Le Misantrope: L. Discours
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Nível 1
L. Discours
Nível 2
Je reviens encore à vous, Mesdames ;
je sai que vous avez goûté les conseils que j’ai pris la liberté
de vous donner, & c’est votre aprobation qui m’engage à vous
les continuer. J’aurois certes grand tort de prétendre écrire
pour le Public, si je ne m’adressois pas de tems en tems à la
moitié du Public la plus aimable. Vous vous souvenez bien
aparemment que je vous ai donné1quelques avis pour prévenir le chagrin que
vous cause la perte de vos Amans. Mes réflexions là-dessus ne
sont pas entiérement épuisées ; en voici encore quelques-unes
dont je vous prie de profiter. Dès-que vous vous croyez sures du
cœur d’un Amant, vous ne manquez presque jamais d’exiger de lui
une soumission qui tient de l’esclavage ; & vous
n’aplaudissez jamais davantage à votre mérite, que quand vous
faites sentir à un pauvre homme votre empire & sa
dépendance : vous voulez avec hauteur que votre volonté soit
absolument la régle de la sienne ; &, selon vous, c’est
commettre un crime de léze-tendresse, que de ne pas prendre vos
fantaisies pour autant de loix. Excusez-moi, Mesdames, si j’ose
attribuer à cet empire trop absolu & trop rude,
la révolte d’un grand nombre de cœurs. On hait naturellement la
dépendance, & il n’est pas plus naturel à l’esprit de
penser, que de vouloir être libre. Dès-que vous voulez heurter
de front cet amour de la liberté qui est essentiel aux hommes,
vous mettez leur cœur dans une situation gênée & contrainte,
& bientôt ils sortent d’un état violent pour rentrer dans la
liberté qui leur est naturelle. Cette conduite que vous tenez
avec vos Amans, a sa source dans l’idée du respect & de
l’hommage que votre Sexe croit avoir droit d’exiger généralement
du nôtre. On ne sauroit vous desabaser de ce préjugé, sans vous
mortifier un peu. Mais d’ordinaire l’utilité qu’on retire de la
Raison, est accompagnée d’un peu de chagrin ; & ce n’est que
par un peu de mortification, qu’on parvient au bonheur de
dissiper des opinions malfondées qui offusquent le jugement. De
grace, Mesdames, en vertu de quoi prétendez-vous qu’un homme
doive avoir plus de respect pour vôtre sexe que pour le sien ?
Je ne connois que quatre sortes de respects. On apelle respect
la soumission due à ceux qui sont au-dessus de nous par le rang.
On donne ce nom à la vénération qu’on accorde à un mérite
supérieur. On le donne encore à la condescendance qu’on a pour
les personnes d’un âge avancé. Enfin on nomme respect, d’une
maniére assez impropre, certains égards qu’on a pour la
foiblesse d’esprit de ceux qu’on fréquente ; & c’est de cette maniére qu’on respecte les Enfants & les
Imbéciles. Vous pourrez prétendre aux deux premières sortes de
respect, j’en conviens. Mais ce n’est pas en qualité de Femmes,
c’est en qualité de Personnes distinguées par le rang & par
le mérite. Pour les égards qu’on a pour l’âge &
l’imbécilité, je crois que vous y renoncez de bon cœur ; vous
achetteriez le respect un peu trop cher, s’il devoit vous coûter
votre jeunesse ou votre esprit. Je vous rens assez de justice,
Mesdames, pour croire, que l’erreur où vous êtes sur les
hommages que vous exigez de nous, vous vient moins d’un travers
d’esprit que de la conduite de vos Amans. Faute de pouvoir
gagner votre cœur par leur mérite, ils ont tâché d’y parvenir
par la route de la flaterie ; & ne pouvant pas vous donner
une tendresse délicate & digne d’un honnête-homme, ils ont
voulu vous en dédommager par une lâche soumission. Je m’imagine
encore que la lecture des Romans vous rend de mauvais services
sur ce chapitre. Les Héros avec qui votre imagination s’est
familiarisée, ont d’ordinaire un vrai caractére d’imbécilité ;
leurs égarde pour le Beau Sexe poussés jusqu’à l’extravagance,
vous ont mis dans l’esprit que tous hommes doivent se régler sur
ces modéles. Mon raisonnement ne tend point à détourner vos
Amans des hommages qu’ils sont accoutumés de vous rendre, je sai
bien que j’y tâcherois en-vain ; la Raison ne trouve jamais accessible à sa force, un cœur pris de vos charmes.
Je veux seulement vous persuader de ménager mieux l’ascendant
qu’un Amant ne sauroit s’empêcher de vous donner sur lui.
L’Homme hait naturellement la servitude, je le répéte : mais
rarement a-t-il l’esprit assez fort pour répondre par sa
conduite à son amour pour la liberté. Par paresse, & faute
d’une force d’esprit suffisante, il se lasse bientôt d’être son
propre maître : mais d’être esclave volontairement, &
d’obéir sans y être forcé, lui tient lieu en quelque sorte de
liberté & d’indépendance. Il est donc de votre intérêt de
manier le cœur de vos Amans avec une dextérité si délicate, que
leur joug leur soit caché, & qu’en conformant leurs actions
à votre volonté, ils ne croient suivre que les mouvemens de leur
propre cœur. De cette maniére votre empire sera doux &
durable ; au-lieu qu’il seroit de peu de durée, s’il étoit
absolu & violent. Voilà pour la conduite que vous devriez
tenir, ce me semble, avec les Amans qui vous plaîsent. A l’égard
de ceux qui n’ont pas le même bonheur, je vous avoue que je suis
souvent indigné des maniéres que vous avez avec eux. D’ordinaire
vous vous faites un plaisir de nourrir leur tendresse par un
accueil favorable, & par des espérances trop fortes ; &
ce manége adroit vous procure souvent une cour nombreuse, qui
flatte agréablement votre vanité. Mais comment voulez-vous que
cette maniére d’agir puisse accommoder un Amant
délicat, qui vous accorde toute sa tendresse, & qui
naturellement doit prétendre aussi toute la vôtre ? Vos
protestations lui seront toujours suspectes, & jamais il ne
saura faire fond sur les marques les plus touchantes de votre
estime pour lui. Une jalousie médiocre entretient l’amour, &
le rend plus vif : mais une jalousie trop forte, qui doit être
nécessairement l’effet de la coquetterie, fait succéder tôt ou
tard un profond mépris à la plus tendre passion. Quelques autres
d’entre vous se font un plaisir de maltraiter des Amans qui sont
assez misérables par leur tendresse infortunée. J’ai entendu des
Dames avouer sans façon, que rien ne leur procurait un plaisir
plus sensible que les chagrins d’une foule d’Adorateurs
malheureux. Ce sentiment n’est point du tout généreux ; la bonté
est la plus aimable de toutes les vertus ; & si je crois
qu’une Dame est obligée d’ôter l’espérance à ceux qu’elle ne
sauroit aimer, je crois aussi que jamais elle ne doit leur
marquer ni colére ni mépris. Ne vous imaginez pas, Mesdames, que
ces rigueurs mal entendues puissent obliger votre Amant favori,
s’il est honnête homme ; elles sont plus propres à vous faire
perdre son estime ; il ne la sauroit accorder aux plus belles
qualités du monde, si elles ne sont pas accompagnées d’un cœur
humain & généreux. J’ai bien lieu de craindre que les
réflexions que je viens de faire, ne soient d’une nature à ne
vous être pas agréables. On dit qu’un donneur
d’avis est rarement bien venu chez vous ; changeons de matiére.
Le dernier vers de ce joli Madrigal paraîtra peut-être un
peu gaillard, mais le Siécle de Marot n’étoit pas si sage que le
nôtre, pour l’expression s’entend. Je crois qu’à cela près le
Public recevra le présent de Mr. C. . . . . avec reconnoissance.
Pour moi je lui en rens de très humbles graces, & je le prie
de vouloir bien continuer à enrichir mon Ouvrage de
quelques-unes de ses réflexions ; elles vaudront bien les
miennes, & le Lecteur ne perdra rien au change. Ce que j’en
dis est entiérement conforme à ma pensée : on voit bien que si
je me piquois d’une fausse modestie, je n’insérerois pas ici une
Lettre qui m’est si avantageuse. Je veux bien avouer la dette,
je fais parade des louanges qu’elle contient. Celui qui me les
donne ne me connoit point, & il fait donner de l’encens avec discernement. Mon orgueil ne doit point
surprendre les personnes qui connoissent le cœur humain. On fait
assez qu’on n’écrit que par vanité, & dans la vue de
s’attirer de la réputation. Vouloir persuader qu’on se fait
imprimer par un autre principe, c’est se rendre coupable d’une
dissimulation dont personne n’est la dupe. Autrefois tous les
Auteurs exposoient leurs productions aux yeux du Public, en
dépit d’eux. Ils avoient toujours quelque Ami de commande, qui
leur jouoit le tour de mettre leurs Ouvrages sous la presse sans
leur aveu. Cette modestie affectée faisoit la matiére de toutes
les Préfaces, & le dégoût du Public força enfin les Auteurs
à changer de stile. Alors on commença à convenir de son orgueil,
moins par amour pour la franchise, que pour dire quelque chose
de nouveau. Ce tour est devenu usé comme l’autre ; & pour
varier, les Ecrivains commencent à chanter pouille dans leurs
Préfaces, à tous ceux qui ne goûtent pas leur maniére d’écrire.
Ce sujet est d’ordinaire assez fertile, & peut fournir sans
peine quelques centaines de pages. Peut-être y aura-t-il des
Lecteurs qui me pardonneront de communiquer au Public les éloges
qu’on me donne, lorsqu’ils considéreront que je n’ai point fait
scrupule aussi d’insérer dans mon Ouvrage les critiques du Poёte
sans Fard. Mais je les dispense de m’excuser par-là. La modestie
n’a point eu de part dans cette action ; j’ai fait part au
Public des censures de cet Auteur, par le même principe qui m’excite à présent à lui communiquer l’aprobation
de Mr. C. . . .
Metatextualidade
Le Libraire m’a communiqué une
Lettre qu’il a reçue de Mr. C. . . . . reconnu pour un homme
d’un esprit supérieur, & d’un goût exquis : elle m’a
fait un plaisir sensible, & je souhaite fort qu’elle
fasse le même effet sur le Lecteur. La voici.
Nível 3
Carta/Carta ao editor
A. . . . le 15. de Février
1712. Monsieur, J’ai vu avec un extrême
plaisir le XLV. Misantrope & le XLVII. J’ai été fort
aise aussi de voir le texte pris de la Tragédie de la
mort de Pompée ; & il n’y a pas une ligne dans cette
petite Piéce qui ne mérite un éloge. Vous pouvez vous
souvenir de ce que je vous dis sur celui qu’il a sait
sur les Bons-mots, lorsque je l’ai lu chez vous la
première fois : c’est qu’il auroit pu y raporter cet
endroit de Mr. de la Fontaine. Citação/Lema
« On cherche les Rieurs, pour moi je les
évite ; Cet Art veut sur tout autre un suprême
mérite ;
Dieu ne créa que pour les Sots,
Les
méchants Diseurs de bons-mots. » Lorsque je
lus l’Histoire qu’il raporte de le vieille Cour, sur la
bonne mine de Bussi d’Amboise, j’aurois bien souhaité
qu’il eût appuyé ce qu’il dit aux Dames là-dessus, d’un
Madrigal que Marot fit pour Isabeau Princesse de
Navarre, qui je trouve fait dans le même esprit que toute la Piéce de votre Auteur, ainsi
que vous l’allez voir. Citação/Lema
« Qui cuideroit déguiser Isabeau, D’un simple habit,
ce serait grand simplesse ;
Car au visage a ne
sai quoi de beau,
Qui fait juger toujours
qu’elle est Princesse,
Soit en habit de
Chambriére ou Maitresse,
Soit son gent corps de
toile enveloppé,
Toujours sera sa beauté
maintenue.
Mais il me semble, ou je suis bien
trompé,
Qu’elle seroit plus belle toute nue. »
Voilà, ce me semble, qui auroit pu être enchassé
avec grâce dans cette jolie Piéce ; je vous en dirai
davantage une autre fois &c.
Le dernier vers de ce joli Madrigal paraîtra peut-être un
peu gaillard, mais le Siécle de Marot n’étoit pas si sage que le
nôtre, pour l’expression s’entend. Je crois qu’à cela près le
Public recevra le présent de Mr. C. . . . . avec reconnoissance.
Pour moi je lui en rens de très humbles graces, & je le prie
de vouloir bien continuer à enrichir mon Ouvrage de
quelques-unes de ses réflexions ; elles vaudront bien les
miennes, & le Lecteur ne perdra rien au change. Ce que j’en
dis est entiérement conforme à ma pensée : on voit bien que si
je me piquois d’une fausse modestie, je n’insérerois pas ici une
Lettre qui m’est si avantageuse. Je veux bien avouer la dette,
je fais parade des louanges qu’elle contient. Celui qui me les
donne ne me connoit point, & il fait donner de l’encens avec discernement. Mon orgueil ne doit point
surprendre les personnes qui connoissent le cœur humain. On fait
assez qu’on n’écrit que par vanité, & dans la vue de
s’attirer de la réputation. Vouloir persuader qu’on se fait
imprimer par un autre principe, c’est se rendre coupable d’une
dissimulation dont personne n’est la dupe. Autrefois tous les
Auteurs exposoient leurs productions aux yeux du Public, en
dépit d’eux. Ils avoient toujours quelque Ami de commande, qui
leur jouoit le tour de mettre leurs Ouvrages sous la presse sans
leur aveu. Cette modestie affectée faisoit la matiére de toutes
les Préfaces, & le dégoût du Public força enfin les Auteurs
à changer de stile. Alors on commença à convenir de son orgueil,
moins par amour pour la franchise, que pour dire quelque chose
de nouveau. Ce tour est devenu usé comme l’autre ; & pour
varier, les Ecrivains commencent à chanter pouille dans leurs
Préfaces, à tous ceux qui ne goûtent pas leur maniére d’écrire.
Ce sujet est d’ordinaire assez fertile, & peut fournir sans
peine quelques centaines de pages. Peut-être y aura-t-il des
Lecteurs qui me pardonneront de communiquer au Public les éloges
qu’on me donne, lorsqu’ils considéreront que je n’ai point fait
scrupule aussi d’insérer dans mon Ouvrage les critiques du Poёte
sans Fard. Mais je les dispense de m’excuser par-là. La modestie
n’a point eu de part dans cette action ; j’ai fait part au
Public des censures de cet Auteur, par le même principe qui m’excite à présent à lui communiquer l’aprobation
de Mr. C. . . . Nível 3
Carta/Carta ao editor
A. . . . le 15. de Février
1712.
Citação/Lema
« On cherche les Rieurs, pour moi je les
évite ; Cet Art veut sur tout autre un suprême
mérite ;
Dieu ne créa que pour les Sots,
Les méchants Diseurs de bons-mots. »
Dieu ne créa que pour les Sots,
Les méchants Diseurs de bons-mots. »
Citação/Lema
« Qui cuideroit déguiser Isabeau, D’un simple habit,
ce serait grand simplesse ;
Car au visage a ne sai quoi de beau,
Qui fait juger toujours qu’elle est Princesse,
Soit en habit de Chambriére ou Maitresse,
Soit son gent corps de toile enveloppé,
Toujours sera sa beauté maintenue.
Mais il me semble, ou je suis bien trompé,
Qu’elle seroit plus belle toute nue. »
Car au visage a ne sai quoi de beau,
Qui fait juger toujours qu’elle est Princesse,
Soit en habit de Chambriére ou Maitresse,
Soit son gent corps de toile enveloppé,
Toujours sera sa beauté maintenue.
Mais il me semble, ou je suis bien trompé,
Qu’elle seroit plus belle toute nue. »
Citação/Lema
Oui ce grand Poète
irrité Me donnoit autant de fierté,
En me déchirant par sa rime,
Que C. . . en m’accordant l’honneur de son estime.
En me déchirant par sa rime,
Que C. . . en m’accordant l’honneur de son estime.
Metatextualidade
Après
avoir remis à l’Imprimeur l’Original de ce Misantrope, j’ai reçu
une autre Lettre du même Mr. C. . . . en voici un extrait.
Nível 2
Nível 3
Carta/Carta ao editor
Le No. 49. n’est point
inférieur aux deux précédens ; & Mr. D. B. . . .
& moi avons pris beaucoup de plaisir à la lecture
qui nous en a été faite. Elle n’a pas été plutôt
achevée, que j’ai encore trouvé dans ma mémoire quelques
Vers de Mr. de la Fontaine, par où l’Auteur auroit pu
finir fort agréablement ; les voici.
Au reste, Monsieur, je commence à me
persuader que Monsieur votre Misantrope aura grand’
peine à demeurer longtems caché ; mais ce sera toujours
un grand avantage pour lui, de pouvoir lever le masque
avec bonneur, &c.
Citação/Lema
« Se croire un Personnage, est fort
commun en France ; On y fait l’homme
d’importance,
Et l’on n’est souvent qu’un Bourgeois.
C’est proprement le mal François.
La sotte vanité nous est héréditaire.
Les Espagnols sont vains, mais d’une autre maniére :
Leur orgueil me semble, en un mot,
Beaucoup plus fou, mais pas si sot.
Et l’on n’est souvent qu’un Bourgeois.
C’est proprement le mal François.
La sotte vanité nous est héréditaire.
Les Espagnols sont vains, mais d’une autre maniére :
Leur orgueil me semble, en un mot,
Beaucoup plus fou, mais pas si sot.
1Dans le XLV. Discours