Zitiervorschlag: Justus Van Effen (Hrsg.): "No. 16", in: Le Nouveau Spectateur français, Vol.1\016 (1723-1725), S. 241-256, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.1770 [aufgerufen am: ].


Ebene 1►

No. 16

Ebene 2► Ebene 3► Suite de l’Histoire d’une Dame agée.

Zitat/Motto► Fis anus & tamen.
Vis formosa videri.

Hor.

Vous vieillissés & cependant vous ne laissés pas de faire la belle. ◀Zitat/Motto

Selbstportrait► Je ne dirai rien des habits, ni de l’embarras que j’avois à sçavoir, quelque fois, si je me parerois beaucoup ou guères : combien de fois suis-je sortie de chez moi dans un ajuste-[242]ment que je me repentois d’avoir pris : Et quand je voyois venir des hommes de loin dans une promenade, avec quelle inquietude n’attendois-je pas qu’ils me regardassent préférablement à celles avec qui j’étois : En tenant alors ma meilleure amie sous le bras, mon amitié pour elle alloit & venoit, suivant qu’on étoit plus ou moins curieux d’elle ou de moi, & ne vous imaginez pas, lorsqu’il passoit une belle femme que je la regardasse ; non, j’avois trop de peur de la trouver belle, & qu’elle ne le remarquat. ◀Selbstportrait

Ebene 4► Allgemeine Erzählung► C’étoit ainsi que je vivois, quand un homme veuf, qui s’étoit rendu mon amant & qui avoit une fille de dix-sept à dix-huit ans, rompit le commerce que nous avions ensemble, cette jeune personne & moi, & lui deffendit à mon insçû de me voir.

Il l’envoya d’abord à la campagne, chés une de ses parentes afin de m’accoûtumer d’une façon plus honnête à la perdre de vûë : mais elle revint & depuis son retour, je ne la vis pas deux fois en un mois, j’en étois étonnée, & j’atribuois cela à un de ces caprices qui prennent souvent aux femmes : Son pere même en levoit les épaules avec moi, & traitoit son humeur de volage, mais la fille m’aimoit, & comme elle obéïssoit à contre-cœur, elle confia à quelqu’un les véritables raisons de son procédé avec moi : Ce quelqu’un ne put se coucher, sans venir en secret me confier cette confidence, & voila comme nous sommes faites, cela est dans [243] l’ordre ; quand nous trouvons occasion de mortifier nôtre prochain & que la malignité naturelle qui nous y porte, peut se mettre à l’abri d’un air de bien-veillance : oh elle est bien charmée !

J’apris donc pourquoi cette fille ne me voyoit plus, & je l’apris au moment que je venois de quitter son pere, qui ne m’avoit jamais paru plus tendre que ce jour-là.

Je rougis au raport qu on me fit, & je ne me ressouviens point d’avoir jamais reçu de leçon d’honneur plus vive ; car je me doutai tout d’un coup des motifs qu’avoit eus le père, quand il avoit fait cette defense. Je compris l’affront qui m’en revenoit, & je fus honteuse de le meriter : j’étois si outrée que j’allai m’enfermer sur le champ pour lui écrire : je ne le ménageai point dans ma lettre, & je la finis en lui deffendant à mon tour d’une façon terrible, de revenir jamais chez moi.

Ebene 5► Metatextualität► On me dit que la lecture de ma Lettre l’avoit fait rire ; il y répondit aussi-tôt, & voici à peu près quelle étoit sa réponse. ◀Metatextualität

Brief/Leserbrief► Il est vrai que j’ai deffendu à ma fille de vous voir : Eh bien, en verité, cela vaut-il la peine que nous nous broüilions ensemble, ma charmante ? en conscience, mon intention a été pardonnable, j’avouë que je ne vous l’ai pas dite, parce que j’ai regardé cela comme un petit arrangement domestique, dont il n’étoit pas besoin de vous étourdir, ma Reine : Ecoutez-moi, sans vous fâcher : Je veux marier ma fille ; cela est [244] juste : Or ma fille en vous voïant si aimable ; voudroit la devenir autant que vous l’êtes ; & moi j’ai cru bonnement qu’il ne lui apartenoit pas encore de se donner tant de graces, & qu’elles pourroient nuire au projèt que j’ai formé de lui trouver un époux : dès qu’elle sera mariée je vous la rends ; êtes-vous contente, bon-soir, plus de promptitude, ma Déesse. J’aurois grande envie d’aller me jetter à vos genoux, pour vous demander pardon d’une faute, malheureusement nécessaire, ce sera quand il vous plaira : J’attendrai patiemment, sans murmurer, comme on attend les faveurs des Dieux ; Entre nous, pourtant, je me veux mal d’être le pere d’une petite friponne, qui est cause que vous m’avez tant querellé : Je vous dirai que cette étourdie ne veut plus être qu’en corset, pour ne vous avoir jamais vûe autrement. Voyez, je vous prie : c’est bien à elle à faire, ma foi. N’êtes-vous pas de mon sentiment. Je suis, &c. ◀Brief/Leserbrief

Metatextualität► Je déchirai cette Lettre en mille morceaux : mais comme on voit, je l’ai gardée long-tems dans ma memoire, & sans que je m’en aperçûsse trop, ce fut là le premier accident qui tempera ma coqueterie. ◀Metatextualität ◀Ebene 5

Metatextualität► En voici un second qui eut aussi le même effet : ◀Metatextualität Allgemeine Erzählung► je fus un jour témoin de la brusquerie d’un Cavalier avec une de mes amies. J’avois remarqué depuis quelque tems qu’ils se voyoient tous deux d’assez bon œil : je n’ai jamais sçû le sujet de la querelle où je les surpris ; mais ce Cavalier perdit avec elle le res-[245]pect d’une façon si hardie, quoi-que pourtant peu grossiére, il me parut abuser si insolemment des raisons qu’elle pouvoit avoir de le menager : & son ressentiment à elle me parut si timide ; je lui vis une colère si humble, si gênée, que la pauvre Dame me fit vrayment pitié.

Et en effet une femme ne peut gueres essuïer de moment plus dur que celui-là, & moi qui vis cela, si j’avois une fille qui eut de l’esprit, je croirois l’élever mieux en lui faisant voir une pareille chose, qu’en lui montrant mille exemples de vertu ; la vertu est belle à la verité, mais le vice par de certains côtés a encore plus de laideur qu’elle n’a de charmes ; oui, il feroit plus d’horreur qu’elle ne feroit de plaisir, quoiqu’elle en fasse infiniment, je dis le vice, car la simple galanterie en est un, c’est un désordre dans l’esprit dont le cœur à bien-tôt sa part, & si ce désordre à des douceurs, il n’y a point de femmes qu’elles tentassent, si elles en connoissoient bien l’amertume.

L’avanture de mon amie me rendit les hommes moins considérables ; je devins moins avide de leur plaire, ma jeunesse continuoit à se passer, ce qui m’en restoit, je le perdois auprès d’une jeune femme : je le sentois bien ; car quoi qu’on dise de nôtre amour propre, il nous éclaire à merveille sur nos desavantages, quand ils sont de cette espece, & s’il nous dupe alors, c’est en nous persuadant que nous pouvons derober ces desavantages--[246]là aux yeux des autres, comme je croyois y parvenir en folâtrant plus que de coûtume pour contrerfaire la jeune, car une de nos folie, encore, est de penser à certain âge que des airs étourdis nous rajeunissent : helas ! nous n’aquerons par-là qu’un défaut de plus qui est d’être de mauvais singes ; on a beau s’évertuer, quelque feu qu’on aïe à l’âge où j’étois, en eut-on à soi seule plus que toute là jeunesse d’une Ville, jamais ce feu-là ne ressemble au feu qu’on a à vingt ans, il peut bien être plus foû, mais ne sera jamais si jeune, il y a toûjours quelque chose qui le caractérise, & qui le differentie ; les femmes ne le croïent point, & ne le croiront jamais, qu’après avoir comme moi donné la comédie.

Dans ce tems-là, la femme de chambre d’une Dame avec qui j’étois très-étroitement liée, la vola en prenant congé d’elle, & lui emporta dans une petite cassette une somme d’argent assés considérable, qui provenoit de ses épargnes, & du gain du jeu.

Cette Dame n’osa faire éclater ce vol, pour des raisons que je ne sçavois pas encore toutes entieres, mais que j’apris dans la suite ; elle vint me prier de parler à cette malheureuse, & de l’intimider le plus que je pourrois. J’allai donc trouver cette femme de chambre qui ne se cachoit pas, & à qui je representai le peril & la honte d’une pareille action.

Ebene 5► Dialog► Madame est une ingrate, me répondit-elle en secouant la tête, & d’un ton ferme : elle avoit promis de récompenser mes servi-[247]ces mieux qu’elle n’a fait, & ce que je lui ai pris m’étoit dû ; ainsi il n’y a rien à dire : au reste je ne la crains point, j’ay dans mes mains une douzaine de lettres, que M. … lui a écrites, & qui l’empêcheront d’être méchante. A l’égard de la honte de l’action dont vous me parlez, quand il seroit vrai que je lui aurois pris plus qu’elle ne me doit, ce qui n’est pas, & ce dont je ne suis pas capable : Pardy je ne suis pas obligée de rougir plus qu’elle. Au bout du compte chacun a ses deffauts : celui de Madame est d’aimer l’amour, & le mien est d’aimer l’argent, sur tout quand il m’apartient: Voila tout ce que j’ai à vous répondre, à vous, Madame, que j’honore beaucoup : ◀Dialog ◀Ebene 5 cela dit, elle fit une grande révérence & se retira fierement. Pour moi j’allai rejoindre mon amie à qui j’adoucis un peu la réponse de cette créature, mais à qui je conseillai avec amitié, de laisser là son argent : Elle me quitta confuse, non sans verser quelques larmes, que l’intérêt ne fit pas couler ; elles eurent un motif plus raisonnable, je le compris à la manière dont elle se comporta depuis. ◀Allgemeine Erzählung ◀Allgemeine Erzählung ◀Ebene 4 ◀Ebene 3

Ebene 3► Allgemeine Erzählung► Je fis de grandes réfléxions sur la perfidie de cette femme de chambre envers sa maîtresse, & en effet quand on y pense bien, on ne sçauroit comprendre comment il est possible qu’une femme en certain cas puisse se résoudre à se fier à un domestique : Par quelle étrange disposition d’esprit perd-elle de vûë tous les malheurs qu’elle risque ? ou si [248] elle les envisage, quel est le tour d’imagination qui lui en ôte l’effroi ? tant de danger, & tant de confiance ensemble sont-ils concevables ? Comment cela s’arrange-t-il dans sa tête ? Si une femme alors pouvoit pour un moment se separer de sa passion & la mettre à l’écart, & qu’après elle examinât de sang froid ce qui lui fait croire que sa confiance étoit raisonnable, il n’est point d’égarement d’esprit qu’elle jugeat digne d’entrer en comparaison avec le sien : point de securité qui lui parut si stupide, si imbecille que la sienne, mais avec de la passion ce n’est plus cela : nous ne voyons plus les objets comme ils sont, ils deviennent ce que nous souhaittons qu’ils soient, ils se moulent sur nos desirs : Une femme a besoin du ministere d’un domestique : d’abord elle hesite à s’en servir. Mettra-t-elle entre ses mains l’honneur de son mari, le sien, quelquefois sa vie même : dépendra-t-elle d’une ame venale, d’un sujet d’autant plus indigne, qu’elle le trouvera disposé à lui prêter son secours ? Il y a un peril presque inévitable à s’y fier, mais elle voudroit bien qu’il n’y eût point de peril ; & la voila perdue, c’est est fait, le peril disparoît : l’envie qu’elle a de trouver des sûretez, lui en fournit à perte de vûë, elle croit les examiner, & ne sçait pas que c’est le plaisir qu’elles lui font qui en est le juge.

Ebene 4► N’avez-vous jamais vû des enfans qu’amuse avec des contes de Fées : ils croient [249] tout ce qu’on leur dit, une femme dans l’état où je la mets leur ressemble : c’est positivement un enfant comme eux, ce sont de vrais contes de Fées, que les idées dont sa passion l’amuse.

J’ai crû devoir m’arrêter un peu là-dessus : il y a bien des personnes de mon sexe, qu’il est encore temps d’avertir, & que l’amour n’a pas jettées encore dans l’enfance dont je parle. Que cet état leur inspire donc une frayeur salutaire : rien n’est plus rapide que le mouvement qui nous y entraîne, & quand nous y sommes, rien de plus miserable, de plus abandonné que notre esprit alors, rien de plus inaccessible à tout secours, que sa misere ; & pour comble de malheur, que devient-on quand on cesse d’aimer, car on n’aime pas toujours ? helas ! le repentir nous prend, où l’amour nous laisse. ◀Ebene 4

Selbstportrait► Revenons à moi, l’âge enfin me gagnoit, il n’étoit plus question de jeunesse, ni d’aucun artifice pour paroître jeune : mon visage là-dessus n’étoit plus disciplinable, & il falloit me résoudre à l’abandonner. Malgré cela un peu de consolation me restoit encore : car une femme se retourne comme elle peut dans ces occasions-là : Elle seroit inconsolable, si rien ne la soulageoit dans son affliction, mais la nature charitable pourvoit à tout. A la place d’un avantage qu’elle nous ôte, sa faveur nous dispense de petites chimeres, au moyen desquelles nous coulons le temps & prenons patience.

[250] Par exemple je n’étois plus jeune, mais j’avois de l’embonpoint, beaucoup de santé, & dans mon espece, je me trouvois très-aimable, non pas aimable comme une jeune femme : mais n’y a-t’il pas des charmes de different caractere : une femme faite & d’un certain âge n’a-t’elle pas les siens ?

Voilà comme je raisonnois pour le repos de mon ame, & effectivement je durai quelque tems avec le secours de cette idée-là : mais dés-lors mes apas étoient déja si confirmés : j’étois tellement une femme faite, que je la fus bien-tôt trop, & que toute ressource épuisée, il fallut au bout du compte en venir à la raison, & voir au vrai ce que j’étois.

Je le vis donc, & avec moins de chagrin qu’on ne pense ; car à travers toutes mes chimeres, de tems en tems la vérité avoit percé comme une éclair, de sorte que, quand elle parut tout-à-fait, je la vis comme une chose dont j’avois deja eû des nouvelles.

Me voila donc vieille, & reconnuë par moi pour telle, & avec ces débris de beauté qui font connoître aux autres qu’on a été belle. ◀Selbstportrait Eh bien, puis qu’il faut le dire, ces débris-là me flattoient encore, je m’interessois à ce qu’on en pensoit, cela est bien fou, j’en conviens ; mais aussi c’est l’histoire d’une femme que je rapporte : coquettes, quand nous sommes aimables, coquettes quand nous ne le sommes plus : dans le premier cas nous travaillons à être aimées dans le se-[251]cond nous travaillons à montrer que nous avons mérité de l’être, de façon que souvent je faisois encore l’agréable & quelques fois j’osois esperer que je plairois ; ce qui jettoit un ridicule dans mes actions, qui m’attira une vigoureuse correction.

Allgemeine Erzählung► Allant un jour rendre visite à une Dame, qui la veille avoit été avec moi d’une partie de campagne avec d’autres personnes ; on me dit, qu’elle n’étoit point chez elle, mais qu’elle alloit revenir.

J’entrai dans son cabinet pour l’attendre ; & j’y cherchois sur des Tablettes un Livre pour m’amuser : quand je vis tomber un Billet à mes pieds Metatextualität► (nous sommes curieuses nous autres) ◀Metatextualität je ramassai le Billet, & l’ouvris, me doutant qu’on y traittoit d’amour, & je ne me trompois pas : mais ce que je n’aurois pas deviné, c’est qu’il y étoit traire à mes dépens. L’honnête homme, qui écrivoit, se plaignoit à la Dame de la gêne où j’avois mis son cœur, en les accompagnant à une promenade particulière, qu’ils firent à cette campagne. Et remarquez que cet homme, qui m’en vouloit tant, m’avoit, alors au sortir du dîner, fait des complimens, dont je m’étois, je l’avouë, felicitée comme d’une bonne fortune ; & il est vrai qu’en consequence de ces mêmes complimens, qui m’avoient toute rejoüie, je m’étois plû à être avec lui, & l’avois perdu de vûë le moins qu’il m’avoit été possible. Voici à présent quel étoit son stile dans le Billet.

[252] Ebene 5► Brief/Leserbrief► Au nom de nôtre amour, ma chere Maîtresse, rompez avec cette vieille Madame de … C’est une charité que vous me ferez, car je la hais, autant que je vous aime. Savez-vous bien pourquoi elle nous suivit hier dans cette allée, où nous nous promenâmes : vous ne le dévineriez pas ; c’est qu’elle tomba tout subitement amoureuse de moi ; & cet amour-là, c’est un mauvais tour, que m’a joüé une honnêteté que je lui fis. Peste soit de la politesse ! Imaginez-vous qu’au sortir du repas, j’eus le malheur de la gratieuser sans réflexion, parce que vous veniez de me serrer la main, & que j’en avois une joïe qui attendrissoit toutes mes expressions, & qui m’auroit fait gratieuser ma bisaïeule, si elle avoit été là. La bonne Dame a pris ma distraction pour un hommage, & s’est mise à m’aimer sans autre forme de procès. Ainsi me voila chargé de son cœur, pour n’avoir sçû ce que je lui disois. Que ferai-je de cette antiquaille-là  ? Défaites m’en, je vous prie ; car cette femme-là voudra que je l’aime de gré ou de force ; elle le voudra, vous dis-je. Vous ne sçavez pas ce que c’est que la coqueterie de ces femmes-là. Il n’y a rien de si opiniâtre, & j’ai bien peur, si vous n’y mettez ordre, qu’elle ne vienne rélancer son infidéle jusques chez vous. Oh parbleu ! épargnez-moi l’embarras de faire le cruel. Faudra-t-il que je lui demande quartier ? Tout de bon, mon amour, broüillez-vous avec elle, pour m’en délivrer ; & [253] si cela ne suffit pas, dites-lui que je médis d’elle, & que je sçai son âge ? Bon jour, mes belles mains : je vous adore, & j’irai vous le jurer dans un quart d’heure. ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 5

Je repliai le Billet bien proprement, après l’avoir lû, & m’en allai sur le champ digerer mon avanture. Là, après bien des réfléxions, bien des projets de vengeance : bien des soupirs, & beaucoup de honte ; je conclus … Hélas ! Je ne conclus rien ; je me couchai seulement triste, vaine & humiliée ; mais un mois après, je conclus quelque chose. ◀Allgemeine Erzählung

Un de nos amis nous avoit invité à venir dîner chez lui : mon mari & moi, nous y allâmes au jour marqué. Le Portier nous laisse entrer sans nous rien dire : je monte, je rencontre une Femme de Chambre, qui pleure, & passe sans me voir : inquiete de ce que cela signifie, je parviens jusqu’à la chambre de la Dame, avec qui j’étois fort liée, & de qui j’étois la confidente, comme elle étoit la mienne ; je la vois par derriere dans un fauteüil, d’aussi loin que je l’apperçois, je cours à elle pour la surprendre & l’embrasser : je me jette à son col : dans l’instant j’entens des cris & des sanglots dans un cabinet prochain, & je vois que c’est une femme morte, que je tiens embrassée.

Tout mon sang se glaça dans mes veines, & je tombai sur elle évanoüie, le cri que je fis en tombant fit sortir les personnes qui étoient dans le cabinet, c’étoit son mari, & son fils jeun-homme âgé de dix ans. Des Prêtres arriverent : mon mari entra : on me fit revenir, mon évanoüissement fut court : j’ouvris les yeux dans le moment qu’on emportait le corps de mon amie, j’en frémis encore : sa tête panchoit, je vis [254] son visage. Juste Ciel ! quelle difference de ce qu’il étoit alors, à ce que je l’avois vû trois jours avant ! L’apoplexie, dont elle étoit morte, en avoit confondu, bouleversé les traits. Ah quelle bouche, & quels yeux ! Quel mélange de couleurs horribles !

J’ai vu dans ma vie bien des figures, que l’imagination du Peintre avoit tâché de rendre affreuses ; mais les traits, qui me frapperent, ne peuvent tomber dans l’imagination : la mort seule peut faire un visage comme celui-là : il n’y a point d’homme intrepide que cela ne rappellat sur le champ à une triste considération de lui-même. Toutes ces laideurs funestes, on les trouve en soi, elles nous appartiennent. On croit être ce que l’on voit, & l’on frémit intérieurement de se reconnoître.

Mais passons : il fallut presque me porter jusqu’à mon Carosse, & je me mis au lit, dès que je fus arrivée chez. moi.

Mille tristes pensées vinrent m’assaillir alors, & pour la premiére fois je songeai que j’étois destinée à mourir. Hélas ! mon amie n’avoit pas eû le tems de faire cette réfléxion-la. Je sçavois que, lors qu’elle mourut, il y avoit bien loin des Idées qui l’occupoient à l’idée de la mort, & je me demandois ce qu’elle étoit devenuë, par inquietude pour ce que je pouvois devenir moi-même. Où étoit-elle alors ? ne restoit il rien d’elle que ce corps sans mouvement ; que j’avois vû emporter ? Cette ame subitement enlevée à tant de chimeres : quel étoit son sort ? Et moi, je mourrai donc aussi, me disois-je ; & j’ai vécu jusqu’ici sans le scavoir. Mais qu’est-ce que mourir ? Et quelle avanture est-ce que la mort ? Qu’elle est terrible, si j’en crois ma Religion ! A Dieu ne plaise qu’on me soupçonne [255] d’avoir un seul instant de ma vie douté de ce qu’elle nous dit : je rapporte simplement la manière dont se tournoient alors mes pensées. Eh ! y a-t-il quelqu’un parmi nous qui puisse douter de la verité de sa Religion ? L’esprit pourroit-il s’égarer jusques là ? Est-il de perversité de cœur qui puisse entraîner tant de bêtise ? Non, je ne l’imagine pas. Et s’il y a même des impies, qu’ils fassent les incrédules là-dessus, tant qu’ils voudront ; mais qu’ils ne se flattent pas de l’être ; car ils se trompent, & confondent les choses. Qu’ils s’examinent bien sérieusement. Je ne suis qu’une femme ; & je leur assure qu’ils ne trouveront en eux qu’un profond oubli de Dieu, qu’un violent dégoût pour tout ce qui peut les gêner dans leur libertinage, & qu’une malheureuse habitude de vivre à cet égard là sans réflexion. C’est tout cela qu’ils prennent pour incrédulité ; il ne peut pas y en avoir d’autre. Quand on n’aime pas les devoirs, en sentant qu’ils sont incommodes, on croit voir qu’ils sont inutiles. Voila la méprise funeste qu’un cœur corrompu fait taire à l’esprit : voila ce qui fournit aux libertins toute leur Philosophie. Mais, grace au Ciel, toute folle & toute dissipée que j’avois été pendant ma vie, Dieu ne m’avoit pas abandonnée jusques-là. J’avois eû plus de negligence que de haine pour mes devoirs ; & quand je pensois que la mort étoit terrible, si j’en croïois ma Religion ; c’est que je me reprochois de l’avoir crûë, cette Religion, comme font une infinité d’honnêtes gens dans le monde, qui n’ont jamais songé à la révoquer en doute, qui frémiroient de le voir faire, mais qui contens de s’appeler Chrétiens, vivent avec ce nom-là, qu’ils professent tout aussi tranquilles, que s’ils professoient la chose. Je passai plusieurs jours dans ces réflexions, pendant lesquels le monde prit à mes yeux une autre face.

[256] Ebene 4► Mon mari tomba malade, & mourut quelque tems après, plein d’une amitié pour moi que je devois à son bon cœur plus qu’a mes soins. Je lui demandai mille fois pardon de ne lui avoir pas donné d’assez vifs témoignages de la mienne : je versai un torrent de larmes, il me serra la main, & mourut.

Je fus quelques jours ensevelie dans la douleur la plus profonde, & il ne m’avoit point laissé d’enfans. Sa niéce qui étoit orpheline me tint lieu de fille, je me chargeai de son éducation & de sa fortune, & je rompis sans retour avec tout ce qu’on appelle plaisirs du monde, & avec toutes les personnes qui les aimoient ; je ne fréquentai plus qu’un certain nombre de femmes retirées, qui m’associèrent à leurs fonctions devotes ; mais je me rebutai bientôt de leur commerce : je ne leur entendois parler que de leur Directeur, leur vie se passoit en scrupules, qui demandoit qu’on le revit, quand on venoit de le quitter : & puis qu’on y retourna après l’avoir revû, & puis qu’on l’envoïa prier de revenir quand on ne pouvoit l’aller chercher ; cela ne me plaisoit point, je trouvois beaucoup d’imperfection dans le besoin éternel qu’on avoit de la créature pour aimer le Créateur. Je croïois voir là dedans que la chair étoit plus devote que l’esprit ; & il me paroissoit enfin que ce violent amour pour Dieu pouvoit fort bien ne servir au cœur que de prétexte pour une autre passion.

Un de ces Directeurs mourut ; & la Dame à qui il appartenoit, en pensa devenir folle. Son pieux desespoir me scandalisa : Dieu qui lui restoit, ne lui suffisoit pas pour la consoler. Je quittai tout-à-fait ces compagnes, qui ne pouvoient s’accommoder de ses volontez, pour me retirer à la campagne, où je fais mon sejour ordinaire, & où mon Curé prend soin de ma conscience, sans avoir rien à démêler avec mon cœur. ◀Ebene 4 ◀Allgemeine Erzählung ◀Ebene 3 ◀Ebene 2 ◀Ebene 1