La Spectatrice: III. Semaine
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Troisiéme Semaine
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Selbstportrait
Le grand vuide que j’ai trouvé dans la plûpart des Societez, m’a donné d’extrêmes dégouts qui m’on déterminé à retourner de tems en tems au monde naturel ou j’ai été élevée. J’y suis, & j’y passe des heures avec mes animaux, qui me paroissent dans leurs manieres de vivre, de sentir & d’agir, moins déraisonnables que les hommes, moins sots & moins bêtes, selon nôtre façon de parler.
Ces créatures, si méprisées de celle qui se qualifient de raisonnables, composent un monde naturel, dont les mœurs n’ont jamais été alterées, un monde tel qu’il est sorti des mains de la nature. Quelle difference de ce monde à celui que compose le genre humain ! Je ne conçois point qu’il puisse y avoir de difference entre nos frères & celles qui ont paru les premieres sur la terre : & je ne conçois presque point d’égalité entre les premiers hommes & nous. Enfin le monde des bêtes est pour moi plus interessant que le monde des hommes par cette raison-là.
Je ne sçaurois oublier de certains endroits de Pascal, dont je lûs jadis les pensées avec passion, quoique je lui en trouvasse de bien extraordinaires ! Mais tel est le sort des grands esprits, ils n’en sont pas moins grands pour cela, par tous où ils le sont.
J’aime à passer une partie de ma vie avec ces compagnons. Je me surprends souvent en des bêtises, dont à peine ils seroient capables. Leur societé ne me donne aucun chagrin, & me donne souvent du plaisir ; & ce qu’on aura peut-être de la peine à coire d’une femme Autheur ; j’y goûte quelquefois celui de la simpathie. Mais le plus grand avantage que j’y trouve est l’affranchissement des servitudes qu’éxige la societé des animaux, qui ne simpatisent pas comme moi avec leurs compagnons. Voilà ce qui me fait souvent préferer le commerce des bêtes à celui des hommes.
Zitat/Motto
Baissez, dit-il, les yeux vers la terre, & regardez les bêtes dont vous êtes les compagnons, &c.
Allgemeine Erzählung
Metatextualität
J’avoüerai cependant que le commerce des hommes a un certain merite pour une ame refléchissante ; qu’il donne lieu à des comparaisons interessantes entre l’homme & les autres animaux ; entre les qualitez naturelles de ceux-ci & celles qui les hommes affectent.
Metatextualität
Comparez & concluez.
Metatextualität
Voilà ma maniere de Philosopher. Je ne touche point à ces questions subtiles ou relevées des Philosophes du grand air. Je raisonne sur des sujets simples, & si simples qu’ils pourront bien paroître bas à quelques Lecteurs : mais j’irai mon chemin ; & comme je suis en train aujourd’hui, voici encore un sujet tiré de ma basse-cour, qui donnera peut-être une pauvre idée à de certains esprits, de celui de la Spectatrice. Mais patience, j’en prendrai ailleurs qui seront de leur goût ; car à l’exemple des autres spectateurs, je prétend bien en tirer des Poëtes celebres, des Lettres qui me seront écrites, de mes rêveries & de mes songes & m’en faire encore de ma seule autorité. Voici mon sujet trivial & mes réflexions qui le sembleront peut-être aussi.
Allgemeine Erzählung
J’ai vû ce matin mes chevaux arriver du labourage, l’oreille basse, & fatiguez ; mais en approchant de leurs camarades, qui les attendoient, & qui les appelloient à l’écurie ; ils se sont réveillez & leur ont répondu de bonne grace par leurs hennissemens. J’ai remarqué dans les uns & dans les autres un air & des manieres d’empressement & d’impatience amicale qui m’a presque touchée, car j’aime l’amité ; & celle des bêtes, qui n’est point équivoque comme la nôtre, fait souvent plus d’impression sur moi que celle des hommes.
Ces animaux s’aiment, disois-je en moi-même. Ils sont contens quand ils sont ensemble ; & ceux qui sont accoûtumez à être l’un auprès de l’autre ne se trouvent point bien placez autrement. N’est-ce pas-là s’aimer ? D’où vient que les Auteurs des Livres d’amitié ne parlent pas de celle des bêtes ? Je gagerois qu’ils les en ont crûs incapables. Ils ont eû grand tort. Si jamais j’en écris, je veux les y admettre. Il y en a cinq ou six dans ma gentil-hommiere que j’aime avec tendresse, & je suis sûre d’en être aimée de même : car elles me cherchent & me suivent, même quand elles n’ont point faim, & paroissent tout-à-fait contentes de mes caresses. Marques d’un désinteressement qui devroit faire honte à presque tout le genre humain.
Il y a, continuois-je, dans le monde des gens qui ne s’aiment que comme ces animaux-là. C’est ce que la Bruiere avoit apparement remarqué quand il a dit, qu’on est d’un meilleur commerce par le cœur que par l’esprit. Pensée judicieuse & qui convient fort à cette espece d’hommes simples. Leur cœur est plus gouverné par un penchant aveugle, par une espece d’instinct, que par les réflexions : & leurs amis s’en trouvent bien.
Mais quoi ! le cœur, qui a si grand besoin de guide, seroit-il donc lui-même un meilleur guide que l’esprit, dans le commerce, dans l’amitié ? Les idiots qui se laissent conduire par cet aveugle, seroient-ils des amis préferables à nous autres gens d’esprit, qui connoissons les sentimens interessans, les devoirs, la délicatesse ?
Embarassé de cette question, j’ai quitté l’écurie & me suis enfoncée dans mes bois pour y examiner s’il me fera plus avantageux dans l’occasion de faire tomber mon choix sur quelque sot de bonne amitié, que sur un homme d’esprit.
La solitude est excellente pour rappeller les idées. Je me suis souvenuë de quelques remarques que j’avois faites dans le monde. Il est vrai qu’il se forme une liaison d’habitude entre des hommes simples qui vivent & travaillent ensemble, comme elle s’est formée entre mes chevaux ; & que quand il s’y joint un dégré de convenance, que les chevaux ne sont pas incapables de sentir, cette liaison devient une espece d’amitié. Point d’autre témoignage de cette amitié, que de se voir, manger au même plat, coucher sous un même toit, aller ensemble à leur travail. Quand ils se parlent, ce n’est que de choses mille fois rebatuës. Point de vivacité, de sensibilité ; cependant ils s’aiment de meilleure foi que nous autres, & ils se servent, comme ils s’aiment : ils sont plus secourables, plus constans que nous. Il est vrai que leur amitié n’est relevée d’aucun assaisonnement. Je les ai considerez quelquefois, quel abord ! quelle conversation ! rien d’agréable ! rien d’interessant. Mais ils s’aiment, je le repete, & leur amitié qui ne produit point de fleurs comme le nôtre, produit des services. Ce sont des fruits d’un autre prix que les fleurs.
Voïons-les dans le commerce de l’amour. A peine merite-t-il ce nom ; ce n’est encore gueres plus que de l’instinct.
Quand un homme de ce caractere s’avise de se marier, il se choisit une maîtresse. Il la choisit ordinairement de son goût ; (car les simples aiment personnellement leurs futures, & pensent moins que les gens d’esprit à les marchander.) Il lui fait l’amour pendant un certain tems. Quel amour ! quelles plates douceurs ! je l’avouë, mais il l’aime, puisqu’il en veut faire sa ménagere, l’épouser & s’en tenir à elle. Il lui parle de tems en tems de son mariage, & souvent il ne lui parle de rien ; mais il est content d’être auprès d’elle. N’est-ce pas de cet amour que le même la Bruiere a dit :
Quel pauvre amour ! mais c’est un amour naturel, franc, qui veut épouser, qui a de l’honneur, de la conscience, de la simplicité, de la droiture. Il n’est pas joli, mais il est bon. C’est ainsi que l’on pourroit se figurer l’amour de ces honêtes chevaux de l’Ile de Gulliver.
Le froid galant tend à vivre en paix avec une femme qui soit à lui seul, qui ait soin de lui, qui le gouverne ; bien résolu de faire ce qu’il pourra pour la contenter. Tout cela n’est conduit que par le cœur, quel esprit, quelle délicatesse de sentimens y a-t-il là-dedans ? mais laissons l’amour pour une autre fois, & reprenons l’amitié.
Une personne d’esprit ne s’accomodera point de celle dont je viens de parler, sincere, loiale, prête à fructifier. On veut être aimé agréablement, il faut des manieres vives, empressées, de la chaleur. Soiez prévenant, gracieux, vif, prenez un air un peu tendre, persuadez que vous aimez, on vous croira & vous serez aimé aussi. En voudriez-vous davantage ? On s’aime pour le plaisir de la société, pour contenter l’esprit. Les avantages réels sont une autre affaire ; il n’en sera question que dans les besoins : mais les hommes ne pensent qu’au present.
En amitié être flaté, est le besoin present, & souvent pressant pour l’amour propre. Penser à d’autres qui n’arriveront peut-être pas, seroit trop serieux, trop Philosophe. Enfin, il faut être ami de societé, ami agréable, ami pour plaire, & tout cela veut dire, ami pour le discours. Voilà ce qui fait la societé, l’amitié dans le monde poli & spirituel.
Comparons ce commerce avec celui des bonnes gens dont je parlois, pour juger de la proposition du Philosophe. Dans l’un, on ne se met presque pas en peine du cœur, il ne faut que des manieres ; ainsi nul fonds à faire sur les amis de simple societé, quelques aimables qu’ils soient. Ils ne sont pas faits pour aimer, mais pour amuser. Dans l’autre, il n’entre point de ces agrémens de la societé, mais il est utile, durable, & l’on peut compter sur un ami.
Zitat/Motto
Etre avec les gens qu’on aime cela suffit, rêver, leur parler, ne leur parler point, penser à eux, penser à des choses plus indifferentes, mais auprès d’eux, tout est égal ?