Article XIX. Armand de Boisbeleau de La Chapelle Moralische Wochenschriften Klaus-Dieter Ertler Herausgeber Michaela Fischer Herausgeber Michael Hammer Mitarbeiter Elisabeth Hobisch Mitarbeiter Katharina Jechsmayr Mitarbeiter Pia Mayer Mitarbeiter Sarah Lang Gerlinde Schneider Martina Scholger Johannes Stigler Gunter Vasold Datenmodellierung Applikationsentwicklung Institut für Romanistik, Universität Graz Zentrum für Informationsmodellierung, Universität Graz Graz 30.07.2019

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Armand de Boisbeleau de La Chapelle: Le Philosophe Nouvelliste, traduit de l’Anglois de Mr. Steele par A.D.L.C. Tome Second. Amsterdam: François Changuion 1735, 198-211, Le Philosophe nouvelliste 2 019 1735 Frankreich
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Article XIX.

De Jeudi 11. au Samedi, 13. Août 1709.

De la Maison de White, 12. Août.

L’Arrêt qui condamna l’homme au travail, ne se borne ni au soin de sa Vie, ni aux moyens de sa Nourriture, ni au Monde animal ou végétable qui l’environne. Il s’étend jusqu’à l’Ame, dont la culture demande de notre part une attention singuliere. On ne sauroit en éclairer de trop près les Passions, pour les conduire ou pour les reprimer. Semblables à la Barbe, & aux Cheveux, ces Excrescences de l’Ame l’ornent ou la défigurent, selon que nous les rognons ou que nous les laissons croitre. Cette Reflexion, bien pésée, nous expliquera la conduite de On soupçonna que ce Duumvir étoit le même Duc dont il s’agissoit dans l’Article précedent, & que comme la Reine auroit fort souhaité que ce Seigneur, qu’elle consideroit beaucoup d’ailleurs, n’eût pas donné les mauvais exemples d’un si mauvais menage, l’Auteur crut faire plaisir à cette Princesse de traiter ce sujet plus d’une fois, & de plus d’une maniere.Duumvir dont les travers paroissent si peu raisonnables. Ce malheureux se seroit épargné la honte de mille extravagances, & le chagrin d’autant d’affaires facheuses, dont sa vie a été traversée, s’il avoit pris de bonne heure la resolution de se tenir sur ses gardes contre un Temperament volage & galant, qui l’a rendu le jouet d’un nombre infini de passions & de belles.

Ce que je dis du nombre, ne regarde que le passé. Car à cette heure il n’a plus qu’une seule Maîtresse, qui depuis quelques Mois semble avoir fixé l’inconstant ; ce que n’a pû faire une aimable Epouse qui partage son lit, & non son cœur, avec la Favorite. Uniquement occupé de ces deux Objets, quoique de différente maniere, tous ses momens s’y coulent en retours perpetuels de bonne & de mauvaise humeur, dans lesquels la raison n’est jamais consultée. Il a passé le bel âge, où la dissipation peut-être en quelque sorte excusée. Après le midi de la vie, le bruit du grand monde incommode, & il ne sied plus de se répandre. Le goût, au fond toujours le même, devient plus délicat ou plus difficile, & pour le reveiller chacun assaisonne ses plaisirs à sa mode. Duumvir s’est menagé une retraite conforme à son penchant. La Maîtresse qu’il s’est choisie, est fiere imperieuse, bizarre & de grande dépense. C’est auprès d’elle qu’il va charmer l’ennui que lui donne à la Maison une femme douce, humble, oecônome & tendre.

Son caprice en cela ne peut-être assez admiré. Après quelques jours d’absence, l’Epouse Laure le reçoit avec les caresses les plus engageantes, & ce sont à son avis des manieres fades ; Phillis, la favorite, le brusque, & fait mine de le chasser ; cela s’appelle selon lui, beau sentiment & noble fierté. La douceur de l’une est bassesse, & l’insolence de l’autre est grandeur. Celle-ci, ne trouve en lui qu’un Tyran, & celle-là n’y voit qu’un Esclave. Voyez même jusqu’où va la dépravation de son goût. On lui a ouï confesser que J’ai souvent ouï dire que le Duc d’Ormond s’étoit quelquefois exprimé d’une maniére approchante.la premiére n’avoit de défaut que celui d’être sa femme, & que la seconde n’avoit de mérite que celui d’être sa Maîtresse. Ce n’est pas tout. Il a dit plus d’une fois qu’il auroit été fou de Laure si elle n’eût été que Maîtresse, & que pour rien au monde il n’auroit voulu de Phillis pour Epouse.

L’autre jour, la premiere, qui a une voix angelique, commenca de lui chanter un Air ; si donc, Madame, s’écria-t-il, ces passetemps ne conviennent plus à nôtre age. Dès que l’autre, avec son ton aigre & perçant, entame quelque Chanson, En vérité, dit-il, il y a je ne sai quelle aimable simplicité en tout ce que fait cette friponne. En un mot son cœur est désormais si gâté, qu’il n’y a plus de re-tour. Il est également prévenu contre la femme, & pour la Maîtresse ; l’une ne sauroit rien faire de bien, & l’autre ne sauroit rien faire de mal. Celle-ci, ne peut lui plaire, & celle-là ne sauroit lui déplaire. Il y auroit bien dequoi rire à ses dépens, si le sujet étoit moins serieux. Il y a quelques jours que dinant avec Laure, il lui dit quelque chose de desobligeant qui la fit aussi tôt fondre en larmes. Que Diable, lui dit-il, est-ce donc qu’il ne me sera pas permis de parler chez moi ? Le même soir, soupant avec Phillis, il lui échappa de répondre un peu vivement à la Belle qui lui prit la Perruque, & la jetta dans le feu. Peste ! mon petit Dragon, lui dit-il en riant, comme vous vous emportez. Savez vous bien, ma Coquine, que cette Perruque là me coûte quarante Guinées ?

Oh ! Laure ! belle infortunée ! étoit ce pour cela que vous meprisâtes les soûpirs du constant Chromius ? Que vôtre Condition est changée, depuis les beaux jours, où toute nôtre jeunesse n’avoit des yeux que pour vous, & faisoit son bonheur d’un seul de vos regards ! Il y a si peu que ces heureux jours sont passés ! Laure alors la merveille, & l’or-nement de son Sexe, faisoit tous les désirs, & tout le plaisir du nôtre. Au Bal & à la Comédie son air modeste reprimoit la licence de ces mêmes divertissemens, que sa présence rendoit plus touchans & plus vifs. A l’Eglise, sa dévotion attentive & respectueuse ajoûtoit des ornemens à la Vertu & à la Religion, en les montrant dans cette belle simplicité naturelle qui les rend si aimables. Dans les Cercles, une humeur égale humble obligeante relevoit tout ce que la meilleure éducation peut donner de politesse, & lui gagnoit plus de cœurs que la plus vaine Coquette n’en a jamais souhaité.

Cette Belle eut pourtant la foiblesse, si commune à son Sexe, de présumer trop de ses charmes. Elle se flatta de retirer du Vice un homme dont la Conquête avoit été funeste à tant d’autres. A présent elle a lieu de reconnoître l’abus d’une Entreprise si téméraire, & les Reflexions, qu’elle n’a que trop loisir d’y faire, ne peuvent être plus tristes. Il n’est pas même au pouvoir de son Mari de lui rendre justice. Il n’y a ni mérite ni beauté qui tiennent. Quelques réels que soient ces avantages, quelque indépendants qu’ils puissent être du goût & de l’Opinion, c’est le penchant qui en décide, & le penchant de Duumvir est de préférer la Maîtresse à la femme. Il en sera puni à quelque heure. Quand la mort, favorable aux deux Epoux, lui aura enlevé Laure, il a dessein de se remarier, malgré le peu de plaisir que lui fait l’Union Conjugale, & malgré sa passion pour Phillis, il n’en fera jamais sa Compagne. Il a déja jetté ses plombs sur une autre. Aglaure est l’heureuse personne qu’il doit honorer de sa main. Celle-ci saura bien vanger la défunte. Elevée dans le grand monde, & n’ayant pas moins d’ambition que de passion pour le jeu, un homme n’est pas pour elle un objet d’amour, il n’est qu’une Duppe de l’intérêt, & de là Vanité du Beau-Sexe. Je le prédis au Volage : S’il tombe sous la coupe d’Aglaure, il regrettera la morte tous les momens de sa vie. C’est pourtant une chose bien triste que le merite d’une femme, comme celui d’un Poëte, ne soit bien connu qu’après le trépas.

De mon Cabinet, 11. Août.

Pour entendre cet Article, & les deux Lettres qu’il contient, il faut savoir que Henri Sacheverell, Docteur en Théologie, & alors Chapelain de l’Eglise de St. Sauveur dans le Bourg de Southwarck, commençoit depuis quelque temps à déclamer, contre les Ennemis de l’Eglise Anglicane, & à allumer le feu seditieux qui éclata bientôt dans le Royaume. Comme on l’avoit jugé propre à cet Ouvrage, on lui avoit procuré cette Chapelainie de St. Sauveur, parce qu’il y étoit à portée de répandre ce feu dans la Capitale. On l’y faisoit effectivement prêcher en plusieurs Eglises où il ne manquoit point de porter son esprit de fureur & de sedition qui se repandoit insensiblement par tout. Dans les mêmes vuës, il fut invité a faire l’Ouverture des Affizes qui se tinrent à Darby en 1709., & il y fit un Sermon très seditieux le 15. d’Août. Le Caractére de ce Prédicateur faisant beaucoup de bruit, & le dessein de cette invitation à Darby n’étant pas difficile à penetrer, l’Auteur qui designe ici Sacheverell sous le nom de Stentor, censure d’une maniére un peu detournée cet homme factieux & turbulent, comme prechant d’une maniére qui ne convenoit ni à l‘esprit de l’Eglise ni au repos de l’Etat.Puisque je déclarai dès le commencement, que toutes les actions humaines me serviroient de sujet, on n’a pû croire que les plus saintes en dûssent être exceptées. Lorsque les hom-mes y mêlent des choses qu’il ne devroit pas y avoir, la connoissance m’en appartient. La faute, dont il s’agit dans la Lettre suivante, a été commise dans un Lieu qui m’est sacré. Mais la faute même est d’une Nature à ne point mériter mes égards. Le coupable ne peche, à la vérité, que contre les Loix de la bienseance ; cependant ce qu’il fait pourroit autoriser en d’autres des inexactitudes bien plus criminelles.

Monsieur,

« C’est mon avis, de même que celui de quantité d’autres personnes que le dessein de vôtre Ouvrage, de la maniére que vous l’executez est tout à fait propre à reformer les abus. Dans cette pensée, je vous porte, à présent, mes plaintes de certaine irrégularité qui se commet depuis longtemps dans nôtre Cathédrale à Londres. La conduite imprudente de Stentor, y scandalise & moi & plusieurs autres bonnes ames, qui y font leur dévotions. Cet homme là n’y manque pas plus que nous, & n’y n marque pas moins de zéle. Ce n’est pas là son défaut. Ce qui choque est le bruit dont il accompagne ses Devotions. Quand il répond à la Liturgie, il ne parle pas, il mugit. On en est effrayé, quelque accoûtumé qu’on y soit. La voix de Stentor, rude & discordante, n’étoit pas, certainement faite pour un Chœur. Ses Amis auroient bien dû l’en avertir. On auroit pû lui dire, qu’il absorbe les Hymnes & les Antiennes ; qu’il étourdit tous les Assistans, & qu’il leur dérobe la Musique de l’Eglise par des éclats plus bruyans, que n’en sont les eaux sous le Pont aux basses marées, ou les Lions de la Tour quand ils sont affamez. Je ne suis pas le seul qui s’en plaigne. Bien d’honnétes gens en sont aussi choquez que moi. S’il suffisoit, pour y remédier, d’insérer cette Lettre dans quelqu’une de vos feuilles volantes, je vous en laisse le Maître. Si non, vous pourriez donner à la chose le tour qu’il vous plairoit. Tout ce que je souhaite, est que vous faciez comprendre à Stentor qu’en général Le Theme ordinaire de ce Prédicateur étoit la déclamation contre les Presbiteriens & contre la protection que les Loix accordoient aux Non-Conformistes, & au Schisme.la Discorde dans un Chœur est un aussi grand peché que l’est le Schisme dans l’Eglise. Si vous voulez bien y travailler, vous nous obligerez extrêmement, & reparerez par là le scandale que nous ont donné quelques Endroits dans vos Ecrits. Je suis. »

Monsieur,

Du Cimetière de St. Paul,

11. Août

Votre très-humble Serviteur,

Chantelair. »

Tant de monde se plaint, & le grief revient si souvent, qu’on a tout lieu de s’étonner que personne n’en ait encore parlé au Coupable. La Lettre qu’on va lire, me vient d’un lieu qui n’est pas éloigné de la Cathédrale. C’est le Bureau des Herauts d’Armes, où j’ai un Parent qui m’écrit ce qu’on va lire.

« Mon cher cousin.

Après nous avoir censurez, est-ce que nous meritions censure ? Vous devez, en juge impartial, tenir la main à la conservation de nos Priviléges. Vous savez que nous avons des heures marquées, où l’on exerce nos jeunes gens à faire les Proclamations, & les autres Cris publics, que de droit il n’appartient qu’à nous de faire. A ces mêmes heures-là, Stentor le prend sur un ton si haut, dans la Cathedrale, a que chez nous on ne se peut entendre. Les plus fortes voix en sont absorbées, & malgré le train des Carrosses, des Charrettes & de tant de gens, qui passent entre les deux Edifices, la sienne pénètre jusqu’au notre, & nous empêche de faire nos Exercices. Quelques unes de vos réflexions là dessus feroient bien du plaisir à celui qui sera toute sa vie &c. »

Cet inconvenient n’est pas le seul dont on m’ait informé, j’ai ouï parler de plusieurs Carrosses versez par le su-bir écart des Chevaux qui ont pris l’épouvante au bruit, en passant dans la ruë ; de femmes enceintes que la frayeur a fait accoucher avant terme ; & de quelques Familles qui se sont éteintes par ce moyen. Ce sont-là des maux publics que la meilleure intention ne sauroit excuser. Stentor doit se le tenir pour dit, & dans le fond un homme A l’exception de son zèle de parti, Sachevelle n’étoit estimé ni en qualité de Prédicteur, ni en qualité de Savant, ni en qualité d’honnête homme, dans la Faction même qui le prônoit.qui veut chanter sans voix fait une Oeuvre de surerogation, à quoi rien ne l’oblige.

J’en dirois sur ce point davantage, si d’autres Nouvelles ne m’appelloient ailleurs. On vient de m’apprendre la mort de Lysandre & de Corinne, qui s’aimerent si tendrement. Il n’y a qu’un mois qu’ils se jurerent une fidelité éternelle. Depuis ce serment Lysandre a paru deux fois par jour dans les Maisons à Caffé, s’est repandu dans toutes les Assemblées, n’a rendu que de courtes Visites à sa Belle, & ne l’avertit point de ses absen-ces. Voilà tout autant de preuves certaines d’un Amant défunt, & cela prouve aussi que Corinne ne doit plus être regardée sur le pied de Maitresse J’ai donné ordre qu’on les citât trois fois par cri public aux portes de l’Eglise. A ma priere Stentor s’est chargé de ce soin. S’ils sont vivans, ils ne pourront que l’entendre en quelque endroit qu’ils soient de la Ville ou des Faux-Bourgs ; & s’ils ne répondent point, on doit sans hésiter les mettre au nombre des Morts.

Article XIX. De Jeudi 11. au Samedi, 13. Août 1709. De la Maison de White, 12. Août. L’Arrêt qui condamna l’homme au travail, ne se borne ni au soin de sa Vie, ni aux moyens de sa Nourriture, ni au Monde animal ou végétable qui l’environne. Il s’étend jusqu’à l’Ame, dont la culture demande de notre part une attention singuliere. On ne sauroit en éclairer de trop près les Passions, pour les conduire ou pour les reprimer. Semblables à la Barbe, & aux Cheveux, ces Excrescences de l’Ame l’ornent ou la défigurent, selon que nous les rognons ou que nous les laissons croitre. Cette Reflexion, bien pésée, nous expliquera la conduite de On soupçonna que ce Duumvir étoit le même Duc dont il s’agissoit dans l’Article précedent, & que comme la Reine auroit fort souhaité que ce Seigneur, qu’elle consideroit beaucoup d’ailleurs, n’eût pas donné les mauvais exemples d’un si mauvais menage, l’Auteur crut faire plaisir à cette Princesse de traiter ce sujet plus d’une fois, & de plus d’une maniere.Duumvir dont les travers paroissent si peu raisonnables. Ce malheureux se seroit épargné la honte de mille extravagances, & le chagrin d’autant d’affaires facheuses, dont sa vie a été traversée, s’il avoit pris de bonne heure la resolution de se tenir sur ses gardes contre un Temperament volage & galant, qui l’a rendu le jouet d’un nombre infini de passions & de belles. Ce que je dis du nombre, ne regarde que le passé. Car à cette heure il n’a plus qu’une seule Maîtresse, qui depuis quelques Mois semble avoir fixé l’inconstant ; ce que n’a pû faire une aimable Epouse qui partage son lit, & non son cœur, avec la Favorite. Uniquement occupé de ces deux Objets, quoique de différente maniere, tous ses momens s’y coulent en retours perpetuels de bonne & de mauvaise humeur, dans lesquels la raison n’est jamais consultée. Il a passé le bel âge, où la dissipation peut-être en quelque sorte excusée. Après le midi de la vie, le bruit du grand monde incommode, & il ne sied plus de se répandre. Le goût, au fond toujours le même, devient plus délicat ou plus difficile, & pour le reveiller chacun assaisonne ses plaisirs à sa mode. Duumvir s’est menagé une retraite conforme à son penchant. La Maîtresse qu’il s’est choisie, est fiere imperieuse, bizarre & de grande dépense. C’est auprès d’elle qu’il va charmer l’ennui que lui donne à la Maison une femme douce, humble, oecônome & tendre. Son caprice en cela ne peut-être assez admiré. Après quelques jours d’absence, l’Epouse Laure le reçoit avec les caresses les plus engageantes, & ce sont à son avis des manieres fades ; Phillis, la favorite, le brusque, & fait mine de le chasser ; cela s’appelle selon lui, beau sentiment & noble fierté. La douceur de l’une est bassesse, & l’insolence de l’autre est grandeur. Celle-ci, ne trouve en lui qu’un Tyran, & celle-là n’y voit qu’un Esclave. Voyez même jusqu’où va la dépravation de son goût. On lui a ouï confesser que J’ai souvent ouï dire que le Duc d’Ormond s’étoit quelquefois exprimé d’une maniére approchante.la premiére n’avoit de défaut que celui d’être sa femme, & que la seconde n’avoit de mérite que celui d’être sa Maîtresse. Ce n’est pas tout. Il a dit plus d’une fois qu’il auroit été fou de Laure si elle n’eût été que Maîtresse, & que pour rien au monde il n’auroit voulu de Phillis pour Epouse. L’autre jour, la premiere, qui a une voix angelique, commenca de lui chanter un Air ; si donc, Madame, s’écria-t-il, ces passetemps ne conviennent plus à nôtre age. Dès que l’autre, avec son ton aigre & perçant, entame quelque Chanson, En vérité, dit-il, il y a je ne sai quelle aimable simplicité en tout ce que fait cette friponne. En un mot son cœur est désormais si gâté, qu’il n’y a plus de re-tour. Il est également prévenu contre la femme, & pour la Maîtresse ; l’une ne sauroit rien faire de bien, & l’autre ne sauroit rien faire de mal. Celle-ci, ne peut lui plaire, & celle-là ne sauroit lui déplaire. Il y auroit bien dequoi rire à ses dépens, si le sujet étoit moins serieux. Il y a quelques jours que dinant avec Laure, il lui dit quelque chose de desobligeant qui la fit aussi tôt fondre en larmes. Que Diable, lui dit-il, est-ce donc qu’il ne me sera pas permis de parler chez moi ? Le même soir, soupant avec Phillis, il lui échappa de répondre un peu vivement à la Belle qui lui prit la Perruque, & la jetta dans le feu. Peste ! mon petit Dragon, lui dit-il en riant, comme vous vous emportez. Savez vous bien, ma Coquine, que cette Perruque là me coûte quarante Guinées ? Oh ! Laure ! belle infortunée ! étoit ce pour cela que vous meprisâtes les soûpirs du constant Chromius ? Que vôtre Condition est changée, depuis les beaux jours, où toute nôtre jeunesse n’avoit des yeux que pour vous, & faisoit son bonheur d’un seul de vos regards ! Il y a si peu que ces heureux jours sont passés ! Laure alors la merveille, & l’or-nement de son Sexe, faisoit tous les désirs, & tout le plaisir du nôtre. Au Bal & à la Comédie son air modeste reprimoit la licence de ces mêmes divertissemens, que sa présence rendoit plus touchans & plus vifs. A l’Eglise, sa dévotion attentive & respectueuse ajoûtoit des ornemens à la Vertu & à la Religion, en les montrant dans cette belle simplicité naturelle qui les rend si aimables. Dans les Cercles, une humeur égale humble obligeante relevoit tout ce que la meilleure éducation peut donner de politesse, & lui gagnoit plus de cœurs que la plus vaine Coquette n’en a jamais souhaité. Cette Belle eut pourtant la foiblesse, si commune à son Sexe, de présumer trop de ses charmes. Elle se flatta de retirer du Vice un homme dont la Conquête avoit été funeste à tant d’autres. A présent elle a lieu de reconnoître l’abus d’une Entreprise si téméraire, & les Reflexions, qu’elle n’a que trop loisir d’y faire, ne peuvent être plus tristes. Il n’est pas même au pouvoir de son Mari de lui rendre justice. Il n’y a ni mérite ni beauté qui tiennent. Quelques réels que soient ces avantages, quelque indépendants qu’ils puissent être du goût & de l’Opinion, c’est le penchant qui en décide, & le penchant de Duumvir est de préférer la Maîtresse à la femme. Il en sera puni à quelque heure. Quand la mort, favorable aux deux Epoux, lui aura enlevé Laure, il a dessein de se remarier, malgré le peu de plaisir que lui fait l’Union Conjugale, & malgré sa passion pour Phillis, il n’en fera jamais sa Compagne. Il a déja jetté ses plombs sur une autre. Aglaure est l’heureuse personne qu’il doit honorer de sa main. Celle-ci saura bien vanger la défunte. Elevée dans le grand monde, & n’ayant pas moins d’ambition que de passion pour le jeu, un homme n’est pas pour elle un objet d’amour, il n’est qu’une Duppe de l’intérêt, & de là Vanité du Beau-Sexe. Je le prédis au Volage : S’il tombe sous la coupe d’Aglaure, il regrettera la morte tous les momens de sa vie. C’est pourtant une chose bien triste que le merite d’une femme, comme celui d’un Poëte, ne soit bien connu qu’après le trépas. De mon Cabinet, 11. Août. Pour entendre cet Article, & les deux Lettres qu’il contient, il faut savoir que Henri Sacheverell, Docteur en Théologie, & alors Chapelain de l’Eglise de St. Sauveur dans le Bourg de Southwarck, commençoit depuis quelque temps à déclamer, contre les Ennemis de l’Eglise Anglicane, & à allumer le feu seditieux qui éclata bientôt dans le Royaume. Comme on l’avoit jugé propre à cet Ouvrage, on lui avoit procuré cette Chapelainie de St. Sauveur, parce qu’il y étoit à portée de répandre ce feu dans la Capitale. On l’y faisoit effectivement prêcher en plusieurs Eglises où il ne manquoit point de porter son esprit de fureur & de sedition qui se repandoit insensiblement par tout. Dans les mêmes vuës, il fut invité a faire l’Ouverture des Affizes qui se tinrent à Darby en 1709., & il y fit un Sermon très seditieux le 15. d’Août. Le Caractére de ce Prédicateur faisant beaucoup de bruit, & le dessein de cette invitation à Darby n’étant pas difficile à penetrer, l’Auteur qui designe ici Sacheverell sous le nom de Stentor, censure d’une maniére un peu detournée cet homme factieux & turbulent, comme prechant d’une maniére qui ne convenoit ni à l‘esprit de l’Eglise ni au repos de l’Etat.Puisque je déclarai dès le commencement, que toutes les actions humaines me serviroient de sujet, on n’a pû croire que les plus saintes en dûssent être exceptées. Lorsque les hom-mes y mêlent des choses qu’il ne devroit pas y avoir, la connoissance m’en appartient. La faute, dont il s’agit dans la Lettre suivante, a été commise dans un Lieu qui m’est sacré. Mais la faute même est d’une Nature à ne point mériter mes égards. Le coupable ne peche, à la vérité, que contre les Loix de la bienseance ; cependant ce qu’il fait pourroit autoriser en d’autres des inexactitudes bien plus criminelles. Monsieur, « C’est mon avis, de même que celui de quantité d’autres personnes que le dessein de vôtre Ouvrage, de la maniére que vous l’executez est tout à fait propre à reformer les abus. Dans cette pensée, je vous porte, à présent, mes plaintes de certaine irrégularité qui se commet depuis longtemps dans nôtre Cathédrale à Londres. La conduite imprudente de Stentor, y scandalise & moi & plusieurs autres bonnes ames, qui y font leur dévotions. Cet homme là n’y manque pas plus que nous, & n’y n marque pas moins de zéle. Ce n’est pas là son défaut. Ce qui choque est le bruit dont il accompagne ses Devotions. Quand il répond à la Liturgie, il ne parle pas, il mugit. On en est effrayé, quelque accoûtumé qu’on y soit. La voix de Stentor, rude & discordante, n’étoit pas, certainement faite pour un Chœur. Ses Amis auroient bien dû l’en avertir. On auroit pû lui dire, qu’il absorbe les Hymnes & les Antiennes ; qu’il étourdit tous les Assistans, & qu’il leur dérobe la Musique de l’Eglise par des éclats plus bruyans, que n’en sont les eaux sous le Pont aux basses marées, ou les Lions de la Tour quand ils sont affamez. Je ne suis pas le seul qui s’en plaigne. Bien d’honnétes gens en sont aussi choquez que moi. S’il suffisoit, pour y remédier, d’insérer cette Lettre dans quelqu’une de vos feuilles volantes, je vous en laisse le Maître. Si non, vous pourriez donner à la chose le tour qu’il vous plairoit. Tout ce que je souhaite, est que vous faciez comprendre à Stentor qu’en général Le Theme ordinaire de ce Prédicateur étoit la déclamation contre les Presbiteriens & contre la protection que les Loix accordoient aux Non-Conformistes, & au Schisme. la Discorde dans un Chœur est un aussi grand peché que l’est le Schisme dans l’Eglise. Si vous voulez bien y travailler, vous nous obligerez extrêmement, & reparerez par là le scandale que nous ont donné quelques Endroits dans vos Ecrits. Je suis. » Monsieur, Du Cimetière de St. Paul, 11. Août Votre très-humble Serviteur, Chantelair. » Tant de monde se plaint, & le grief revient si souvent, qu’on a tout lieu de s’étonner que personne n’en ait encore parlé au Coupable. La Lettre qu’on va lire, me vient d’un lieu qui n’est pas éloigné de la Cathédrale. C’est le Bureau des Herauts d’Armes, où j’ai un Parent qui m’écrit ce qu’on va lire. « Mon cher cousin. Après nous avoir censurez, est-ce que nous meritions censure ? Vous devez, en juge impartial, tenir la main à la conservation de nos Priviléges. Vous savez que nous avons des heures marquées, où l’on exerce nos jeunes gens à faire les Proclamations, & les autres Cris publics, que de droit il n’appartient qu’à nous de faire. A ces mêmes heures-là, Stentor le prend sur un ton si haut, dans la Cathedrale, a que chez nous on ne se peut entendre. Les plus fortes voix en sont absorbées, & malgré le train des Carrosses, des Charrettes & de tant de gens, qui passent entre les deux Edifices, la sienne pénètre jusqu’au notre, & nous empêche de faire nos Exercices. Quelques unes de vos réflexions là dessus feroient bien du plaisir à celui qui sera toute sa vie &c. » Cet inconvenient n’est pas le seul dont on m’ait informé, j’ai ouï parler de plusieurs Carrosses versez par le su-bir écart des Chevaux qui ont pris l’épouvante au bruit, en passant dans la ruë ; de femmes enceintes que la frayeur a fait accoucher avant terme ; & de quelques Familles qui se sont éteintes par ce moyen. Ce sont-là des maux publics que la meilleure intention ne sauroit excuser. Stentor doit se le tenir pour dit, & dans le fond un homme A l’exception de son zèle de parti, Sachevelle n’étoit estimé ni en qualité de Prédicteur, ni en qualité de Savant, ni en qualité d’honnête homme, dans la Faction même qui le prônoit.qui veut chanter sans voix fait une Oeuvre de surerogation, à quoi rien ne l’oblige. J’en dirois sur ce point davantage, si d’autres Nouvelles ne m’appelloient ailleurs. On vient de m’apprendre la mort de Lysandre & de Corinne, qui s’aimerent si tendrement. Il n’y a qu’un mois qu’ils se jurerent une fidelité éternelle. Depuis ce serment Lysandre a paru deux fois par jour dans les Maisons à Caffé, s’est repandu dans toutes les Assemblées, n’a rendu que de courtes Visites à sa Belle, & ne l’avertit point de ses absen-ces. Voilà tout autant de preuves certaines d’un Amant défunt, & cela prouve aussi que Corinne ne doit plus être regardée sur le pied de Maitresse J’ai donné ordre qu’on les citât trois fois par cri public aux portes de l’Eglise. A ma priere Stentor s’est chargé de ce soin. S’ils sont vivans, ils ne pourront que l’entendre en quelque endroit qu’ils soient de la Ville ou des Faux-Bourgs ; & s’ils ne répondent point, on doit sans hésiter les mettre au nombre des Morts.