Zitiervorschlag: Justus Van Effen (Hrsg.): "No. 3", in: Le Nouveau Spectateur français, Vol.1\003 (1723-1725), S. 33-47, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.1757 [aufgerufen am: ].
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No. 3
Zitat/Motto► Dulcium
Mater sæva Cupidinum.
Hor. L. 3. Ode. I. 4.
Cruelle Mere des tendres Amours. ◀Zitat/Motto
Ebene 2► Ebene 3► 1 « Les austéritez des Fameux Anachorettes de la Thébaïde, les supplices ingénieux qu’ils inventoient contr’eux mêmes, pour tourmenter la nature : Cette mort toûjours nouvelle, toûjours douloureuse qu’ils donnoient à leurs sens ; tout cela joint à l’horreur de [34] leurs deserts, ne composoit peut-être pas la valeur des peines que peut éprouver une femme du monde, jeune, aimable, aimée, & qui veut être vertueuse.
Ce que je dis-là, paroîtra sans doute ridicule à bien des gens : Un Anachorette ! s’écrira-t’on. Un homme attenué, mourant, épuisé de jeûnes & de vieilles ! un homme ! mais ce n’est plus un homme ; ce n’en sont plus que les ruines : Jugez de ses souffrances par leurs effets ; jugez de ses Combats par la désolation du Champ de bataille ; que deviendra votre paralelle ?
Vous nous parlez d’une jeune femme aimable ; & ce sont des yeux brillans, c’est une santé, ce sont des appas nez du sein de la mollesse & de l’oisiveté ; c’est l’Ouvrage de la plus profane complaisance pour soi-même, que vous comparez à l’Ouvrage de la rupture la plus sévère avec ses sens. Depuis quand le duvet est-il plus fatiguant que la dure ? depuis quand celui qui dort à son aise, est-il plus malade que celui qui veille presque toûjours ? quoi ! se nourrir délicieusement, agacer son appetit par une abstinence industrieuse ; sera plus pénible que mourir de faim !
Voilà ce qu’on peut me dire ; voilà la déclamation qu’on peut faire contre mon sentiment : Peut-être m’auroit-il paru ridicule à moi-même, il n’y a qu’une heureuse ; Metatextualität► mais, lisés la lettre que je vais rapporter ; c’est cette lettre qui a débauché mon [35] jugement : Un de mes amis, dont je suis le confident, vient de me la donner ; il l’a reçuë d’une jeune Dame dont il est éperduëment amoureux ; lisés-la ; elle argumentera mieux que moi contre vous. » ◀Metatextualität
Ebene 4► Brief/Leserbrief► Vous m’aimez, Monsieur ; & quand vous ne me l’auriez pas dit tant de fois, je n’en serois pas moins persuadée : Ouy, vous m’aimez ; je sçavois même avant que vous l’eussiez avoué. Je vous examinois quelque fois, sans le vouloir, & je vous trouvois, comme il me sembloit qu’on devoit être, quand on aimoit. Helas ! je ne sçavois pas encore que je souhaitois alors, de vous trouver comme vous estiés. Juste-Ciel ! moy, qui n’avois jamais eu d’amour ; comment pénétrois-je celui que vous me cachiés ? comment etois-je seure que je ne me trompois pas ? & d’où vient que je ne m’apperçevois pas que je vous aimois moi-même ? le voilà, cet aveu que vous demandiés tant ; voilà ce mot si important à vôtre bonheur, & que je n’osai prononcer dans nôtre dernier entretien. Helas ! vous n’en aviez pas besoin non plus, & étois folle de n’oser vous dire ce que vous voyez si clairement. Pour un aveu que vous refusoit ma bouche, combien ma complaisance pour vos discours, en prodiguoit-elle ? souvenez-vous de vos carresses : Il est vray qu’elles et innocentes ; mais je m’en dessendois mal. Eh ! n’étoit-ce pas vous les rendre ? n’importe ; soyés-content ; je vous aime ; Et tout inutile qu’il est de vous le dire, je m’en étois fait une hont- [36] te, & je vous la sacrifie : Je me flatois de n’avoir pas encore violé mon devoir, tant que cet aveu restoit à faire. Malheureuse illusion, qu’étoit devenuë ma raison ? j’aimois & je ne m’en embarassois pas : Je regardois cela comme rien ; je me croyois toûjours vertueuse, seulement pour n’avoir pas dit que je ne l’étois plus. Je dois ma tendresse à mon mari ; cependant au moment où je parle, elle est toute à vous. Juste-Ciel ! pourquoi faut-il que ce soit un crime ? que dis-je, cruel que vous êtes ! voyez le désordre que vous avez porté dans mon cœur ; voyez ce que je deviendrois, si je continuois à vous voir. Je ne vous cele rien ; car enfin, dans l’état où je suis, j’ai besoin de vous parler sans retenuë ; ma foiblesse a besoin de se répandre ; c’est un crime encore, mais il m’est nécessaire ; je serois trop exposée, si je voulois combattre tous les mouvemens qui me viennent. Je vous découvre mon état : Cette satisfaction coupable que je me donne, rendra peut-être ma passion moins pesante. Ma passion ! Justes-Dieux ! n’étes-vous pas étonné vous-même de ce que vous lisez : Vous qui n’osiés me déclarer votre amour, qui m’en avez fait l’aveu avec tant de crainte, qui m’en entreteniés avec tant de respect, qui ne me demandies le mien qu’en tremblant, me reconnoissés-vous ? je n’avois rien à me reprocher ; j’avois lieu d’être contente de moi : Vous m’estimiez, je m’estimois moi-même : Je vivois en repos & dans l’innocence. Où sont tous ces biens-là? vous m’aimez, & vous me les avez ostés ; & vous voulez que je [37] vous aime ; & vous dites que vous seriez heureux, si je vous aimois ! quel étrange bonheur vous proposés-vous ? mes égaremens & la perte de ma vertu, vous rendront donc heureux ! & vous appellez cela m’aimer ! voilà les sentimens que vous voulez que je récompense ! ah! Juste-Ciel ! qu’est-ce que c’est qu’un amant ? la haine du plus motel ennemi me feroit-elle autant de mal que vous m’en souhaités ? eh-bien ! je suis dans le trouble, dans la douleur, dans les larmes : Mon mari m’est presqu’odieux : Ce qui me reste de vertu, presque insupportable : Je suis digne de compassion ; je vous en ferai sans doute à vous même ; en est-ce assez ? êtes-vous heureux ? non, vous vous plaindrez encore ; Mon malheur n’est pas au point où vous le voudriez ; vous aspirez à me rendre encore plus méprisable, & vous avez raison. Je suis bien digne de l’outrage que me font vos desseins ; mais, que fais je ? d’où vient rendre compte de ce que je sens ? d’où vient que j’entre avec tant d’abondance dans un détail si honteux ? d’où vient qu’il m’entraîne ? il est pourtant vrai que je me repens sincerement d’avoir blessé mon devoir. Helas ! est il bien vrai que je m’en repente ? eh ! comment m’en assurer ? puis-je rien démêler dans mon cœur ? je veux me chercher, & je me perds. Comment, avec tant d’amour, puis-je sçavoir si je me repens. d’aimer ? je renonce à vous, & je vous regrette : je veux vous ôter toute esperance, & j’ai peur que vous croyez que je ne vous aime point ; enfin, de quelque côté que je me tourne, [38] tout est péril pur moi ; & la confusion où je suis de ma foiblesse, & les efforts que je fais pur la combattre, & la resolution de ne vous plus voir, tout est empoisonné, tout devient amour, dès que j’y songe. oh ! Ciel ! que je suis egarée ! qu’une femme à ma place est à plaindre d’avoir pris de l’amour ! quelle punition pour elle que le plaisir qu’il lui fait ! grace au Cie ! j’y renonce à ce plaisir ; je le déteste ; je vais redevenir vertueuse ; je retrouverai le plaisir que j’avois à l’être : Oui ! Monsieur, mon parti est pris ; je ne vous verrai plus : Il ne faloit que deux mots pour vous l’écrire, & je n’avois pas dessein de vous en marquer davantage ; mais je l’ai tenté inutilement dans quatre lettres que j’ai toutes rebutées : Voici la moins honteuse pour moi, que je vous envoye ; c’est presque vous les envoyer toutes, que vous avoüer que je les ai écrites ; mais après ce qui m’est échappé dans celle que vous lisez, je ne puis guères me faire de nouveaux affronts. D’ailleurs, puisque je ne vous verrai plus, & que je rentre dans mon devoir, les peines que je vais souffrir, satiserfont bien á mes fautes. Mais, ne finirai-je jamais ? ce que je dis, ne ressemble point à ce que je veux dire : Je pense que je ne veux plus aimer, & toûjours je repete que j’aime. N’importe, n’esperez rien d’un sentiment involontaire ; ce n’est plus moi qui aime ; je ne suis plus coupable ; peut-être je ne l’ai jamais été ; c’est vous qui l’estiés, c’est la foiblesse que vous m’aviez donnée, c’est mon cœur qui ne dépendoit plus de moi : Au-[39]jourd’hui tout cela m’est étranger ; aujourd’hui, je romps avec ce cœur lâche, avec cette foiblesse, avec mon seducteur, enfin avec vous. Vous n’en serez pas persuadé, & vous allez prendre ce que je dis, pour de l’emportement & du trouble : vous vous trompez ; ma résolution ne vient pas d’être formée : Vous sçavez que me mere deumeure ici ; vous connoissez son caractère : hier au matin, je lui confiai ma situation ; elle en frémit, autant qu’il m’étoit nécessaire : Ainsi, voilà sa vertu dans les interêts de mon devoir. Allgemeine Erzählung► Le soir, mon mari & moi, nous parlâmes de vous : Il fit votre éloge, & ce fut un coup de poignard pour moi : lui, qui vous estime tant, merite-t-il de se tromper si cruellement sur vôtre compte ? jettons tous deux les yeux sur nous. ◀Allgemeine Erzählung Que de devoirs violez de part & d’autre ! perfides que nous sommes ! nous nous serions aimez ; sans doute nous serions-nous jurés de nous aimer toûjours ? ah ! Monsieur, à qui devois-je plus de fidelité qu’à mon mari ? à qui vous ! en deviez-vous plus qu’à l’honneur ? vous auriez trahi vôtre ami. J’aurois trahy mon époux. Ne voyez-pas qu’enfin, nous nous serions trahis tous deux ? vous n’auriez donc aimé qu’un malhonnête homme. Juste-Ciel ! cette refléxion m’attendrit sur vous, & je ne me reproche point le mouvement de tendresse qui me vient ici. Vous êtes naturellement vertueux : quel malheur, que vous cessassiez de l’être ! & ce malheur, voudriés vous qu’il fût mon ou--[40]vrage ? voilà ce que je sens, rendez moi tendresse pour tendresse : Que la vôtre à présent ressemble à la mienne ; vous avez les mêmes reflexions à faire sur moi ; c’est la même horreur à envisager pour nous deux. Je suis née vertueuse aussi bien que vous : auriez-vous le courage de m’ôter ma vertu ! l’amour même, dans une ame comme la vôtre, est-il compatible avec cette idée là ? je sai bien que dans la suite, nous aurons quelque peine à penser toûjours de même ; mais j’y ai pourvû : j’ai fait remarquer à mon mary, que vous veniez souvent ici, & que vos visites, toutes innocentes qu’elles étoient, pouvoient nuire à une femme de mon âge : Il vous le dira, il me l’a promis ; prenez votre parti là-dessus. Si je vous revois encore chez moi, mon mari saura que je vous aime : J’y suis résoluë : j’en perdrai peut-être & son estime, & son amour ; mais, pour les mériter, il faut me résoudre à les perdre : & si ce n’est encore assez, j’instruirai tous mes amis de ma foiblesse. Ils seront autant de barriéres que je mettrai entre vous & moy. Voilà des extremités, où assûrement vous êtes incapable de me réduire ; il me suffit de vous les montrer. Je ne vous demande ni votre souvenir ni votre oubli : je suis encore trop foible pour oser m’exprimer là-dessus ; & je ne veux pas savoir lequel des deux je souhaiterois. Pour moi, je vais tâcher de vous oublier ; je ne suis point obligée d’y réussir ; mais [41] je suis obligé de faire, toute ma vie, ce que je pourai pour cela, & je vais remplir mes devoirs : je ne vous verrai plus, Adieu. ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 4
Metatextualität► « Mon ami, après m’avoir lû cette lettre, me dit qu’il y avoit fait réponse au gré de la vertu de cette Dame, & qu’il partoit le lendemain pour sa Province. » ◀Metatextualität ◀Ebene 3
Reflexions
du Nouveau Spectateur François
J’ai vu il y a quelques années le caractère d’une coquette tracé par l’auteur du Spectateur de Paris ; cette pièce me donna une grande idée du génie & de la pénétration de cet écrivain ; tout m’y paroissoit démêlé avec autant de jugement, que de pénétration, & peint d’un pinceau aussi délicat que vrai. Je ne saurois en dire autant du tableau qu’on nous donne ici d’une femme du monde, jeune, aimable, aimée, & qui veut être vertueuse. Il me semble d’abord qu’on n’expose pas avec justesse le sujet, dont on veut nous exprimer la situation. Une femme qui mérite ces épithetes, peut vouloir être vertueuse, & y réussir, sans être obligée à des efforts extremement pénibles ; ce n’est que lorsqu’elle s’est laissé surprendre à une passion violente & tyranique, que la conservation de [42] sa vertu doit lui couter les plus rudes combats. Je ne sai si la Lettre qu’on vient de voir, est l’effet du génie de l’auteur, ou si effectivement c’est la production d’une imagination échauffée par un cœur agité ; mais il me paroît qu’elle n’est pas assez dans la nature ; la Dame, à qui on l’attribuë, paroît moins vouloir défendre sa vertu contre une tendresse impérieuse, que penser finement & avoir beaucoup d’esprit. Ce n’est point là le caractère d’une ame pleine de désordre. Une telle ame sent, & peint ; mais elle ne pense pas ; elle fournit des sentimens &des images, mais elle n’a pas le loisir de chercher des idées fines & délicates, qui demandent un cœur tranquille, & un esprit libre. La passion ne parle qu’Antithese ici. Je sai bien que cette figure peut convenir à un cœur combattu par la passion & par le de voir, qui la jettent tour à tour dans des mouvemens opposez ; mais ces mouvemens se développent d’ordinaire d’une manière un peu cruë ; ils sortent du cœur sans que l’esprit y donne la forme, & ils ne se parent point de ces termes recherchez, qui mettent l’Antithese dans son plus grand jour. Je doute fort qu’un cœur déchiré par la plus violente inquiétude puisse parler de la manière suivante ; Je vous examinois quelquefois sans le vouloir, & je vous trouvois comme il me sembloit qu’on devroit être, quand on aimoit. Helas ! je ne savois pas encore que je [43] souhaitois alors de vous trouver comme vous étiez. Outre qu’il ne s’agit pas ici de peindre ces sentimens contraires, qui se succèdent dans une ame troublée, l’arrangement de cette Antithese va jusqu’au précieux, & ce qu’elle a de peu naturel paroît le fruit d’une méditation assez profonde. Je mets dans la même classe les Phrases suivantes. Vous auriés trahis votre ami. J’aurois trahi mon époux ; ne voyés vous pas qu’enfin nous nous serions trahi tous deux ? Quelquefois cette spirituelle Dame rafine si fort sa tendre metaphysique, qu’elle donne dans le faux. Souvenés vous de vos Caresses : Il est vray qu’elles étoient innocentes ? mais je m’en défendois mal. Eh n’étoit-ce pas vous les rendre ? Non certainement ce n’étoit pas les rendre. Il y a bien de la différence entre la foiblesse d’une femme, qui souffre qu’un amant lui baise la main, & entre l’emportement d’une autre, qui payeroit cette caresse par une caresse semblable. Dans l’etat où je suis, j’ay besoin de vous parler sans retenuë ; ma foiblesse a besoin de je répandre : c’est un crime encore : mais il m’est nécessaire. Si pour s’affermir dans sa vertu, cette amante ingenieuse avoit besoin de faire à son amant un aveu ingénu de sa tendresse, cet aveu n’étoit pas un crime, & si c’était un crime, il ne pouvoit pas être nécessaire ; il n’est pas aisé de comprendre qu’une action criminelle puisse être un moyen nécessaire de s’affermir dans la vertu. Mais [44] ce crime necessaire, a un air d’esprit, qui ne devoit pas échaper à cette Dame aussi amoureuse pour le moins d’une belle pensée que de son Amant.
On peut pardonner à l’Auteur de cette Lettre un tendre Galimathias qui y regne dans plusieurs endroits. En voici un exemple : je pense que je ne veux plus aimer, & je répete toujours que j’aime. N’importe n’esperés rien d’un sentiment involontaire ; ce n’est plus moi qui aime ; je ne suis plus coupable ; peut être je ne l’ay jamais été ; c’est vous qui l’etiés ; c’est la foiblesse que vous m’aviés donnée ; c’est mon cœur qui ne dépendoit plus de moy. Ce galimathias est pardonnable à l’amour, qui bien souvent ne sçait ce qu’il dit ; des sentimens confus excitent dans le cerveau des images confuses, qui traînent après elles des expressions du même caractère ; j mais je ne saurois passer à notre Amante la délicatesse recherchée de la pensée que voici. Si je vous revois encore chés moi, mon mari saura que je vous aime ; j’y suis résoluë : j’en perdray peut-être & son estime, & son amour ; mais pour les meriter, il faut me résoudre à les perdre. Il ne se peut rien de plus joli, & de plus finement pensé, mais je doute fort que ce soit là le langage de la tendresse ; toute cette Lettre pèche par un excès d’esprit : On me dira peut-être que c’est un beau défaut ; mais je n’en conviens pas, & je pourrois bien faire voir un jour, d’une maniére dé-[45]taillée, ce que je pense sur ce sujet.
Qu’on me permette encore de remarquer qu’on ne trouve nullement dans cette Lettre un cœur qui a fermement résolu de s’arracher à un amour criminel, & qu’il est difficile de concevoir l’effet qu’elle a produit sur l’amant qui fait d’abord une réponse au gre de la vertu de la Dame, & qui pour ne la plus voir part brusquement pour la Province. On n’y voit point une tendresse expirante ; c’est plutôt la vertu qui y pousse les derniers soupirs, & qui fait encore quelques façons pour faire valoir sa défaite. Il est vray que la confidence que notre amante fait à sa Mere, est quelque chose de fort ; mais tout le reste de l’epitre fait soupçonner, que ce n’est là qu’un accés de raison qui pourroit bientôt passer. Je vay tacher de vous oublier ; je ne suis point obligée d’y réüssir, mais je suis obligée de faire toute ma vie ce que je pourray pour cela. N’y a t’il pas là-dedans un petit air de capitulation, & n’est il pas naturel de croire qu’elle seroit suivie de la reddition de la place, pourvû qu’on continuât à l’attaquer avec un peu de vigueur.
Ces critiques ne tombent point sur le Spectateur, si cette Lettre est d’une amante veritable. Elle est d’un tour assés singulier, pour pouvoir être communiquée au public. Ce qui est de cet Auteur indubitablement, c’est le portrait qu’il donne d’une femme aimable. Ce sont des yeux brillants, c’est [46] une santé, ce sont des appas nez du sein de la mollesse & de l’oisiveté, c’est l’ouvragé de la plus profane complaisance pour soy-même. Je n’ay jamais cru que les agrémens d’une femme eussent une source si impure. D’ailleurs il ne s’agit pas ici d’une femme aimable, mais d’une femme aimable, dont la vertu lutte contre une violente passion. La désolation regne dans ce champ de bataille comme dans tout autre. Ce sont des yeux ternis, un teint pale, une santé languissante. Une telle personne ne songe guères à se nourrir délicieusement, elle n’agace point son appétit par une abstinence industrieuse. Mais, me dira t’on ce n’est qu’une objection que l’Auteur se fait ici. J’en conviens ; mais une objection doit avoir au moins quelque chose de plausible ; Y a t’il de la raison à s’en faire, qui pêchent évidemment contre le sens commun ? ◀Ebene 2
[47] Avertissement.
Jean Neaume, Libraire à la Haye, qui Imprime & débite cette feuille, avetit qu’il en donnera une semblable régulièrement tous les 15 jours ; & qu’on la trouvera aussi à Amsterdam, chez Messieurs l’Honnoré & Chatelain, & chez les autres Libraires, comme aussi dans les principales Villes de ces Provinces. Le prix de chaque feuille est de deux sols.
P.S. ceux qui souhaiteront faire part au Public de quelques Nouvelles de Littérature, ou de quelque piece qui ait du rapport au plan de l’auteur, pourront s’adresser au sus-dit Libraire, en lui envoïant leurs lettres Franco. ◀Ebene 1
