Le Nouveau Spectateur (Bastide): Le Nouveau Spectateur
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LE NOUVEAU SPECTATEUR
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Ecrivons pour les hommes. Les seuls
Ouvrages qui restent, après un certain temps, sont ceux que l’on
a faits dans de solides desseins. Je crois qu'on peut être
encore utile par les réflexions, malgré le ton que l’esprit a
pris. Cet esprit n'est qu'un langage ; il affecte beaucoup
d'incrédulité, beaucoup de mépris pour la raison. Il fait penser
à ceux que les lueurs éblouissent, ou que les difficultés
arrêtent, qu'on ne peut plus persuader la vérité. Mais fondons
les intérieurs; donnons-nous la peine de pénétrer dans les ames,
nous y trouverons encore la vérité bienfaisante, &, qui plus
est, nous la trouverons accompagnée du respect
qu’elle inspire. . . Cela a été dit : il n'importe. Il faut le
redire & l'écrire sans cesse. A force de répéter aux hommes
qu'on les connoît, qu'on sçait leur secret, qu’on veut bien être
traité par eux comme des déclamateurs, dans la certitude où l'on
est que leur mépris n'est qu'un jeu, & qu'ils écouteront
enfin, on les forcera à convenir de la nécessité d'une morale
universelle, & dès-lors on verra le bien particulier
découler de cette source générale . . . . Réfléchissons donc;
oui, réfléchissons. Faisons-nous un bonheur inaltérable. La main
des envieux n’a pas droit à tout ce qui nous flatte pour nous
l'enlever. Nos pensées sont à nous, & nous vengent d’eux.
Mais par où commencer ? L’univers est immense ; il étonne mes
regards. Quand je volois sur les surfaces ; quand la main légere
des plaisirs entraînoit mes pas errans, chaque tourbillon étoit
l’univers pour moi ; je voyois sans examiner,
& je jouissois sans connoître ; mes idées voltigeoient avec
mes desirs. Aujourd'hui que la Philosophie m'éclaire &
répand pour moi sa lumiere sur la terre, je n'ouvre plus les
yeux sans réfléchir ; je ne regarde plus sans distinguer, &
mes regards font éclorre un monde nouveau. Monde infini, par
rapport à notre vue bornée, montre-moi tour à tour tes objets ;
ne crains point d'outrages de ma part ; tu peux souffrir
l’examen, & je ne veux dire que la vérité. . . J’en étois là
de ma préface, lorsqu’un de mes amis est entré. C’est un homme
qui paroît ne faire attention à rien, parce qu'il est presque
toujours rêveur, mais qui cependant sçait prendre la peine de
réfléchir pour ses amis, & est capable alors de donner les
meilleurs conseils. Il sçavoit que je me préparois à faire
paroître l’Ouvrage que je commence aujourd’hui à publier.
L’amitié, plus que la curiosité, l’a porté à
vouloir lire ce que j’avois déjà écrit, & je n’ai point fait
le mystérieux, ni le modeste mal à propos. . . . A ces mots il se mit à
écrire. Il rioit en écrivant ; il s'interrompoit quelquefois,
& me disoit :
Il falloit qu’il fût bien convaincu de ce qu’il me
disoit ; car sa plume alloit d’une rapidité inconcevable. Enfin,
après qu’il eut fini, il me lut son griffonnage, & j’avoue,
au hazard d’être moqué, que je n’y pus trouver rien à effacer.
Il exigea que je le copiasse, & je cede à son imposante
sécurité.
Dialog
J’estime ce début, m’a-t’il dit
après avoir lu ; on voit un honnête homme que le plaisir de
la satyre ne tente point, & qui, en disant la vérité, se
propose de n’offenser personne. Je parierois bien qu’on sera
touché d’estime pour vous, en lisant vos sentimens dans ce
début. Malgré cela, si vous me consultiez, vous feriez une
autre préface. Pourquoi me le conseilleriez-vous ? lui
demandai-je, dès que vous êtes content de celle-ci. . . .
Oui, j’en suis content sans doute, répondit-il : mais je le
serois beaucoup plus d’une autre, voulez-vous que je vous
dise ? Une préface devroit être la confession d’un auteur ;
& c’est ce qu’elle n’est pas. On y fait les plus belles
promesses ; on y étale les plus beaux sentimens. C’est
toujours pour l’intérêt du public que l’on va
travailler : mais ce public n’est pas dupe ; il sçait bien à
quoi s’en tenir ; il n’a pas payé jusqu’à présent tous les
livres qui ont paru, pour penser. . . . Je vous entends, mon
ami, lui dis-je ; vous voudriez. . . . Ah ! si, je ne
sçaurois jamais m’abaisser à ce point-là. Vous abaisser ?
reprit-il : vous moquez-vous de moi ? L’aveu d’une chose que
tout le monde sçait, ne doit jamais humilier, & peut
beaucoup réussir. Et d’ailleurs, pourquoi cet aveu vous
humilieroit-il ? Est-ce que votre motif a quelque chose de
bas ? Tous les hommes travaillent pour de l’argent ; le
militaire, le magistrat, l’orateur, le ministre même des
autels. . . . En vérité, continuat’il, voilà une idée bien
peu philosophique. . . . J’en conviens, lui dis-je : mais le
préjugé n’est point ici condamné par la Philosophie. Je ne
pourrois jamais faire cet aveu. D’ailleurs vous sçavez que
mon goût m’a de tous temps porté à m’occuper. En
avançant en âge, je sens que je prends des rapports plus
particuliers avec les hommes, & c’est réellement dans
l’intention de leur être utile que j’entreprends
aujourd’hui. . . . A la bonne heure que vous vous livriez à
ces louables sentimens, reprit-il, je vous estime assez pour
croire que vous ne les affectez pas : mais vous n’êtes
certainement pas dans l’intention de renoncer à tout
salaire ; vous n’êtes point riche ; vous avez des enfans ;
il y a dix ans que vous êtes dévoué aux lettres, & cette
passion estimable & malheureuse vous a privé d’une
fortune pour laquelle vous étiez né. Il faut que le public
sçache tout cela, que vous le lui disiez ; et croyez-moi, il
vous sçaura gré de cette ingénuité louable ; il pensera que
vous ne vous y livrez que dans la confiance la plus
flatteuse pour lui. . . , Eh bien, lui dis-je, je conviens
que vous avez raison : mais je ne pourrois
jamais écrire tout ce que vous me dites là, ni même tout ce
que je pense. Je sens. . . . N’est-ce que cela, reprit-il,
donnez-moi une plume & du papier, je vais vous en
épargner la peine. . . .
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Dialog
Je vous assure que cela
reussira ; je connois le monde ; croyez que le cœur y
donnera toujours le ton, quant d’honnête homme sçaura
s’adresser à lui pour intéresser.