Je fus invité, (à ce qu’il me
sembloit,) à voir, en bonne compagnie la dissection du crâne
d’un petit maître, & du cœur d’une
coquette, qui réposoient sur une table qu’il y avoit devant
nous. Un habile anatomiste ouvrit la tête du premier avec
beaucoup d’art ; & quoiqu’elle parût d’abord comme celle
d’un autre homme, nous fûmes bien étonnés de voir qu’à
l’approche de nos microscopes, ce que nous avions pris pour
de la cervelle, n’en avoit que l’apparence, & n’étoit au
fons qu’un amas d’étranges matériaux empaquetés ensemble
avec un art merveilleux dans les différentes cavités du
crâne : de sorte que si Homere nous dit que le sang des
dieux n’est pas du véritable sang, mais quelque chose
d’analogue, on peut dire aussi que la cervelle d’un petit
maître n’en est pas réellement, mais quelque chose qui en a
la figure. La glande pinéale que plusieurs de nos
philosophes supposent être le siege de l’ame, avoir une
odeur très-forte d’essence & d’eau de fleur
d’orange, & paroissoit environnée d’une subitance qui
approchoit de la corne, taillée en mille petites facettes ou
miroirs, imperceptibles à l’œil ; ensorte que l’ame, s’il y
en avoit jamais eu ici, devoit être toujours occupée à
s’admirer elle-même. Nous remarquâmes sur le devant de la
tête une grande cavité, pleine de rubans, de dentelles &
de broderie, qui formoient ensemble une espece de réseau
artistement travaillé & si fin, que le tissu en
échappoit à la vue. Une autre de ces cavités étoit farcie de
billets doux, de lettres amoureuses, de chansons notées,
& de pareilles gentillesses, qu’on ne voyoit qu’à la
faveur de nos microscopes
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3.
Dans une troisieme, il y avoit une espece de
poudre, qui fit éternuer toute la compagnie, & que nous
reconnûmes, à l’odeur, pour du véritable tabac
d’Espagne
4En un mot, car je
ne veux pas ennuyer mes lecteurs par un inventaire trop
exact, plusieurs autres cellules contenoient divers
matériaux à peu près aussi curieux. Cependant une grande
cavité spacieuse, qu’il y avoit à l’un & à l’autre côté
de la tête, mérite quelque attention. Celle du côté droit
étoit remplie de fictions, de flatteries, de mensonges, de
vœux, de promesses, de protestations ; celle du côté gauche
renfermoit des imprécations
5& des sermens. De chacune de ces
cavités, on voyoit sortir un conduit, qui aboutissoit à la
racine de la langue, où ils se joignoient tous
deux, & ne formoient ensuite qu’un canal, jusqu’au bout
de ce petit mobile. Nous observâmes divers petits sentiers
ou conduits, qui passoient de l’oreille au cerveau, &
nous eûmes un soin tout particulier de les suivre dans tous
leurs détours. L’un de ces conduits se rendoit à un paquet
de sons & de petits instrumens de musique, d’autres se
terminoient à un amas de vessies pleines d’écume, ou de
vent : mais le plus gros de ces tuyaux entroit dans une
grande cavité du crâne, d’où un autre s’échappoit vers la
langue. Cette derniere cavité étoit le réservoir d’une
substance molle & spongieuse, que les Anatomistes
François appellent galimatias, & les nôtres non sense.
Les cuirs de front, le derme, & l’épiderme, étoient
d’une épaisseur & d’une dureté extraordinaires, &
nous fûmes bien surpris de n’y pouvoir
découvrir, ni arrere, ni veine, non pas même avec le secours
de nos microscopes : d’où nous conclûmes que le propriétaire
de ce crâne avoit perdu la faculté de rougir lorsqu’il étoit
en vie. Nous n’appercûmes rien de sort remarquable dans
l’œil ; à cela près que les muscles amoureux, ou, si l’on
veut, lorgneurs, étoient extrêmement usés. Je n’ai parlé
dans cette dissection que des nouvelles découvertes que nous
y fîmes ; sans examiner aucune de ces parties qui se
trouvent dans les têtes ordinaires. A l’égard du crâne, du
visage, & même de toute la figure externe, nous n’y
remarquâmes rien qui la distinguât de la tête des autres
hommes. D’ailleurs, on nous dit que le propriétaire de cette
belle tête, avoit passé pour un homme plus de trente-cinq
ans ; que durant tout cet intervalle, il avoit mangé &
bu comme les autres hommes ; qu’il s’étoit
bien mis, qu’il parloit fort haut, qu’il éclatoit souvent de
rire, & qu’en certaines occasions, il jouoit assez bien
son rôle, dans un bal, ou une assemblée ; à quoi un de la
compagnie ajoutra qu’il y avoit un cercle de Dames qui le
prenoient pour un bel esprit. Il fut assommé d’un coup de
pelle, à la fleur de son âge, par un de nos riches citoyens,
qui le trouva un peu trop civil à l’égard de sa femme.
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