XLVI. Discours Anonym Moralische Wochenschriften Michaela Fischer Editor Martin Stocker Editor Katharina Tez Editor Institut für Romanistik, Universität Graz 09.01.2014 info:fedora/o:mws.2316 Anonym: Le Spectateur français ou le Socrate moderne. Tome IV. Amsterdam: Frères Wetstein 1720, 271-278, Le Spectateur ou le Socrate moderne 4 046 1720 Frankreich Ebene 1 Ebene 2 Ebene 3 Ebene 4 Ebene 5 Ebene 6 Allgemeine Erzählung Selbstportrait Fremdportrait Dialog Allegorisches Erzählen Traumerzählung Fabelerzählung Satirisches Erzählen Exemplarisches Erzählen Utopische Erzählung Metatextualität Zitat/Motto Leserbrief Graz, Austria French Theater Literatur Kunst Teatro Letteratura Arte Theatre Literature Arts Teatro Literatura Arte Théâtre Littérature Art France 2.0,46.0

XLVI. Discours

Adde tot egregias Urbes, operúmque laborem.Virg. Georg. L. II. 155.

Ajoutez à cela tant de Villes magnifiques, & d’autres Ouvrages faits par l’industrie des Hommes.

De ce qui plait à l’imagination dans les Ouvrages d’Architecture

Après avoir montré comment l’Imagination est affectée par les Ouvrages de la Nature & par ceux de l’Art ; & comment les uns & les autres se prêtent un secours mutuel pour former les Scénes & les Perspectives les plus agréables, je hasarderai ici quelques reflexions sur cet Art en particulier, qui a un raport plus immédiat qu’aucun autre avec l’Imagination ; & y excite ces Plaisirs primitifs, dont j’ai entretenu mes Lecteurs. Cet Art est l’Architecture, que j’envisagerai dans le même jour, où mes Discours précédens l’ont placée, sans toucher aux Régles & aux Maximes que les habiles Maitres en donnent, & qu’ils ont expliquées au long dans une infinité de Traitez publics.

La grandeur, dans les Ouvrages d’Architecture, peut se raporter à la masse & au corps de l’Edifice, ou à la Maniere dont il est bâti. A l’égard de la premiere, les Anciens, sur tout ceux des Païs Orientaux, l’emportoient de beaucoup sur les Modernes.

Pour ne rien dire de la Tour de Babel dont les fondemens, si nous en croïons un Auteur fort ancien, ressembloient à une vaste Montagne ; que pouvoit-on voir de plus superbe que les Murailles de Babylone, que ses Jardins élevez sur des Voutes, & que son Temple dédié à Jupiter Belus, qui s’élevoit à la hauteur d’un Mille, où il y avoit huit différens Etages, chacun haut d’un Mesure des Anciens, qui contenoit 125. Pas géometriques.Stade, & au sommet l’Observatoire Babylonien ? Que-dirons-nous de cet immense Rocher, qu’on avoit taillé en sorte qu’il representoit la Reine Semiramis, & de ces moindres Rochers qui l’environnoient, auxquels on avoit donné la Figure des Rois, devenus ses Tributaires? Que dirons-nous de ce prodigieux Bassin, ou de ce Reservoir artificiel, qui contint l’Euphrate entier, jusqu’à ce qu’on lui eut creusé un nouveau Canal, & de tous le Fossez à travers lesquels on le fit couler ? Je sai bien qu’il y a des Personnes qui traitent de Fables quelques unes de ces Merveilles de l’Art ; mais je ne vois aucun fondement pour un tel soupçon, à moins qu’il ne vienne, de ce que nous n’avons plus aujourd’hui de pareils Ouvrages. Il est certain qu’alors, & dans ces Climats du Monde, on avoit plus de commoditez pour bâtir, qu’il n’y en a jamais eu depuis. La Terre étoit extrêmement fertile ; on ne se nourrissoit presque alors que de Fruits ou de Laitages ; ce qui ne demandoit qu’un petit nombre de mains, eu égard à celles qu’il faut pour l’Agriculture : Il y avoit peu de Métiers capables d’occuper le gros des Hommes destinez au travail, & beaucoup moins d’Arts & de Sciences, pour entretenir les Speculatifs : D’ailleurs, ce qui est plus que tout le reste, les Princes étoient absolus ; de sorte qu’un Roi qui alloit à la Guerre se pouvoit mettre à la tête d’un Peuple entier : C’est ainsi que la Reine Semiramis se mit en Campagne avec trois millions d’Hommes, & que, malgré tout cela, elle fut accablée par le nombre superieur de ses Ennemis. Il ne faut donc pas s’étonner, qu’en tems de Paix, lors qu’elle entreprit de bâtir, elle pût executer de si grands Desseins avec une multitude si prodigieuse d’Ouvriers : Ajoutez à cela que, dans son Climat, les Gelées & les Hivers, qui détournent les Hommes la moitié de l’année dans les Païs Septentrionaux, & y causoient peu d’interruption. Je pourrois mettre au rang des avantages de ce Climat ce que les Historiens nous disent que la Terre y produisoit une espèce de Bitume, ou de Mortier naturel, qui est sans doute le même que celui dont l’Ecriture sainte nous parleGeb. XI.3., & qui servit à la Tour de Babel.

On voit encore en Egypte leurs Pyramides, qui répondent aux descriptions que les Anciens en ont faites ; & je ne doute pas qu’un Voïageur exact ne pût découvrir quelques traces du Labyrinthe qui occupoit une Province entiere ; & qui renfermoit une centaine de Temples.

La Muraille de la Chine est un de ces superbes Edifices des Orientaux, qui figure dans la Mappe-Monde, & dont la description paroitroit fabuleuse, si la Muraille même ne subsistoit aujourd’hui.

Nous sommes obligez à la Dévotion des Bâtimens les plus magnifiques qui ont orné les différens Païs de la Terre. C’est elle qui a porté les Hommes à élever des Temples & des Lieux destinez à servir au Culte public, non seulement afin que la noblesse de la structure engageât la Divinité à y resider, mais aussi afin que ces superbes Ouvrages de l’Art excitassent de vastes idées dans l’Esprit de ces Adorateurs, & qu’ils les rendissent propres à converser avec la Divinité du Lieu. En effet tout ce qui est majestueux imprime du respect & de la crainte, & sympatise avec la grandeur naturelle de l’Ame.

Pour venir à la grandeur de la maniere dans les Ouvrages d’Architecture, elle a tant de force sur l’imagination, qu’un petit Bâtiment, où elle paroit, donnera de plus nobles idées à l’Esprit qu’un autre vingt-fois plus étendu à l’égard de sa masse, où cette maniere est commune ou négligée. C’est ainsi peut-être qu’on auroit été plus surpris de l’air majestueux qui paroissoit dans une Statue d’Alexandre faite par la main de Lysippe, quoi qu’elle ne fût pas plus grande que le naturel, qu’on ne l’auroit été à la vûe de Mont Athos, si, comme Phidias le proposoit, on l’eût taillé pour representer ce Conquerant, avec une Riviere sur l’une de ses mains, & une Ville sur l’autre.

Ceux qui ont été à Rome & y ont vû le Panthéon n’ont qu’à reflechir sur l’état où leur Esprit s’est trouvé la premiere fois qu’ils y sont entrez, & ils se souviendront qu’il a été frapé de quelque chose de grand & de majestueux ; au lieu que la vûe d’une Eglise Gothique ne les touche presque pas en comparaison, quoi qu’elle soit cinq ou six fois plus grande que l’autre ; ce qui ne peut venir que de la grandeur da la maniere observée dans l’une, & de la médiocrité ou de la petitesse de cette maniere qu’il y a dans l’autre.

Mr. Errard, dans son Parallèle de l’Architecture Antique avec la Moderne, a remarqué là-dessus une chose qui m’a fait beaucoup de plaisir, & que je vai raporter dans les propres termes de l’Art, dont il s’est servi lui-même. Page 11. & 12. Edition de Paris in fol. 1702. Je vais remarquer sur ce propos, dit-il, une chose à mon avis assez curieuse, touchant le principe de la difference des manieres ; & d’où vient qu’en une pareille quantité de superficie, l’une semble grande & magnifique ; & l’autre paroit petit & mesquine : la raison en est fort belle & n’est pas commune. Je dis donc que, pour introduire dans l’Architecture cette grandeur de maniere dont nous parlons, il faut faire que la division des principaux membres des Ordres ait peu de parties, & qu’elles soient toutes grandes & de grand relief, afin que l’œil n’y voyant rien de petit, l’imagination en soit fortement touché. Dans une Corniche, par exemple, si la doucine du couronnement, le larmier, les modillons ou les denticules viennent à faire une belle montre avec de grandes saillies, & qu’on n’y remarque point cette confusion ordinaire de petits cavets, de quarts, de ronds, d’astragales, & je ne sai quelques autres particules entre-mélées, qui n’ont aucun bon effet dans les grand Ouvrages, & qui occupent du lieu inutilement & aux dépens des principaux membres ; il est très-certain que la maniere en paroitra fiere & grande : & tout au contraire elle deviendra petite & chetive par la quantité de ces menus ornemens ; qui partagent l’angle de la vûë en tant de rayons & si pressez, que tout lui semble confus.

Entre toutes les figures qui paroissent dans les Ouvrages d’Architecture, il n’y en a point qui aient un plus grand air que la concave & la convexe ; & nous voïons dans toute l’Architecture ancienne & moderne, aussi bien dans les Quartiers reculez de la Chine, que dans les Païs plus voisins du nôtre, que les Colomnes rondes & les Voutes font une grande partie de ces Bâtimens qui servent à la pompe & à la magni-ficence. Quelle raison en peut-on alléguer, si ce n’est que ces figures presentent plus du corps du Bâtiment à la vûe, que toutes les autres? Il est vrai qu’il y a de certains Corps, dont l’Oeuil peut recevoir les deux riets de la surface, mais comme la Vûe doit alors se partager en plusieurs angles, elle n’en reçoit pas uns idée uniforme, mais différentes idées de la même sorte. Retardez la surface exterieure d’un Dôme, votre Oeuil n’en admet que la moitié ; regardez l’Intérieure, & d’un coup d’œuil vous en avez tout le profit ; toute la concavité y entre à la fois, & l’Oeuil est le centre, où toutes les lignes de la circonference se réunissent : Lors qu’on regarde un Pilastre, on ne voit souvent que la quatriéme partie de sa surface, & lors qu’on jette les yeux sur un Concave quarté, il faut qu’on les tourne de tous les côtez, avant que d’en pouvoir embrasser toute la surface interieure. C’est pour cela même que l’imagination est infiniment plus touchée à la vûe de la Lumiere, ou du Ciel, qui paroit au travers d’une Voute, que lors qu’on les voit au travers d’un Quarré, ou de toute autre figure. Celle de l’Arc-en-Ciel ne contribue pas moins à sa magnificence, que les couleurs relevent sa beauté, ainsi que le Fils de Sirach l’a décrit d’une maniere fort Poëtique : Ecclesiastique. Ch. XLIII, 13. 24. Contemplez, dit-il, l’Arc-en-Ciel, & louez ce-lui qui l’a fait : il est d’une grande beauté par son éclat : Il environne le Ciel d’un Cercle glorieux ; les mains du très-Haut l’ont tendu.

Après avoir parlé de cette grandeur qui frape l’Esprit dans l’Architecture, je pourrois montrer le plaisir qui revient à l’Imagination de ce qui paroit extraordinaire & beau dans cet Art ; mais puis que chacun a naturellement plus de goût pour ces deux qualitez dans tous les Bâtimens qui s’ofrent à sa vûe, que pour celle dont j’ai traité jusques-ici, je n’embrasserai pas mes Lecteurs d’aucune réflexion là-dessus. Il me sufira de remarquer, pour mon but, qu’il n’y a rien dans tout cet Art qui plaise à l’Imagination que ce qui est grand, extraordinaire, ou beau.

O.

XLVI. Discours Adde tot egregias Urbes, operúmque laborem.Virg. Georg. L. II. 155. Ajoutez à cela tant de Villes magnifiques, & d’autres Ouvrages faits par l’industrie des Hommes. De ce qui plait à l’imagination dans les Ouvrages d’Architecture Après avoir montré comment l’Imagination est affectée par les Ouvrages de la Nature & par ceux de l’Art ; & comment les uns & les autres se prêtent un secours mutuel pour former les Scénes & les Perspectives les plus agréables, je hasarderai ici quelques reflexions sur cet Art en particulier, qui a un raport plus immédiat qu’aucun autre avec l’Imagination ; & y excite ces Plaisirs primitifs, dont j’ai entretenu mes Lecteurs. Cet Art est l’Architecture, que j’envisagerai dans le même jour, où mes Discours précédens l’ont placée, sans toucher aux Régles & aux Maximes que les habiles Maitres en donnent, & qu’ils ont expliquées au long dans une infinité de Traitez publics. La grandeur, dans les Ouvrages d’Architecture, peut se raporter à la masse & au corps de l’Edifice, ou à la Maniere dont il est bâti. A l’égard de la premiere, les Anciens, sur tout ceux des Païs Orientaux, l’emportoient de beaucoup sur les Modernes. Pour ne rien dire de la Tour de Babel dont les fondemens, si nous en croïons un Auteur fort ancien, ressembloient à une vaste Montagne ; que pouvoit-on voir de plus superbe que les Murailles de Babylone, que ses Jardins élevez sur des Voutes, & que son Temple dédié à Jupiter Belus, qui s’élevoit à la hauteur d’un Mille, où il y avoit huit différens Etages, chacun haut d’un Mesure des Anciens, qui contenoit 125. Pas géometriques.Stade, & au sommet l’Observatoire Babylonien ? Que-dirons-nous de cet immense Rocher, qu’on avoit taillé en sorte qu’il representoit la Reine Semiramis, & de ces moindres Rochers qui l’environnoient, auxquels on avoit donné la Figure des Rois, devenus ses Tributaires? Que dirons-nous de ce prodigieux Bassin, ou de ce Reservoir artificiel, qui contint l’Euphrate entier, jusqu’à ce qu’on lui eut creusé un nouveau Canal, & de tous le Fossez à travers lesquels on le fit couler ? Je sai bien qu’il y a des Personnes qui traitent de Fables quelques unes de ces Merveilles de l’Art ; mais je ne vois aucun fondement pour un tel soupçon, à moins qu’il ne vienne, de ce que nous n’avons plus aujourd’hui de pareils Ouvrages. Il est certain qu’alors, & dans ces Climats du Monde, on avoit plus de commoditez pour bâtir, qu’il n’y en a jamais eu depuis. La Terre étoit extrêmement fertile ; on ne se nourrissoit presque alors que de Fruits ou de Laitages ; ce qui ne demandoit qu’un petit nombre de mains, eu égard à celles qu’il faut pour l’Agriculture : Il y avoit peu de Métiers capables d’occuper le gros des Hommes destinez au travail, & beaucoup moins d’Arts & de Sciences, pour entretenir les Speculatifs : D’ailleurs, ce qui est plus que tout le reste, les Princes étoient absolus ; de sorte qu’un Roi qui alloit à la Guerre se pouvoit mettre à la tête d’un Peuple entier : C’est ainsi que la Reine Semiramis se mit en Campagne avec trois millions d’Hommes, & que, malgré tout cela, elle fut accablée par le nombre superieur de ses Ennemis. Il ne faut donc pas s’étonner, qu’en tems de Paix, lors qu’elle entreprit de bâtir, elle pût executer de si grands Desseins avec une multitude si prodigieuse d’Ouvriers : Ajoutez à cela que, dans son Climat, les Gelées & les Hivers, qui détournent les Hommes la moitié de l’année dans les Païs Septentrionaux, & y causoient peu d’interruption. Je pourrois mettre au rang des avantages de ce Climat ce que les Historiens nous disent que la Terre y produisoit une espèce de Bitume, ou de Mortier naturel, qui est sans doute le même que celui dont l’Ecriture sainte nous parleGeb. XI.3., & qui servit à la Tour de Babel. On voit encore en Egypte leurs Pyramides, qui répondent aux descriptions que les Anciens en ont faites ; & je ne doute pas qu’un Voïageur exact ne pût découvrir quelques traces du Labyrinthe qui occupoit une Province entiere ; & qui renfermoit une centaine de Temples. La Muraille de la Chine est un de ces superbes Edifices des Orientaux, qui figure dans la Mappe-Monde, & dont la description paroitroit fabuleuse, si la Muraille même ne subsistoit aujourd’hui. Nous sommes obligez à la Dévotion des Bâtimens les plus magnifiques qui ont orné les différens Païs de la Terre. C’est elle qui a porté les Hommes à élever des Temples & des Lieux destinez à servir au Culte public, non seulement afin que la noblesse de la structure engageât la Divinité à y resider, mais aussi afin que ces superbes Ouvrages de l’Art excitassent de vastes idées dans l’Esprit de ces Adorateurs, & qu’ils les rendissent propres à converser avec la Divinité du Lieu. En effet tout ce qui est majestueux imprime du respect & de la crainte, & sympatise avec la grandeur naturelle de l’Ame. Pour venir à la grandeur de la maniere dans les Ouvrages d’Architecture, elle a tant de force sur l’imagination, qu’un petit Bâtiment, où elle paroit, donnera de plus nobles idées à l’Esprit qu’un autre vingt-fois plus étendu à l’égard de sa masse, où cette maniere est commune ou négligée. C’est ainsi peut-être qu’on auroit été plus surpris de l’air majestueux qui paroissoit dans une Statue d’Alexandre faite par la main de Lysippe, quoi qu’elle ne fût pas plus grande que le naturel, qu’on ne l’auroit été à la vûe de Mont Athos, si, comme Phidias le proposoit, on l’eût taillé pour representer ce Conquerant, avec une Riviere sur l’une de ses mains, & une Ville sur l’autre. Ceux qui ont été à Rome & y ont vû le Panthéon n’ont qu’à reflechir sur l’état où leur Esprit s’est trouvé la premiere fois qu’ils y sont entrez, & ils se souviendront qu’il a été frapé de quelque chose de grand & de majestueux ; au lieu que la vûe d’une Eglise Gothique ne les touche presque pas en comparaison, quoi qu’elle soit cinq ou six fois plus grande que l’autre ; ce qui ne peut venir que de la grandeur da la maniere observée dans l’une, & de la médiocrité ou de la petitesse de cette maniere qu’il y a dans l’autre. Mr. Errard, dans son Parallèle de l’Architecture Antique avec la Moderne, a remarqué là-dessus une chose qui m’a fait beaucoup de plaisir, & que je vai raporter dans les propres termes de l’Art, dont il s’est servi lui-même. Page 11. & 12. Edition de Paris in fol. 1702. Je vais remarquer sur ce propos, dit-il, une chose à mon avis assez curieuse, touchant le principe de la difference des manieres ; & d’où vient qu’en une pareille quantité de superficie, l’une semble grande & magnifique ; & l’autre paroit petit & mesquine : la raison en est fort belle & n’est pas commune. Je dis donc que, pour introduire dans l’Architecture cette grandeur de maniere dont nous parlons, il faut faire que la division des principaux membres des Ordres ait peu de parties, & qu’elles soient toutes grandes & de grand relief, afin que l’œil n’y voyant rien de petit, l’imagination en soit fortement touché. Dans une Corniche, par exemple, si la doucine du couronnement, le larmier, les modillons ou les denticules viennent à faire une belle montre avec de grandes saillies, & qu’on n’y remarque point cette confusion ordinaire de petits cavets, de quarts, de ronds, d’astragales, & je ne sai quelques autres particules entre-mélées, qui n’ont aucun bon effet dans les grand Ouvrages, & qui occupent du lieu inutilement & aux dépens des principaux membres ; il est très-certain que la maniere en paroitra fiere & grande : & tout au contraire elle deviendra petite & chetive par la quantité de ces menus ornemens ; qui partagent l’angle de la vûë en tant de rayons & si pressez, que tout lui semble confus. Entre toutes les figures qui paroissent dans les Ouvrages d’Architecture, il n’y en a point qui aient un plus grand air que la concave & la convexe ; & nous voïons dans toute l’Architecture ancienne & moderne, aussi bien dans les Quartiers reculez de la Chine, que dans les Païs plus voisins du nôtre, que les Colomnes rondes & les Voutes font une grande partie de ces Bâtimens qui servent à la pompe & à la magni-ficence. Quelle raison en peut-on alléguer, si ce n’est que ces figures presentent plus du corps du Bâtiment à la vûe, que toutes les autres? Il est vrai qu’il y a de certains Corps, dont l’Oeuil peut recevoir les deux riets de la surface, mais comme la Vûe doit alors se partager en plusieurs angles, elle n’en reçoit pas uns idée uniforme, mais différentes idées de la même sorte. Retardez la surface exterieure d’un Dôme, votre Oeuil n’en admet que la moitié ; regardez l’Intérieure, & d’un coup d’œuil vous en avez tout le profit ; toute la concavité y entre à la fois, & l’Oeuil est le centre, où toutes les lignes de la circonference se réunissent : Lors qu’on regarde un Pilastre, on ne voit souvent que la quatriéme partie de sa surface, & lors qu’on jette les yeux sur un Concave quarté, il faut qu’on les tourne de tous les côtez, avant que d’en pouvoir embrasser toute la surface interieure. C’est pour cela même que l’imagination est infiniment plus touchée à la vûe de la Lumiere, ou du Ciel, qui paroit au travers d’une Voute, que lors qu’on les voit au travers d’un Quarré, ou de toute autre figure. Celle de l’Arc-en-Ciel ne contribue pas moins à sa magnificence, que les couleurs relevent sa beauté, ainsi que le Fils de Sirach l’a décrit d’une maniere fort Poëtique : Ecclesiastique. Ch. XLIII, 13. 24. Contemplez, dit-il, l’Arc-en-Ciel, & louez ce-lui qui l’a fait : il est d’une grande beauté par son éclat : Il environne le Ciel d’un Cercle glorieux ; les mains du très-Haut l’ont tendu. Après avoir parlé de cette grandeur qui frape l’Esprit dans l’Architecture, je pourrois montrer le plaisir qui revient à l’Imagination de ce qui paroit extraordinaire & beau dans cet Art ; mais puis que chacun a naturellement plus de goût pour ces deux qualitez dans tous les Bâtimens qui s’ofrent à sa vûe, que pour celle dont j’ai traité jusques-ici, je n’embrasserai pas mes Lecteurs d’aucune réflexion là-dessus. Il me sufira de remarquer, pour mon but, qu’il n’y a rien dans tout cet Art qui plaise à l’Imagination que ce qui est grand, extraordinaire, ou beau. O.