Zitiervorschlag: Anonyme (Claude de Crébillon) (Hrsg.): "N°. 11.", in: La Bigarure, Vol.9\011 (1751), S. 81-88, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4972 [aufgerufen am: ].


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N°. 11.

Ebene 2► Brief/Leserbrief► Allgemeine Erzählung► INcertaine sur le parti qu’elle devoit prendre, dans la situation embarrassante où elle se trouvoit, elle s’arrête un moment, met pied à terre dans une petite Auberge vis à vis de la quelle elle se rencontre, & y demande une chambre, où elle se fait aporter quelques rafraichissements que les fatigues, les agitations, & les cruelles inquiétudes, dans les quelles elle avoit passé toute la nuit, lui avoient rendus absolument nécessaires. Comme le jour augmentoit de moment en moment, & qu’il y avoit tout à craindre pour elle, si elle venoit à être reconnue (ce qui ne manqueroit pas d’arriver si elle s’arrêtoit plus long-tems), quoiqu’elle eût pris une route toute opposée à celle que son Amant s’étoit proposé de prendre, elle résolut de remonter promtement à Cheval, & de continuer sa marche.

Cette résolution fut une suite de quelques réflexions qu’elle fit en déjeunant. « Le grand jour va paroitre, se dit-elle ; Dans une heure, au plus tard, on sera instruit, dans le Couvent, de mon évasion, & bientôt après de celle de mon Amant. Comme on nous soupçonnera d’avoir pris ensemble la route de Geneve, ou de Suisse, on ne manquera pas de nous chercher aussitôt, & de nous suivre à la piste sur le chemin qui y conduit. Nous tomberons alors entre les mains de ceux qu’on [82] enverra après nous ; ce qui est encore plus terrible, dans celles de nos Superieurs qui ne nous feront aucune grace. La route de Rome, où cette Porte conduit, & qu’on ne nous soupçonnera certainement pas d’avoir prise, nous met à couvert de ce danger, & me paroit infiniment plus sure. Prenons la donc. Sans doute que l’Amour m’inspire cette pensée, pour sauver & m’assurer mon cher Amant. Donnons lui en promtement avis, & écrivons lui de me venir rejoindre sur la route ». Ce fut ce qu’elle fit aussitôt ; après quoi, ayant donné au valet de l’Auberge deux Scudis, pour porter son billet à la Porta Ticinese, dans un endroit où le Moine lui avoit dit qu’il devoit s’arrêter pour prendre quelque chose dont il avoit absolument besoin pour son Voyage, & où elle presumoit qu’il l’attendoit, elle remonta à Cheval, & partit.

Comme elle avoit un peu repris ses forces, que d’ailleurs elle avoit fait aussi rafraichir son Cheval, la peur qu’elle eut de tomber entre les mains de ceux qui pouvoient la chercher lui fit doubler le pas ; de sorte que, vers l’heure du diner, elle se trouva à plus de 15 milles de Milan ; traite assez longue pour une personne aussi delicate, & qui n’avoit jamais monté à Cheval. Aussi s’arrêta-t-elle à la premiere Auberge qu’elle trouva. Elle y attendit long-tems son compagnon de voyage ; mais elle n’en eut aucune Nouvelle, ce qui renouvella encore toutes ses allarmes. Heureusement pour elle que son imagination la rassura un peu. Elle lui persuada que, comme il devoit être grand jour quand il avoit reçu son billet (car il y a, pour le moins, une grande heure de chemin de la Porta Romana à la Porta Ticinese) il n’avoit pas apparemment osé se mettre en route, dans la crainte d’être reconnu, & arrêté ; mais qu’il avoit remis au soir à la venir rejoindre. C’est [83] ainsi que souvent nous sommes très ingenieux à nous faire des illusions qui du-moins ont cela de bon, qu’elles nous tranquilisent un peu l’esprit. Cependant, comme plus elle s’éloignoit de Milan, & plus elle se croyoit elle même en sureté, s’étant encore fortifiée dans l’idée que je viens de dire qu’elle s’étoit faite, elle remonta à Cheval pour gagner promtement païs.

Elle avoit encore fait quelques milles, lorsque le hasard lui fit faire la rencontre d’un Religieux Franciscain qui alloit à Lodi, pour y prêcher le Carême. Ce Moine marchoit à pied, selon l’institut de son Ordre, ce qui fit de la peine à l’innocente Agneze, car les chemins étoient assez mauvais. Après les premiers compliments, touchée de compassion pour lui, elle lui offrit la croupe de son Cheval, qui étoit un Animal fort & vigoureux. Le Moine, qui la prit pour un jeune Cavalier qui voyageoit, la remercia fort poliment ; mais sur les instances réitérées qu’elle lui fit, il accepta à la fin ses offres. Plusieurs motifs, comme elle l’a dit depuis, avoient determiné la belle Agneze à les lui faire. Le premier fut la vénération & l’estime pour les Religieux, dans la quelle on l’avoit élevée. Le second étoit de s’assurer par là un Guide, jusqu’à l’arrivée de son cher Alphonse, ce Religieux sachant parfaitement les chemins de touts ces quartiers-là, où il alloit prêcher tous les ans, tantôt d’un côté, & tantôt d’un autre. Enfin un dernier motif, & qui n’étoit pas le moins pressant, étoit la peur qu’elle avoit d’être detroussée par quelques Voleurs qu’elle avoit appris qui rôdoient dans ces cantons. Comme elle avoit sur elle tous les bijoux precieux que son Amant lui avoit fait enlever à sa famille, que d’ailleurs elle étoit fort bien mise, & très bien montée, il n’y a point à douter que, si ces malheureux avoient eu le moindre vent, ou le moindre soupçon, de cette bonne fortune, ils ne l’eus-[84]sent volée, & vraisemblablement égorgée. Toutes ces raisons, réunies ensemble, avoient déterminé l’aimable Agneze à prendre en croupe le Moine Franciscain, dont elle comptoit se faire, dans le besoin, un deffenseur, Pauvre ressource, sans doute ; car est-il rien de plus poltron qu’un Moine ! Mais l’Amour lui préparoit une nouvelle Avanture dans la quelle ces sortes de gens l’emportent, dit-on, sur tous les autres hommes.

Nos deux Voyageurs, en faisant ainsi leur route, arriverent, sur le soir, sans avoir fait aucune mauvaise rencontre, dans un Village où il n’y avoit qu’une Auberge de peu d’apparence. Le Moine, après l’avoir remerciée de ses bontez, voulut, selon l’usage de son Ordre, aller prendre son logement chez le Curé ; mais les raisons qui avoient engagé la belle Agneze à voyager en sa compagnie ne lui permirent pas de le laisser aller : « Quoi ! vous voulez m’abandonner, lui dit-elle d’un air triste ; Et cela, précisément dans un tems & une conjoncture où j’ai le plus besoin de vous ! . . . Ah ! si vous sçaviez qui je suis, poursuivit-elle en rougissant, & en jettant sur lui un de ces regards persuasifs dont la Nature n’entend que trop l’expression, je suis persuadée que vous ne me quitteriez pas ainsi ! » Le Religieux, pour s’excuser, allégua la pauvreté de son état qui ne lui permettant point, non plus qu’à ses confreres, de porter de l’argent, lui fermoit la porte de toutes les Auberges. « Si ce n’est que cette raison-là qui vous porte à me quitter, lui repondit-elle, n’ayez sur ce point aucune inquiétude. J’ai bien autant le moyen, pour-le-moins, que le Curé de ce Village, d’exercer envers vous les saints droits de l’Hospitalité. Je m’en ferai même un veritable plaisir ; & vous pouvez être assuré que vous me causerez un vrai chagrin si vous me le refusez. » Ces paroles, & l’air tendre & gracieux dont elles furent dites, de-[85]terminerent le Moine à rester avec la belle Agneze. Voilà donc nos deux Voyageurs ébergez ensemble.

Quoique le Logis où ils étoient eût fort peu d’apparence, la Cuisine en étoit néanmoins fort bonne, & la Cave encore meilleure, comme le remarqua bientôt le Religieux Franciscain ; Aussi dit-on que ce sont les appartements aux quels les Moines rendent toujours leur premiere visite ; & l’on peut, sur ce point, s’en raporter à eux ; car ils y sont très grands connoisseurs, Ils en furent d’abord un peu étonnez ; mais leur surprise cessa, lorsque l’Hôte leur en eut dit la raison. Ce Vilage étoit sur la grande route qui mene à Rome ; & depuis plus d’un an sa maison n’avoit presque point vuidé de Voyageurs qui étoient allez & revenus, pour gagner, dans cette Capitale du monde Chretien, les Indulgences du Jubilé de l’Année Sainte.

Comme nos deux nouveaux arrivez étoient beaucoup fatiguez, ils commencerent par se rafraichir. Le Moine but en vrai fils de S. François ; & tout en chopinant, il conversoit avec la belle Agneze qu’il tâchoit d’égayer ; car il lui trouvoit un air rêveur, inquiet & même triste. Il en ignoroit les raisons, que je vous ai dites. « Vous avez, mon cher Monsieur, lui disoit-il, quelque sujet de chagrin. Sans le sçavoir, ni même sans vous le demander (car la curiosité ne fut jamais mon défaut) soyez persuadé que j’y compatis beaucoup ; Mais croyez moi, oubliez cela & n’y pensez pas plus que je ne fais à mes vieux péchez. Nunc vino pellite curas. Pour moi, c’est mon remede quand je sens que la mélancolie veut me prendre ; ce qui, grace au Ciel, ne m’arrive guére. . . . . Allons, mon brave Gentilhomme, Venite, Potemus . . . Avalons ensemble ce Cordial qui lœtificat cor hominis. Le chagrin est il fait pour un Cavalier de votre âge & de votre figure ? Vous êtes le plus joli, le plus aimable, & le plus brave jeune Seigneur que j’aye vu depuis long-tems. . . . Allez, le [86] bon Dieu vous consolera, & vous benira, ne fût-ce qu’en consideration de la charité que vous avez pour les pauvres Religieux, que tout le monde ne regarde pas d’aussi bon œil que vous. . . . . Mais le monde est. . . le monde ; c’est-à-dire, maudit de Dieu, & par consequent damné à tous les D. . . bles . . . Allons, à votre santé ! . . . Tope. . . Faites moi raison. . . Comment ? Vous y mettez de l’eau ! Eh, si donc ! Quel bien voulez-vous que cela vous fasse ? . . . Vina bibant homines, Animalia cætera Fontes. . . . Quel petit buveur êtes-vous ? O ! de par Saint François, vous ne seriez jamais reçu, pas même Novice, dans notre Ordre ! . . . . Comment ? j’ai déjà presque vuidé mes deux bouteilles, & vous n’en êtes encore qu’à votre second verre d’eau rougie ! Quand vous seriez une fille, vous ne seriez pas plus sobre, ni plus modeste. . . Tête bleu, que j’étois bien un autre égrillard à votre âge ! »

A ces mots, de fille, & de modestie, l’aimable Agneze rougit sans le vouloir, & même sans y penser ; ce que le Moine remarqua très bien ; mais il ne lui en dit pas le moindre mot.

C’é’toit bien assez boire sans avoir mangé. Le Franciscain lui demanda si on ne serviroit pas bientôt le souper. « J’attends, lui répondit-elle, un de mes Amis ; cependant, comme il viendra peut-être fort tard, & qu’il me paroit que vous avez besoin de manger, on servira lorsque vous le voudrez ». Quoique on dise communément que, sur l’article de la bouche, les Moines ne se piquent pas beaucoup de complaisance, celui-ci néanmoins eut la politesse (moyennant une troisième bouteille qu’il se fit encore apporter) d’attendre encore une heure, c’est-à-dire, jusqu’à dix heures du soir ; après quoi, n’y pouvant plus tenir, il demanda sans façon à souper. Agneze fit aussitôt servir, pour ne pas impatienter ni fâcher le Moine qui l’auroit pu planter là, & aller recommencer sur nouveaux frais chez le Curé du Vilage. . . . ◀Allgemeine Erzählung

Metatextualität► [87] Mais je m’aperçois, Monsieur, que ma Lettre est d’une longueur extraordinaire, & que ma bougie est à la fin. Pour n’être donc pas oblige de me coucher à tâtons, & plus encore dans la crainte de vous lasser, je renvoye au prochain ordinaire la suite & la fin de cette Avanture qui m’a paru aussi curieuse, qu’elle est instructive ; & pour faire une variété, je joins à ma Lettre quelques nouvelles piéces de Vers dont on vient de me faire part. Vous en verrez, entre autres, une vraiment Originale, & telle que je suis presque assuré que vous n’en avez jamais lû. Pour moi, quoiqu’il me soit bien passé trois ou quatre cents mille Vers sous les yeux, & que je sois assez répandu ici parmi nos Beaux-Esprits, je vous avouerai franchement que je n’ai jamais lu ni même entendu parler de piéce qui ait ressemblé à celle-ci ; tans il est vrai, quoiqu’en ait dit le sage Salomon, le Prototype des Beaux-Esprits de son tems, & même du notre, qu’il y a toujours quelque chose de nouveau sous le Soleil. Cette petite piéce roule sur la vie, les actions, le caractere, les talents, & la mort de notre grand Maréchal Comte de Saxe, sur le compte du quel il semble que la Verve de nos Poëtes soit inépuisable. La voici. ◀Metatextualität

vers

Sur le Maréchal, Comte de Saxe.

Ebene 3► Son courage l’a fait admirer d’un chac. . . . . . . 1.

Il avoit des rivaux ; mais il triompha. . . . . . . 2.

Les combats qu’il gagna sont au nombre de. . . . . . . 3. (a1 )

Pour Louis son grand cœur se seroit mis en. . . . . . . 4.

En Amour, c’étoit peu pour lui d’aller à. . . . . . . 5.

Nous l’aurions, s’il n’eut fait que le Berger Tir. . . . . . .6 ;

Pour avoir trop voulu jouer à la Fos. . . . . . . 7, (b2 )

Il a cessé de vivre, en Decembre, le. . . . . . . 8 ;

Logeoit entre le Pont-Royal & le Pont. . . . . . . 9.

Pour tant de Te Deum, pas un De profun. . . . . . . 10. (c3 )

Total 55. (d4 ) ◀Ebene 3

[88] Les Nouvelles publiques vous auront sans doute appris, Monsieur, la mort de Madame Louise, Julie, de Nesle, Comtesse de Mailli, décédée il y a environs quinze jours. Cette Dame dont on a autrefois tant parlé dans le monde, a fait paroitre, dans les dernieres années de sa vie une piété des plus édifiantes qui a fait l’admiration de tous ceux qui la connoissoient. Voici un Acrostiche fait à ce sujet, & qui doit immortaliser sa mémoire.

acrostiche

Sur la Mort & les Vertus de Madame la Comtesse de Mailli.

Ebene 3► Détester l’injustice aujourdhui si commune,
Envers les malheureux user de sa fortune,
Marquer tous ses instants par de pieux dehors,
Aller aux Hôpitaux ensévelir les Morts,
Ioindre mille Vertus à ce pieux Office,
Loin du Monde à Dieu seul s’offrir en sacrifice,
Lui consacrer ses jours, saintement les finir,
Ici gît cet objet d’éternel souvenir.
◀Ebene 3

J’ai l’honneur d’être &c.

Paris ce 21 Avril 1751

◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 2

Livres Nouveaux

Qui se vendent à la Haye, chez Pierre Gosse Junior Libraire S. A. R.

Le Veritable Pere Joseph Capucin, nommé au Cardinalat, contenant l’Histoire Anecdote du Cardinal de Richelieu, nouvelle Edition augmentée, 12. 2 vol. 1750.

Testament Politique & Moral du Prince Rakaz :, 12. 2 vol. Paris, 1751.

La Femme n’est point Inferieure a l’Homme, traduit de l’Anglois, 12. Londres, 1750.

Nouveaux Essais de Physique, par Mr. le Ratz de Lanthenée, 8. Paris 1751.

Jeudi ce 29 Avril 1751.

◀Ebene 1

1(a) Les Batailles de Fontenei, de Raucou, & de Laweldt.

2(b) C’est le nom de la derniere Maitresse du Maréchal. Tout le monde sçait ce que c’est que le jeu de la fossette ;

3(c) Il est mort dans la profession de la Religion Lutherienne, & par cette raison, il n’a pu avoir Terre Sainte parmi nous ; mais il a été inhumé à Strasbourg, dans une Eglise, avec les cérémonies de sa Communion.

4(d) Le Maréchal est mort dans la cinquante cinquième année ; ce qui est exprimé par le nombre total & additionnel de tous les Chifres précedents.