Nível 1
Avis des libraires.
L’ouvrage que nous publions aujourd’hui sous le titre de Nouveau Spectateur, ne paroît annoncer rien de nouveau du côté de l’objet & de l’exécution : il est cependant digne par-là même d’exciter la curiosité du Public. L’Auteur se propose de remplir un projet qu’il regarde comme à peine conçu jusqu’à présent, quoique M. Adisson & Stéele se soient acquis beaucoup de réputation par les huit volumes qu’ils ont donnés sous le titre de Spectateur Anglois, & que M. de Marivaux ait répandu depuis, dans son Spectateur François, tout l’intérêt & tout l’agrément que l’on trouve dans ses autres Ouvrages. Malgré le talent de ces Messieurs, on ne peut pas dire qu’on ait encore un Spectateur. Si les célebres Anglois qu’on vient de nommer, ont répandu dans plusieurs de leurs feuilles la variété dont le génie est capable, dans beaucoup d’autres il regne une monotonie qui va jusqu’à étonner : d’ailleurs un Observateur des mœurs Angloises, est, à bien des égards, un moraliste très-étranger en France. Chaque Nation a ses principes, ses usages, son génie qui la caractérisent ; il faut l’offrir à elle-même en spectacle ; il faut qu’elle puisse s’appliquer les réflexions qu’elle lit ; sans cela elle ne lira que pour son amusement. Quant à M. de Marivaux, l’on sçait qu’il n’a donné, à proprement parler, qu’un seul volume sous ce titre : il reste donc des milliers de sujets à traiter. Mais de plus, ni l’Anglois, ni le François, n’ont guere traité de sujets élevés, & n’ont presque jamais considéré les hommes que dans leur caractere particulier ; ils ne les ont point fait agir, ou du moins rarement, & c’est dans leurs actions, dans leurs intrigues, dans leurs systêmes, qu’il est nécessaire de les représenter, si l’on veut imprimer essentiellement le respect de la morale, & l’amour de la raison. Si les devanciers de notre Auteur ont exposé quelques actions à nos yeux, c’est simplement dans une Lettre de deux ou trois pages, & l’on sent dès lors qu’elles n’ont pu produire beaucoup d’effet ni sur l’esprit, ni sur le cœur. Nous croyons que la solide impression d’une aventure ne peut naître que d’un détail circonstancié ; premiérement, parce qu’un Lecteur a plus de temps pour y réfléchir, en lisant ; secondement, parce qu’un détail offre plusieurs actions dans une, & que plusieurs actions peignent tout un homme : c’est-à-dire qu’un fait rapporté succinctement, nous apprend ce qu’un homme a été pendant un moment de sa vie, au lieu que ce même fait présenté dans toutes les circonstances qui en ont été la suite, la cause & l’objet, nous le montre qu’il fera toujours. En un mot nous croyons que l’Ouvrage d’un véritable Spectateur consiste autant en Anecdotes de vingt-cinq pages, qu’en Lettres de douze lignes, & autant encore en sujets du grand monde, qu’en traits particuliers de la vie privée : c’est ce que notre Auteur se propose de faire. Nous osons assurer que son plan, quoiqu’étendu & difficile à effectuer, lui fera encore plus d’honneur par la fidélité de l’exécution, qu’il ne doit lui en faire par la sagesse des vues, & l’on n’en douteroit pas s’il nous étoit permis de le nommer.
On a cru convenable de mettre le Public à portée de juger de cet Ouvrage, par la lecture de son commencement : en conséquence les Libraires en ont sacrifié volontiers un certain nombre d’Exemplaires ; mais ils prient ceux qui désireront s’en procurer la suite, de faire payer ce premier Cahier en envoyant prendre le second qui paroîtra le 10 Septembre, & ainsi de suite à l’avenir, tous les dix jours. On vendra chaque cahier 12 sols ; les personnes qui voudront les retenir pour le courant d’une année, en faisant payer 21 liv. 12 sols d’avance, chez l’un des Libraires, les recevront exactement chez elles, à Paris. A l’égard de celles qui désireront l’avoir en Province par la Poste, elles donneront 8 liv. de plus pour 36 cahiers, & on les leur enverra francs de port partout le Royaume. Ces 36 Cahiers formeront 6 volumes, qui paroîtront dans l’espace d’un an.