Nous n’avons jamais manqué durant le cours, de ces essais, de renvoyer ce que nous avions à dire de notre fond, pour insérer les lettres de nos correspondans ; il doit donc paroître étrange, que nous n’avons publié aucune lettre le mois passé, sur-tout puisque nous avouâmes dans la pénulitiéme, que nous en avions reçu plusieurs.
Mais comme la meilleure Apologie pour ce qui peut-être pris en mauvaise part, c’est de le réparer, nous donnerons à présent cette satisfaction qu’on attend de nous.
Mesdames,
« L’obligeante reception que vous avez eû la bonté de faire à un premier recit que je vous en voyai, m’encourage à vous offrir une autre histoire, qui fournira des leçons très instructives aux vieilles, comme aux jeunes personnes des
Je ne ferai donc aucune apologie pour le sujet, mais je sens qu’il peut avoir souffert entre mes mains ; & je serai charmé de paroître avec vos corrections & vos réflexions, plus digne de l’attention du public, & d’une place dans votre ouvrage.
Mais de peur que les surprenantes avantures, qui arriverent à l’héroine de cette histoire, ne lui donnent un air de Roman, & par conséquent, ne fassent moins d’effet sur l’esprit des lecteurs, qu’il ne seroit nécessaire, pour les engager à éviter les égaremens de quelques personnes qui y sont intéressées, & à imiter les vertus des autres ; permettez-moi, Mesdames, d’assûrer le public qu’il n’y a pas un seul incident de ce recit qui doive rien à la fiction ; mais que le tout est raconté avec toute l’exactituede & la simplicité qui convient à la vérité.
J’ai hazardé de l’intituler. Le triomphe de la patience & de la fermeté sur la barbarie & la fourberie. Si
Mesdames,Votre très-humble & très-obéïssant Serviteur.
P.S. « En repassant une seconde fois l’incluse, il m’a semblé que j’étois trop longue dans mes réflexions sur les différens événemens à mesure qu’ils se présentoient. Je vous prie donc d’abréger celles qui perdroient par leur longueur, de leur mérite, (Si elles en avoient réellement) & d’effacer tout-à-fait celles qui ne servent à rien. »
Vengeance d’une Dame, insérée dans la quatorziéme partie de notre ouvrage, n’attribuent ce que cette Dame demande dans son postscriptum à un excès de modestie & à cette défiance inséparable du bon sens, à moins qu’une longue & générale approbation ne nous en ait délivrés.
Je lui dois donc la justice de déclarer, que comme je ne trouvai rien à corriger dans le prémier récit qu’elle nous envoya, de même je n’ai point d’expressions, ni de sentimens qui puissent rien ajoûter à l’énergie pathétique, qui brille si agréablement dans toute cette piéce, sur-tout dans ces endroits qui doivent le plus affecter le cœur & ou les détresses qu’elle décrit, touchent les cordons de la vie, & obligent le lecteur à partager les malheurs dont on lui fait le recit.
Mais il faut satisfaire la curiosité que j’ai excitée ; je ne doute pas que le public qui est le juge naturel, d’elle, de moi & de tout ce qui s’imprime, ne donne à sa narration l’approbation qu’elle mérite.
Entre tous les actes d’injustice qui doivent leur origine à la dépravation de la nature humaine, je n’en connois aucun qui mérite d’être censuré plus sévérement, que celui de ces parens qui dissipent leur bien, & laissent leur famille exposée à la mendicité & au mépris. C’est manquer tout-à-fait de générosité que de rendre misérables par notre négligence ceux qui dépendent uniquement de nous ; mais de priver de leur droit de naissance ceux qui n’auroient jamais existé sans nous ; de rendre malheureux ceux qui nous doivent le jour, pour satisfaire quelque passion favorite c’est un tel acte de cruauté, qu’on auroit de la peine à croire qu’un être pensant pût en être coupable, si l’on n’en voyoit chaque jour des exemples.
Mais ce pire de tous les Epoux & de tous les Pères, ne fut pas long-tems en état de se plonger dans toute sorte de voluptés ; peu d’années consumerent tout ce qu’il pos-
Quelques personnes, à la vérité, avec qui il n’avoit point eû à faire, lui fournirent de quoi se soûtenir pour un peu de tems ; mais ils ne
La jeune
Cependant cette pauvre Demoiselle ne fut guéres mieux traitée que
L’éducation qu’on lui donna ne l’auroit pas mise en état de soûtenir les coups du sort qui tombérent dans la suite sur elle, si la nature ne l’avoit pas douée de ces qualités que d’autres personnes n’acquierent qu’avec beaucoup de peine & de dépense.
Sans le secours des préceptes elle possédoit une piété innée, & une résignation absolue à la volonté divine ; sans aucune de ces instructions qu’on regarde comme nécessaires à une bonne éducation, elle avoit une affabilité naturelle & une douceur dans sa conduite, qui faisoient honte à toutes les regles positives de politesse & de bienséance ; & sans le moindre avantage du côté de l’exemple, mais bien au-contraire, elle distinguoit sans peine les amusemens qui convenoient, ou ne convenoient pas à une femme d’honneur.
Comme elle connoissoit fort bien l’infortune à laquelle la mauvaise
Enfin sans l’aide des livres, elle étoit à l’âge de quinze ans, une Philosohe <sic> dans sa manière de penser ; & peut-être sa Philosophie valoit-elle mieux, que celle de ces hommes célébres dont les maximes & les pré-
A l’égard de sa personne, elle étoit de moyenne taille, fort bien tournée, aisée & gentille dans tous ses mouvemens ; si l’on ne pouvoit pas dire que les traits de son visage eussent été jettés dans le moule de la beauté, on ne peut nier qu’ils n’eussent beaucoup de régularité & d’harmonie ; ce qui joint à un teint fort délicat, à de beaux cheveux, de belles dents & une certaine douceur qui resultoit du calme de son esprit, & se repandoit dans son air, la faisoit paroître extrêmement aimable.
Plusieurs en porterent ce jugement ; mais les désastres de sa famille les empêchoient de lui addresser leurs vœux dans des vûes honorables, pendant que sa modestie leur interdisoit tout autre dessein ; & elle atteignit l’âge de dix-huit ans, sans pouvoir dire qu’aucun homme se fût déclaré son Amant.
Entre ceux qui l’avoit long-tems admirée en secret, il y en eut un, que
Il venoit fort souvent chez
Il avoit fait de grand progrès dans ses affections, avant qu’elle le soupçonnât d’aucun dessein qui pût alarmer sa prudence, ou sa vertu ; mais se trouvant un jour seule avec lui, il commença à prendre avec elle des libertés qui effrayerent sa modestie ; le repoussant de toutes ses forces, comment, est-ce un traitement qui convienne à une femme vertueuse ? Si je m’y soûmettois, trouveriez-vous que je serois digne d’une passion honorable ?
Ces paroles avec les regards, & les gestes qui les accompagnoient l’arrêterent bientôt ; mais il sçut si bien rejetter sa hardiesse sur l’excès de sa passion, que ce qu’elle avoit de son sexe l’emporta dans son âme
Combien de personnes parmi notre sexe imprudent, n’auroient plus pensé à cette affaire, & après avoir pardonné leur amant, l’auroient traité de la même manière, que s’il ne les avoit jamais offensées, & par cette indulgence, les auroient enhardies à commettre de nouvelles offenses, jusqu’à ce qu’ils les eussent entiérement ruinées !
Mais il n’en arriva pas ainsi avec
Elle trembla donc qu’il n’eût d’autre vûe dans tout ce qu’il lui avoit dit, que de la ruiner ; l’inclination secréte qu’elle trouvoit dans son cœur en faveur de cet Amant, augmentoit encore ses frayeurs à cet égard. Elle sentoit qu’elle aimoit, & craignant que cet amour ne fût le destructueur de sa vertu, dans quelque moment où elle ne seroit pas sur ses gardes, elle résolut de fonder les desseins de
Que toutes les femmes qui ont jamais connu la force de la passion, dont
Cependant elle étoit combattue en
Elle trouvoit présque autant de hardiesse à écrire son intention sur cette affaire, mais elle vouloit absolument sçavoir ce qu’elle devoit attendre de son Amant, ce qui lui fit prendre ce dernier parti.
Mais combien de fois ne lui arriva-t-il pas de commencer & de laisser sa lettre, d’examiner ce qu’elle avoit écrit, & de la déchirer, croyant en avoir trop dit ! Elle chercha long-tems, avant que de trouver des expressions qui pussent exprimer son intention, sans choquer sa timidité. Cependant après plusieurs essais, comme elle persistoit dans la même résolution, elle vint à bout de composer la lettre suivante.
Monsieur,
Comme j’ai très peu d’expérience pour écrire des lettres, & sur-tout à des personnes de votre sexe, rien ne peut excuser la présomption que j’ai de vous écrire aujourd’hui, si ce n’est la raison qui m’y oblige. Vous connoissez, Monsieur les infortunes de ma famille, vous savez qu’il ne me reste que ma vertu & ma réputation ; je les exposerois, sans doute, l’une & l’autre, si je continuois à écouter un amant de votre fortune ; permettez-moi donc de me priver à l’avenir de l’honneur de vos visites ; l’inégalité qui subsite entre nous ne me permet pas de penser que vous ayez aucun autre but que de vous amuser & dans quelque situation que je sois reduite, j’ai trop d’honneur pour le souffrir.
S’il étoit possible ; mais je n’ai point assés de vanité pour m’en flatter ; que vous me trouvassiez réellement digne d’un attachement sérieux ;
En la consultant sur cette affaire, vous donnerez la meilleure preuve de votre sincérité, & c’est aussi le seul moyen de satisfaire les scrupules de
Elle lui envoya cette lettre par un porteur de chaise, ne voulant pas la confier à aucun des Domestiques de
Elle étoit cependant satisfaite, en elle-même de s’être acquittée de ce que sa prudence & sa vertu exigeoient ; & d’ailleurs elle avoit assez de piété pour laisser l’événement au
A l’égard de
Cependant la lettre de
Toute embarrassée qu’avoit été l’innocente
Il seroit impossible de décrire le ravissement inexprimable, dont mon
Je sçais que
En même tems, mon cher Ange, prenez garde que des pensées trop scrupuleuses ne fassent injustice à un cœur, qui est & sera entiérement dévoué à vous, tandis qu’il y aura le moindre souffle de vie dans votre très passionné & fidéle admirateur,
P.S. La précaution que vous avez observée dans votre envoy, me donne la plus haute idée de votre bon sens & de votre prudence ; mais quand j’aurai eû le plaisir de vous communiquer ce que j’ai à vous dire, vous trouverez, que votre bon Ange vous à inspiré ce dessein, & qu’il étoit absolument nécessair pour notre bonheur commun, que vous ayez agi de cette manière.
Cette lettre eut tout l’effet qu’il en attendoit, elle excita fortement la curiosité de
Poussée par des motifs que la plus rigide vertu ne peut pas condamner, elle le reçut avec une obligeante douceur, il la connoissoit trop bien, pour la soupçonner d’affectation, & il regarda cette réception comme un présage favorable au succès de ses désirs ; mais ayant auparavant bien considéré, qu’elle ne manquoit pas de pénétration, il s’étoit préparé & avoit étudié soigneusement son rolle, afin qu’il ne lui échapât point de geste ni d’expression capable de le trahir.
Il l’aborda d’un air plus grave qu’il ne l’avoit jamais fait ; quand ils se furent assis, quoiqu’il débutât par la remercier de la faveur qu’elle lui avoit faite de lui écrire, il ne témognoit point d’empressement à lui exprimer le sens de sa réponse, affectant une espéce d’agitation inté-
Qu’il m’est difficile de me conduire dans une conjoncture si critique ! dit-il avec un profond soupir ; combien les transports que votre chére lettre avoit fait naître dans mon cœur, n’ont-ils pas été diminués par l’ordre qu’elle contenoit ! Qu’il m’étoit terrible de voir que vous exigiez de moi, comme une preuve de mon amour, ce qui en seroit la ruine ! cependant je ne puis pas vous en convaincre sans trahir mon honneur ; ce joyau, qui me sera sacré à toûjours, plus cher que ma vie, & que j’estime le plus après mon amour.
Ces paroles ne firent qu’augmenter le mystére, au-lieu de le dévélopper, &
N’avez-vous pas insisté, lui répondit-il, que je fusse part à du sécret de ma passion pour vous ? Et n’avez-vous pas fortifié cet ordre par la menace de ne me plus voir, en cas de réfus ?
Je ne sçais pas, Monsieur, lui répondit elle, en rougissant de surprise & de confusion, si j’ai pû m’exprimer proprement à ce sujet ; mais il n’y a certainement rien de fort difficile à instruire une Tante de vos sentimens pour sa Niéce ; pourvu, continua-t-elle, en fronçant légerement le sourcil, qu’ils soient de nature à ne vous faire point de honte.
Croyez-donc, poursuivit-il, après un trouble de quelques momens fort bien contrefait, que je n’aurois pas attendu les ordres de pour découvrir à sa Tante tout ce que je sentois pour sa chere Niece, si cette Tante ne m’avoit pas donné des preuves trop claires & continuées trop long tems, qu’elle pense plus favorablement sur mon conte que je ne l’ai jamals <sic> souhaité.
Comment s’écria est-ce une chose possible ? Elle s’arrêta ensuite & réfléchissant sur bien des choses qu’elle avoit observées dans la conduite de sa Tante à l’égard d’autres Cavaliers, elle n’hésita pas long-tems
Il est vrai que
Elle crut dont <sic> aveuglément tout ce qu’il lui dit ; tant il est vrai que quelques fautes nous exposent à être censurés pour d’autres, dont nous sommes parfaitement innocens ; car il n’y avoit réellement pas une seule syllabe de vrai dans ce que ce fourbe insinuoit de l’affection de
Craignant cependant, qu’il ne lui
Voyant par ses réponses qu’il n’avoit rien à craindre à cet égard, il commença à reprendre les intérêts de sa passion ; fit semblant de blâmer la défiance qu’il avoit eûe de son honneur ; protesta qu’il n’avoit point d’autre dessein en vûe, que d’en faire sa femme.
L’infortune de votre famille, dit-il, ne m’est d’aucune conséquence, vous savez que j’ai assez de bien pour nous entretenir l’un & l’autre, avec plus de grandeur qu’il n’est nécessaire pour notre félicité ; mais, continua-t-il, j’ai une mère qui, je le dis avec peine, pense d’une manière bien différente. Elle ne feroit aucun cas de toutes les perfections que le ciel pourroit donner à une créature humaine, s’il n’y ajoûtoit pas les richesses & l’opulence. Cette malheureuse disposition m’a empêché de vous faire les déclarations publiques de mon inviolable attachement, dont je me serois fait honneur : comme elle a été pour moi la meilleure & la plus tendre de toutes les mères, non-obstant son avarice, & qu’elle est à présent fort âgée, je tremble à la seule idée de la faire descendre dans le sépulchre, avant le cours ordinaire de la nature & avec le déplaisir de me voir faire la seule chose qu’elle ne me pardonneroit jamais.
Il cessa ici de parler, mais l’Esprit de
Il la fixa attentivement, & s’appercevant des émotions de son âme par les différens changemens qui paroissoient sur son visage, il jugea qu’il n’étoit pas encor au bout de son dessein, & qu’il avoit besoin de tout son art pour séduire une jeune personne, qui ne laissoit pas, malgré son innocence & sa simplicité, de prendre extrêmement garde aux ruses des autres.
Il commença donc par toutes les expressions passionnées que son amour & son esprit purent lui fournir, jointes aux protestations les plus solemnelles de sa sincérité, pour la per-
Le cœur de
L’un & l’autre étoient assez satisfaits de ce qu’ils avoient fait ;
Il ne voulut pas cependant prendre trop tôt avantage du contract, de peur, ce qui seroit infailliblement arrivé, qu’une telle conduite ne lui eût fait croire que toutes ses protestations de fidélité n’étoient que des piéges pour la séduire : mais il devint doucement & par dégrés plus libre de jour en jour, & quand elle tâchoit de repousser des libertés qui N’êtes vous pas ma femme ? lui auroit-il crié ; quoique les cérémonies de l’Eglize ne soient pas encor célébrées, nos vœux réciproques sont la partie essentielle du mariage ; ainsi vous ne devriez rien refuser à l’impatience de ma passion.
Elle lui répondit constamment avec résolution qu’elle regarderoit toûjours son ame comme sa femme, mais que sa personne devoir <sic> rester pure & vierge, jusques à ce qu’on eût prononcé ces paroles mistiques, qui ont seules le pouvoir de réunir deux corps distincts en un seul.
Il affecta de rire de cette définition logique, qu’elle lui donnoit du mariage, mais dans le fond de son âme il voyoit avec chagrin que des artifices qu’il avoit pratiqués ailleurs avec tant de succès, n’avoient pas sur elle la <sic> même efficace effet. Il ne lui restoit plus qu’une ressource, qui étoit de la persuader à l’épouser en secret, alléguant d’abord la violence de sa passion, & ensuite le danger que sa tante ne découvrît leur intrigue, assûrant qu’elle auroit sans doute assez de malice pour faire
Il ne fut pas possible à
Elle réfléchissoit que la cérémonie sacrée n’en lioit pas moins, pour faire moins de bruit ; que les mariages particuliers étoient presqu’aussi fréquens que les publics ; que personnes ne pouvoit la condamner de s’assûrer d’un si gros parti ; & comme c’étoit le dernier & le plus grand témoignage qu’il pût lui donner de ses honorables intentions, ce seroit plûtôt une excessive modestie qu’une prudence réelle de le refuser.
Ainsi il n’eut pas besoin de beaucoup d’argumens pour la persuader de consentir à une chose qu’elle souhaitoit en elle-même & qui lui paroissoit très-légitime ; elle convint donc qu’il disposât de son sort comme il le désiroit, pourvû qu’il ne négligeat aucune des formalités nécessaires à son mariage.
Elle savoit que ces mariages étoient très ordinaires parmi les personnes de condition, ainsi elle ne fit point de difficulté à cet égard.
Dès qu’ils eurent réglé ce point essentiel, ils procéderent à d’autres articles relatifs à leur manière de vivre après le mariage. D’abord elle devoit quitter la maison de sa tante le même jour, & se retirer dans le logement qui <sic> lui auroit préparé, & comme ils ne pouvoient pas habiter ensemble, il ne devoit passer que pour un de ses parens quand il viendroit la visiter ; que s’il
Tous les autres préliminaires étant fixés à la satisfaction des deux parties,
Madame,
Je vous ai été à charge durant tant d’années, que j’embrasse
Madame,
Votre très-obéïssante niéce& humble Servante.
Avec un cœur parfaitement tranquille, & sans craindre aucun orage,
Il faut convenir qu’elle se conduisit avec une discretion supérieure à son âge, & que la plûpart des personnes de nôtre sexe qui auroient autant aimé qu’elle, n’auroient pas pû se préserver au milieu de tant de tentations : Mais hélas ! Que tout l’esprit d’une femme est bien foible contre un amant armé pour notre ruine !
Pour ajoûter aux apparances de sa sincérité, quand il prononça après le pretendu d’Eclesiastique, ces paroles, je t’admets dans la jouïssance de tous mes biens, il lui mit en main une bourse qui contenoit deux cent piéces de vieux or. Quand la cérémonie fut finie, il invita deux personnages a un régal qu’il avoit fait préparer dans une taverne voisine ; mais ils s’excusérent l’un & l’autre suivant leurs ordres, craignant sans doute que s’ils restoient plus long-tems,
Il observa encor à tout autre égard les plus grandes précautions pour l’empêcher de soupçonner la cruelle trahison qu’on lui avoit faite, en-sorte qu’il ne lui vint jamais dans l’esprit qu’elle pouvoit avoir été jouée.
Elle vêcut donc heureuse parce qu’elle vêcut contente ; elle n’étoit pas accoûtumée à beaucoup de
Mais cette saison de fidélité fut bien courte : ses affaires, ou le dégat de ces charmes dont la conquête lui avoit coûté tant de peine, le rappellerent à la campagne. Quoiqu’elle y eût été préparée, parce qu’elle savoit qu’il ne demeuroit pas constamment en ville, elle ne pouvoit penser à ce départ sans des angoisses insupportables ; il ne manqua pas à la vérité de la consoler du mieux qu’il put, & de l’assûrer qu’il rendroit sons absence aussi courte qu’il seroit possible ; &
Peu de tems après son départ elle s’apperçut qu’elle étoit enceinte ; elle lui en écrivit la nouvelle sous le nom d’un tiers, comme ils en étoient convenus ; & en récut pour réponse qu’elle ne devoit pas se mettre en peine de sa grossesse, parce qu’il ne manqueroit pas de prendre soin d’elle & de l’enfant qu’elle mettroit au monde ; mais il ne lui témoigna point en apprenant qu’il alloit être père, cette satisfaction qu’elle pouvoit attendre d’un Epoux qui aimoit si tendrement sa femme, comme elle s’en flattoit.
Elle ne put s’empêcher d’en être d’abord un peu allarmée, mais considérant que la crainte qu’on n’interceptât ses lettres, pouvoit lui avoir imposé quelque contrainte, & se reposant d’ailleurs sur son amour & son honneur, elle eut bientôt dissipé toute réfléxions chagrinante à ce sujet.
Après une absence de quatre mois il revint en ville, mais sa présence
Ce qu’il disoit,
Cependant elle ne lui fit point de plaintes à ce sujet ; & quoiqu’elle n’eût que trop de raison de soupçonner une grande diminution dans son affection, elle tâcha par toutes les caresses qui étoient en son pouvoir, de reveiller sa passion, sans lui faire connoître qu’elle appercevoit de l’altération dans ses sentimens.
Mais que les femmes qui se sont conduites avec autant de prudence
A l’égard de
Il ne resta à
Quoiqu’il eût inventé ce conte uniquement pour éviter l’embarras de recevoir ses lettres, & la peine de dissimuler en lui répondant,
Mais de peur d’être trop long, il partit, plusieurs semaines s’écoulerent sans qu’elle reçût aucune lettre, & comme elle approchoit du terme de sa grossesse, son inquiétude augmentoit continuellement ; pour surcroit de détresse, les personnes chez qui elle logeoit, l’ayant toûjours regardée comme une Maîtresse entretenue, & avec assez d’apparence, lui dirent qu’elle ne devoit pas s’attendre à accoucher dans leur maison, que son long séjour chez eux avoit fait parler tout le voisinage, & que si elle ne délogeoit pas promtement, ils seroient obligés de faire venir les Officiers de la paroisse.
Qu’une telle déclaration devoit-être dure pour une femme convaincue en elle-même qu’elle n’avoit jamais transgressé les régles de la
En vain offrit-elle de déposer entre leurs mains au-delà de la somme que la paroisse auroit demandée (* (*) Pour se charger de l’enfant.) ; ils furent inflexibles, ils lui dirent qu’ils vivoient sur la réputation de leur maison ; qu’ils ne vouloient point voir naître de bâtard parmi eux ; en un mot ils lui firent des reproches qui auroient arraché l’aveu de la vérité à toute autre personne moins fidéle à ses promesses ; mais ce qu’elle devoit à
Cependant sa jeunesse, sa situation, & les bonnes manières qu’elle avoit toûjours eûes pour leur famille, firent tant enfin sur eux, qu’ils lui pro-
La première partie de cet offre étoit agréable à
Cependant elle ne leur avoua point ses sentimens à ce sujet, s’appercevant qu’ils étoint fixes dans leur opinion, & que tout ce qu’elle pourroit alléguer pour se défendre, ne paroîtroit que l’affection d’une vertu qu’elle étoit bien éloignée de mettre en pratique.
Après que
Comme elle avoit plus de raison que jamais d’attendre avec impatience une lettre de
Du moins elle le fut après même le tems qu’elle s’attendoit de recevoir une lettre ; mais l’heure de sa délivrance étant venue, & se voyant mère de deux fils, ce fut alors qu’elle commença à accuser de cruauté celui seul qui pouvoit la consoler, de ce qu’il se mettoit si peu en peine de son sort.
Qu’on se figure la tristesse de son état ; point d’époux, point de parenté, point d’amie dans des douleurs que toute la tendresse & toutes les
A peine eut-elle été reduite à garder le lit pour ses chouches, que la servante qu’elle avoit louée après son départ de chez sa tante, & qui lui avoit été recommandée par les gens de la maison où elle logeoit, s’évada secrétement dans la nuit, emportant avec elle non seulement l’argent de la pauvre
Il faut convenir que c’étoit-là une grande perte, mais
Mais comme il ne venoit point de réponse, cette malheureuse & cruelle vieille l’obligea de vendre ses habits, pour le payement de ce qui lui étoit dû ; & la mit ensuite à la porte avec ses deux enfans, parce que personne ne vouloit en prendre soin, sans une caution qu’ils ne seroient point à charge à la paroisse.
Elle obtint la permission de s’asseoir dans une boutique pour écrire, & envoya cette lettre par un jeune garcon <sic> qui faisoit les messages du voisinage ; mais cette inhumaine femme, bien loin de plaindre sa situation, ordonna à une de ses servantes d’aller où le garcon <sic> lui avoit dit qu’elle étoit, & de lui dire qu’elle ne vouloit rien avoir à faire avec elle ; que si un seul shelin pouvoit l’empêcher elle & ses marmots de périr de faim, elle aimeroit mieux le jetter au milieu de la rue, & que si elle ôsoit venir dans le voisinage de sa maison, elle l’envoyeroit à la maison de correction.
Quoique
La servante de
La pauvre
Elle fut ensuite dans plusieurs maisons, où on avoit mis sur la porte des billets pour des logemens à louer, espérant de pouvoir se mettre à l’abri jusqu’à ce qu’elle eût écrit à
Quelle épouvantable nuit pour notre pauvre malheureuse ! Avec quel délugé de larmes cette belle abandonnée ne se coloit-elle pas à ses chers petits enfans, & ne pleuroit-elle pas leur besoins plûtôt que les siens propres ! pendant qu’eux insensibles à leur infortune se nou-
Cependant elle n’étoit pas si abbattue qu’elle fût incapable de réflexion ; elle se ressouvenoit qu’il y avoit un Etre tout puissant, tout juste & miséricordieux qui voyoit sa misére ; elle savoit qu’elle ne se l’étoit attirée par aucune action honteuse, & elle ne doutoit pas de trouver quelque soulagement dans ses maux, quoiqu’elle ne pût pas prévoir par quel canal ce secours lui viendroit.
Quelle grande consolation lui fournit alors la Religion ! Sans ce sécours elle seroit infailliblement tombée dans le désespoir, & peut-être se seroit portée à quelque action qui auroit choqué la nature ; mais sa piété lui donna un courage prodigieux, étonnant, & qui n’a point d’égal parmi notre sexe.
Elle put encore considérer ce qu’elle avoit de mieux à faire ; elle n’avoit point d’argent, excepté ce petit secours qu’elle avoit reçu de
Comme elle ne pouvoit pas décider positivement qu’il fût parjuré & cruel à son égard, puisque plusieurs accidens dans une telle distance pou-Je ne puis que mourir de misére avec mes chers petits enfans, disoit-elle en elle-même, & la vie seroit une infortune pour nous sans l’affection & le secours de celui seul de qui nous pouvons en attendre.
Après plusieurs pensées confuses & inquiétes, elle ne vit point d’autre remède contre la faim que de mendier ; & puisqu’elle y étoit reduite, elle aima mieux se rendre comme elle pourroit dans la province où
C’est pourquoi elle quitta de grand matin l’hôtellerie avec son cher fardeau & partit pour son fatigant pèlerinage ; on racontera dans la suite les avantures qui lui arriverent, mais il faut maintenant revenir à
Cet homme volage & dissipé ne se mettoit alors pas plus en peine de Qu’il n’y a rien de semblable à ce que nous nommons constance, que la bonne-foi ne lie pas les cœurs & que tout est inclination : Que quelque esprit contrefait ou une beauté fletrie ont les premiers fait une vertu de la constance en amour, ôtant à l’amitié cette borne pour la placer sur les limites de l’amour.
Cependant comme on lui proposa d’épouser une belle & jeune Dame avec une dotte considérable, il en devint amoureux, ou s’imagina l’être : du moins les charmes de cette nouvelle beauté effaçerent dans son cœur ceux de l’infortunée
Je lui dois cependant la justice de convenir, que les dernières lettres qui contenoient l’histoire de la détresse de
Il eut une jambe cassée par cet accident & tout le corps extrêmement meurtri ; on le transporta dans la maison de l’oncle de sa maîtresse, parce qu’elle étoit la moins éloignée, & on fit venir sur le champ le plus habile Chirugien du pays.
Il resta dans cette maison, depuis le tems qu’on avoit mis
Il vint à son addresse plusieurs autres lettres, outre celles de
Le Ciel long-tems témoin des perfidies que
Aussi-tôt qu’il put souffrir le carosse, on le transporta chez lui : il y trouva toutes les lettres de
Il écrivit sur le champ une réponse générale à toutes ses lettres, lui apprenant l’accident qui lui étoit arrivé, la conjurant de se tranquilliser jusqu’à ce qu’il l’eût vûe, & l’assûrant qu’il se rendroit auprès d’elle, dès que sa tante le lui permettroit ;
Cette lettre fut addressée chez l’accoucheuse, où elle lui avoit dit dans sa dernière qu’elle avoit été obligée de chercher un asyle, & arriva deux jours après que cette femme eut mis
peut-être, dit-il en lui-même, de chagrin de ma perfidie & du barbare traitement de ces misérables mercenaires, dont elle a été environnée.
O Ciel ! s’écriroit-il une autrefois, quel monstre d’infamie paroîtrai-je aux yeux du public, quand ce noir mystére sera révêlé ! Ne suffisoit-il pas que j’eusse trahi son innocence par tous les Stratagêmes qu’un esprit malin puisse inventer, & que j’eusse triomphé d’une vertu imprenable par des voyes ordinaires ? Il falloit encore que je donnasse la mort à l’infortunée victime de mes désirs déréglés ! & peut-être, ajoûtoit-il, aux petits malheureux qui me doivent le jour !
Des horreurs inexprimables ac-
En méditant souvent sur ce qu’il devoit faire, il en prit enfin la résolultion ; en conséquence de ce dessein il fit à sa mère l’aveu de toute cette affaire lui montrant les lettres de
Etonnante résolution ! mais de quoi ne viennent pas à bout les maladies ! quand les scénes de la dissipation vont se fermer ; quand tous les compagnons de nos plaisirs passés fuyent notre conversation & que nous ne pouvons plus avoir de société qu’avec la vieillesse & le sépulchre ; quand nous ne voyons autour de nous que des visages mélancoliques ; quand notre force s’en va, que tous nos esprits languissent, & que la mort frappe à la porte, alors l’idée de nos fautes passées, forme une affreuse perspective aux yeux de notre imagination, & nous menace de mille maux à venir !
Cependant il eut l’esprit un peu plus tranquille après le départ de son messager, mais son corps ne recevoit que peu ou point de soulagement de la Médecine ; sa mère étoit inconsolable, quoiqu’elle fit tout son possible pour le tranquiliser ; & comme elle voyoit que le soin de
Le messager de
Ainsi disposé, & ayant un bon Cheval il fut plûtôt à c’étoit la faute de Madame, que si elle lui avoit dit la vérité, elle auroit pris soin d’elle & de ses enfans. Ensuite
Il passa delà chez
Le messager de
De quel côté diriger maintenant ses recherches ; c’est ce qui lui étoit entiérement inconnu ; ayant apris de l’accoucheuse le misérable état dans lequel elle étoit sortie de sa maison, il eut recours à toutes les nourrices de paroisse, aux hopitaux & aux maisons de charité, faisant par tout les plus exactes perquisitions ; mais il ne put pas recevoir la moindre information ; enfin après avoir parcouru plusieurs jours de suite sans aucun succès cette grande ville & ses fauxbourgs, il commença de craindre que dans cet abîme de misére où elle s’étoit vûe plongée, elle ne fût tombée dans le désespoir & n’eût mis fin à sa propre vie & à celle de ceux qu’elle ne pouvoit plus garantir.
L’esprit agité de ces réflexions, il partit pour son retour, craignant
Cependant les souffrances de
Elle avança lentement dans son voyage, quoique ce fût en Eté & que le soleil fût durant les trois quarts de sa course sur l’horison, parce qu’elle ne pouvoit marcher dans un jour entier que cinq ou six milles.
Je n’aurois jamais fini si je voulois détailler les rebuts qu’elle essuya lorsqu’elle voulut implorer quelque secours pour continuer son voyage,
Quelques-uns en petit nombre eurent plus de compassion, & quelque opinion qu’ils pussent avoir de la cause de sa détresse, ils ne laisserent pas de lui donner par charité du soulagement.
Elle se trouva alternativement parmi des Sauvages & des Chrétiens ; & même ces derniers, trop dirigés par les apparences, mênageoient extrêmement leurs bien-faits : & il lui auroit été impossible de se soûtenir, affoiblie comme elle étoit par une grossière nourriture, & par les immenses fatigues qu’elle
Avant qu’elle fût parvenue à la moitié de son Voyage, elle devint si foible qu’elle rampoit plûtôt qu’elle ne marchoit, & qu’elle étoit quelques fois sur le point de tomber ; incapable de supporter en même tems le poids de deux enfans, elle en auroit couché un à terre pendant qu’elle auroit porté l’autre un peu plus loin ; ensuite elle l’auroit placé de la même manière, & seroit revenue pour chercher celui qu’elle avoit laissé derrière ; de cette manière quoiqu’elle diminuât son fardeau, elle augmentoit le nombre de ses pas.
Un caillou ou une <sic> morceau de verre brisé, lui avoit fait en marchant une cicatrice à un pied : elle s’assit donc au dessous d’une haye, & après s’être déchaussée, voyant coler son sang assez copieusement, elle
Elle ne pensoit pas que personne la vit dans cette occupation : & après avoir bandé sa blessure aussi bien qu’il lui fut possible, & avoir allaité ses deux enfans, elle se préparoit à continuer son Voyage de la même manière, lorsqu’elle en fut empêchée par un laquais, qui vint en courant à sa remontre pour lui couper le chemin.
Aussi-tôt qu’il fut à portée de se faire entendre. Arrêtez, bonne femme, lui cria-t-il, vous paroissez trop mal pour continuer votre route : c’est pourquoi mon maître & ma maîtresse qui vous ont vûe, m’ont ordonné de vous ammener dans leur maison, afin que vous preniez quelque rafraichissement.
Elle leva les mains & les yeux au Ciel en signe de réconnoissance, & vit ce qu’elle n’avoit point encore remarqué, le derrière d’une belle maison avec un pavillon sur la muraille
Le laquais se chargea de ses deux enfans pour la soulager, & elle le suivit quoique d’un pas chancelant, & entra dans la maison par une porte de derrière.
On la conduisit alors dans une chambre, où elle trouva un Homme & une Dame, l’un & l’autre d’un âge moyen, mais qui avoient toutes les vertus de l’humanité imprimées sur leur physionomie. La Dame lui fit plusieurs questions, comme d’où elle venit, où elle alloit, pourquoi elle étoit réduite dans ce misérable état ; à l’égard des deux premiéres notre héroine répondit avec franchise & sincérité, mais à l’égard de la derniére elle se contenta de répondre que plusieurs circonstances extraordinaires avoient contribué à son malheur. Le Cavalier dit alors : Je suppose que vous avez perdu votre Epoux, peut-être avant la naissance de ses enfans. Non Monsieur, repliqua-t-elle, j’espère qu’il est encore en vie & que le même pouvoir miséricor-dieux qui m’a amené jusques ici, me conduira enfin auprès de lui.
Comme ils s’apperçurent qu’elle parloit avec quelque agitation, & que des marques d’affliction se faisoient voir dans ses yeux, ils ne voulurent pas augmenter sa peine en continuant de la questionner, & ils chargérent le laquois de faire savoir à la femme de charge, que leur intention étoit que cette infortunée étrangèr eût tout ce qui étoit nécessaire pour se rafraîchir.
Jamais ordre exécuté avec plus de ponctualité ; notre pauvre voyageuse se vit traitée avec autant de tendresse que si elle avoit été connue pour ce qu’elle étoit.
Mais l’hospitalité de ces dignes personnes ne s’arrêta pas là. Ils ne voulurent pas souffrir qu’elle pensât à poursuivre son voyage, comme elle avoit fait. Ils l’informérent qu’un roulier passoit toujours dans ce chemin pour aller, où elle avoit dessein de se rendre, qu’elle y entreroit avec ses enfans, & qu’on lui donneroit de quoi suppléer à toutes les autres dépenses.
S’il avoit quitté la campagne pour aller à pendant que je suis venue le chercher sur ces foibles pieds, disoit-elle en elle-même, ce seroit le plus terrible coup de mon sort, & tout ce que j’ai souffert pendant tant de tems, ne seroit que le commencement de mes maux.
Mais ces réflexions affligeantes ne faisoient que se montrer à ses yeux, & disparoître ensuite, elle ne vouloit se livrer à aucune défiance qui la rendît indigne des soins de la providence divine, & résolue de recevoir toûjours avec reconnoissance les biens & d’endurer avec patience tous les maux qu’elle lui infligeroit, elle parvint à mettre son esprit dans cette heureuse tranquillité, que les petits esprits ne connoîtront jamais.
Que les voyes de
Elle se leva de grand matin pour incommoder le moins qu’elle pourroit les domestiques, & elle descendit dans la cuisine. Comme on préparoit son dejeuner, & qu’elle étoit assise avec un enfant dans son sein & l’autre couché à ses côtés sur une petite chaise, un laquais entra avec précipitation, & appellant le Maitre d’Hôtel ; votre frère est à la porte. Celui-ci courut sur le champ & revint d’abord avec un homme dont
Mille pensées différentes l’assaillirent en même tems ; de voir devant ses yeux une personne, qui connoissoit si bien la vérité de son engagement avec
Les Domestiques coururent à son asistance ; l’étranger tourna alors les yeux de son côté : mais bon Dieu ! quelle fut sa joye & son étonnement, quand il vit dans les traits de cette affligée la même personne qu’il avoit cherchée avec tant de soin ! Pendant qu’ils étoient occupés à la faire revenir, & quelques momens ensuite, il ne put proférér que des exclamations, & elle fut la premiére en état de s’informer de
Quoique
Cependant l’éclaircissement de sa qualité & de sa condition fut assez clair pour tous ceux qui l’entendirent, & l’une des Servantes qui avoit pris une particuliére affection pour elle, en fut si transportée qu’elle ne put s’empêcher de courir vers sa Dame & de l’instruire de ce qui s’étoit passé !
La Dame elle-même fut très surprise d’un événement si extraordinaire, & impatiente d’en apprendre la confirmation, elle fit prier
Après avoir satisfait leur curiosité autant qu’il le désiroient, & avoir appris la dangereuse situation de la santé de
Il seroit inutile de reciter les félicitations d’une part & les remercimens de l’autre. On doit supposer qu’ils convenoient aux Acteurs & à la circonstance. Je dirai seulement que la Dame voulut absolument que
Comme il ne leur arriva aucun accident, ils arriverent sur le soir à la maison de
Le bonheur de
Il seroit impossible de décrire com-
Mais s’appercevant en lui-même, que la date de sa vie alloit expirer, il fit dresser son testament, dans lequel il fixa cinq cent piéces par forme de douaire pour sa femme, six mille piéces pour le plus jeune de ses fils, avec quelques autres légats & le gros de son bien au prémier né de
Mais je ne dois pas oublier d’informer mes lecteurs, qu’afin de mettre tout en régle, autant qu’il lui seroit possible, il avoit fait consulter les meileurs Théologiens & les plus habiles Avocats sur son mariage, & que tous convinrent qu’il étoit valide, & qu’il ne pourroit jamais y avoir de contestation à cet égard.
Ayant ainsi réglé suivant ses désirs ses affaires temporelles, il se dévoua entiérement à la pensée d’un état à venir, & mourut quelques jours après plein de résignation & de tranquillité.
Notre héroïne donna assurément la plus grande preuve de son affection, en formant la résolution & en y perseverant de ne jamais connoître de second lit, & en prenant soin de l’éducation de ses enfans, qui promettent d’être dans la suite des exemples brillans que dans un siécle abondant en vices & en folies, il n’est pas impossible d’être sage & vertueux.
Seize années se sont écoulées depuis le decès de Quoique nous soyons plongés dans des maux & que nos chagrins nous donnent de l’exercice, qu’un noble courage ne désespére jamais ; car les actions vertueuses sont toûjours accompagnées de bénédictions, & quoique tardive, la recompense vient sûrement.
Mais les bonnes qualités de
Ces deux familles sont parfaitement unies, & comme elles aiment très peu la ville, l’une & l’autre, quand elles font quelque voyage, c’est uniquement pour se visiter.
Permettez-moi de finir maintenant cette ennuyeuse narration en souhaitant que toutes les personnes de mon sexe qui se trouveront dans le même cas que
Les deux sexes y trouveront des bonnes leçons de morale ; les juste remords qui s’élévent dans la conscience de
Je voudrois cependant que les Dames réfléchissent sur le danger des mariages clandestins ; il y a des hommes qui ont, comme
Il est vrai que tant de circonstances concouroient à la faire consentir à un mariage de cette nature, qu’en lisant une partie de son histoire, quoique je tremblasse pour le dénouement, je ne trouvois rien à blâmer dans sa conduite ; mais toutes n’ont pas les mêmes
Mais comme j’ai dessein de faire dans la suite, de ce sujet un objet de mes médidations, je terminerai ici mes réflexions, en souhaitant à l’aimable
Fin du vingt-deuxiéme Livre.