Le Nouveau Spectateur (Bastide): Lettre du Libraire
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Nível 1
Nível 2
Narração geral
Je suis depuis huit jours à la
campagne où je vais quelquefois, parce que je l’ai toujours
beaucoup aimée, & qu’elle me fournit l’occasion de faire
un exercice dont la ville nous prive, & que ma mauvaise
santé me rend trop nécessaire. J’y recois une lettre de mon
Libraire, qui me feroit de la peine, si je n’avois pas pris
mon mari sur les évenemens de la vie. Je l’insere ici avec
la fidélité que je dois au public, & j’y joins ma
réponse par une suite de cette même fidélité.
Nível 3
Carta/Carta ao editor
Monsieur, J’ai une
terrible nouvelle à vous apprendre ; je me charge,
malgré moi, de vous en informer, mais je me flatte
que vous jugerez de mes sentimens pour vous, par la
peine que je me fais à moi-même en cela. La cassette
que vous aviez confiée à M- de ** lui a
été volée cette nuit. Il n’a pas la force de vous
l’écrire, mais il croit deviner la ravisseur, &
il espere que vous aurez bientôt de meilleures
nouvelles. Mandez-moi ce que vous voulez qu’on fasse
à cet égard, si toutefois il y a encore quelque
chose à faire que vous croyez que ne se soit pas
présenté à M. de** dans l’affliction où il
est. . . . A l’égard de vos feuilles, Monsieur, je
vous dirai qu’il s’en débite toujours
raisonnablement depuis votre absence ; mais comme
vous l’avez sans doute prévu, je vois arriver
beaucoup plus de raisonneurs que d’abonnés. Les uns
disent que vous moralisez trop ; les autres, que
votre morale pourroit embrasser des objets moins
philosophiques ; d’autres enfin, que vous devriez
répandre plus de gaieté dans votre style, que vous
épargnez trop les femmes, que vous êtes économe de
portraits, qu’en général vos histoires roulent trop
sur le sentiment ; & enfin, que
vous n’êtes pas assez méchant. Voilà ce que
j’entends dire contre vos feuilles ; j’oubliois de
vous marquer que bien des gens ont trouvé votre
préface ridicule, & estiment que vous ne deviez
pas faire un aveu si complet de vos motifs
intéressés. Vous m’avez ordonné de vous parler à
cœur ouvert, & j’obéis, malgré moi ; me refusant
même la satisfaction de vous communiquer ce que
j’entends dire à une autre partie du public, moins
nombreuse à la vérité, mais certainement plus
équitable- J’ai l’honneur d’être, &c.
Carta/Carta ao editor
« Je me hâte de répondre à
votre lettre, Monsieur, parce qu’en effet il se présente
quelque chose à mon esprit, qui ne peut pas s’être
présenté à celui de M. de**, au sujet de ma cassette
perdue. C’est de ne pas poursuivre le coupable avec
cette chaleur qui conduit à l’échafaud. Je ne veux point qu’on le livre à la justice, si
on le découvre, ni même qu’on s’adresse à elle pour
tâcher de la découvrir. Il n’y avoit dans cette cassette
que de l’argent & mes mémoires. La perte est petite
de toutes façons ; l’argent va & vient, je sçais le
perdre, & c’est un service que m’ont rendu les
hommes lâches, qui en tant occasions, ont surpris ma
bonne foi ; à l’égard de mes mémoires, il faut s’en
consoler également. Il n’y aura pas grand mal que l’on
ignore que j’ai fait des sottises & que j’en ai
vu. . . . Je ne suis pas aussi peu sensible aux
critiques que vous entendez faire de mon ouvrage :
cependant je ne voudrois pas cesser de les mériter, s’il
étoit vrai que je les méritasse. Je penserois que ce qui
est honnête ne pique plus, que ce qui n’est que vrai
n’excite plus la curiosité, mais je n’en conclurois pas
que je doive vendre ma plume aux partisans de la satyre
& aux adorateurs de la volupté.
Mais il n’est pas vrai que j’aie les défauts qu’on me
reproche, ou du moins il très-faux que ce qu’on me
reproche soit un défaut. Je conviens que je moralise
souvent ; mais en prenant la titre de Spectateur, me
suis-je engagé à donner aux hommes des leçons de folie
& de libertinage ? Leur ai-je promis de me
deshonorer à leurs yeux, malgré leur prédilection pour
l’indécence, par un monstrueux contraste entre un rolle
estimable & des discours corrupteurs ! J’ai annoncé
mes desseins, j’ai fait mes conditions, & je
n’écrirai jamais que je n’aie mes engagemens tracés sur
ma table. On croit me reprocher un excès, on me reproche
une vertu ; ou du moins, il est bien triste de penser
qu’il y ait de l’excès à répéter quelquefois les dogmes
de la raison, dans un livre qui est fait pour en
persuader les avantages. . . . . de bonne
foi, Monsieur, n’est-il pas bien singulier qu’on me
fasse un crime de traiter des matieres élevées. Voilà un
aveu bien humble, & je vois que la fureur de
critiquer peut faire oublier jusqu’aux égards que l’on
se doit à soi-même. J’ai une réponse à faire à ces
Messieurs, qui est sans réplique.
J’ai cru, Monsieur, que des hommes auroient
autant de vanité que des paysans, & que dans un
siecle où tant de gens veulent être philosophes, &
où tant d’autres sont plus philosophes qu’ils ne
croient, on me feroit un crime de traiter des matieres
communes. C’est encore un défaut dont je ne me
corrigerai pas, persuadé qu’en prêtant de la vanité aux
hommes, j’agis d’après un principe certain, & que du
moins je ne sçaurois ne pas pas plaire au grand
nombre. . . A l’égard du style, je sçais en quoi il
péche ; on m’accusa autrefois d’avoir trop d’esprit1& de faire souhaiter que j’en
eusse moins. J’ai tâché de me corriger depuis ce temps,
& de tout temps ; car les avis qui portent sur la
vérité me sont chers ; mais on n’obtient jamais que de
foibles triomphes sur ses défauts ; on voit
le mieux, À peine devient-on capable du bien. Mon
malheur est de sentir trop vivement, je me pénetre des
choses que je pense, & avec une ame & des mœurs,
cela est naturel, dans le genre que j’ai adopté ; mes
idées me tourmentent jusqu’à ce qu’elles aient toute
l’étendue, toute la force qu’elles exigent de moi ; cela
fait que mes réflexions sont presque des sentimens
profonds, lorsque je les écris. C’est donc la raison
qu’on me reproche d’analiser <sic> trop,
d’approfondir trop ; mais j’aurai raison à mon tour
d’exiger un peu d’indulgence pour ce défaut
insurmontable, si je m’engage à le réparer en partie par
la clarté, & sur-tout si je tiens parole. . .
Passons aux autres articles. Je ménage trop les femmes,
dit-on, & moi, je m’accuse de ne les avoir assez
ménagées dans mes autres écrits. Un étourdi croit
briller par des épigrammes, contre un sexe
qui a plus de droit d’en faire, que de penchant à en
fournir. C’est par où l’on se distingue jusqu’à trente
ans. Mais quand l’âge d’apprécier est venu ; quand la
décence nous a fait sentir la sagesse de les loix, &
que nous nous trouvons placés entre la bonne compagnie
qui nous appelle, & les folles que nous avons
amusées, nous ne regardons plus ces épigrammes si
aisées, & ces petits libelles que nous adorâmes
& qu’on n’adore que comme des facéties : nous
jugeons mieux des femmes, que nous ne pûmes faire dans
le temps de nos accès ; nous ne nous exagérons plus
leurs défauts, parce que nous voyons les nôtres &
ceux de notre sexe ; nous n’attachons plus de la vanité
à les critique avec esprit, parce que nous sçavons qu’on
les découvre sans peine, & nous ne somme plus
méchans enfin, parce que nous ne voulons plus être
indiscrets. Je ne crois pas d’ailleurs
avoir ménagé les femmes plus qu’il le falloit ; je m’en
rapporte à elles. Elles ont assez d’esprit pour nous
demander une satyre délicate ; elles ne nous interdisent
que l’injure ; & j’attendrai qu’elles se soient
plaint de mes fadeurs, pour m’accuser de leur en avoir
dit. . . . . Quand aux portraits, dont on voudroit que
je fusse plus prodigue, ayez la bonté de dire à ceux qui
se plaignent de mon avarice à cet égard, que d’un côté
tout portrait idéal ressemblant à beaucoup d’autres,
j’ai dû les répandre avec beaucoup d’économie ; que de
l’autre côté les portraits vrais nous sont interdits
depuis qu’on s’est appercu que les Vaudevilles avoient
fourni des mémoires éternellement deshonorans, parce
qu’ils sont fideles ; & que, fussent-ils tolérés, je
me les interdirois moi-même pour ne pas sacrifier ma
tranquilité à un mot, & mon honneur à un éclair. . . .Passons au dernier article, qui est celui
de ma préface ; car pour les autres j’y ai répondu
d’avance dans ce que vous venez de lire. Je m’étois bien
douté que ma préface seroit critiquée, & vous devez
vous rappeller que je fis faire cette observation à mon
ami, lorsqu’il me pressa de céder à son envie. Mais au
surplus, quoique moi-même je me la reproche, je ne reste
pas sans reponse vis-à-vis des contempteurs de ma
sincérité. Je conviens que la vanité d’un lecteur peut
exiger qu’on n’écrive que pour mériter son estime ; tous
les hommes veulent y jouer un rolle, & c’en est un
que de contribuer à la réputation d’un homme qui devient
public. On n’aura plus cet honneur si l’auteur écrit
pour se procurer de l’aisance ; par l’aveu qu’il en
fait, il semble déclarer qu’il aime beaucoup mieux un
souscripteur qu’un panégiriste, & alors les louanges qu’on pourra lui donner
n’attireront plus une certaine considération, ne feront
plus un certain effet dans le monde, parce qu’il est à
supposer que l’auteur y sera médiocrement sensible :
d’ailleurs un pareil auteur n’excite aucune cabale : dès
que l’on sçait qu’il n’écrit pas précisément pour la
gloire, personne ne s’avisera d’être jaloux de ses
succès ; & ce sont les cabales qui donnent du relief
aux lecteurs ; c’est leur fureur, leur influence qui
donnent de la consistance, soit aux louanges, soit aux
critiques ; & par conséquent dès qu’il n’y aura
point de parti établi, il n’y aura point de gloire ni de
profit à en prendre un. Voilà donc une perte pour bien
des gens ; voilà une trahison, une singularité
ridicule ; j’en conviens, & je ne prétends pas la
moindre grâce à cet égard. Vous voyez que je sçais
rendre justice contre moi. Mais dans l’immensité de la
nature n’y a-t il qu’un seul mobile ?
le sentiment a-t-il péri totalement par les armes de la
vanité ? n’est-il plus flatteur de faire du bien ; &
puisqu’il est question de vanité, n’est-il plus possible
d’en attacher au plaisir de défendre un honnête homme
contre les outrages de l’infortune ? il me semble que le
nom de mes abonnés, mis à la tête de mes feuilles, est
une reconnoissance de ma part qui les honore assez,
& que pour moins d’un louis, c’est acquérir assez de
gloire ; puisque je prouve dès-lors que je regarde toute
souscription comme un bienfait. Mais n’entrons pas dans
plus de détails. Ma préface est un de ces coups de
théâtre qu’il n’appartient qu’au sentiment d’apprécier,
& que l’ésprit, toujours outré, définit toujours
mal. . . Ne nous arrêtons point à tous ces petits
désagrémens, ils disparoissent au bout de six mois,
& il reste le plaisir d’avoir raison. Continuons
comme nous avons commencé ; vous, à servir
le public bien fidélement, moi à chercher toujours à lui
plaire, à l’écouter lorsqu’il s’expliquera par le petit
nombre d’oracles qu’il a choisis pour nous instruire de
ses goûts, & espérons que le temps me jugera. Adieu,
Monsieur. »
Nível 3
Narração geral
Dimanche passé j’allai
à la Messe de la Paroisse dans le village où je
suis depuis quelques jours. Quand le prône
commença, je vis tout l’arriere-banc défiler &
l’Eglise rester presque déserte. Après le sermon,
la troupe revint. Je demandai à trois ou quatre de
ceux qui s’étoient comme sauvés, pourquoi cette
évasion ? Que voulez-vous, Monsieur, me
dirent-ils, notre Curé nous prêche comme à des
enfans, il n’y a pas un de nous qui ne sçache
d’avance ce qu’il va nous débiter. (Il est vrai
que tout ce que je lui avois entendu réciter étoit
très-commun.)
1M. Freron, dans l’extrait des têtes Folles.