroit pas fait de même. Il en exclut l’homme que vous étiez alors, & moi, je le rends à celui que vous êtes aujourd’hui. » Je suis, &c. ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 3

Je connois un frere qui n’en a pas si bien agi, à beaucoup près, dans une occurrence où il ne s’agissoit pas même d’être généreux. Il est nécessaire de remonter un peu plus haut que le [242] fait que je veux rapporter. Le Chevalier de S * * * absent de sa province depuis plusieurs années, y avoit laissé un frere qu’il aimoit beaucoup, & à qui il croyoit être cher. Ce frere lui écrivit il y a deux ans : Ebene 3► Brief/Leserbrief► « Je connois ton amitié pour moi ? Souffre que j’en abuse sans le vouloir. J’ai perdu hier deux mille livres au jeu. Tu sçais que tout mon bien t’est substitué ; je ne trouve pas un écu, je n’ai que ta bourse pour payer. » ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 3 Le Chevalier lui répondit sur le champ : Ebene 3► Brief/Leserbrief► « Je n’ai point d’argent & je ne sçaurois en vérité où en trouver ; mais je t’envoie quatre lettres de change à des termes très-courts : comme l’on sçait que tu es dérangé, l’on prendra plus volontiers mon effet que le tien. Tâche de la faire accepter. » ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 3 Le Chevalier se dérangeoit lui-même par ces engagemens ; son frere le sçavoit & ne pouvoit pas douter que son [243] procédé ne fût admirable. Il ne put faire accepter ces lettres de change & les renvoya. Un an après il écrivit cette autre lettre : Ebene 3► Brief/Leserbrief► « Je me marie ; mon contrat vient d’être signé. J’épouse une jeune personne qui m’apporte deux cens mille livres, dont soixante sont comptans. Je me hâte de t’en faire part, pour n’avoir pas un plaisir que tu ne partages avec moi, &c. » ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 3 Justement, dans le même temps, le Chevalier se trouvoit obligé de rembourser deux mille quatre cens livres ; c’étoit un engagement d’honneur, & il y étoit très-embarassé. Il regarda le mariage de son frere comme un secours de la providence pour lui. En répondant à sa lettre, il lui demanda cette somme, & il accompagna sa demande des meilleures sûretés ; promettant de s’acquitter dans dix-huit mois, & exigeant qu’on lui permît d’en payer [244] l’intérêt. Cet indigne frere eut la lâcheté de le refuser. ◀Allgemeine Erzählung ◀Ebene 2 ◀Ebene 1