Le Nouveau Spectateur (Bastide): Autres Lettres
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Carta/Carta ao editor
Monsieur le Spectateur, je ne
sçais point tromper le monde, & je ne voudrois pas
le sçavoir. Je suis médecin, mais honnête homme. Il y a
un malade, que j’ai vu, que je me suis flatté de guérir,
quoiqu’il soit dans un pitoyable état ; je suis à la
veille de l’entreprendre, mais il vient de m’écrire une
lettre qui me fait craindre, avec trop de raison, qu’il
ne se rende mes remedes nuisibles, par l’insatiable soif
des plaisirs ; je vous envoie cette lettre singuliere,
afin que vous me disiez si je puis l’entreprendre en
conscience.
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Carta/Carta ao editor
« Notre ami m’a
assuré, monsieur, que vous vouliez me guérir,
& votre réputation me répond que vous le
pouvez. Nous voilà arrivés au premier jour du
carême, où je vous ai renvoyé, &
je me livre à vous. J’ai voulu laisser passer, en
homme prudent, le temps des bals & des
soupés : je n’aurois pu resister au torrent des
tentations, & il eût été trop fou d’allier le
champagne à la rhubarbe. . . . Travaillez sur un
corps qui ne fut pas sage, mais qui a bien besoin
du respect de la raison & de la médecine, pour
se résoudre à le devenir pendant un mois. Je vous
demande bien pardon de vous paroître si entiché de
mes hochets ; nous sommes toujours dans l’enfance,
quoi que nous puissions faire. Il seroit peut-être
heureux que cela ne fût pas ; mais il est naturel
que cela soit, & la nature doit trouver
quelque grace devant vous, qui la connoissez si
bien, & qui faites tous les jours tant pour
elle. . . Vous craindrez peut-être que ces idées
frivoles ne me rendent indocile au joug que vous
m’allez imposer, ou inexact, du moins, dans ma
docilité ? rassurez-vous, Monsieur ;
je veux guérir pour recommencer ; je ne peux pas
vous donner de meilleur garant de mon
exactitude. »
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Réponse. Je crois que le Médecin qui
me fait l’honneur de me consulter, ne doit point balancer à
entreprendre le malade qui lui écrit. Si Messieurs les Docteurs,
étoient obligés de réserver leurs remedes à ceux qui n’abuseront
point, de façon ou d’autre, de la vie que ces remedes doivent
leur rendre, il ne resteroit pas assez de monde sur la terre
pour célébrer leurs bienfaisantes occupations.
Carta/Carta ao editor
Monsieur, je vous envoie mon livre
sortant de la presse. Je me flatte qu’une marque d’estime
sera passer <sic> un air d’amour-propre. J’ai beaucoup
de l’une pour vous, & très-peu de l’autre, en général.
Il s’en faut bien que je me contemple dans mes
écrits. Je tâche de faire bien, mais je vois un mieux, la
difficulté d’y atteindre me décourage, & vous sçavez que
de l’impossibilité de faire mieux, à l’indifférence d’avoir
bien fait, il n’y a presque qu’un pas. Mais ce livre
prouvera du moins que j’aime à penser & à m’occuper. Les
hommes y trouveront des vérités dont ils ne profiteront pas,
& des défauts dont ils profiteront pour me dire des
vérités désagréables. Je m’y suis attendu en le publiant,
& cela ne m’a point rebuté, parce que je suis parvenu à
sçavoir qu’il ne faut attendre que de l’injustice, lorsqu’on
publie des réflexions. Quand à moi, j’ai écrit ce que je
pense ; parce que je respecte trop les hommes pour leur dire
sérieusement e que je ne pense pas. Il s’en trouvera qui me
diront : Votre opinion n’est point notre loi, il n’y a rien
dans votre livre dont nous voulions faire usage. Je leur
répondrai ce n’est pas pour vous que j’ai
écrit. Mais si quelqu’un me dit : Il n’y a rien dans votre
livre dont je puisse faire usage ; je lui répondrai, vous
êtes donc bien borné. J’ai l’honneur, &c.
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Carta/Carta ao editor
Monsieur le Spectateur,
j’étois en commerce depuis quelque temps avec une
très-belle femme ; commerce intime de ma part par
l’excès de mon amour. Le caractere & l’esprit
n’avoient pas fait cette union ; nous différions même, à
cet égard, si prodigieusement, qu’il faudroit s’étonner
que nous ayons vécu ensemble un seul jour, si avant de
s’étonner de quoi que ce puisse être, l’expérience &
la raison n’exigeoient pas qu’on observât si dans la
nature il n’y a pas des causes déterminantes &
justificatives de la singularité d’un fait. Ce fut cette
réflexion qui me fit ajouter soi aux réponses
obligeantes de la Dame, lorsque je lui parlai de mon
amour. Je crus ses discours sinceres, parce
que je croyois ses sentimens possibles, & je me
livrai à la douceur des plaisirs qui s’offroient à moi.
Je voulus cependant un jour l’interroger sur le motif
d’une préférence, dont j’étois plus flatté que
convaincu. Elle me fit un aveu, qui ne me laissoit pas
même la liberté de lui faire de nouvelles questions.
Je vis qu’il entroit de la réflexion dans son
discours, qu’il partoit d’une résolution ferme, & je
m’embarquai. Les petites objections que je voulus me
faire, furent bientôt détruites par l’impression que son
aveu m’avoit laissée. N’y a-t’il pas en Moscovie, me
dis-je, des femmes, qui ne croient être aimées qu’autant
qu’elles sont battues, l’amour a-t’il réservé tous ses
caprices pour une seule nation ! Enfin, je me dis tout
ce qui pouvoit m’aveugler, & je me hâtai de
confirmer les espérances qu’elle avoit conçues de notre
commerce. Elle m’en fournit bientôt le moyen. Trois ou
quatre jeunes gens, très-étourdis, qu’elle reçut chez
elle avec une prédilection très-affectée, furent le
texte de mes premieres représentations. Elle me répondit
par beaucoup de lieux communs, tels que l’usage, les bienséances de son état, son goût pour les
nouvelles ; je n’ai jamais vu une si grand abondance de
mauvaises raisons. J’insistai, elle se fâcha, & un
quart d’heure après, vint m’embrasser avec des
transports incroyables. Quelques jours après, elle
acheta pour trois cens écus de rubans, ayant perdu la
veille, au jeu, le fonds de sa bourse, par des
distractions & des étourderies volontaires. Je sçus
cette équipée par sa femme de chambre, & je lui
portois cinquant louis, résolu de les lui présenter avec
ces égards qui font le plaisir d’obliger ; je la trouvai
avec un Usurier à qui elle livroit ses diamans, pour la
somme, avec toute l’inconsidération de la dupe la plus
déterminée. Je la tirai à part avant qu’elle eût conclu,
& je lui présentai ma bourse ; en lui disant qu’à
moins qu’elle eût conclu, & je lui présentai ma
bourse ; en lui disant qu’à moins qu’elle eût une
horreur décidée pour les diamans, elle devoit m’accorder
la préférence sur l’homme qui alloit les lui ravir.
Je me tournai vers la porte en disant ces mots,
& elle me laissa partir sans m’appeler. Je restai
dans la rue pour attendre la sortie de l’Usurier. Il
sortit un quart d’heure après, je le suivis jusques chez
lui, & là, sans lui faire de longs discours, je lui dis que j’étois l’amant de Madame de
**, que je lui offrois mon récépissé, la somme qu’il
venoit de prêter, & quatre louis de récompense, s’il
consentoit à me livrer, à l’instant, l’écrain dont il
étoit porteur. Il résista pendant quelque temps, je le
menaçai, & il se rendit, en me promettant le secret
que je lui demandois. Mon dessein étoit de ne pas revoir
Madame de **, de lui renvoyer ses diamans quelques jours
après par un inconnu, avec une lettre qui paroîtroit
écrite par l’usurier, dans laquelle il lui apprendroit
qu’il étoit payé, & qu’il partoit pour l’Allemagne ;
il falloit que cet homme délogeât, & j’en étois
convenu avec lui. Mais ce projet ne fut pas exécuté,
& la pétulence de Madame de ** ne me laissa que le
temps de le former. Elle m’engagea si fortement à
revenir chez elle, que je la ravis ; mais ce ne fut qu’à
condition qu’elle m’estimeroit assez pour accepter ses
diamans de ma main, qu’elle perdroit à mon
égard, du moins, l’injurieuse opinion qu’elle avoit des
hommes. Je ne puis pas vous dire, Monsieur, avec combien
de caresses elle me reçut, & avec combien de graces
elle répara la blessure que ses outrageans refus avoient
faite à mon cœur. Elle n’étoit jamais si aimable que
lorsqu’elle avoit été injuste, & jamais si tendre,
que lorsqu’elle m’avoit, pour ainsi dire, forcé à l’être
moins. Je fis encore quelques épreuves de la bisarrerie
heureuse & malheureuse de son humeur, & je m’y
accoutumois. Je ne me plaignois pas de mon sort, &
je tourvois que la somme égale de plaisirs & de
douleurs, qui faisoient ma destinée auprès d’elle, étoit
préférable au bonheur éternellement monotone d’un amant
que sa maîtresse n’irrite jamais parce qu’elle n’a point
d’idées. Mais ma fortune changea ; cette mesure de
sensations équivalentes, s’évanouit comme un songe ;
Madame de ** sembla s’attacher à me punir
d’avoir oublié qu’une femme, très singuliere, doit
toujours être très-suspecte. Après avoir souffert tout
ce qu’on peut imaginer, ma raison ma <sic> montré
la nécessité d’une lettre décisive. Je l’ai écrite, la
lui ai remise moi-même, & en la lui remettant, j’ai
conservé, au moins, autant de respect qu’on peut en
marquer à la femme qu’on respecte le plus véritablement.
La voici, Monsieur, je vous prie de la lire, j’y
joindrai la réponse qu’elle n’a pas craint d’y faire.
Voici la réponse qu’elle a osé faire à une lettre, dont je suis persuadé que vous
êtes vous-même touché.
Voilà, monsieur, cette réponse fatale ; je vous
prie de me dire ce que vous en pensez.
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Diálogo
Je suis exédée de
n’entendre que des douceurs, me dit-elle ; être
toujours adorée, toujours prévenue, toujours
applaudie, est une chose insupportable, & j’y
trouve une impossibilité physique à jouir de mon
caractere ; je vous connois assez pour sçavoir que
vous me contrariez, que vous voudrez me donner des
conseils, me faire des raisonnemens : par une
connoissance à peu près égale de mon humeur &
de mon caractere, je présume que je recevrai
toutes ces marques d’amour avec beaucoup
d’ingratitude, & je regarde d’avance toutes
les petites tracasseries qui ne
manqueront pas de s’ensuivre, comme autant de
plaisirs alternatifs dont l’amour ferra sa
nourriture.
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Diálogo
Cela vous fâche donc !
me dit-elles <sic> avec humeur ; pourquoi
venez-vous de si bonne heure, je vous trouve
toujours en mon chemin, c’est une fatalité qui n’a
point d’exemple. Vous devez me le pardonner
aujourd’hui, répondis-je, consterné de ce que je
venois d’entendre, puisque je viens à propos pour
vous sauver un repentir. Un repentir !
reprit-elle, je n’en ai pas pour des miseres ;
j’en aurois un jour si j’avois reçu d’un amant. Je
sçais les avantages que l’on se fait de ces fortes
de services, & je veux être libre. Vous le
serez, lui dis-je, en m’inclinant profondément,
& jamais vous ne serez exposée à craindre de
moi, des bassesses.
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Carta/Carta ao editor
« Madame, il fut un
temps où vous faire des reproches, étoit un moyen
d’obtenir des faveurs. Vous manquiez à l’amour par
des injustices sensibles ; mais l’amant, toujours
sûr de sa vengeance, n’avoit qu’à se plaindre,
qu’à soupirer, pour vous voir, rendue à vous même,
voler vers lui avec plus d’ardeur que vous n’en
aviez pu éteindre. Ce temps n’est plus, Madame ; avec plus d’injustice que vous
n’en aviez, vous avez bien moins de sensibilité.
Il régnoit alors, dans votre conduite, une égalité
de biens & de maux pour moi, que ma tendresse
me rendoit précieuse. Aujourd’hui vous n’êtes plus
égale que dans votre indifférence ; un reproche
vous met en colere, un soupir vous met en fuite,
& quand vous avez commencé à fuir, vous iriez
au bout du monde, & il faut toujours que je
fasse pour vous rejoindre, le chemin que vous
faisiez toujours pour me ramener. Malgré cela,
Madame, je ne me plains point de vous ; je gémis
& me tais, mais je vous demande d’avoir pour
moi, autant de pitié que vous voudriez qu’en eût
pour vous l’amant que vous adoreriez, s’il vous
rendoit aussi malheureuse que vous me rendez à
plaindre. »
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Carta/Carta ao editor
« Voulez-vous que je
vous dise ? Nous ne nous convenons plus. Je m’en
doutois ; vous venez de m’en convaincre. En lisant
votre lettre, j’aurois parié qu’elle
m’attendriroit ; je brûlois d’être à la derniere
linge pour pouvoir vous griffonner à la hâte
quelques mots consolans ; j’ai même pris la plume,
mais après la premiere linge, je n’ai plus trouvé
une seule syllabe pour joindre mes idées ; Eh !
c’est que je ne pensois plus rien. J’ai senti un
froid extrême passer jusqu’au bout de mes doigts ;
le papier m’a paru d’une étendue immense, enfin
j’ai vu que pour continuer, il falloit forcer mon
esprit & mentir à mon cœur, & je vous ai
cru trop galant homme pour vouloir me contraindre
à vous tromper malgré moi. Je ne vois en vérité
nul remede à ce qui nous arrive, mais de plus, je n’y vois pas grand mal. Vous ne
serez pas de mon avis, & ce n’est pas le
moment de l’espérer ; mais attendez que je vous
aie dit le secret du cœur humain, & vous ne
vous croirez plus si inconsolable. Vous avez fait
un fonds prodigieux sur la passion qui vous a
abusé ? Vous avez eu tort, & ce tort seroit à
peine excusable dans un enfant. Eh ! où avez-vous
donc mis vos yeux depuis que vous vivez dans le
monde ! Je me perds à concevoir votre aveuglement.
Quoi ! tant de commerces rompus depuis des siecles
ne vous ont jamais frappé ; vous n’avez jamais pu
comprendre, que, puisque tous les hommes, toutes
les femmes, étoient tour à tour pris &
quittés, il falloit qu’il regnât une inconstance
universelle, aussi naturelle que le plaisir, aussi
inépuisable que le feu même de notre ami. Si vous
aviez vu cela, simplement vu, vous auriez pensé
que je ne pouvois pas vous aimer
toujours, vous auriez compris que vous ne pouviez
pas vous même m’aimer sans cesse. Mais je vois
d’où vient le mal ; ce n’est pas aveuglement,
c’est erreur. Vous vous êtes plu à considérer
quelques commerces respectés, pour ainsi dire, par
les temps, vous êtes parti de-là pour conclure ?
Ah ! mon cher ami, concluez aujourd’hui que vous
avez bien été la dupe de l’apparence. Sçavez-vous
ce qu’on fait dans ces commerces si admirables !
On bâille, on dort tout le jour, on parle en
dormant, la langue prononce le mot d’amour, mais
les oreilles ne sont pas si dupes que vous, elles
sçavent très-bien que ce sont l’a de vieux sons
qui ne les charmeront plus. . . . Je vous en dis
assez pour vous inspirer quelque envie de
m’oublier, & c’est assez pour l’acqui de ma
conscience. Si vous êtes raisonnable, vous
n’attendrez pas que le temps confirme
la vérité de mes maximes ; vous essayerez dès
demain à vous les rendre profitables par un
nouveau choix. Croyez-moi, monsieur, on rougit un
jour de n’avoir pu devoir qu’au temps une
philosophie, dont le monde nous prodiguoit les
exemples. Je vous renvoie les cinquante Louis que
vous m’avez prêtés, malgré moi, j’en conserverai
toujours autant de reconnoissance que j’aurois
aujourd’hui de plaisir à pouvoir employer le
double pour vous. »
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Réponse. Je pense que cette réponse
n’a pas dû offenser celui qui l’a reçue. J’y vois la trace de
quelques vertus, & l’honnête homme qui m’écrit l’y
appercevra <sic> comme moi, si jamais les préceptes du
monde corrompu peuvent faire quelque impression
sur mon esprit. Il verra alors que madame de ** est capable de
conserver de l’estime pour l’amant qu’elle quitte, qu’elle ne
connoît point la méprisable gloire de répandre la honte de
l’esclavage public, sur l’amant qu’elle n’aime plus ; quelle a
assez de probité pour lui conseiller, pour l’engager à l’oublier
promptement dans de nouvelles chaînes, au risque de faire penser
par-là qu’elle fût quittée ; il verra enfin qu’elle renvoya un
présent qu’elle avoit reçu, avec le ton & la reconnoissance
qu’exige un service, & il conclura de tout cela, que, si le
monde avoit gâté son esprit, ce qui est vrai, il lui avoit
laissé la plus essentielle partie de ses vertus, ce qui est
rare.