Zitiervorschlag: Anonyme (Claude de Crébillon) (Hrsg.): "No. 18.", in: La Bigarure, Vol.12\018 (1751), S. 137-144, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.5130 [aufgerufen am: ].


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N°. 18.

Ebene 2► Brief/Leserbrief► Qu’un attrait seducteur, au quel il est presque impossible de resister, entraine la jeunesse, de l’un & l’autre sexe, dans ce que l’on appelle la folie de l’Amour ; les personnes qui ont un peu étudié la Nature n’en sont nullement étonnées. Celles même qui se piquent le plus de religion sont obligées de reconnoitre, dans ces pretendues folies, l’execution des ordres du Créateur qui, voulant, & ayant ordonné, que le monde se perpetuat par cette voye, permet que toutes les reflexions, même les plus sensées, que la Raison peut suggerer contre ce penchant, echouent ordinairement contre l’attrait que les deux sexes sentent toujours l’un pour l’autre, tant qu’ils sont dans un âge où la Nature, qui le leur inspire, peut en tirer l’usage pour le quel elle leur donne.

L’homme par ses desirs, dès qu’il sçait se connoitre,

Sent que c’est pour aimer que le Ciel l’a fait naitre.
[138] Les Palais, les Tresors, les faveurs de la Cour,
Les bonneurs, les festins, tout n’est rien sans l’Amour.
De la felicité c’est l’Amour qui decide ;
Lui seul remplit nos Vœux ; sans lui le cœur est vuide.

Voilà, Monsieur, le veritable portrait du cœur humain. C’est sous ce point de vue que nous devons le considerer. Pour lors nous cesserons d’être étonnez de voir dans le monde tant d’effets bisarres de l’Amour, tant de folies apparentes que cette passion fait faire, & que notre Raison, qui n’est pas toujours raisonnable, ne desaprouve souvent, que parce qu’elle n’entre pas alors dans les vues de la Providence.

Mais autant qu’on doit être porté à excuser, sur cet article, les personnes qui n’ont point encore contracté sur cela d’engagement ; autant, & plus encore, doit-on condamner celles qui, étant engagées dans l’état respectable du Mariage, n’y vivent pas dans cette fidelité inviolable qu’ils se sont mutuellement jurée, à la face des Autels, & qui ne remplissent pas les devoirs indispensables de cet état.

Faire de son Epoux tout son contentement,

Ne mettre qu’en lui seul tout son amusement,
Regler ses volontez sans cesse sur les siennes,
Ainsi qu’à ses plaisirs prendre part à ses peines,
Donner à ses enfans de l’education ;
Voilà tout ce qu’exige une telle union.

Metatextualität► Oui sans doute, ce sont là les devoirs essentiels du Mariage ; mais toutes les femmes sont elles fidelles à les remplir ? Vous allez voir, Monsieur, la preuve du contraire dans les Avantures suivantes. Milan, Paris, Londres, Amster-[139]dam, Vienne, Stockholm, Petersbourg, sont les Villes qui me les ont fournies ; ce que je vous fais observer ici, pour que vous ne croyiez pas que ce n’est que chez nous que l’on trouve des femmes coquettes & infidelles. Voici la premiere de ces Avantures. ◀Metatextualität

Allgemeine Erzählung► Un Boulanger de cette Ville, homme fort riche, mais sur le retour, épousa, il y a environ quatre mois, une jeune femme, d’une figure très agréable, d’un très bon temperament, & qui lui paroissoit avoir eu une assez bonne education quoique dans le fond ce, soit une Coquette du premier ordre ; Aussi n’avoit-elle consenti à ce Mariage, que par ce qu’elle n’avoit que très peu de bien. Les deux premiers mois s’étant passez à peu près dans le goût du Calendrier des Vieillards, la jeune Comere, qui ne s’accommodoit pas d’une pareille abstinence, prit le parti de s’en dedomager par le suplément d’un galant dont elle fit bientôt le connoissance, & qu’elle introduisit dans la maison à titre de Cousin. Les vieux Maris, qui ont des jeunes femmes, ne s’accommodent pas, pour l’ordinaire, de ces sortes de parentez. Celui-ci qui ne croyoit pas plus aux parents, qu’aux revenants, s’aperçut bientôt, par les privautez un peu trop galantes qui étoient entre le Cousin & la Cousine, qu’il y avoit entre eux plus que de la parenté. Ses conjectures n’étoient que trop fondées. En effet le bon homme avoit déja été plusieurs fois enrôlé dans la grande Confrairie. Soit qu’il s’en fut aperçu, soit qu’il n’eut eu sur cela que des pressentiments, pour se debarasser de cet incommode parent, le Boulanger donna à deux grands drôles qui étoient à son service, & qui n’avoient pas les bras gourds, la com-[140]mission de l’éliminer. Ils n’eurent pas de peine à en venir à bout. Il n’eut besoin pour cela que de leur signifier cet ordre en sa presence. Il falut, en conséquence, que le Cousin renonçat, non seulement, à la parenté, mais à la fréquentation même de la maison, qu’il n’osa plus regarder que de loin.

Cependant la Boulangere, à qui cette interdiction faisoit beaucoup de peine, ne se donna point de repos, qu’elle n’eut mis dans ses intérêts un des deux drôles que son Mari avoit chargé du soin d’écarter le Cousin. Quelque autorité qu’un vieux époux ait sur ses Valets, une jeune & jolie femme l’emportera toujours sur lui quand elle voudra. Quelques avances, dont ceux-ci se tiendront toujours fort honorez, en feront l’affaire. Eh ! de quoi ce malin & dangereux sexe n’est-il pas capable quand il est question de satisfaire ses fantaisies ? J’en ai connu, & plus d’une, qui se vangeoient, avec leurs Domestiques mêmes, de la contrainte où leurs Maris les tenoient. Si la Boulangere eut recours à cet expedient, c’est ce que j’ignore ; mais malgré les deux Argus que le bon homme lui avoit donnez, le galant eut chez elle les entrées nocturnes, & pendant que le Mari dormoit, ou étoit occupé à faire son pain, sa galante femme &c. &c.

Jusque-là tout alloit fort bien ; & le Boulanger se tranquilisant sur la bonne foi de ses deux espions, dormoit, comme l’on dit, sur l’une & l’autre oreille, lorsqu’un accident imprévu a tout découvert, & mis au grand jour la honte du bon homme. Voici de quelle maniere la chose est arrivée. Comme il ne suffit pas à un galant d’avoir ses entrées dans une maison qu’il deshonore, mais qu’il est encore question d’en sortir avec precau-[141]tion, celui-ci avoit coutume de sortir, de chez le Boulanger, avant le jour, par la porte de derriere dont il avoit la clef. Or, un de ces matins, qu’il se couloit le long du mur, deux de ces coupeurs de bourse, qui rôdent ici, la nuit, dans les rues, l’attaquerent à l’improviste. Le galant se met en deffense, & crie au secours. Les Voleurs, craignant d’être surpris, se sauvent en apellant eux mêmes le Guet de toutes leurs forces. Le Guet accourt, & rencontre le galant qui, s’estimant trop heureux d’être délivré de ces canailles, n’avoit point pensé à remettre son épée dans le foureau. Bien loin de là, il poursuivoit son chemin, la tenant nue sous son bras, pour être plus tôt prêt à se deffendre, en cas qu’il eut le malheur de faire encore une pareille rencontre.

On a bien raison de dire que le trop de precaution nous fait quelque fois autant de mal, que lorsque nous n’en prenons pas assez. A la vue de cette épée nue, les Archers, rencontrant le Cousin, crurent d’abord qu’il étoit l’homme contre le quel on venoit d’apeller du secours ; & en consequence ils se saisirent de lui. Voilà notre homme tombé, comme l’on dit, de Carybde en Scylla. On lui demande qui il est, ce qu’il fait, son logement, pourquoi il se trouve dans les rues à une heure aussi indue, & d’où il vient. Toutes ces questions, faites à la fois, & surtout la derniere, le troublent & l’embarassent. Il reste interdit, & ne sçait que repondre. Il n’en faut pas davantage aux Archers qui, le prenant pour un Voleur, ou un Malfaiteur, le conduisent dans la prison du Fore-l’Evêque. Voilà notre oiseau en cage, & d’autant plus embarrassé, que le Cousin étoit un veritable Cousis, un de ces échapés [142] de la Garonne, qui ne vivent ici que de leur industrie. Pour se tirer de ce mauvais pas, il falut avoir recours à la Cousine, à qui il trouva moyen de faire sçavoir son malheur & sa triste situation. Celle-ci ne l’eut pas plus tôt apprise, qu’elle procura à ce cher Ami tous les secours dont il eut besoin. Mais s’ils étoient plus que suffisants pour le prisonnier, le temperament de la Boulangere ne s’accommodoit pas de cette détention. Pour lever cet obstacle, la Comere ramasse tout ce qu’elle peut attraper à son Mari, argent, bijoux, argenterie, & tout ce qui étoit de quelque prix ; après quoi, lui cherchant une querelle, elle se brouille avec lui, & le menace de s’en aller.

Salomon, grand connoisseur en femmes, s’il y en eut jamais un dans le monde, a dit quelque part, qu’il vaut mieux demeurer dans une terre deserte, qu’avec une femme querelleuse & colere*1 . Le bon homme l’éprouva. Lassé d’entendre, pendant plusieurs jours, une gamme qui ne finissoit point, il la prit enfin au mot, & lui dit bonnement qu’elle n’avoit qu’à partir. Elle ne se le fit pas repeter, & partit sur le champ, pour aller rejoindre son galant, dont elle se dit la femme, & avec le quel elle passa, en cette qualité, plusieurs semaines dans la prison, sans que son Mari sçut ce qu’elle étoit devenue. Peut-être s’en seroit-il fort peu inquieté, sans un nouvel accident au quel il ne s’attendoit pas, & qui reveilla son humeur jalouse. Le voici.

Le jour que la Boulangere partit, pour aller rejoindre son galant, elle avoit chargé celui de [143] ses deux garcons, qu’elle avoit mis dans ses intérêts, de lui porter, sur les dix heures, dans un endroit qu’elle lui avoit designé, un ballot assez gros, qu’elle avoit fait de ses meilleures hardes. Celui-ci prend le ballot, & sort de chez son Maitre ; mais, au lieu de le porter à l’endroit que sa Maitresse lui avoit indiqué, il va vendre toutes ces hardes à un Fripier, & ne songe qu’à se divertir tant que dure l’argent qu’il en a reçu.

Le Boulanger, qui ne sçavoit point les allures que le prétendu Cousin avoit eues dans sa maison, & moins encore la triste avanture qui lui étoit arrivée, ne voyant point revenir son garçon le lendemain, ni les jours suivants, commença à entrer en soupçon. Pour s’éclaircir, il se mit à faire une revue dans ses meilleurs effets, qu’il s’aperçut enfin qui avoient disparu. Il ne douta plus alors que sa femme ne les eut enlevez, & qu’elle ne s’en fut allée avec son garçon. Il les fait chercher l’un & l’autre dans tout Paris. Après bien des recherches, on trouve enfin le Mitron qui, croyant se justifier, raconte la chose comme elle s’est passée. Sur les indices qu’il donne, on fait de nouvelles perquisitions, & l’on trouve enfin Madame la Boulangere dans la prison du Fore-l’Evêque, avec son galant dont elle s’étoit ditte la femme, & qui, depuis qu’elle avoit quitté son Mari, vivoit avec lui en cette qualité.

Sur ces informations, le Valet a été mis en prison, où l’on travaille à son procès. On croit qu’il sera pendu, comme coupable de Vol Domestique. Quant à la femme, son vieux Mari l’a fait renfermer, pour le reste de ses [144] jours, aux Madelonnettes ( 2 ). Reste le galant, dont on ne sçait ce que l’on fera, parce que, comme tous les gens de son païs, il deffend sa Cause avec beaucoup d’esprit, & nie, avec autant de fermeté que d’effronterie, qu’il ait jamais eu la moindre pensée de suborner cette femme qu’il jure, au contraire, n’avoir jamais connue, que dans sa prison où elle l’est, dit-il, venue trouver. Voilà comme les effrontez sçavent se tirer d’affaire ; Mais la Justice se contentera-t-elle de ces raisons ? . . . Bien des gens se le persuadent, d’autant, disent-ils, qu’il ne lui en reviendroit rien : Car quel profit peut-on faire à la mort, ou au châtiment, d’un Gascon ? Peutêtre n’en seroit-il pas de même si nos Juges, au lieu de ce Cousis, avoient entre leurs mains deux pigeons pareils à ceux dont vous allez lire l’avanture, qui vient d’arriver à Londres. ◀Allgemeine Erzählung

Un fameux, & riche Marchand de la Cité. . . . Metatextualität► mais je m’aperçois, Monsieur, que le papier va me manquer ; Cependant je suis encore bien loin de mon compte. Que faire en ce cas ? . . . renvoyer à une autre Lettre cette Avanture, ainsi que beaucoup d’autres du même genre, que j’ai à vous raconter ; Car, grace à la corruption de nos mœurs, cette matiere n’est que trop abondante aujourd’hui. En attendant, ◀Metatextualität

J’ai l’honneur d’être &c.

Paris, ce 6 Novembre 1751.

◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 2

Jeudi ce 11 Novembre 1751.

◀Ebene 1

1* Melius est habitare in terra deserta, quam cum muliere rixosa & iracunda. Proverb. C. XXI. vs. 19.

2( ) Maison de correction pour les filles & les femmes libertines.