Cita bibliográfica: Anonym (Ed.): "XL. Discours", en: Le Spectateur ou le Socrate moderne, Vol.5\040 (1723), pp. 240-246, editado en: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Ed.): Los "Spectators" en el contexto internacional. Edición digital, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.1429 [consultado el: ].


Nivel 1►

XL. Discours

Cita/Lema► —— —— —— afflata est numine quando
Jam propiore Dei. —— —— ——

Virg. Æneid. VI. 50.

Quand elle est animée de l’Esprit, qui la faisit alors. ◀Cita/Lema

Nivel 2► Metatextualidad► La Lettre suivante m’est venuë de la part de cet excellent Ecclesiastique, 1 dont j’ai parlé plus d’une fois, qui est un des Membres de ma Coterie & de ceux qui m’assistent dans mes Spéculations. Elle roule sur quelques-unes des pensées qu’il a eues dans cette longue Maladie, dont il est ataqué, & qui sont d’un caractere fort sérieux. La voici mot pour mot. ◀Metatextualidad

Metatextualidad► Pensées sur la Maladie, la Mort & le Jugement dernier. ◀Metatextualidad

Nivel 3► Carta/Carta al director► Monsieur,

« L’indisposition qui me travaille depuis long-tems est enfin montée à un si haut période, qu’il faut qu’elle termine bientôt mes jours, ou qu’elle se détruise elle-même. Vous pouvez aisément concevoir, que, dans l’état où je me trouve, il n’y a point de vos Discours que je lise avec plus de plaïsir que ceux qui roulent sur la Piété. Je voudrais de bon cœur vous pouvoir fournir là-dessus quelques [241] legers craïons, afin que vous les missiez en œuvre. Si je pouvois énoncer, d’une maniere un peu vive, plusieurs pensées très-serieuses, qui me sont venues dans l’Esprit durant cette longue Maladie, je me flate qu’elles ne seroient pas desagréables au Public.

Entre toutes les pensées qui s’élèvent dans l’Esprit d’un Malade, qui a le tems & la volonté de considerer sa fin prochaine, il n’y en a point de plus naturelle que celle qui lui dicte que son Ame toute nuë & dépouillée du Corps va paroître devant son Créateur. Lors qu’un Homme est persuadé, qu’aussitôt que cette Union ne subsistera plus, il verra cet Être suprême, qu’il contemple aujourd’hui de loin, & uniquement dans ses Ouvrages ; ou, pour me servir de termes plus philosophiques, lors que, par quelque faculté de l’Ame, il aura une idée plus distincte de la Divinité, & qu’il sera plus sensible à sa présence, que nous ne le sommes aujourd’hui à celle de quelque Objet qui frape nos yeux, il faut qu’un Homme soit plongé dans une indolence & une stupidité presque inconcevable, s’il n’est pas allarmé d’une telle pensée. Le Docteur Sherlock, dans son excellent Traité 2 , De la Mort, nous a dépeint, sous des couleurs bien vives l’état [242] de l’Ame qui vient à être séparée du Corps, à l’égard de ce Monde invisible qui nous environne de tous côtez, quoi que nous soïions incapables de le découvrir à travers ce Monde grossier & matériel, qui est proportionné ici bas à nos Sens. Voici de quelle maniere il s’exprime :

Nivel 4► Cita/Lema► Puis que la Mort, qui nous fait quiter ce Monde, n’est autre chose que la séparation de nos Corps, elle nous enseigne que c’est la seule union avec nos Corps qui nous intercepte la vûe de l’autre Monde, qui n’est pas si éloigné de nous, qu’on pourroit bien se l’imaginer. A la verité le Trône de Dieu est à une distance énorme de cette Terre, au-dessus du troisiéme Ciel, où il déploie sa gloire à ces Esprits bienheureux qui l’environnent : mais aussi-tôt que nous sortons de ces Corps, nous entrons dans un autre Monde, ou pour mieux dire, puis que c’est toûjours le même Ciel & la même Terre, nous entrons dans un nouvel état de Vie. En effet vivre dans ces Corps, c’est vivre dans ce Monde, & vivre hors de ces Corps, c’est passer dans un autre état : Car pendant que nos Ames sont attachées à ces Corps, & qu’elles ne voient qu’à travers ces Organes materiels, [243] il n’y a rien que de materiel qui puisse nous fraper ; il n’y a rien, dis-je, qui ne soit même si grossier, qu’il peut refléchir la lumiere, & transmettre, avec elle, au fond de l’œuil, la figure & les couleurs des Objets. Ainsi, quoi que dans l’interieur de ce Monde visible il y ait plus de magnificence & de beautez qu’il n’en paroit au-dehors, nous n’en apercevons rien du tout, à cause de cette Chair qui nous envelope & qui sépare ce Monde visible de l’invisible : Mais lors que nous venons à nous dépouiller de ces Corps, une nouvelle Scène de miracles étonnans se présente à notre vûe ; lors que ces Organes materiels viennent à disparoître, l’Ame, avec sa pénétration naturelle, voit ce qué lui étoit auparavant invisible : Nous sommes alors dans l’autre Monde, lors que nous le pouvons contempler & nous entretenir de ses Objets : c’est ainsi que S. Paul nous dit, que 3 tant que nous habitons dans ce Corps, nous sommes éloignez du Seigneur ; mais qu’après être sortis de ce Corps, nous demeurons avec le Seigneur. Il me semble que cela sufit pour nous guérir de notre attachement à ces Corps, à moins que nous ne croïions qu’il vaut mieux être enfermez dans une Prison, & regarder toute notre vie à travers une Grille, qui ne nous laisse entrevoir qu’une Perspective fort bornée, & qui n’est pas même des plus charmantes, que d’être mis en liberté & de contempler à loisir tous les glorieux spectacles de l’Univers. Que ne donnerions-nous pas à présent pour jetter un coup [244] d’œuil sur ce Monde invisible, où le premier pas que nous ferons, au sortir de ce Corps, nous introduira ? C’est là où il y a des choses 4 que l’œuil n’a point vûes, que l’oreille n’a point ouïes, & qui ne sont jamais venues dans l’esprit de l’Homme : La Mort nous ouvre les yeux, nous étale une vaste Perspective, & nous ofre un nouveau Monde environné de gloire, que nous ne saurions jamais voir, pendant que nous sommes envelopez de ce Voile charnel, dont nous ne devrions pas moins souhaiter d’être délivrez, que d’une Cataracte qui nous priveroit de la vûe. ◀Cita/Lema ◀Nivel 4

Comme un Homme qui réflechit ne peut qu’être vivement touché de l’idée qu’il comparoîtra un jour devant celui qu’aucun ne peut voir & vivre, il doit être beaucoup plus touché lors qu’il pense que cet Etre infini examinera toutes les actions de sa vie passée, & qu’il le récompensera ou le punira sélon qu’il aura fait ou bien ou mal. Pour moi, je ne croi pas qu’il y ait aucun autre Système de Religion que celui du Christianisme qui soit capable de soutenir la Personne du monde la plus vertueuse sous le poids de cette pensée. Qu’un Homme soit aussi innocent qu’il vous plaira, qu’il ait porté la Vertu au plus haut degré de perfection, auquel on puisse ateindre dans cette Vie, il lui restera toûjours tant de péchez secrets, tant de foiblesses humaines, tant de fautes d’ignorance, tant de passion & de [245] préjugez, tant de paroles & de pensées mal-conçues, en un mot, tant d’infirmité dans ses meilleures actions, que sans le secours de l’Expiation que le Christianisme nous revéle, il lui serait impossible d’être absous devant le Tribunal du souverain Juge, ou même de subsister en sa présence. Notre sainte Religion nous fournit les seuls moïens qu’il y ait poux abolir nos Crimes, & rendre acceptable notre obéissance imparfaite.

Il y a une excellente Piéce en François, qui ne quadre pas mal à mon sujet, & que vous serez peut-être bien aise de revoir ici. Elle est de feu Mr. Des Barreaux, qui étoit un des plus beaux Génies & des plus grands Libertins qu’il y eut en France ; mais qui se repentit, à la fin de ses jours, d’une maniere éclatante. D’ailleurs Mr. Bayle nous dit que c’est une Piéce d’une grande beauté, & le célébre Auteur de la Rhétorique, ou l’Art de parler 5 la cite comme un Sonnet admirable. La voici. Nivel 4► Cita/Lema►

Grand Dieu, tes jugemens sont remplis d’équité ;
Toûjours tu prens plaisir à nous être propice ;
Mais j’ai tant fait de mal que jamais ta bonté
Ne me pardonnera sans choquer ta justice.

[246] Oui, mon Dieu, la grandeur de mon impieté
Ne laisse à ton pouvoir que le choix de suplice ;
Ton intérêt s’oppose à ma felicité,
Et ta clémence même atend que je périsse.

Contente ton desir, puis qu’il t’est glorieux :
Offense-toi des pleurs qui coulent de mes yeux :
Tonne, frape il est tems : rends-moi guerre pour guerre :

J’adore en périssant la raison qui t’aigrit ;

Mais dessus quel endroit tombera ton tonnerre,
Qui ne soit tout couvert du Sang de Jesus-Christ. ◀Cita/Lema ◀Nivel 4

Si ces pensées, peuvent vous être de quelque utilité, je vous prie de les mettre dans tout leur jour, & de me croire avec sincerité, &c. » ◀Carta/Carta al director ◀Nivel 3 ◀Nivel 2

O. ◀Nivel 1

1Vovez Tome I. p. 7. I

2Cet Ouvrage, & celui du même Auteur sur le Jugement dernier, ont été traduits en François par feu Mr. Mazel, & imprimez à Amsterdam chez H. Desbordes en 1696. On les trouve l’un & l’autre chez P. Humbert, & les Freres Westheim. D’ailleurs on peut voir dans le Traité de la Mort, à la p. 35. &c. § III. Le passage, qui est raporté ici & qu’on a mieux aimé traduite de nouveau sur l’Original. Outre ces deux Ouvrages de Pieté du Dr. Sherlock, il y en a un troisiéme, intitulé, de l’immortalité de l’Ame & de la Vie éternelle, qui a été aussi traduit en François & emprimé chez. H. Desbordes en 1708. On le trouve chez les mêmes Libraires marquez ci-dessus.

32. Corinth. V. 6. 8.

4I. Corinth. II. 3.

5Voïez page 168. de la derniere Edition, faite à Amsterdam chez la Veuve de P. Marret en 1712.