Pers. Sat. III. 85.
C’est-à-dire, Cela vaut-il la peine que vous ruiniez votre santé, & que vous en perdiez le manger & le boire ?
Comme le peu de savoir qui se trouvoit alors au Monde étoit renfermé dans les Cloîtres, & que les Moines étoient dègagez de tous les embarras de la Vie, il ne faut pas s’étonner si plusieurs de ceux qui manquoient de genie pour les plus hautes Entreprises, s’amusoient à de misérables Jeux d’esprit qui demandoient plus de loisir que de capacité. J’ai vû la moïtié de l’Eneide refondue en Vers Latins rimez, par des beaux Esprits de ce Siecle ténébreux, qui dit, dans sa Préface, que ce Poëme n’avoit besoin que de la douceur des rimes pour le rendre l’Ouvrage le plus parfait qu’il y eût en son genre. J’ai vû aussi une Hymne en Vers héxametres, à l’honneur de la bienheureuse Vierge, qui remplissoit un Livre entier, quoiqu’elle ne fût composée que de ces huits mots :
C’est à dire, O bienheureuse Vierge, vous possedez autant de Vertus, qu’il y a d’Etoiles au Ciel. l’Anagramme d’un Homme par allusion à cette espece d’Ouvrage distegué.
Lorsque l’Anagrammatiste travaille sur un Nom, il le regarde comme une Mine toute neuve, qui ne découvre ses tresors qu’après y avoir fouillé long-tems : Car son affaire est de trouver un Mot qui se Marie Boun. L’Amant, incapable de former aucun autre mot de celui de Marie, par une licence assez ordinaire dans cette sorte de Tours ingenieux, le convertir en Moll, qui en est le Diminutif ; & après avoir sue sang & eau l’éspace de six mois, produisit enfin une Anagramme. Mais lorsqu’il voulut en regaler sa Maitresse, Parcequ’on n’emploie ces Diminutifs qu’à l’égard des petites Filles, ou des Gens du commun. D’ailleurs les Anglois prononcent un peu choquée de se voir dégrader en
Effusus labor.
Le pauvre Amant vit alors que toute sa peine étoit perdue, & frapé de ce coup de foudre, il ne tarda pas long-tems à perdre ce qui lui restoit d’esprit, affoibli déja par la grande application qu’il avoit apportée à cette merveilleuse recherche.
Cependant Ciceron parle de l’Archrostiche Liv. II. De la Divination § 54. où il dit qu’Ennius avoit fait de ces Vers, aussi bien que les Sibylles.l’Acrostiche & l’Anagramme nâquirent à peu près dans le même Siecle, quoique l’on ne puisse pas décider lequel des deux Inventeurs de ces pénibles Niaiseries étoit le plus grand Sot. L’Acrostiche
On voit une autre Piece curieuse, qui est alliée de sort près avec les Anagrammes & les Acrostiches, & qu’on appelle communément un Chronogramme. Cette sorte d’esprit paroît sur quantité de Medailles modernes, & consiste à exprimer le Millésime dans la Légende. On peut dire que l’Allemagne l’emporte à cet égard sur toutes les autres Nations. Quoi qu’il en soit, sur une Medaille de Gustave Adolphe, ChrIstVs DuX ergo trIVMphVS. Si vous prenez la peine d’en tirer les plus grosses Capitales, & de les ranger ensuite dans l’ordre qu’il faut, vous verrez qu’elles forment ensemble l’An MDCXVVVII, ou 1627, qui est le Millésime de cette Medaille. Car, afin que vous le sachiez, ces Caracteres qui se distinguent des autres, & qui les surpassent en grandeur, doivent servir ici à un double usage, en qualité de Caractères & de Chifres. Il y a de ces Allemans laborieux qui vous feuilleteront un Dictionnaire entier pour venir à bout d’une de ces jolies Inventions. Vous croiriez qu’ils cherchent un Terme propre & de la bonne Latinité ; mais ce n’est pas cela ; ils vont à la chasse d’un Mot où il y ait une L, une M, ou un D. Ainsi lorsqu’il nous tombe quelqu’une de ces Legendes entre les mains, nous ne devons pas tant y chercher la Pensée, que le Millésime.
Les Bouts-Rimez ont été les Favoris de la Nation Françoise La Préface, qui est à la tête du Poëme de Mr , l’espace d’un Siecle entier, quoiqu’il y eût alors nombre de beaux Esprits, & que le Savoir y fleurît.
François témoignent pour rétablir ce mauvais goût, me paroît une des marques les plus sensibles de la décadence de l’Esprit & du Savoir, qui accompagne presque toujours celle de l’empire. Si quelqu’un de mes Lecteurs Anglois n’a jamais vû de ces jolies Pieces, il n’a qu’à ouvrir le nouveau Mercure Galant, où l’Auteur donne tous les Mois une Liste de Rimes, que les Poëtes s’exercent à remplir, & il ne manque pas de publier leurs belles Productions dans le Mercure du Mois suivant. Novembre dernier, qui me tombe sous la main :
Lauriers
Guerriers
Musette
Lisette
Cesars
Etendars
Houlette
Folette.
Qui ne s’etonneroit d’entendre un Homme du Savoir de feu Mr. Menage parler de
Voïez Mr.
Ce qui fournit la première occasion à ces Bouts-Rimez les rendoit en quelque maniere excusables, puisque c’étoit une tâche que les Dames Françoises donnoient à leurs Amans. Mais lorsqu’un Auteur aussi grave, que celui que je viens dé nommer, s’imposoit à lui-même une pareille tâche, pouvoit-il y avoir quelque chose de Dulot vaincu, ou La Défaite des Bouts-Rimez.
Il faut joindre à cette sorte d’esprit celui qui veut que les deux dernieres syllabes de chaque Distique soient toujours les mêmes ; ce que l’on observe dans nos Balades, ou nos Vaudevilles, & que les ignorans admirent. Mais si la pensée du Couplet est bonne, la rime y ajoûte peu de chose ; & si elle ne vaut rien, la rime ne sauroit la faire approuver. Du reste, je crains que plusieurs de ceux qui admirent Hudibras, n’aient plus d’égard à ces méchants rimes, qu’aux plus beaux endroits de cet excellent Poëme.
C.