Comme ces essais tendent à leur fin & que je voudrois obliger tous mes correspondans qui ont quelque prétention aux suffrages du public, soit à cause de leur esprit & de leur sagacité, soit à cause de l’utilité de leurs méditations, j’entretiendrai principale-
A la . Madame,
« J’ai souscrit, un des prémiers, à votre entreprise, & je n’ai jamais discontinué ; ce qui suffit pour vous convaincre combien j’ai goûté votre ouvrage.
Permettez-moi cependant de vous dire, que je ne conviens point avec vous d’une position que vous avez avancée, j’espére que vous me pardonnerez cette liberté, puisqu’elle ne renferme rien dont vous deviez rougir, & que c’est la sincérité & la franchise de votre cœur, qui vous ont entraînée dans cet excès, si je puis l’appeler ainsi.
Dans la dernière partie de votre troisiéme volume, vous nous donnâtes une dissertation sur le mensonge ; je crois qu’elle charma tous vos lecteurs, du moins j’en ouis faire
Pour revenir donc à mon sujet, je pense que votre amour pour la vérité vous rend trop sévère, quand vous condamnez comme manifestement criminelles des choses que tous les gens de bon sens regardent comme un simple amusement ; je veux dire ces petites fictions qui abondent dans nos papiers de nouvelles, & divertissent extrêmement le lecteur par leurs contradictions & leurs absurdités.
Je ne puis convenir avec vous, que, quand les affaires de politique sont de telle nature qu’il ne convient pas de les communiquer au public, tous nos oracles doivent cesser, plûtôt que de nous en imposer, comme vous dites, par des nouvelles fabuleuses ; & voici les raisons pourquoi je ne puis avoir l’honneur de penser comme vous.
En prémier lieu, parce que je suppose, comme on doit en convenir, qu’aucun homme de bon sens ne se
Et en second lieu parce que dans les tems de calamité, on ne doit point rejetter tout ce qui contribue dans le plus petit dégré à égayer l’esprit, & à exercer la faculté visible.
Que tous ces misérables papiers, qui ont fait jemir <sic> si long-tems la presse, ne produisent cet effet, c’est ce que personne ne niera. J’en appelle même à la
Ceux qui ont le moindre penchant pour les Pantomines, ne peuvent s’empêcher de rire à la vûe des petits tours & du jeu d’Harlequin, mais ils ne sont point en eux-mêmes plus visibles que ces nouvelles dont je parle, & que je défens pour cette même raison.
Par exemple le fameux Mr. Officier Général, après avoir eû la gorge présque coupée d’une oreille à l’autre, avoit été fait prisonnier, & qu’on avoit mis l’appareil sur ses blessures, mais sans espérance de guérison ; ensuite le jour suivant le même papier ne nous a-t-il pas informés qu’il étoit à la tête de son Régiment, occupé à faire le dégat à la distance de plus de cent lieues de l’endroit, où il devroit avoir été blessé, avec plusieurs autres contradictions de la même nature, dans l’espace de vingt quatre heures, sans la moindre Apologie pour les méprise précédentes ? Ce qui montre que les Auteurs de ces papiers n’ont pas même la modestie de vouloir passer pour sincéres.
Ne nous représente-t-on pas les plus grand Princes du monde sous des caractéres si differens, que celui qui passer aujourd’hui pour un Prince foible & capricieux, sera exalté de-
Sur ma parole, Madame, nous passerions fort tristement notre tems dans les caffés, sans ces fictions, qui plus elles sont énormes & extravagantes, mieux elles repondent au dessein que nous avons en les lisant. C’est pourquoi comme elles n’en imposent point à notre jugement, & qu’elles ne sont dangereuses à aucun égard, mais qu’au-contraire elles remplissent dans notre esprit un vuide qui pourroit être plus mal occupé, j’ôse dire que ces mensonges portent avec eux leur excuse.
Mais il y a encore une <sic> autre motif qui devroit engager la
Il y a aussi quantité de pauvres gens, qui gâgnent passablement leur vie en détaillant, ou en prêtant au déhors ces romans de chaque jour, qui amusent également la Campagne & la Ville.
Pour l’amour du Ciel, Madame, cessez de condamner ce qui est si avantageux pour cette partie du genre humain qui est dans la nécessité, & si amusant pour leur supérieurs. Nous devrions à mon avis les regarder sur le même pied que ces contes de Géans & de Fées, que les nourrices font aux petits enfans pour les amuser & les endormir.
Je me flatte que ce que j’ai dit à ce sujet, sera convainquant non seulement pour vous, mais pour tous
Madame,
Votre très-humble & très-obéïssant Serviteur.
L. D.
ce 30. Dec. 1745.
« P.S. Je serai charmé d’apprendre vos sentimens à ce sujet, & de savoir si vous pardonnez la liberté que j’ai prise. »
A la . Madame,
« On s’apperçoit aisément par les écrits dont vous avez enrichi le public, que vous êtes bien éloignée de penser comme ceux qui croyent la doctrine de la non existence après la mort, ainsi je ne vous ferai point
C’est un malheur commun à ce grand adversaire d’un état avenir & à tous ceux qui l’ont copié, de tomber dans des contradictions frappantes pour tous ceux qui les considerent, & que tout leur savoir comme toute leur philosophie ne pourroient pas concilier.
Mais il ne seroit pas honnête d’avancer une accusation de cette nature sans en produire les preuves. Je citerai donc deux ou trois passages entre plusieurs, qu’on pourroit extraire de cet ouvrage, qui est si justement admiré pour son élégance & la pureté du stile, & je suis fâché de le dire, qui n’a fait que trop de proselites.
Pour faire plaisir à ceux qui n’entendent pas l’original. Je les donnerai suivant l’excellente traduction de Mr.
Voulant, comme je le suppose, garantir ses lecteurs contre la crainte de la mort, il dit.
Qu’à donc la mort, cet épouventail, de quoi effrayer les hommes, si l’âme peut mourir aussi bien que le corps ? Car comme nous n’avons point senti de douleur avant que d’être, ainsi quand ce quoi doit mourir sera dessous, nous serons une masse sans vie & inanimée, délivrée de tout sentiment de peine & de chagrin ; nous ne sentirons plus, parce que nous ne serons plus. Et en supposant même qu’après notre mort, l’âme séparée du corps dût sentir ; que nous importe ? Nous sommes seulement nous, un composé d’âme & de corps.
Je ne puis m’empêcher de l’interrompre ici, en lui demandant, quelque conséquence il en tire ? Supposant, comme il le dit, que nous soyons seulement nous, tandis que l’âme reste dans le corps ; si elle est transportée dans une autre, suivant le systême de futur nous doive souffrir sous une autre forme pour les crimes que le présent nous à commis. Oh ! dit il, nous n’en saurons rien, car il continue encore avec plus d’audace.
nuant leurs révolutions, viennent à former un nouvel homme, à quoi aboutira tout cet éclat ? Ce nouvel homme sera une autre chose, & après que l’interruption sera faite dans notre existence, que notre individu sera détruit, nous, qui serons morts & partis, n’aurons point de part aux plaisirs & aux peines d’autres mortels, formés peut-être de la même substance qui avoit composé nos corps. Car quiconque vivra dans l’infortune, devra etre quand l’infortune arrivera ; & puisque celui qui n’est pas, ne sent point de malheur (car la mort le met à couvert des coups qui ne frappent que nous autres vivans) que nous reste-t-il à craindre au sujet de la mort ? Quand une fois nous avons cessé d’exister, c’est justement comme si nous n’avions jamais véçû.
Il ajoûte encore quelques lignes plus bas pour confirmer ce qu’il avoit avancé.
Même dans le sommeil, le corps enveloppé à l’aise, se repose tranquillement comme dans le sépulchre ; & n’ayant besoin de rien, ne demande rien ; si ce sommeil étoit éternel, ce seroit la mort ; la mort donc, & la crainte de la mort,
Vous voyez, Madame, qu’il re-nouvel être pourroit-il ne pas connoître, & n’avoir aucun sentiment de qui s’est passé dans une première vie.
Pour s’accorder avec lui, il faut absolument supposer, ou que la matière est capable de penser, on <sic> que l’Esprit peut devenir insensible, deux suppositions contraires à la Philosophie, ou à la droite raison.
Chacun sçait qu’il pense, qu’il se souvient, qu’il compare, qu’il réfléchit, & qu’il juge ; & nous sçavons tous très bien que, quand l’âme est partie, cette masse d’argille qu’elle a laissée, ne peut faire aucune de ces opérations. Ce sont donc manifestement des propriétés de l’âme ; ce qui suffit pour la première partie de l’argument.
insensibilité de l’âme, ou de l’esprit, comme vous voudrez l’appeler ; il n’est pas en notre pouvoir d’oublier ce que nous voudrions, ni d’éviter des pensées, que nous tâchons d’ensevelir dans l’oubli. L’âme en dépit de tous nos efforts agira toûjours, & nous présentera même dans le sommeil les idées qui lui plairont ; cette immortelle étincelle brillera à travers les plus épais brouillards de l’ignorance ; l’homme le plus grossier & le plus sauvage trouvera toûjours dans lui-même quelque chose, qu’il n’aura pas le pouvoir de supprimer.
Comme donc la matière ne peut en rien aider à l’esprit, qu’elle lui est au-contraire un obstacle, certainement quand il sera délivré de cette grossiére compagnie, il agira avec plus de force, ou de liberté ; & de quelque enveloppe qu’elle soit revêtue ensuite, elle ne peut pas être privée de cette sensibilité qui est de son essence.
Il auroit usé sans doute de plus d’addresse, s’il avoit omis cette malheureuse supposition que l’âme peut sentir séparée d’avec le corps, que de prétendre prouver qu’elle sera insensible à ce qui lui arrivera, soit qu’elle soit transportée dans une nouvelle masse de matière, ou qu’elle soit réunie à la précédente.
Enfin la persuasion d’un état de peines & de recompenses après la mort, est simple, aisée, conforme à la nature & à la raison ; imprimée dans l’une & confirmée par l’autre ; pendant que toutes les tentatives pour la renverser sont confuses, obscures, abstruses, & ne servent, quand on les examine sérieusement, qu’à montrer la vanité & la folie de ceux qui les font, & ne peuvent produire aucun effet que sur des esprit foibles & irrésolues.
Soit que vous lisiez les œuvres de ces Anti-Eterniteriens, ou que vous les entendiez raisonner sur ce sujet, vous les trouverez toûjours plein de contradictions ; même leurs meilleurs raisonnemens & les plus plausibles ne sont fondés que sur des suppositions, & soûtenus d’une fausse logique.
C’est cependant un grand malheur
Rien n’étonne d’avantage les étrangers que de voir une nation, qui a payé si cher pour sa religion, regarder tranquillement & d’un œil calme cette même religion avilie, tournée en ridicule, & traitée d’une maniére qui choqueroit même les plus grands ennemis du Christianisme.
Puisque nous nous vantons d’être l’Eglise la plus pure qu’il y ait au monde, & que nous la sommes réellement, nous devrions, à mon avis, rougir de honte d’être infiniment moins zêlés pour la défense de nos principes, que ceux qui sont infatués de mille erreurs, & dont la foi n’est présque que superstition.
Les plus barbares habitans de l’
Mais je deviens trop long, & peut-être trop grave, pour un ouvrage dans lequel j’espére que vous me ferez l’honneur d’insérer cette lettre. Je vais donc finir, en vous souhaitant & à vos belles associées tout le succès que vous méritez & que vous désirez.
J’ai l’honneur d’être »
Madame,
Votre très-humble & très-obéïssant Serviteur.
, ce2. Janv. 1745
Il est fâcheux que ceux qui ont malheureusement des notions assez chetives de l’âme humaine pour la mettre de niveau avec celle des animaux, ne gardent pas leur opinion pour eux-mêmes ; car quoique je pense entiérement comme
Je conviens aussi avec lui que les argumens, dont on se sert pour combattre un état à venir, jettent le désordre dans
Mais comme j’ai déclaré suffisamment mes sentimens à ce sujet dans plusieurs de mes essais précédens, je n’y ajoûterai rien à présent & je viendrai á la lettre suivante, qui prétend à une place suivant l’ordre de sa datte.
Aux belles & ingénieuses personnes qui se font imprimer sous le nom de .
« Il est très probable, que ce que je vais vous offrir, vous paroîtra à la première lecture trop peu considérable pour mériter l’approbation de vous-même, ou de la plus grande partie de vos lecteurs ; mais comme je me flatte qu’après une mûre considération, ce sujet vous
Il y a, à mon avis, quelque chose d’étrangement contradictoire dans le jugement, le goût & l’humeur de nos beaux esprits modernes. Un homme passeroit pour très extraordinaire en compagnie, s’il prétendoit critiquer les écrits des anciens & la morale de leurs Philosophes ; nos législateurs même ont jugé à propos de fonder plusieurs de nos loix sur les dix tables des Romains. Tant nous avons une haute idée des siécles passés que, si nous voulons exalter quelque Moderne, c’est en le comparant avec un modèle de l’antiquité. Un éminent patriotte est un second
Astrologie. Ne tressaillez point à ce nom, mes bonnes Dames, je vous en conjure, car avant que j’aye fini j’espére de vous convaincre, que l’étude du Ciel rélativement aux affaires humaines, est raisonnable & utile.
Le premier argument contre l’Astrologie, & celui qui véritablement mérite le plus notre attention, parce qu’il est fondé sur un principe de réligion, c’est que nous ne devons pas sonder les sécrets du Très-Haut, & que c’est ôter du pouvoir du Créateur, que d’attribuer quelque influence à la Créature.
Je reponds à la première partie de cette objection, qu’il n’est pas probable que l’étude des aspects des Planétes soit un de ces sécrets de dirigée ou par celle qui dirige, gouverne tout d’une maniére irrésistible.
C’est ce que nous nommons le cours ordinaire de la nature, & lorsque nous voyons arriver quelque chose au-delà nous la regardons justement comme miraculeuse ; Israélites dans le tems de Astrologue n’auroit pû prévoir ces événemens, & qu’ils étoient parmi ces choses secrétes que nous ne devons pas entreprendre de développer.
Cependant depuis la dispersion des Juifs tout est allé de la même manière sans interruption ; mais comme
La seconde objection, & je suis fâché de le dire, la plus usitée, est tirée de l’incertitude de cet art, qu’il est sujet à de grandes méprises, &
Je ne nierai pas que l’ignorance de quelques prétendus Astrologues n’ait donné occasion à cette censure, mais n’est-il pas injuste de condamner tout un corps pour quelques-uns de ses membres ; il n’y a point d’art ou de science qui n’ait été déshonorée par quelques-uns de ceux qui la professent ; il y a eû & il y a encore de mauvais Théologiens, de mauvais Philosophes, de mauvais Médecins, de mauvais Poëtes, & de mauvais Musiciens, cependant la Théologie, la Philosophie, la Médecine, la Poësie & la Musqiue, n’ont pas perdu leur réputation ; c’est pourquoi je ne conçois pas pour quelle raison l’Astrologie l’auroit perdue.
Que les corps célestes aient de l’influence sur l’esprit & les dispositions des hommes, suivant qu’ils sont nés sous tel & tel aspect, & que cette influence peut être connue, en consultant l’heure natale d’une personne tout-à-fait inconnue à l’Astrologue
Je ne puis m’empêcher de rappeller ici un exemple remarquable de cette vérité, que peu de personnes ignorent, mais qui s’applique très-bien à mon dessein.
Astrologues de son siécle, le priant d’en agir sincérement avec lui, & de ne lui cacher rien de ce qui pourroit le menacer.
L’Astrologue l’assûra de son intégrité, & lui promit de revenir dans peu de jours, pour lui donner toute la satisfaction qu’il désiroit.
Cependant
Fort bien, lui dit-il, après une assez longue pause, l’Astrologie est donc une science trompeuse, je vais brûler sur le champ tous mes livres, jamais je ne dresserai mon Télescope contre le Ciel, ou je ne formerai de figure.
Après avoir ainsi parlé, il alloit partir, lorsque
Parce, repliqua-t-il, que je suis très convaincu par l’examen de votre naissance qu’on ne peut pas se reposer sur cet art. Un homme né dans le même tems que vous, devroit être naturellement enclin à l’yvrognerie, lascif, injuste & cruel, en un mot addonné à tous les vices.
si c’est à cause de ma naissance, lui dit-il, que vous avez conçu une si mauvaise opinion de l’Astrologie, bannissez cette pensée de votre esprit, & exaltez plûtôt une science qui montre la vérité sans déguisement, en dépit des apparences. Apprenez, mon ami, que je suis venu dans le monde avec toutes ces inclinations vicieuses dont vous avez parlé, la Nature vouloit faire de moi un monstre, mais la Raison m’a fait ce que je suis. Elle m’a enseigné à fermer toutes les avenues de mon âme aux tentations que le monde & ses plaisirs me présentent constamment. Elle m’a montré la vraie dignité de mon être, & m’a convaincu qu’il est au-dessous de l’espéce humaine de poursuivre aucun dessein violent, ou injuste.
C’est ce que nous savons d’un Auteur de réputation ; J’ai encore trouvé dans un vieux livre Latin que l’Astrologue à la priére de
courageux au-dessus de l’humanité ! Il périt injustement & il pardonna en mourant ! Il but tranquillement la coupe empoisonnée, sans souhaiter que ses infâmes accusateurs eussent le même sort, trop grand pour la vengeance, qui est constamment une des plus grandes foiblesses de l’esprit humain.
S’il devoit en partie cette force d’esprit aux prédictions de son Astrologue ; c’est ce que je ne veux pas prendre sur moi d’assûrer, parce que le titre du livre ou je l’ai lû ayant été déchiré, je ne sçais point le nom de l’Auteur, ni à quel point on peut se confier sur ce qu’il rapporte.
Quoiqu’il en soit la première partie de cette histoire, dont la vérité
Chacun n’a pas autant de pénétration que ce Philosophe ; & il y en a encore moins qui veuillent prendre la peine d’examiner impartialement leur propre cœur, & de découvrir à quel penchant ils ont le plus d’inclination, l’Astrologie ne seroit-elle pas alors d’un grand secours à ceux qui la négligent ? N’ont-ils pas besoin d’un tel Mentor pour les reveiller de cette léthargie, qui les laisse tomber dans des vices, dont ils ne se rendroient jamais coupables de dessein prémédité ?
Ce n’est pas seulement pour reprimer les progrès des inclinations vicieuses, que je regarde la coûtume de consulter les aspects des planétes à notre naissance, comme très utile ; elle contribue encore à notre conduite dans le monde, au choix de nos occupations, & enfin à tout ce qui est essentiel à notre bonheur.
Le Ciel a alloué à tous, tôt ou tard, quelque heureuse révolution dans leur fortune, si nous les observons & que nous les conduisions avec habilité ; (car le bonheur des hommes dépend de leur volonté) notre fortune roule doucement suivant la première impression qu’elle a reçue ; mais si on ne la saisit pas, elle glisse comme le vent, & ne laisse après elle que le repentir.
Comment trouverons-nous sans le secours de l’Astrologie quelles seront ces heureuses révolutions, & quand elles arriveront ? Ou comment pourrons-nous découvrir ce point critique dans lequel la fortune doit être saisie ? C’est pourquoi Mr.
Cavalier est souvent renversé de dessus la selle ; mais c’est la faute de la fortune & non la sienne propre ; si des couronnes & des palmes décorent le front du victorieux, c’est parce qu’il étoit né sous un meilleur aspect.
Mais pour mettre de côté toutes les autorités possibles & pour nous servir uniquement de notre raison, & de nos observations, rien de plus commun que de voir des gens destinés dans des emplois ou des affaires pour lesquelles ils ne sont nullement qualifiés, & où ils ne peuvent faire qu’une très petite figure.
Celui qui a donné l’âme, l’a sans doute revêtue de qualités suffisantes pour faire le bonheur du corps qu’elle habite ; mais comme ces facultés sont très différentes, il faut savoir les appliquer à la vocation qui leur convient.
Les Parens se méprennent souvent sur le génie de leurs enfans, & nous-mêmes ne pouvons pas toûours juger de nos propres talens, sur-tout dans notre jeunesse. Le brillant & la pompe d’une profession nous induisent quelques fois à faire choix
En un mot je hazarderai d’assûrer positivement comme une opinion que je n’abandonnerai jamais, que quiconque agit contradictoirement à la planete qui a présidé à sa naissance, ne sera jamais heureux, quoiqu’il puisse être honnête-homme ; & que c’est plûtôt la négligence de cet article important qui rend tant de gens malheureux, que leur mauvaise conduite ou leur inadvertence, dans la professions qu’ils ont malheureusement choisie.
Pourquoi donc les hommes en général ont-ils tant d’aversion pour cette science, quoiqu’ils ne puissent prouver par aucun argument qu’elle soit préjudicable, & qu’aucontraire <sic>, ils ne puissent nier qu’elle ne soit d’une utilité universelle ? Je suis persuadée que quelques-uns l’ont éprouvé ainsi, cependant entraînés par l’opinion générale, ils ont déguisé ingratement le moyen auquel ils
Il ne faut pas cependant qu’on insére de ce que j’ai dit, que je suis partisan des communs diseurs de bonne fortune, aussi bien que des charmes & des talismans. Non, Mesdames, l’un est absurde & ridicule & si les autres ont quelque efficace, ils en sont redevables à des influences qui ne devroient pas être encouragées par des gens qui se nomment Chrétiens.
Tout ce que je veux defendre est le simple calcul des nativités, qui peut nous instruire plus exactement & de meilleure heure, des inclinations qui doivent vraisemblablement nous guider dans la suite, & par conséquent qui nous met en état de veiller plus soigneusement sur celles qui sont pernicieuses, que nous en pourrions le faire par aucun autre moyen, & aussi de juger quelle vocation nous convient ou ne nous convient pas.
A l’égard de ceux qui affectent de rire de l’influence des astres, parce,
Mais il nous suffit de savoir que les choses soyent, sans demander pourquoi elles sont. Le Grand Auteur de la Nature connoît seul les ressorts secrets qui mettent en mouvement la machine de ce vaste Univers, qui sont même voilés aux Anges, & dont sa seule sagesse peut rendre raison.
Je finirai donc par un passage du poëme de Mr. nous ne faisons que nous engager de tous côtés dans un labyrinthe. Comment le plus petit peut-il comprendre le plus grand, ou le fini atteindre l’infini ? Car celui qui pourroit trouver le fond de Dieu, seroit plus que ce souverain Etre.
Mais je ne dois pas plier ma lettre
Votre très-humble & très-obéïssant Serviteur.
,Ce 12. Fev. 1745 – 6.
Sans parler de tous les avantages, & des louables desseins, dont mon correspondant à fait mention, il y a un désir logé dans le cœur d’un chacun de lire dans l’avenir, aussi je crains qu’il n’y ait que trop de gens qui voudroient se servir de cet art pour pénétrer dans les affaires & les secrets des autres.
Astrologie, puis qu’on peut abuser des meilleures choses. Pour moi je suis resolue d’être neutre à cet égard : j’ai beaucoup de respect pour ces magnifiques globes qui brillent au dessus de ma tête, & dont la vûe me fait tant de plaisir en Eté dans une promenade solitaire ; je serois bien fâchée de rien dire qui pût en donner une chetive idée ; cependant je pense comme quantité de gens qui craignent de trop attribuer à l’influence de ces corps celestes.
L’Histoire de inclinent, ils n’ont pas le pouvoir de nous contraindre : & que le Tout-puissant Créateur se plaît quelquefois à montrer qu’on ne peut plaçer de confiance assûrée qu’en lui seul.
Même nos communs almanacs nous convainquent que les astres ne dominent point absolument sur les Saisons : nous avons eû des sécheresses longues, Verseau ou dans les Poissons : & les Pleïades ne nous ont pas toûjours amené la pluye : cependant quoique cela arrive quelquefois, je ne prétends pas décrier l’étude des astres à cet égard, parce qu’elle est plus souvent vraie que trompeuse dans ses productions, du moins à l’égard du beau ou du mauvais tems.
Peut-être en est-il de mêmes d’autres égards ; mais comme je l’ai déjà dit, je laisse ce point à discuter à d’autres plus habiles.
Je hazarderai seulement de dire, comme mon propre jugement, que si la cause de
Madame,
« Cette tendre consideration que vous montrez pour le bonheur & la réputation de tout le genre humain en général, & particulierement des personnes de votre sexe, enhardit la plus infortunée de toutes les femmes à vous donner un détail de ses afflictions avec la fatale faute, qui ne les a attirées sur elle que trop justement.
En déchargeant mon cœur de cette manière, je goûte le premier intervalle de repos, que j’aie connu depuis long-tems ; mais c’est le moindre motif qui m’ait engagé à écrire ; le principal dessein que j’ai en vûe, en souhaitant que l’on publie mon avanture, c’est de fournir à toutes les jeunes filles, de quelque rang ou qualité qu’elles soyent, un avertissement pour ne pas tomber dans la même faute dont j’ai été coupable.
En lisant cette affligeante Epître vous jugerez combien elle mérite
jeune, mais je n’eus pas celui d’en voir une autre en sa place ; & quoique mon Père fût naturellement sévere, il paroissoit prendre tant de plaisir avec moi, qu’il disoit souvent que, si j’avois un frere qui m’enleveroit une grosse partie de son bien, il feroit ensorte que ma dot me mît en état d’aspirer à un homme plus riche que lui.
Sa tendresse pour moi étoit si bien connue, que j’avois à peine atteint l’âge de quatorze ans, que plusieurs Cavaliers demandérent la permission
La passion qu’il me témoigna n’étoit que trop sincére, puisqu’il en a donné des preuves fatales dans la suite. Mon cœur se laissa insensiblement toucher aux choses tendres qu’il me dit, & comme j’étois trop jeune, ou du moins trop indolente, pour en considérer les conséquences, j’encourageai ses espérances, autant que ma modestie & mon honneur le permettoient.
Comme il étoit cadet de famille, & que sa fortune étoit peu considérable, il y auroit eû pour lui de la folie de s’addresser à mon père. Nous fîmes donc un grand secret de notre liaison, & il n’y eut que la fille qui me servoit, & qui avoit été dans le secret dès le commencement, qui sçut que je le connoissois.
incognito & de me placer bien envoloppée <sic> dans les secondes loges. De tems en tems j’affectois une grande œconomie & je fréquentois les ventes, sous prétexte d’acheter à grand marché. Personne avec moi dans ces courses que ma servante ; parce, disois-je, qu’un laquais en livrée montreroit qui j’étois, & frustreroit mes intentions ; sans parler de mille autres prétextes que ni mon père, ni personne de la famille ne soupçonnoient.
Cependant croiriez-vous, Madame, après toutes les peines que je prenois, que je n’avois pas pour lui une affection fixe ? La nouveauté de la chose plaisoit à ma vanité & le secret à mon orgueil, parce que je pouvois duper mon père. Cependant je me trompois moi-même en m’imaginant que ma passion égaloit
Il est étonnant que ce rat, car je ne puis pas lui donner un autre nom, ne m’ait pas transporté au point de consentira un mariage secret, comme il m’y pressoit continuellement : je ne sçais, si je dois imputer à ma bonne, ou à ma mauvaise fortune, qu’il ne put jamais me persuader à faire cette démarche, puisque j’en vins au point de lui promettre & de me lier par plusieurs vœux & imprécations, que je n’épouserois jamais un autre homme.
O que la jeunesse est imprudente ? Qu’elle est peu capable de juger pour elle-même, ou d’elle-même !
Mais l’épreuve ne se fit pas attendre ; bientôt on fit à mon père une ouverture qu’il trouva trop avantageuse pour la rejetter ; c’étoit en faveur d’un jeune Gentilhomme, à qui je donnerai le nom de
J’en avois entendu souvent parler à des Dames de ma connoissance, & jamais sans les éloges qu’il mérite, comme je dois l’avouer. Je l’avois aussi vû, mais seulement en passant, ou à l’Opéra ; mais je l’avois assez remarqué pour savoir que c’étoit un homme beau, bien fait & très agréable. J’en convenois toûjours chaque fois qu’on en parloit, mais dès qu’on avoit fini, je n’y pensois plus, jusques à ce que mon père me dît qu’il lui avoit permis de me visiter, & que je devois le recevoir comme un homme, qu’il me destinoit pour mon Epoux.
Enfin je ne sçais si je m’en rejousissois, ou si j’en étoits fâchée. Un mêlange de chagrin & de plaisir s’empara en même tems de mon cœur, & mit mes esprits dans un tel désordre, qu’il ne me fut pas possible de répondre directement à ce que mon père me disoit. Il attribua cependant mes fréquens changemens de couleurs, & le peu de liaison de mes réponses, à la timidité, qu’une première proposition de cette nature pouvoit naturellement occasionner, & comme je lui avois répondu à peine en begayant, que j’obéïrois toûjours à ses volontés, il fut très satisfait, & ne me parla plus pour cette heure de cette affaire.
Le jour suivant
C’est ce que je pensois, dis-je, tandis que j’étois avec
Je continuai quelques jours dans cette incertitude d’esprit, les aimant l’un & l’autre, mais point autant
Pardonnez, Madame, ces interruptions du fil de mon récit ; le souvenir de ces tems passés me les arrache ; mais j’abrégerai à présent, autant qu’il me sera possible, pour venir à la triste catastrophe.
Mon père vit avec beaucoup de plaisir que mon inclination étoit conforme à ses désirs, & mon amant fut transporté de l’aveu que je lui en fis. Il ne restoit qu’à dresser le contract
Je ne pus m’empêcher d’être un peu touchée à la lecture de cette lettre ; mais
Quelques jours ensuite, comme j’étois en carosse avec
La vûe inattendue d’une personne que j’avois traitée si mal, me fit beaucoup de peine dans cette occasion : mais j’étois trop jeune, trop dissipée & trop satisfaite de mon propre sort, pour me mettre long-tems en peine de celui d’un autre, quelque obligation que mon honneur, ma conscience & ma générosité m’imposassent à cet égard.
On donna trois jours aux réjouïssances dans la maison de mon père ; ensuite nous partîmes pour une belle campagne, que
Cependant tout cela n’étoit rien en comparaison du ravissement que l’excessive tendresse de Amant : ni notre familiarité du respect qu’il m’avoit toûjours témoigné ; ce bon-
Tandis que ce tems si agréable dura, je ne pensai jamais à
Il y avoit environ six semaines que nous étions à la Campagne, autant que je puis m’en souvenir, & j’étois un matin toute seule à ma toilette, lorsque cette Créature entra
Je m’imaginois qu’il ne s’agissoit que de quelque folie qui la regardoit elle-même ; je ne pus m’empêcher de rire en voyant son air sérieux & je lui ordonnai de dire vitement ce qu’elle avoit sur le cœur.
Elle me dit donc, après m’avoir encore demandé pardon, que cinq ou six jours après notre arrivée à la Campagne, on l’avoit envoyée chercher d’une hôtellerie voisine, où on lui dit qu’un de ses parens venoit d’arriver de
Je n’entendis pas plûtôt son nom, que je tâchai de l’arrêter, en lui disant que je ne voulois plus entendre par-
Cette pauvre fille trembloit tandis que je lui parlois, & elle me repondit qu’elle ne m’auroit pas désobéï pour tout le monde dans toute autre circonstance, mais qu’elle ne pouvoit pas fermer l’œil dans son lit, & qu’elle avoit l’esprit si agité, qu’il ne lui avoit pas été possible de se contenir davantage. Fort bien, lui dis-je avec un ton de mépris, quelle est donc cette grande affaire ?
Elle procéda alors à me faire un récit trop mélancolique pour ne pas toucher le cœur le plus désintéressé ; elle me dit qu’elle n’avoit jamais vû d’homme plus changé, qu’il ressembloit plûtôt à un spectre qu’à un corps réel, & qu’elle n’auroit pû le reconnoître qu’au ton de sa voix. Qu’après avoir donné l’essor à la passion dont il étoit transporté, dans des termes qui marquoient le plus terrible désespoir, il avoit pris une lettre, & tirant en même tems son épée, la lui auroit présentée à la poi-
En vain lui repéta-t-elle l’ordre que je lui avois donné de ne me parler jamais de lui ; en vain allégua-t-elle que tout ce qu’elle pourroit me dire ne lui seroit d’aucune utilité & ne feroit que me chagriner, puisque j’étois mariée & que je ne pouvois rien faire pour lui. Tout ce qu’elle dit ne fit que le rendre plus passionné, & il insista toûjours sur son serment qu’elle fut enfin obligée de lui prêter, avec les plus solemnelles imprécations contre elle-même, si elle ne le remplissoit pas.
Elle me dit ensuite que la crainte de me déplaire lui avoit fait cacher cette lettre jusqu’à ce jour ; mais qu’elle songeoit continuellement à lui depuis une semaine, avec de si grandes frayeurs qu’elle ne doutoit point qu’il ne se fût donné la mort & que son esprit revenoit la persécuter de cette manière pour la punir d’avoir violé ses vœux.
Je ne pus m’empêcher d’être ex-
.
Si je pensois que cette lettre pût vous faire la moindre peine, toute fausse, cruelle, & ingratte que vous êtes, je n’aurois pas été assez maître de mon cœur pour vous l’envoyer ; mais je ne doute pas que vous n’appreniez plûtôt avec plaisir que vous allez être délivrée pour toûjours d’un homme, dont la vûe vous auroit constamment reproché votre faute. Il y en a bien peu, très injuste
Pour vous délivrer de toute crainte à mon sujet, & afin que je n’aie pas le chagrin de respirer le même aire, qu’une personne qui m’a si cruellement trompé, je quitte l’
Vous conviendrez qu’une telle lettre ne pouvoit que faire une forte impression sur une femme dans mon cas, convaincue que je méritois tous les reproches qu’elle contenoit ; & qui plus est, je sentois une terreur intérieure, dont je ne pouvois pas me rendre raison, mais que j’ai prise ensuite pour un présage de mon désastre qui s’approchoit.
J’avois lû deux fois cette fatale lettre, & j’allois l’enfermer dans une cassette, lorsqu’entendant la voix de
Mais comme
Je suis tombé sur un secret, Madame, dit que je m’attendois bien peu de découvrir ; mais vous & pouvez aisément me pardonner ma curiosité, puisque j’en souffrirai plus qu’aucun de vous.
Il n’en falloit pas davantage pour
Il semble que cette folle Créature eut la curiosité d’examiner le contenu de cette lettre avant que de la brûler, & que ne voyant personne dans le Sallon, elle y entra pour la lire. Elle étoit devant un miroir vis-à-vis de la porte, lorsque
Il est sûr qu’il n’avoit point intention de la lire, mais qu’il l’auroit rendue après avoir un peu ri de son inquiétude, si par malheur mon nom ne l’avoit pas frappé. Cette vûe le fit changer de dessein & il crut être en droit de voir ce qu’elle contenoit.
C’est ainsi, chère
Que dire pour ma défense, ou pour pallier cette affaire, c’est surquoi je ne pouvois point me résoudre ; quelques fois je pensois à tout nier, & à soûtenir que je n’avois jamais connu un homme tel que
Cependant
Ce procédé me donna la plus terrible alarme : je crus y remarquer une indifférence plus cruelle pour moi que les plus rudes reproches ; & comme je l’aimois véritablement, j’aimai mieux m’exposer à tout ce que sa fureur pourroit m’infliger, plûtôt que de rester davantage en suspens.
Je courus donc à sa chambre dans le plus grand désordre, & le conjurai de me faire connoître pourquoi il abandonnoit mon lit, je fus obligée de repéter plusieurs fois les mêmes paroles, ou d’autres dans le même dessein, avant que d’obtenir une reponse, quoiqu’il m’eût regardé durant tout ce tems avec des yeux qui marquoient plus de chagrin que je ne sçavois pas, me dit-il avec un profond soupir, jusqu’à ce malheureux jour, que j’eusse usurpé le droit d’un autre, ou que ne pourroit pas me rendre heureux sans un crime.
Je me jettai alors à son cou, lui disant, autant que mes larmes purent me le permettre, que personne, excepté lui-même, n’avoit aucun droit à mon cœur ou à ma personne, & que, si j’avois eû la folie de donner de bonnes paroles à un autre quand j’étois fille & incapable de juger par moi-même, je ne méritois pas qu’on m’en fit un crime.
Mais pourquoi vous incommoderois-je, Madame, avec un détail de ce que je lui dis, ou de ses repliques ; il me suffit de vous informer qu’il a naturellement une délicatesse excessive que tous mes raisonnemens, ni alors, ni depuis, quoiqu’il se soit écoulé une année entière depuis cette Catastrophe, n’ont pû surmonter.
Il ne me censure pas seulement comme coupable d’injustice, d’ingratitude, d’inconstance & de parju-âme douée d’autant de perfections qu’il continue à en trouver dans ma figure.
Pour me rendre encore plus malheureuse, les papiers de nouvelles ont donné un détail, que le vaisseau, sur lequel le désespéré Malheureuse pour la perdition de tous ceux qui l’aiment. Quoique je prisse part à la mort d’un homme à qui je n’avois été que trop chère, je trouvai quelque consolation dans l’espérance que
Comme je l’aime avec la plus grande sincérité, jugez combien je souffre de le voir dans cet état, & infiniment plus encore dans la persuasion que j’en suis la cause ; mais pourquoi en appelle-je à votre décision ? Avec toute votre capacité de
Mais je ne m’arrêterai pas davantage sur ce mélancolique sujet. Ce n’est pas seulement la pensée que
Madame,
Votre très-humble & très-obéïssante Servante.
ce 5. Fév. 1745.
esprit aussi bien que celles du corps augmentent chaque jour, si elles sont négligées. C’est pourquoi je vous conjure de différer le moins que vous pourrez la publication de cette lettre & de ce que vous jugerez à propos de dire à ce sujet. »
C’est un grand malheur que de jeunes Demoiselles, qui ont à peine quitté la menans, croyent déjà être des femmes, s’imaginent qu’elles peuvent se conduire à leur fantaisie, choisissent la compagnie qui leur plaît & sont passionnées pour être dans quelque sécret, tandis que réellement il ne peut rien y avoir de conforme à leur honneur ou à leurs intérêts, qu’il ne convienne de communiquer à leur parens.
Rien ne convient mieux, à mon avis que cette modeste timidité qui naît avec notre sexe, & de laquelle l’exem-
Je crains que, comme Quoi de plus commun que de faire ce compliment à un pére & à une mère ! Mademoiselle votre fille devient très-aimale, elle gâgnera sûrement tous les cœurs ; qu’elle a des beaux yeux ! que sa taille est déli-cate ! & d’autres expressions semblables qui empoisonnent l’esprit de la jeune fille, & lui front <sic> croire qu’elle n’a point d’autre soin à prendre, qu’à embellir sa personne, en-sorte que la meilleure partie d’elle-même est négligée, & que tous les préceptes déplaisent ensuite à ses oreilles & ne font pas la moindre impression sur son cœur.
Si au-contraire elle n’avoit entendu que les éloges de ses progrès dans les qualités louables qu’on vouloit lui faire acquérir, ses pensées se seroient entiérement tournées de ce côté. Elle auroit considéré ces connoissances comme une chose aussi estimable dans une femme que dans un homme, & ne se seroit point glorifiée de ces attraits, que la petite vérole ou un accès de maladie peuvent détruire même dans la fleur de la jeunesse, & qui se faneront dans peu d’années.
Ce sont principalement ces éloges mal digérés, qui mettent tant de différence entre le jugement des deux sexes ; & j’ôse dire, parce que j’en suis fort sûre, que si on agissoit avec nous quand nous sommes filles, comme on agit a-
Nous ne devrions pas même les flatter qu’avec ménagement sur leur esprit ; car l’esprit, sans un jugement proportionné qu’on ne peut pas attendre de la première jeunesse, dégénère trop souvent en hardiesse & en un impertinent mépris de nos supérieurs, très dangéreux pour nos manières & nos mœurs.
Il y avoit peut-être un mélange de ce défaut dans le caractère de
On doit cependant la plaindre beaucoup, même pour se fautes, puisqu’elles ont été indubitablement occasionnées par la négligence de ceux qui étoient autour d’elle, & qui, en donnant un mauvais pli à son humeur, la rendi-
Heureuse si elle avoit vû
Cependant, comme cette infortunée Dame se laissa entraîner par ces premières impressions à entrer dans un engagement solemnel avec son prémier Amant, je ne sçais pas comment elle auroit pû, si elle y avoit réfléchi, se justifier de l’avoir violé ; il est vrai qu’elle n’auroit jamais pû le remplir, même durant la vie de son père, sans s’envelopper elle-même &
Mais ont <sic> peut l’excuser à cause de son extrême jeunesse & des flatteries dont j’ai parlé, & qui lui furent sans doute prodiguées ; & comme elle paroît à présent très sensible aux fautes de sa conduite passée, nous serons moins sévères à son égard.
personne & non sa fortune,
De plus il devroit considérer que, si elle étoit véritablement son Epouse, dans le tems de leur mariage, quoiqu’un autre eût reçû sa foi, ce que je ne suis pas assez casuiste pour déterminer, elle l’est maintenant sans aucun doute, depuis que la mort de
Elle paroît croire qu’il l’aime encore ; & si cela est vrai, comme elle peut s’en apperçevoir aisément, sa conduite ne vient que d’une excessive délicatesse, qu’on peut nommer une vertu dans son extrême, ou un point d’honneur porté trop loin, & qui le fait peut-être plus souffrir que celle qui en est l’objet. C’est, comme dit l’un de nos Poëtes, un accès de vertu dans l’âme, l’origine de l’Orgueil, & le tombeau de la Nature.
Et notre inimitable Comment aurois-je surmonté tous mes maux réels ? Et je trou-verai encore devant moi ce phantôme ! ce rien bruyant, cette ombre énorme ! Par quel art de magie as-tu été faite, toi, cause préçaire des maux réels, ennemie de la paix & de charmes du repos.
Je pense, sur le tout, qu’il doit recevoir entre ses bras la désolée pénitente, pardonner & tâcher d’oublier ce qui s’est passé ; elle a fait, avant qu’elle l’eût jamais vû, la terrible méprise pour laquelle elle souffre tant aujourd’hui. Pour lui elle ne lui a jamais fait d’injustice ;
Qu’il cesse donc de se tourmenter lui-même & une personne qui lui est si chère. Il a déjà assez sacrifié à sa délicatesse, qui est à la vérité une marque d’un esprit riche en vertus, mais qui peut-être cependant regardée comme une mauvaise plante, qui pousse dans un terroir trop abondant, & qui doit-être arrachée, de peur qu’elle n’étouffe de meilleures plantes.
Mais si les avis de la Que reste-t-il après les maux passés, que de saisir cette agréable vicissitude de plaisirs qui se présentent à leur tour, de remercier les Dieux pour ce qu’ils nous donnent, de nous posséder nous-mêmes & de vivre, tandis que nous sommes ici bas ?
A l’égard de
Quand un jeune homme voit une Dame, qu’il penche à aimer, il devroit certainement, avant que de se livrer à sa passion, réfléchir à toutes les circonstances dans lesquelles il se trouve, afin de pouvoir se dire à soi-même, que le succès de ses désirs n’est point une chose impratiquable, ou n’aura pas de conséquences plus fâcheuses que s’il y renonçoit.
C’étoit évidemment le cas de
Ces amoureux ont toûjours à la bouche quelque morceau de Poësie, qui leur paroît favoriser leur enthousiasme, & ils se font une telle idole de leur passion qu’ils la mettent au-dessus de toutes les loix divines & humaines. Ils
Il n’y a point de loi pour l’amour ; la Loi
On peut bien l’appeler, après un fameux Auteur, la frénésie de l’Esprit. Cependant je prétends soûtenir qu’une personne sage & prudente peut aisément le subjuguer dans son origine, mais les jeunes gens sont malheureusement assez infatués pour s’imaginer que c’est une fort jolie chose d’être a-
Quand j’étois sain & sauf, je me suis plaint & j’ai effrayé tous les autres avec le recit de mes peines ; mais à présent je sens le terrible mal : Ah ! il ne faut pas badiner avec le diable ! Ainsi des imprudens, en voulant épouventer les autres, se sont causés à eux-mêmes une frayeur réelle ; Je ne parlois de dards, de players, de flamme & d’ardeur, que pour la rime, ou pour m’amuser ; je ne pensois pas que mes vers dussent mériter la réputation de Prophétie, la vérité rend mon Style dur, quoique propre, & en gâte toutes les métaphores. Il est dangereux de feindre sur des sujets qui sont trop sous le règne de l’imagination. Le badinage
Mais à l’égard de ceux dont le cœur est insensiblement attiré par les charmes d’une personne qu’il leur arrive de voir, & qui sentent en eux-mêmes les indices d’une passion qui croît, même ceux-là, dis-je, s’il se rencontre quelque obstacle dans la réüssite de leurs désirs, peuvent surmonter ces premières impressions. Qu’ils renoncent à toute entrevûe avec le dangereux objet. Qu’ils évitent la conversation de tous ceux qui attirent, ou prétendent aimer, & tâchent d’occuper leur esprit à l’étude de quelque science, ou d’un art. L’absence, le tems & l’occupation, les gueriroit infailliblement, quoiqu’ils souffrent d’abord quelque peine.
Que vous êtes changée, s’écria-t-il, depuis que je suis parti ! Comment avez-vous perdu un œuil ! Non, lui répondit-elle en riant & avec esprit, mais je m’apperçois que vous avez trouvé vos deux yeux.
Tandis que la passion dure, elle donne sans doute des charmes où il n’y en a point, & exagère hautement ceux qu’elle trouve ; mais quand elle cesse, nous voyons sans le brouillard devant nos yeux, & nous nous étonnons très souvent de nous être si fort trompés.
Mais en supposant que l’objet de notre affection possède réellement les plus grandes perfections, si nous ne pouvons jouïr de ces charmes, sans nuire ou à nous-mêmes, ou à la personne que nous aimons, n’est-ce pas la plus gande <sic> folie de poursuivre nos desseins ? Quelle idée
L’Obéïssance à ses parens est un devoir indispensable : Quelqu’élevé qu’on soit, on ne doit point s’en exempter. La décence & les bonnes manières l’exigent. L’affection naturelle y oblige. Les loix humaines l’ordonnent & celles de
Cependant lorsqu’un père par avarice, caprice ou partialité, veut forcer son enfant à se marier contre son inclination, je ne regarde point comme un crime la désobéissance dans ce cas, parce que nous ne sommes point obligés d’obéïr à nos parens dans des choses illégitimes, & il n’y a certainement rien de plus opposé aux lois de
Mais quoique nous ne soyons pas toûjours obligés de nous marier suivant la volonté de nos parens, nous ne devons pas nous croire en liberté de choisir pour nous-mêmes. Si nous ne pouvons résoudre notre cœur à répondre à leurs désirs, nous ne devons pas nous laisser guider entiérement pas <sic> les nôtres, au point d’introduire dans leur famille une personne qu’ils n’approuvent pas.
En un mot, c’est l’opinion de la
C’est un grand malheur que tant d’endroits, où les jeunes gens peuvent se rencontrer & se perdre pour toûjours, soient tolérées. La coûtume de publier les bancs dans l’Eglise paroissiale, quoiqu’elle paroisse à présent hors de mode & vulgaire, à préservé plusieurs dignes familles de l’affliction, que leur auroit causée la moins considérable branche.
Même des mariages en chambre privée, quoiqu’avec le consentement des parens & en présence de plusieurs personnes, me paroissent perdre beaucoup de leur solemnité. Si cette cérémonie est d’une institution divine, & que l’union des mains & du cœur soit un type de l’union mystique de Christ & de son Eglise, certainement il n’y a point d’endroit plus convenable pour la célébrer, que celui qui est consacré & mis à part pour les cérémonies religieuses.
J’ai l’honneur de penser entiérement comme un illustre seigneurs <sic>, qui disoit, qu’il ne pouvoit pas regarder un mariage comme parfait, à moins qu’il ne fût célébré en face de l’Autel, & qui obligea sa Fille & l’Epoux dont il fit choix pour elle, à se marier dans l’Eglise de leur paroisse, quoique l’un & l’autre eussent de la répugnance contre cette démarche, comme étant hors de mode.
La principale raison qu’on allègue, c’est que rien en choque plus la modestie d’une jeune personne, que de se livrer à un homme, en présence de tant de personnes qui se rendent à l’Eglise dans ces occasions ; mais je voudrois qu’il y eût plus de sincérité & moins de Sophisme dans cet argument, & que les Epouses de ce siécle eussent à d’autres égards autant de timidité que leurs grands-mères, qui n’avoient point honte d’aller à l’Eglise avec l’homme qu’elles aimoient, & qui étoit authorise par leurs parens, ou par ceux de qui elles dépendoient.
D’autres encore, pour montrer qu’ils sont bon protestants, diront, qu’un mariage devant l’autel ressemble trop à un sacrement & à ce qui se pratique dans l’Eglise de Papisme, se jettent dans la Profanation, & plûtôt que d’avoir trop d’attachement pour les ordonnances de l’Eglise, méprisent & tournent en ridicule tout ce qu’elle ordonne.
Je suis fâchée de dire qu’il y en a beaucoup de ceux-ci, mais comme c’est un sujet entiérement étranger à mon dessein présent, & que j’avoue qu’il n’est point dans le département, d’une
Tout ce que je me propose dans ces rémarques sur la lettre de jeunes personnes de mon sexe, qu’il ne leur convient nullement d’entretenir aucune pensée d’amour & de mariage, jusques à ce que la première ouverture leur en vienne de ceux qui ont le droit de les gouverner ; & à l’égard de celles qui sont plus âgées, de s’abstenir de tout compliment, & de tout discours frivole, qui pourroit mettre dans l’esprit de celles qui sont sous leurs soins, des idées auxquelles elles n’auroient jamais pensé.
La petite vérole n’est pas la moitié autant ennemie du visage, que la flatte-
De toutes les vertus il n’y en a point qu’on doive plûtôt inculquer, dans l’esprit d’une jeune fille que la modestie, & la douceur. La vanité & l’orgueil tâchent perpétuellement de se faire jour dans le cœur, & on ne peut pas prendre trop de soin de répousser leurs efforts. Plus elle a de beauté, moins
Rien ne me fait plus de peine que de voir une mère encourager dans ses enfans de qu’elle nomme vivacité, & se divertir plûtôt que s’offenser de leur hardiesse, tandis qu’ils sont fort jeunes. La pauvre femme ! elle ne considère pas combien cette disposition croîtra avec l’âge, & à quel excès elle peut être portée ?
Ce feu une fois allumé ne s’éteint pas aisément, les parens ne doivent pas se flatter d’en venir à bout ; car lorsqu’on passe d’une trop grande douceur à la sévérité, la personne sur qui on l’exerce, au-lieu d’être humiliée par ce changement, devient plus opiniâtre, & en vient même souvent à une rébellion ouverte.
C’est pourquoi on devroit nous donner des leçons de vertu dans les premières années de notre vie, si l’on veut que nous les pratiquions quand nous sommes arrivés à un âge mûr.
Mais je prévois que ces avertissemens ne seront point goûtés de plusieurs de mes lecteurs, non seulement des plus
Nous réjettons pour la même raison la lettre d’
En même tems nous le prions de recevoir nos sincères remercimens, non seulement pour ce qui sera autant utile à nos lecteurs qu’à nous-mêmes, mais encore pour la bonne opinion qu’il témoigne si obligeamment de la
Fin de la vingt-troisiéme Partie.