Le Nouveau Spectateur (Bastide): Monsieur le Spectateur
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Brief/Leserbrief
Monsieur le
Spectateur Je me cache de mon petit frere, de
son précepteur, da ma gouvernante, de maman, de tout le
monde, pour vous apprendre un secret auquel je suis
intéressée, & qui vous fournira d’utiles leçons pour
bien des parens que Dieu ne scauroit bénir, s’il
<sic> ne changent de maxime. Je n’ai pas encore
douze ans, Monsieur, & l’on songe déjà à me marier :
toutes les paroles sont données, excepté la mienne qui
se fera long-temps attendre, si Dieu soutient mon
courage. C’est à un vieux marchand d’Esclaves que l’on
me fait la grace de m’engager, à un homme
qui a passé trente ans de sa vie avec des visages noirs,
& qui a encore la brutalité de dire tous les jours
que les Négresses ont leur mérite. Il est vrai que cet
homme est très-riche, & que mes parens ne le sont
point, mais à mon âge & à celui que j’aurai encore
quand ce vieux sauvage partira de ce monde, on ne pese
point les richesses & on ne les regarde pas avec un
microscope ; on a encore les premieres idées, & dans
cet état de nature, les yeux & les desirs sont pour
un objet aimable. Je scais cela par expérience,
Monsieur. Une autre craindroit de vous faire cet aveu,
vous diroit, pour détourner vous soupçons, que l’esprit
suffit pour faire de certaines distinctions ; mais je
suis si piquée du mépris qu’on marque pour mon bonheur,
que je me crois autorisée à vous en montrer un peu pour
ma gloire. Je ne rougirai donc pas de vous avouer que ce
mari si laid, si vieux, si riche, me paroît
encore moins odieux par ses défauts que par la
comparaison que j’en fais avec un jeune homme
très-aimable qui me fait tous les jours des politesses
infinies par la fenêtre. Je sçais que ce dernier ne me
convient pas, parce qu’il est pauvre, mais je sçais que
l’autre me convient encore moins, parce qu’il est vieux.
J’ai pris mon parti sur les deux ; je ne me marierai
pas. Mes parens n’auront rien à dire ; ils n’ont pas le
droit de me condamner à ce qu’il y auroit de plus
triste, quand je sçais me priver de ce qu’il y auroit de
plus doux. C’est ce qu’il faut qu’ils sçachent, car je
ne les soupçonne pas de s’en douter, & je m’adresse
à vous, Monsieur, pour le leur apprendre. Je ne leur
aurois pas dissimulé s’ils m’avoient fait l’honneur de
me consulter ; mais jusqu’à présent ils se sont toujours
défiés de moi, à cause que j’ai de l’esprit ; & hier
même dans la funeste conversation, où ils
conclurent ma parte, j’entendis qu’ils se disoient, il
ne faut pas que la petite sçache un mot de tout ceci,
c’est un esprit comme il n’y en a point pour son âge.
Cette petite leur fera voir qu’elle n’est fine avec eux,
que parce qu’elle est sensible à l’affront qu’ils lui
font de la traiter comme un enfant, quand ils pensent
qu’elle ne l’est point. M. le Spectateur daignera venger
mon amour-propre & mon cœur ; c’est encore une
imprudence qu’ils ont faite de laisser vos feuilles sur
la cheminée. Je les ai lues en cachete ; j’ai appris
par-là qu’il y avoit un honnête homme qui prenoit la
défense des petits contre les grands, & des foibles
contre les forts ; & j’ai l’honneur de m’adresser à
cet homme-là, Monsieur, en vous écrivant.
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Brief/Leserbrief
Monsieur, Des spéculations
philosophiques sont étrangeres à bien des personnes ;
des leçons de morale sont prévenues par un
caractere estimable, ou rejettées par un caractere
vicieux ; une peinture des ridicules amuse, exerce
l’esprit, & ne corrige point. Mais des exemples du
malheur de la séduction, des tableaux vrais où la
trahison des cœurs perfides soit bien représentée,
impriment des traits ineffaçables. Tous les hommes
sentent qu’ils sont sur une mer parsemée d’écueils ;
l’amour de leur conservation, l’instinct, la réflexion
appellent incessamment en eux, un flambeau & des
guides. Permettez, Monsieur, que je m’adresse à vous
pour leur en présenter de certains. Je n’éclairerai pas
tous les précipices, mais celui sur lequel je puis
répandre une clarté utile, est sur la route par où il
faut qu’ils passent tous une fois du moins avant que
d’arriver au port de la vie qui est bien loin au-delà
des mers. C’est cet écueil qu’on nomme amour. Qu’il est
profond, Monsieur, & qu’il est inévitabble ! Ce qui nous y plonge, c’est moins l’artifice de
la perfidie que la bonne foi du sentiment. Il faut que
les jeunes personnes sçachent jusqu’où l’une peut aller,
& jusqu’où l’autre peut conduire. L’expérience que
j’ai faire des deux sera éternellement affreuse, &
voilà le flambeau que je vous propose de joindre à celui
qui brille dans vos écrits : je le présente aux femmes.
Mon malheur leur appartient, puisque la nature nous fit.
Elles & moi, pour avoir la même gloire, les mêmes
sentimens, les mêmes principes ; en nous assujettissant,
hélas ! aux mêmes foiblesses, & aux mêmes malheurs,
&c. . . .
Metatextualität
L’infortunée qui m’écrit a joint
plusieurs lettres à celle-ci & quelques réponses. Je
vais les donner pour sa consolation, non moins que pour
remplir le vœu estimable qu’elle a formé. Si je ne puis me
cacher que des sentimens passionnés soient capables de faire
des impressions dangereuses, je ne dois pas me
dissimuler non-plus que les regrets qui les suivent ici,
sont très-propres à en balancer l’effet, & à l’effacer
même, pour le général, en développant, par la façon dont ils
sont exprimés & motivés, toute l’adresse & toute la
noirceur dont un scélerat est capable.
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Brief/Leserbrief
Lettre premiere. Je
ne fus hier point du tout tranquile <sic> après
vous avoir quittée, comme vous l’auriez pensé. Je
connois le caractere de votre sœur, & vous m’avez
alarmé pour long-temps, en m’apprenant qu’elle soupçonne
notre intelligence. Vous avez le malheur d’avoir dix ans
moins qu’elle ; comptez qu’elle vous hait beaucoup pour
cet avanatage-là : je voudrois les retrancher de sa vie
& vous les donner. Cela ne vous empêcheroit pas
d’être la plus jolie, & la plus aimable personne du
monde, & nous aurions la paix. Sa mauvaise humeur éternelle ne vient que de ce qu’elle
voit mieux qu’un autre votre mérite : peut-être, hélas !
cherche-t-elle vos avantages dans les yeux de votre
amant ! Si cela est, nous sommes perdus. Elle aura vu
toute ma passion, elle en est furieuse, elle osera nous
trahir ; car les ames que la vanité rend jalouses, sont
basses & perfides. . . . Je vous afflige, je sens
votre inquiétude, mais votre sécurité nous eût perdus,
si je l’avois plus respectée. J’ai rêvé toute la nuit à
ce que vous m’aviez dit. J’ai voulu écarter la terreur,
vain effort ; elle est dans mon cœur. Songez à vous
tenir sur vos gardes. Ne vous laissez point observer ;
évitez des yeux indignes de vous regarder. Si votre sœur
s’en offense, punissez-là du premier mot qu’elle vous en
dira, en redoublant de précaution. Il faut qu’elle
puisse se croire bravée ; la fermeté & le mépris
pourront lui imposer ; la crainte & la confiance ne
serviroient qu’à vous perdre.
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Brief/Leserbrief
Lettre II. Eh bien,
je serai plus tranquille ; je ne vous montrerai plus
d’inquiétude. Il se présente un parti pour votre sœur ?
son bonheur doit l’étonner, elle ne songera plus à nous
faire du mal. Je pense comme vous : tout ce que vous me
dites à ce sujet est raisonnable. Oui, lorsque les ames
qui étoient malfaisantes par une certaine horreur que
leur inspiroit le bonheur des autres, viennent à trouver
un bonheur qui doit les surprendre, elles ne songent
plus qu’à s’en remplir, par une suite du compte
rigoureux qu’elles étoient obligées de se rendre à
elles-mêmes, du vice affreux qui les excluoit du droit
d’être heureuses. Je crois que vous raisonnez très-juste
& vous me rassurez. Mais perdrai-je aussi aisément
l’horrible inquiétude que me cause la seconde partie de
votre Lettre ? Quoi ? vous me demandez si je vous aime ?
Vous osez me faire cette question ? Ah !
Mademoiselle, ne dites pas que les doutes en amour ne
sont point des offenses. Vous me faites sentir le
contraire de ce que vous dites, & vous-même n’êtes
point tranquille sur l’opinion que je puis avoir de cet
étrange paradoxe. La précaution que vous prenez de
vouloir me persuader que le doute est un droit de
l’amour, me fait bien voir que vous vous faites à
vous-même le reproche d’usurpation. Non, Mademoiselle,
je ne vous aime point. Pourquoi vous aimerois-je ?
Qu’avez-vous fait pour moi ? Quel mérite
avez-vous ?. . . . . Ah ! Fanni, si ces mots vous sont
affreux, ne pouvez-vous comprendre le désespoir où me
jettent vos soupçons ! Eh, sous quelle étoile serois-je
donc né ! quel monstrueux génie animeroit donc le corps
de votre amant, s’il étoit possible qu’il ne vous aimât
pas ! Quoi ? tout ce que la nature a fait de plus
parfait, tout ce que les hommes peuvent
adorer sur la terre, tout ce qui peut remplir l’idée que
l’on a de la beauté, du plaisir, de la tendresse ; tout
cela s’offre à mon cœur, est en ma puissance, n’existe
que pour moi, & j’aurois l’imbécillité, la
férocité. . . . . Ah ! Fanni, vous m’avez offensé. Mais
vous êtes si extravagante ; vous sçavez si peu ce que
vous dites, qu’il faut se taire sur vos injures, ne voir
que votre état, & vous guérir d’une folie que l’on
doit plaindre, & non punir, après en avoir vu les
premiers accès. . . . J’irai tantôt faire mon compliment
à votre sœur. Je lui monterai beaucoup de joie de son
établissement, & je n’aurai jamais été plus sincere.
Tout ce qui m’en délivre m’est certainement aussi doux
qu’à elle. On n’aura jamais flatté un ennemi avec moins
d’imposture. Préparez-vous, je vous prie, à répondre aux
interrogations que je vous ferai essuyer. Je veux
sçavoir qui vous a fait des contes à mon
sujet. J’ai badiné, mais je suis furieux, furieux à la
lettre. Songez-vous qu’en me demandant à présent si je
vous aime, vous me demandez précisément si je ne suis
pas un scélerat ?
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Brief/Leserbrief
Lettre III. Il est
vrai que la Marquise m’a dit des choses qui paroissoient
tendres ; il est vrai que je lui en ai répondu
d’obligeantes ; il est vrai qu’elle m’a écrit trois
fois ; il est vrai que j’allai chez elle avant-hier à
onze heures du soir, & que je n’en sortis qu’à
minuit : mais il est faux que vous deviez regarder tout
cela comme les signes d’une intrigue déjà formée ; il
est très-faux que vous deviez croire qu’elle adore les
intrigues ; il est encore plus faux que vous deviez
penser que toute coquette ait des droits naturels sur
mon cœur. L’opinion que vous vous faites de la la
Marquise, est celle que l’on prend de toutes les femmes
lorsque l’on devient jalouse ; vous le
sçavez, & vous auriez dû, avec de l’esprit,
renfermer en vous-même cette promptitude à juger, qui
peut faire soupçonner, dans votre ame, un peu de cette
violence qui a ruiné tant de commerces. Le reproche que
vous me faites, part de même source ; c’est un rejetton
de la même tige, & vous auriez dû craindre qu’il
n’eût la même suite. Le coup est porté, cherchons-y le
remede. Je n’en connois qu’un seul qui puisse opérer :
c’est de fuir la Marquise. Je la fuirai, Mademoiselle,
j’éviterai de recevoir de ses Lettres ; j’y perdrai le
plaisir de lui rendre des services que vous-même
m’auriez demandés pour elle, si vous en connoissiez
l’importance, & si vous m’aviez mieux connu. Un jour
je vous dirai ce que va lui coûter votre jalousie ; vous
en frémirez, & vous aurez bien de la peine à vous
pardonner d’avoir eu des sentimens si nuisibles à
l’humanité. Je cherche ma tranquillité & vous
n’aurez point de contestation avec moi ;
mais en résistant à la bonté de mon cœur pour vous
plaire, je ne résiste pas aux murmures de ce cœur ; il
me sera toujours affreux de penser que vous m’ayez
réduit à vous sacrifier ma sensibilité, & a perdre
le droit de faire des heureux. . . . Ne parlons plus de
cela, je reviens à ce qui vous regarde, pour vous rendre
compte de commissions dont vous m’avez chargé. Oubliez,
s’il est possible, le regret & la douleur que je
viens de vous montrer, pour vous faire une idée juste de
mon amour & de mon respect pour vos moindres
volontés. Je fis venir hier Bibi chez moi, comme vous
l’aviez exigé ; je lui parlai pendant près de deux
heures, avec cette confiance qui se fait jour à travers
les petits intérêts, pour entrer dans le fonds du cœur ;
je pris ensuite ce ton de fermeté qui impose
nécessairement, & je vis que l’effet en étoit assez
prompt pour ne devoir pas pousser jusqu’à
la menace. Je finis par lui promettre une reconnoissance
digne de mon amour, si elle vouloit reduire Madame votre
mere à la petite portion d’autorité que la loi accorde
aux femmes, en forçant, par ses conseils, le trop foible
papa à vouloir être le maître. J’allai ensuite chez le
Directeur ; je ne vous dirai pas que je trouvai un homme
très-rempli de l’orgueilleux sentiment de son
despotisme ; je m’y étois attendu, & j’avois préparé
mes phrases. L’orgueil l’abusa. Je lui parlois
humblement ; il prit ma fourberie pour un hommage. La
révolution fut elle que je pouvois la souhaiter. Il
espéra plus de gloire de la reconnoissance d’un ennemi,
que des gémissemens d’une victime, & il me promit de
nous faire raison de l’usurpation de votre mere,
c’est-à-dire, de la sienne. Voilà, je crois, d’assez
bonnes nouvelles : recevez-les avec autant de plaisir
que j’en ai moi-même à vous les donner,
& je serai content. Ne nous lassons point cependant
d’être très-circonspects. C’est dans les commencemens
d’une victoire que la prudence est nécessaire.
Dussiez-vous m’accuser de froideur, je suis obligé de
vous avertir de vous dangers. Vous connoîtrez,
lorsqu’ils seront finis, combien je vous aime.
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Brief/Leserbrief
Lettre IV. Tout a
réussi au mieux. Bibi & le Directeur ont fait des
merveilles : le Directeur a surpassé mon espérance.
Etrange effet de l’insolence des hommes ! Celui-ci va
tout employer pour me convaincre en m’obligeant de
l’étendue de son pouvoir, & il oublie que lorsque je
serai devenu le maître, je le punirai de m’avoir forcé à
plier devant lui. Ecartons cette réflexion. Je suis
esclave encore : la sensibilité feroit supposer la
révolte ; mon ennemi s’en vengeroit, & je serois
bien humilié d’avoir perdu le fruit d’une soumission
qui, vis-à-vis de lui, ne doit servir qu’à
me venger moi-même. Il me conduira tantôt chez Madame
votre mere. Elle attend ma visite. Vous sçavez avec
quelle ardeur je suis capable de lui parler ; mais vous
ne sçavez pas avec quel respect je parlerai à la mere de
ce que j’aime, tout humilié que je suis de la hauteur
des réponses qu’elle a faites jusqu’à présent. Ma chere
Fanni, les Rois & tous les hommes sont bien peu de
chose devant la main qui dispose des saveurs d’un objet
aimé. Ce sont ces saveurs que mon cœur desire ; sans
cesse je me fais une image de mon bonheur, & quand
je pense qu’un mauvaise volonté peut détruire cette
image adorée, je sens qu’excepté le crime, rien ne peut
me coûter pour fléchir la main redoutable qui dispose à
présent de ma félicité. Soyez donc tranquille sur le
procédé que j’aurai aujourd’hui. Je m’attends à tout,
& n’en suis que plus certain de la sagesse de ma
conduite. Madame votre mere me parlera en
femme de condition ; elle foulera à ses pieds un
négociant, dont la témérité excite son indignation, en
s’élevant jusqu’à vous ; & l’humble négociant se
laissera fouler : il ne lui dira pas qu’un citoyen qui
procure tous les ans un million à sa patrie, n’est point
un homme abject, qu’un homme qui arme des vaisseaux
& des bras pour faire couler le sang ennemi, &
qui apporte ensuite à sa patrie des avantages pas son
industrie, & des exemples par son courage, est au
moins le rival de la noblesse la plus utile & la
plus distinguée ; il ne lui dira rien en sa faveur, il
se laissera outrager : trop heureux, si, à force de
modestie, il peut paroître vous mériter ! Il dira
seulement qu’il possede quinze cens mille livres qui
sont déjà déposés À vos pieds, & qu’il a été
chercher la moitié de cette somme, au fonds des pays
inconnus, & au risque de sa vie, pour pouvoir lui
paroître un peu moins indigne de vous.
Voilà l’humble discours que je lui ferai ; il ne coûtera
rien à mon amour propre, & s’il lui coûte, ce sera
une obligation de plus que j’aurai à l’amour qui m’aura
mis en état de vous donner une nouvelle preuve de la
violence de mes sentimens. Adieu ; à demain, avant dix
heures du matin. N’attendez pas plutôt le résultat de
notre conférence. Je serai obligé de revoir le Directeur
avant de vous écrire, & vous sçavez qu’il n’est
jamais visible qu’au retour de l’hôtel de***, où il est
obligé d’aller tous les matins entendre les rêves dévots
de la***.
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Brief/Leserbrief
Lettre V. Vous
comptez les momens ? Oui, vous les comptez ; j’en suis
convaincu. Ma chere Fanni, j’ai trop d’amour pour vous
supposer moins d’impatience qu’à moi pour le plus doux
moment de notre vie. Ce moment viendra ;
votre mere le craint autant que je le desire ; elle a
voulu me désespérer ; elle épuise tout sur un esprit
soumis, mais elle a beau faire, elle n’empêchera pas ma
destinée qui est marquée par le Dieu qui récompense la
vertu. Je ne sçaurois vous dire combien elle avoir
préparé de traits contre mon amour propre. J’ai vu des
cœurs impitoyables ; j’ai vu le sang humain couler par
des mains homicides ; mais mon expérience, à leur égard,
commence aujourd’hui : votre mere surpasse les bourreaux
& les tyrans. Notre conversation a duré long-temps ;
quel en a été l’effet ? Je n’ose vous l’apprendre.
Cependant mon silence pourroit avoir des suites
funestes, l’amour voudroit l’interpréter, & vous
seriez en droit de me reprocher la douce erreur où il
vous auroit plongée. Il faut donc que je vous associe à
ma douleur ! Je suis plus accablé de cette pensée que de
l’horrible traitement que m’a fait éprouver
votre mere. Ce traitement a été tel que je n’ai pu lui
laisser goûter tout le plaisir de me le faire subir. La
nature, l’honneur se sont révoltés ; ils ont parlé,
& la fureur a jugé des paroles sages interprétées
par l’orgueil. Bussi disoit : Elle est montée sur ses
grands chevaux. Votre mere s’est perchée bien plus
haut : j’ai pu avoir une idée bien distincte de Jupiter
lançant la foudre. O ma chere Fanni! qu’il est difficile
qu’on ne soit pas barbare quand on est orgueilleux !
J’ai été maltraité, outragé ; tout ce que j’ai souffert
de sa cruauté est inexprimable ; malgré cela, ce que je
souffre de mes reproches l’est encore plus. J’aurois dû
me laisser égorger ; oui, j’aurois dû penser qu’il
seroit moins affreux pour moi de subir la mort que de
vous la donner. Je n’ai pas assez fait cette réflexion,
& si vous regardez mes mouvemens de révolte comme un
crime, je ne serai pas assez injuste pour m’en plaindre. Votre mere s’est retirée dans sa
chambre en me tournant le dos. Elle m’a pénétré par
cette brusquerie déséspérante, j’ai vu le moment que
j’allois me jetter à ses pieds : elle ne m’en a pas
laissé le temps. J’ai eu recours au Directeur qui étoit
présent : j’aurois attendri un rocher ; he !
pouvoient-ils d’ailleurs se dissimuler l’un &
l’autre, qu’en répondant quelques mots, je n’avois fait
que me prêter aux loix qu’en ce moment la nature
déchirée imposoit à mon cœur. Il a suivi votre mere, en
me promettant de la calmer : mais à son retour, j’ai vu,
j’ai trop vu qu’il nous trahissoit lui-même. J’ai craint
de me livrer à mes idées ; je ne me connoissois plus. La
mort d’un scélerat est une justice, cette idée m’a
séduit ; j’allois l’exterminer : mais je vous perdois en
punissant le crime. J’ai fait cette réflexion, un Dieu
l’a imprimée dans mon cœur, & elle nous a tous
sauvés. La même puissance m’a donné la
force de dissimuler. Je l’ai quitté, je me suis rendu
chez Bibi, que ces horreurs ont révoltée ; elle m’a tout
promis, & Monsieur votre père doit ce soir faire
éclater son autorité. Je ne sçavois pas qu’il avoit déjà
parlé en maître ; Bibi me l’a appris, & cette
nouvelle m’a rendu la vie. Espérons tout de ses efforts
& de notre constance. Je vous recommande d’espérer.
Oui, ma chere Fanni, je te le recommande. Nous ne
pouvons pas périr misérablement : nous avons trop de
vertus pour n’être pas chers au ciel qui nous les a
données ; tu n’a <sic> guere vu jusqu’à présent
que le bonheur des méchans qui fût aussi prompt que
leurs désirs ; les traverses de notre vie doivent nous
donner bonne opinion de nous-mêmes ; nous sommes sans
doute au rang des êtres estimables, puisque nous
trouvons tant de difficulté à être heureux. Adieu, je ne
puis plus soutenir ma plume, tant le chagrin m’accable. Je sens mes pleurs couler de mes
yeux, ils inonderoient mon papier, & je ne veux
point ajouter aux tristes caracteres que je viens de
tracer, des marques plus tristes d’un malheur que tu ne
sens déjà que trop. Adieu, je t’écrirai demain, après
que Bibi m’aura appris l’état de nos affaires.
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Brief/Leserbrief
Monsieur le
Spectateur
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Brief/Leserbrief
Monsieur, Des spéculations
philosophiques sont étrangeres à bien des personnes ;
des leçons de morale sont prévenues par un
caractere estimable, ou rejettées par un caractere
vicieux ; une peinture des ridicules amuse, exerce
l’esprit, & ne corrige point. Mais des exemples du
malheur de la séduction, des tableaux vrais où la
trahison des cœurs perfides soit bien représentée,
impriment des traits ineffaçables. Tous les hommes
sentent qu’ils sont sur une mer parsemée d’écueils ;
l’amour de leur conservation, l’instinct, la réflexion
appellent incessamment en eux, un flambeau & des
guides. Permettez, Monsieur, que je m’adresse à vous
pour leur en présenter de certains. Je n’éclairerai pas
tous les précipices, mais celui sur lequel je puis
répandre une clarté utile, est sur la route par où il
faut qu’ils passent tous une fois du moins avant que
d’arriver au port de la vie qui est bien loin au-delà
des mers. C’est cet écueil qu’on nomme amour. Qu’il est
profond, Monsieur, & qu’il est inévitabble ! Ce qui nous y plonge, c’est moins l’artifice de
la perfidie que la bonne foi du sentiment. Il faut que
les jeunes personnes sçachent jusqu’où l’une peut aller,
& jusqu’où l’autre peut conduire. L’expérience que
j’ai faire des deux sera éternellement affreuse, &
voilà le flambeau que je vous propose de joindre à celui
qui brille dans vos écrits : je le présente aux femmes.
Mon malheur leur appartient, puisque la nature nous fit.
Elles & moi, pour avoir la même gloire, les mêmes
sentimens, les mêmes principes ; en nous assujettissant,
hélas ! aux mêmes foiblesses, & aux mêmes malheurs,
&c. . . .
Metatextualität
L’infortunée qui m’écrit a joint
plusieurs lettres à celle-ci & quelques réponses. Je
vais les donner pour sa consolation, non moins que pour
remplir le vœu estimable qu’elle a formé. Si je ne puis me
cacher que des sentimens passionnés soient capables de faire
des impressions dangereuses, je ne dois pas me
dissimuler non-plus que les regrets qui les suivent ici,
sont très-propres à en balancer l’effet, & à l’effacer
même, pour le général, en développant, par la façon dont ils
sont exprimés & motivés, toute l’adresse & toute la
noirceur dont un scélerat est capable.
Ebene 3
Brief/Leserbrief
Lettre premiere.
Ebene 3
Brief/Leserbrief
Lettre II.
Ebene 3
Brief/Leserbrief
Lettre III.
Ebene 3
Brief/Leserbrief
Lettre IV.
Ebene 3
Brief/Leserbrief
Lettre V.