Zitiervorschlag: Justus Van Effen (Hrsg.): "No. 10", in: Le Nouveau Spectateur français, Vol.1\010 (1723-1725), S. 147-162, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.1764 [aufgerufen am: ].
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No. 10
Zitat/Motto► Hӕc studia adolescentiam alunt, senectutem oblectant, secundas res ornant, adversis refugium atque solatium prœbent, delectant domi, non impediunt foris, pernoctant nobiscum, peregrinatur, rusticantur.
Ciceron.
La science, dont il s’agit ici, sert à la jeunesse d’une agréable nourriture ; elle égaïe la vieillesse ; elle embellit la prosperité ; dans l’adversité elle sert d’asyle ; elle charme dans le Cabinet ; elle n’embarasse point dans le commerce de la vie civile ; elle veille avec nous dans nos Insomnités : elle nous suit à la Campagne & dans nos voyages. ◀Zitat/Motto
[148] Ebene 2► Ebene 3► Brief/Leserbrief►Lettre.
Monsieur
« Quoique fille, & agée à peine de dix-huit ans, j’ai lu avec plaisir le caractère, que vous nous avés donné d’un véritable Philosophe. Votre Sage est tout à fait estimable, & à peu de choses près je m’accomoderois assés. Desormais il me sera permis de trouver quelquefois de l’extravagance, ou de la mauvaise humeur, dans un homme dont, sans vous, j’aurois craint la sagesse, & de découvrir un Philosophe dans un homme bien mis & bien tourné. C’est fort bien fait à la Sagesse, certainement, de permettre aux gens d’avoir bon-air, & de se mettre de bon goût. Mais avec tout cela, votre Sage me paroit encore un peut trop sérieux. Vous ne lui défendés aucun plaisir naturel, & je comprens que vous avés raison. Je sens qu’il peut préférer un mets delicieux à un autre qui ne flatte pas son palais, & qu’il a droit de préférer un vin piquant à un vin fade ; il raisonneroit de travers, s’il s’agissoit autrement : il aprécieroit mal les objets, & il donneroit la préférence à ce qui vaut moins sur ce qui vaut plus. Voyés si [149] ce n’est pas le raisonnement, & si je n’ai pas bien lu votre pièce. Mais si votre Sage a ce droit, c’est tant mieux pour lui, qu’est-ce que cela fait aux autres ? en quoi cela peut-il interesser une fille de mon âge, & de mon naturel ? j’aime passionément la joye, je l’avoüe ; j’estime aussi beaucoup la vertu, surtout depuis que vous l’avés représentée comme humaine & sociable. Mais je serois bien aise que la vertu & la raison voulussent bien rire quelquefois. Si elles daignoient avoir cette complaisance, je les trouvois tout à fait aimables. Je me représente votre Sage comme un homme doux, bon, poli, qui dit des choses utiles & instructives, ou qui garde le silence, quand on parle bagatelle. Mais je serois charmée qu’il pût amuser une Compagnie, & badiner avec esprit comme un autre. Il seroit trop joli, si vous vouliez bien lui donner cette permission ; mais je crains fort que vous n’en fassiez rien. J’ai bien peur aussi que vous ne lui defendiés, sous peine de leze-Philosophie, de danser, d’aller au spectacle, & de faire une reprise d’ombre. Je vous vois déjà venir avec le grand nombre d’occupations importantes du Sage, & avec la valeur inestimable du tems.
Je sens bien que vous avés raison ; [150] mais que voulez vous que je vous dise : je respecte beaucoup votre Philosophe, cela étant, mais il ne me plait pas. Peut-être qu’un peu plus d’âge m’aprivoisera avec la sagesse, mais jusqu’ici il me faut un peu de badinage ; & je ne saurois me résoudre à m’occuper, qu’à condition de me réjoüir un peu de tems en tems.
Je n’ai garde de vous demander si votre Philosophe peut-être amoureux, vous croiriés, sans doute, ma curiosité intéressée, & il y a peu d’aparence que vous la contentassiez d’une manière agréable. Malgré mon peu de pénétration & de lumières, je prévois parfaitement votre réponse. L’estime, l’amitié pour une femme, le mariage, passe ; il faut bien que le monde subsiste. Mais l’amour, c’est l’antipode de la sagesse. C’est un tissu de chimères & d’illusions ; sa baze ordinaire est l’aveuglement ; il prive l’homme de la possession de lui-même, & il répand dans les âmes le trouble & l’inquiétude. Quel état pour un Philosophe ? On dit que c’est-là le vrai tableau de l’amour, & cependant ce tableau n’effraye pas, ce me semble. Quel bonheur, si un honeste homme pouvoit capituler avec la Sagesse, & se permettre d’être amoureux, en s’engageant à être parfaitement raisonnable [151] dans tout le reste de sa conduite ; mais vous ne signieriés pas cette capitulation. »
Je suis
&c. &c. ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 3
Non, je ne pourois pas signer tout à fait cette capitulation ; mais j’espère pourtant être en état de contenter ma correspondante, & de lui faire sentir que mon Philosophe est aussi aimable qu’une femme un peu sensée pourroit le souhaiter. Pour les folles, il leur faut des fols ; rien de plus clair & toutes celles qui trouvent un extravagant plus propre à plaire, qu’un honnête homme, doivent passer pour atteintes & convaincuës d’extravagance.
Suivons pied à pied la lettre que nous venons de voir. Le sage peut-il rire ? a t-il droit de se divertir & de se rendre agréable à une Compagnie de femmes ? lui est-il permis de badiner quelquefois ? Non, dira le dévot, qui croit que la vertu a toujours la larme à l’œil, & les soupirs dans la bouche ; non, dira-t’il, chaque faillie d’esprit est un acte de mondanité, chaque éclat de rire est un peché mortel. Non, dira encore un Philosophe, qui n’a pas une idée totale de son être ; la gravité est la mar-[152]que distinctive du Sage ; tout ce qui a un air de bagatelle est au desssous de la sublimité de la Sagesse.
Selon mes petites lumières, ils se trompents tous deux fort grossiérement. La faculté de rire n’est-elle pas essentielle à la nature humaine ? On en sauroit le nier ; j’en conclus que cette faculté ne nous est pas donnée, pour nous être parfaitement inutile, & qu’il en est comme de toutes nos autres facultez naturelles, qu’il ne faut pas détruire, mais régler. Le ris n’est point excité par cette joye purement spirituelle, que nous goutons uniquement en qualité d’êtres raisonnables ; c’est une joye plus materielle qui porte notre corps à ces mouvemens, qui nous plaisent, & qui contribuent même à notre santé. Il faut donc nécessairement que dans certains cas cette joye plus grossière, qui seule peut donner de l’exercice à notre faculté risible, ne soit contraire ni à la vertu ni au bon sens. Oui, le Sage peut rire, s’amuser, se divertir. Je dis plus, il a infiniment plus de droit au divertissement, qu’un ecervelé dont l’amusement fait la seule occupation. A qui convient le mieux le repos & la récréation, qu’à celui, qui s’est occupé, qui a travaillé, & qui a besoin de réparer ses forces ?
Vous avés encore l’esprit vuide d’idées ; bien loin de vous être rendu familier l’exercice de toutes les vertus, vous ne con-[153]noissés ni vous même ni votre noble Origine, ni les devoirs qui sortent de vos liaisons avec la Societé humaine ; le grand travail, qui méne à ces Connoissances salutaires, n’est pas encore entamé chés vous ! & vous aves le front de vous divertir. Vous courés le bal, vous vives presque au Spectacle, le jeu remplit les intervalles qui separent vos plaisirs plus tumultueux. Toute votre raison s’applique à faire de vos amusemens une chaîne non interrompuë ; votre grande étude est de vous éviter vous même ! Il ne vous est point permis de vous divertir. Sortés du fracas du monde, où vous ne cherchés qu’un funeste étourdissement. Allés travailler avec ardeur à l’important ouvrage de vous connoître, & de vous posséder.
Il n’en est pas ainsi du Sage. Aucun jour ne s’écoule qu’il ne s’occupe à ce travail salutaire, qui devient insensiblement & plus satisfaisant, & moins pénible. Il étend ses connoissances, il augmente son trèsor d’idées claires & utiles, il affermit son ame dans l’habitude de la vertu. Mais il a un corps, qui pour se conserver en santé, a autant besoin de quelque joye materielle grossière, que d’un certain degré d’exercice. D’ailleurs son esprit est épuisé, les Organes nécessaires aux Opérations de son ame se lassent ; des vapeurs sombres & une certaine tristesse machinale s’emparent de son cerveau. L’occupation sérieuse perd chés [154] lui, ce qu’elle a naturellement de délicieux ; elle seroit infructueuse même en allant plus loin. Dans cet état, à quoi la raison doit-elle determiner le Philosophe, si non à sortir d’embarras par la route qui lui plait le plus, & de se choisir quelque amusement ? Tout ce qu’il a à considérer dans ce choix, c’est une convenance avec ses devoirs & avec son humeur. Aime-t-il le babil aimable, & les agrémens du beau sexe ; qu’il aille dans une Compagnie de femmes de mérite. A-t-il du goût pour le Spectacle ? qu’il y prête pendant quelques heures ses sens, son imagination & son esprit. Se plait-il dans les révolutions variées du jeu ? qu’il s’amuse à une reprise d’ombre, ou à une partie de piquet. Aime-t’il les exercices, qu’il dénoue ses membres ou par la danse, ou par la paume. La seule régle générale qu’il a à observer dans ces différentes manières de se divertir, c’est de se communiquer aux objets extérieurs sans s’y livrer, & sans jamais renoncer à la possession précieuse & impaïable de soi même.
Il y a encore une autre réfléxion qui aproprie ce divertissment au Sage d’une manière toute particulière. Les Antipodes de la Sagesse se divertissent simplement, leur amusement est presque toûjours sans aucun mélange d’utilité ; mais d’ordinaire l’amusement du Sage l’égaïe & l’instruit en même tems. C’est pour lui une espèce d’é-[155]tude aisée qui le fait entrer dans des détails, qui auroient été inaccessibles aux plus sérieuses recherches de son ame. L’esprit de réfléxion, qui lui est devenu naturel, l’accompagne par tout, & arrache de tous les objèts possibles une utilité solide. L’attention avec laquelle il s’est familiarisé, l’abandonne aussi peu, que son ame, où elle a jetté les plus profondes racines.
Un Philosophe qui n’a pas de goût pour la societé, me dira peut-être que, pour rétablir l’esprit dans la gaïeté & dans la vigueur nécessaires, une promenade a tous les agrémens requis. C’est un exercice sufisant pour la santé du corps, c’est un moyen propre à réjoüir l’esprit ; c’est un aimable aliment de la méditation, qui trouve toûjours dans le magnifique spectacle de l’Univers de quoi examiner & de quoi aprendre. J’en conviens ; mille objets, dont les agrémens échappent aux sens usez de certains hommes indignes de ce titre, fournissent aux Philosophes des sources de gaïeté & d’instruction ; mais qu’on me permette de remarquer, qu’on n’est encore que médiocrement Philosophe, quand on fait de son goût particulier, quelque bon, quelque innocent qu’il soit, la règle de tous les goûts, qui ne pêchent pas contre la vertu ou contre la raison. Suivez vôtre penchant favori ; que des champs, des bois, des montagnes, des rivières, le someil, les étoiles vous prodiguent les amu-[156]semens les plus féconds en connoissances utiles. Vous vous plaisez à admirer le Créateur dans ses ouvrages brutes, c’est fort bien fait. Mais ne m’empêchez pas de m’étonner de sa Sagesse, & d’en suivre les vestiges dans les productions intelligentes. Vous êtes charmé d’oposer la vûë d’une prairie verte, & émaillée de mille differentes fleurs à un rocher affreux & sterile ; Pour moi je suis ravi de mettre en parallèle un esprit réglé, cultivé, fécond, avec une imagination stèrile, sêche, raboteuse. Vous trouvés du plaisir à considérer avec surprise les Loix invariables des corps, & l’exacte harmonie qui retient la matière dans son arrangement. Qu’il me soit permis d’entrer dans la nature de ces motifs variez, qui déterminent chaque être raisonnable à se distinguer des autres, par un caractère qui lui est propre, & qui neantmoins le lie avec les autres caractères, souvent à son insçû, & quelquefois malgré lui.
Nous pouvons à cet égard nous laisser entraîner à nôtre goût dominant, & nous le pouvons fins perdre la sagesse de vûë ; mais nous serions plus Philosophes encore, si nous pouvions obtenir de nous mêmes de varier nos amusemens, & d’en augmenter le goût, en joüissant tour-à-tour de tout ce qui peut nous délasser d’une manière agréable & innocente. On s’imagine d’ordinaire que se divertir, [157] c’est suspendre pour quelque tems l’exercice de la Vertu. Il est certain qu’on se trompe. La Sagesse semblable à l’Etre Majestueux, dont elle tire son origine, se mêle sans s’avilir aux choses, qui paroissent les plus petites ; & elle s’y étale, avec tout son éclat naturel, aux esprits capables d’attention. Supposons le vrai Philosophe dans une conversation gaïe, vive, badine. Que d’occasions n’y trouve t-il pas de signaler sa Vertu ? Toujours maître de son imagination, il retranche de ses railleries toute amertume ; Il vient au secours d’une bonté peu spirituelle, qu’il voit prête à tomber sous les traits d’une imagination pétulante ; Il a soin de se proportionner à tous les esprits, & de ne les accabler jamais sous la supériorité de son génie. Il veille sur la dangereuse envie de primer, si naturelle à la plûpart des personnes, qui ont quelque confiance dans leur mérite. En un mot, tout en se prêtant aux délices d’une conversation brillante, il se montre doux, humain, charitable, modeste ; & par la pratique de ces Vertus, il épure, il augmente sa propre joïe, & celle de toute une compagnie.
On se persuadera peut-être que la Sagesse, qui se répand dans ces petites branches de la sociabilité, coute moins d’efforts, & mérite moins d’estime, que celle qui se déploie dans les occasions les plus frappantes ; mais cette opinion est très con-[158]traire & à la raison & à l’experience. Tel a donné mille grandes marques d’une Vertu sublime, en triomphant de ses penchants les plus vifs, & de ses plus fougueuses passions, qui n’est pas le maître d’étouffer un bon mot offensant, une raillerie pleine d’amertume, & qui se livre à la vanité d’offusquer l’esprit de toute une Compagnie par l’étalage importun de ses lumières. La Philosophie, qui néglige les petits objets, n’est encore ni assés étenduë ni assés profondement enracinée dans l’ame. Mais la Sagesse qui s’étend jusqu’aux devoirs, qui paroissent les moins considérables, marque une Ame que la vertu a gagnée entièrement, qui s’est confonduë avec elle, & qui par des efforts continuez, est parvenuë à l’exercer par une espèce de goût.
Mais le Philosophe est-il en droit d’être amoureux ? La question est plus interessante pour le beau-sexe, qu’il ne le croit. Si l’on considère l’amour comme inséparable de l’extravagance, & qu’on mesure sa force à l’aveuglement qui l’accompagne, la question est décidée. La folie & la sagesse sont incompatibles ; c’est une vérité qui saute aux yeux. Mais je doute fort que l’idée qu’on a généralement de l’amour, soit fondée sur des principes bien surs. Il est vrai que Romans, Historiettes, pièces de Théâtre, Chansons, en un mot que toutes les productions du bel-esprit sont formelles là-dessus ; & que [159] cette proportion, l’aveuglement est inséparable de l’amour, a usurpé dans presque tous les esprits le rang d’un axiome. Il est vrai, qu’on fait à cette passion la grace de la considèrer comme une folie naturelle, nécessaire en quelque sorte, & par conséquent excusable. Mais par cela-même que cette passion a sa baze dans la nature, je croi qu’elle n’est point faite pour détruire nécessairement la raions. Nôtre penchant pou le beau-sexe, & nôtre faculté de raisonner nous viennent de la même Sagesse infinie, qui ne sauroit nous avoir créez pour n’être point d’accord avec nous-mêmes. L’amour, comme toute nous autres passions, peut être soumis à l’empire du bon sens, qui seul peut en faire une situation réellement délicieuse & utile. Un amour raisonnable n’est qu’un vif desir de posséder ou de continuer à posséder une personne, qui nous paroît aimable, propre à augmenter nôtre bonheur, & digne qu’on travaille au sien. Si cet amour est mutuel, c’est indubitablement la plus agréable des passions, c’est l’union la plus étroite de deux ames sensibles & généreuses, qui confondent leurs plus chers intèrets, qui joüissent pour parler ainsi d’une double existence ; & qui exercent l’une envers l’autre, d’une manière tout particulière, tous les devoirs de l’humanité la plus étenduë. Une telle passion ne devroit-elle pas le pré-[160]ferer à une tendresse, qui n’est que fougue, impertinence, illusion, dérangement de sentimens & d’idées ? Cependant les femmes mêmes, qui sont d’ailleurs sensées, ne s’accommodent point d’une tendresse si sage & si pure. Elles ne trouvent point leurs charmes vainqueurs, à moins qu’ils ne triomphent entièrement de nôtre raison. Elles veulent que nous la leur livrions comme un gage de la réalité de nôtre amour ; & elles rabatent sur nôtre tendresse tout ce qui nous reste de sens commun. Elle ne nous croyent pas duement amoureux tant que nous ne prénons pas leurs caprices pour des loix, & leurs opinions les plus bisarres pour des principes indubitables. Qu’il me soit permis de leur dire que ces sortes de prétentions sont directement contraires à leur gloire & à leur bonheur.
N’est-il pas infiniment plus glorieux pour elles de s’attacher un juste estimateur du mérite, qu’un idolatre imbecille, capable de considérer leurs desagréments même comme les attraits les plus touchants, & leur défauts comme les plus excellentes qualitez. Cet extravagant croira quelquefois travailler au bonheur de sa maitresse, il s’occupera réellement à la perdre. Au lieu de la rendre plus sage, plus aimable, plus digne d’estime, il nourira son orgueil par des soumissions superstitieuses, & il lui donnera une humeur insupportable par la [161] bassesse de ses flateries, qu’elle gouter, quoique persuadée du désordre de l’esprit qui les lui prodigue. Mais dira-t-on cet amant peut avoir eu autrefois de la raison, & la gloire délicate d’une femme consiste sur tout à l’avoir réduit à cet état d’imbecillité. Enverité il vaudroit presqu’autant se glorifier d’avoir empoisonné un homme, qui joüissoit auparavant d’une santé vigoureuse. Un pareil triomphe est cruel, barbare, & indigne d’un cœur bien placé. D’ailleurs ces sortes de passions extravagantes, ne sont pas toûjours l’effet de la Beauté & de l’agrèment : c’est bien souvent un esprit de hazard, qui les fait naitre pour des femmes, qui n’on ni attraits ni mérite.
Je voudrois bien savoir encore, comment une femme peut s’assurer de la fidélité d’un Amant moins aveuglé par les charmes de sa maitresse, que par sa propre extravagance. Dès que le nuage se dissipe, l’adorateur est perdu ; un tour fortuit, que prendra son cerveau, le débarassera de son délire, & son cœur suivra bien-tôt le sort de son imagination. Il se peut encore que le charme soit défait par une autre enchanteresse ; & que sa folie docile l’égare continuellement dans des routes différentes. Une femme qui a une juste confiance dans ses appas, & dans ses bonnes qualitez, n’a rien de semblable à craindre d’un amant dont le cœur ne secouë point l’aimable joug de la Sagesse. Son bon-sens même est [162] le sûr garant de sa constance. Plus il sentira qu’il ne s’est point trompé dans son choix, plus il s’y affermira, & plus il s’en promettra de satisfaction & de douceur ; ses réfléxions, bien loin de détruire sa tendresse, ne feront que lui fournir de détruire sa tendresse, ne feront que lui fournir de nouvelles forces. Une femme de mérite, dit un Autheur Anglois, a de commun avec la veritable Religion, qu’on l’aime & qu’on l’estime, à mesure qu’on raisonne. Je conseillerois au beau Sexe de se faire honneur de cette noble conformité. ◀Ebene 2 ◀Ebene 1
