Zitiervorschlag: Jean-François de Bastide (Hrsg.): "Discours VII.", in: Le Nouveau Spectateur (Bastide), Vol.2\007 (1758), S. 209-216, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.2002 [aufgerufen am: ].


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Discours VII.

Metatextualität► Rêve sur la dissection du crâne d’un petit Maître 1 . ◀Metatextualität

Ebene 2► Je me trouvai, hier, engagé dans une assemblée de philosophes, dont [210] l’un nous étala quantité d’observations curieuses, qu’il avoit faites depuis peu dans l’anatomie du corps humain. Un autre nous fit part de plusieurs découvertes admirables qu’il y a faites, avec le secours de quelques excellens microscopes. Tout cela produisit diverses remarques peu communes, & fournit matiere à discourir tout le reste de la journée.

Metatextualität► Les différens systêmes qu’on bâtit là-dessus, présenterent tant de nouvelles idées à mon imagination, que, jointes à celles qui y étoient déjà, elles ont donné de l’exercice à mon pauvre cerveau toute la nuit passée, & formé le rêve extravagant, dont je vais vous entretenir. ◀Metatextualität

Traum► Je fus invité, (à ce qu’il me sembloit,) à voir, en bonne compagnie la dissection du crâne d’un petit maître, [211] & du cœur d’une coquette, qui réposoient sur une table qu’il y avoit devant nous. Un habile anatomiste ouvrit la tête du premier avec beaucoup d’art ; & quoiqu’elle parût d’abord comme celle d’un autre homme, nous fûmes bien étonnés de voir qu’à l’approche de nos microscopes, ce que nous avions pris pour de la cervelle, n’en avoit que l’apparence, & n’étoit au fons qu’un amas d’étranges matériaux empaquetés ensemble avec un art merveilleux dans les différentes cavités du crâne : de sorte que si Homere nous dit que le sang des dieux n’est pas du véritable sang, mais quelque chose d’analogue, on peut dire aussi que la cervelle d’un petit maître n’en est pas réellement, mais quelque chose qui en a la figure.

La glande pinéale que plusieurs de nos philosophes supposent être le siege de l’ame, avoir une odeur très-forte [212] d’essence & d’eau de fleur d’orange, & paroissoit environnée d’une subitance qui approchoit de la corne, taillée en mille petites facettes ou miroirs, imperceptibles à l’œil ; ensorte que l’ame, s’il y en avoit jamais eu ici, devoit être toujours occupée à s’admirer elle-même.

Nous remarquâmes sur le devant de la tête une grande cavité, pleine de rubans, de dentelles & de broderie, qui formoient ensemble une espece de réseau artistement travaillé & si fin, que le tissu en échappoit à la vue. Une autre de ces cavités étoit farcie de billets doux, de lettres amoureuses, de chansons notées, & de pareilles gentillesses, qu’on ne voyoit qu’à la faveur de nos microscopes2 3 . Dans une troisieme, [213] il y avoit une espece de poudre, qui fit éternuer toute la compagnie, & que nous reconnûmes, à l’odeur, pour du véritable tabac d’Espagne4 En un mot, car je ne veux pas ennuyer mes lecteurs par un inventaire trop exact, plusieurs autres cellules contenoient divers matériaux à peu près aussi curieux. Cependant une grande cavité spacieuse, qu’il y avoit à l’un & à l’autre côté de la tête, mérite quelque attention. Celle du côté droit étoit remplie de fictions, de flatteries, de mensonges, de vœux, de promesses, de protestations ; celle du côté gauche renfermoit des imprécations5 & des sermens. De chacune de ces cavités, on voyoit sortir un conduit, qui aboutissoit à la racine de la langue, où ils [214] se joignoient tous deux, & ne formoient ensuite qu’un canal, jusqu’au bout de ce petit mobile. Nous observâmes divers petits sentiers ou conduits, qui passoient de l’oreille au cerveau, & nous eûmes un soin tout particulier de les suivre dans tous leurs détours. L’un de ces conduits se rendoit à un paquet de sons & de petits instrumens de musique, d’autres se terminoient à un amas de vessies pleines d’écume, ou de vent : mais le plus gros de ces tuyaux entroit dans une grande cavité du crâne, d’où un autre s’échappoit vers la langue. Cette derniere cavité étoit le réservoir d’une substance molle & spongieuse, que les Anatomistes François appellent galimatias, & les nôtres non sense.

Les cuirs de front, le derme, & l’épiderme, étoient d’une épaisseur & d’une dureté extraordinaires, & nous fûmes bien surpris de n’y pou-[215]voir découvrir, ni arrere, ni veine, non pas même avec le secours de nos microscopes : d’où nous conclûmes que le propriétaire de ce crâne avoit perdu la faculté de rougir lorsqu’il étoit en vie.

Nous n’appercûmes rien de sort remarquable dans l’œil ; à cela près que les muscles amoureux, ou, si l’on veut, lorgneurs, étoient extrêmement usés.

Je n’ai parlé dans cette dissection que des nouvelles découvertes que nous y fîmes ; sans examiner aucune de ces parties qui se trouvent dans les têtes ordinaires. A l’égard du crâne, du visage, & même de toute la figure externe, nous n’y remarquâmes rien qui la distinguât de la tête des autres hommes. D’ailleurs, on nous dit que le propriétaire de cette belle tête, avoit passé pour un homme plus de trente-cinq ans ; que durant tout cet intervalle, il avoit mangé & bu com-[216]me les autres hommes ; qu’il s’étoit bien mis, qu’il parloit fort haut, qu’il éclatoit souvent de rire, & qu’en certaines occasions, il jouoit assez bien son rôle, dans un bal, ou une assemblée ; à quoi un de la compagnie ajoutra qu’il y avoit un cercle de Dames qui le prenoient pour un bel esprit. Il fut assommé d’un coup de pelle, à la fleur de son âge, par un de nos riches citoyens, qui le trouva un peu trop civil à l’égard de sa femme.6 7 ◀Traum

Metatextualität► Je donnerai une autre fois la dissection du cœur d’une coquette. Passons à d’autres matieres. ◀Metatextualität ◀Ebene 2 ◀Ebene 1

1Ceci est tiré du Spectateur Anglois, ouvrage dans lequel il se présente quelquefois des morceaux d’un goût tout particulier, & dont je demande la permission d’user pour l’avantage du Public. Ces morceaux seroient perdus pour une partie des mes Lecteurs qui n’ont point le livre d’où je les tirerai, & ils me serviront à faire voir, par occasion, la différence nationale qu’il y a entre un François & un Anglois tachés tous deux du même défaut.

2Si ce petit matire avoit été François, on auroit trouvé jointes à toutes ces choses, une liste de trante femmes qu’il avoit eues, & une autre de cent femmes qu’il avoit affichées sans les avoir : deux ou trois cartels d’honneur auxquels il avoit répandu par des couplets de chanson : un journal de toutes les sottises qu’il avoit vues, dans lequel il n’avoit oublié que celles qu’il avoit dites. Deux ou trois cens lettres de femmes, dans lesquelles on auroit vu beaucoup d’esprit, beaucoup d’idées, avec une très-grande epargne de sens commun.

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4Dans un François on eût trouvé, au lieu de tabac d’éspagne, beaucoup de sucreries, beaucoup de pastilles, beaucoup d’ambre.

5Au lieu d’imprécations, on eût trouvé, dans un petit naître François, toutes les impertinences qu’il devoit dire dans la journée, & toutes les offres de service qu’il devoit faire, rangées par ordre, & étiquetées.

6En France, il n’eût pas eu ce malheureux sort. Le mari lui eût cedé sa place dans la maison, & lui eût prété de l’argent pour l’aider à en faire mieux les honneurs.

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