Zitiervorschlag: Anonyme (Charles de Fieux de Mouhy) (Hrsg.): "No. 32.", in: La Bigarure, Vol.2\032 (1749), S. 97-104, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4917 [aufgerufen am: ].


Ebene 1►

N°. 32.

(Suite de l’Extrait de la Tragedie d’Oreste)

Ebene 2► Brief/Leserbrief► Ebene 3► Enfin Oreste paroit, non pas comme un Héros vangeur de la mort de son Pere, ni comme un Roi reconnu par ses Sujets, mais comme un malheureux pénétré de l’horreur du parricide qu’il vient de commettre. Il a frapé partout, & a tué, sans le vouloir, sa Mere, du même coup dont il s’est défait du Tiran. Il plaint son fort, accuse les Dieux, quitte le Trône, & veut partir seul pour la Tauride où il doit expier son crime. Pilade l’accompagne malgré lui ; & la piéce finit par deux beaux Vers sur l’Amitié. ◀Ebene 3

Voila, Monsieur, l’Analise d’une piéce que vous jugerez par là que j’ai écoutée avec toute l’attention possible, comme méritent de l’être toutes les productions de Mr. de Voltaire. A l’égard du sort qu’aura celle-ci, c’est ce que je ne puis prévoir. Metatextualität► Je crois que, pour en juger plus surement, il faut attendre qu’elle soit devenue publique par l’impression. Je vous ferai seulement part de quelques remarques que j’ai faites à la hâte en écoutant cette piéce, & que j’ai entendu faire aussi à d’autres personnes après sa répresentation. La premiere regarde la contexture de la Tragédie même, & la seconde porte sur la Versification. ◀Metatextualität

Quant au premier article, je vous dirai que, s’il n’arrivoit pas quelque fois aux Beaux-Esprits de se rencontrer dans les mêmes choses, & que M. de V. . . . ne fut pas reconnu partout pour un homme de génie, & très-capable de produire par lui-même, on seroit fort tenté de le soupçonner d’avoir tiré les plus belles situa-[98]tions, les endroits les plus touchants, & les coups les plus frapants de sa Tragédie de nos autres Poëtes Dramatiques. Tel m’a paru le projet que fait Ægiste de marier Electre avec son fils, l’arrivée d’Oreste à Micenes, le poignard qu’il met sur le tombeau d’Agamemnon son Pere dont il se propose de venger la mort, la joye qu’en témoigne Electre ; toutes choses qui se trouvent, avec un grand nombre d’autres encore, dans la piéce de Mr. de Crébillon que M. de V. . . . a voulu, dit-on, surpasser. Tel est encore le meurtre de Plisthene, la prétendue mort d’Oreste, l’usage qu’Oreste fait de ces deux incidents, les diverses impressions, de joye, & de tristesse qu’ils font, l’un sur Ægiste, & l’autre sur Electre & Iphise ; le projet que la première forme de venir poignarder Oreste, pour venger sa prétendue mort, la reconnoissance & sa détention d’Oreste & de ses complices, l’assassinat d’Ægiste & de Clitemnestre, évenemens qui se trouvent tous, partie dans l’Electre de Mr. de Crébillon, partie dans la Tragédie d’Amasis par M. de la Grange-Chancel, où l’on soupçonneroit tout autre Poëte que M. de Voltaire de les avoir pillez. Mais l’Auteur de Zaire, d’Oedipe, & d’Alvire, n’a pas besoin d’autre fonds que le sien propre pour donner du beau ; de sorte que cette ressemblance d’événements doit être regardée comme un pur effet du hazard, sans que ce grand Poëte ait seulement en la pensée de s’enrichir des dépouilles de ses confreres, & de briller à leurs dépens.

A l’égard de la Versification de cette piéce, Metatextualität► j’ai remarqué, & bien d’autres avec moi, ◀Metatextualität qu’il s’en faut de beaucoup qu’elle se soutienne partout également. Il y a des Vers qui sont vraiment dignes de l’Auteur de la Henriade, il y en a de Prosaïques, & d’autres enfin qui sont encore beaucoup plus mediocres. Ce n’est pas assurément faute de talants <sic> de la part du Poëte. Pour moi j’attribue ces défauts à la trop grande précipitation avec laquelle M. de V. . . . a composé cette Tragédie. Donner, comme il l’a fait, trois grandes piéces dans une année *1 , n’est pas le moyen de les faire réussir au Théa-[99]tre. Les Ouvrages d’esprits, pour être bons, doivent croître & meurir <sic> un peu plus lentement.

Ebene 3► Zitat/Motto► Travaillez à loisir, quelque ordre qui vous presse,

Et ne vous piquez point d’une folle vitesse.
Un Stile si rapide, & qui court en rimant,
Marque moins trop d’esprit, que peu de jugement
2 . ◀Zitat/Motto ◀Ebene 3

Mr. de V. . . . . n’ignore certainement pas ce précepte essentiel que Mr. Despreaux donne à tous les Poëtes qui veulent réussir dans leurs Ouvrages. Il nous aprend lui même que « M. Racine, l’homme de la terre, dit-il, ( 3 ) qui, après Virgile, a le mieux connu l’art des Vers, pensoit comme M. Despreaux sur ce sujet, & que deux années entieres lui suffirent à peine pour écrire sa Phedre, au lieu que Bradon se vantoit d’avoir composé la sienne en moins de trois mois. » Le grand & le sublime Corneille, malgré les talents extraordinaire qu’il avoit pour les piéces de Théatre, & la grande facilité avec laquelle il composoit des Vers, donnoit, au moins, une année à la composition de chacune de ses piéces. Si M. de V. . . avoit suivi cette régle, il est à présumer que la plûpart des siennes en auroient été beaucoup meilleures, & auroient eu un bien plus grand succès qu’elles n’ont eu. C’est un exemple & un Avertissement dont tous ceux qui travaillent pour le Théatre doivent profiter.

Puisque je suis sur cette matiére, je vous rendrai encore ici compte d’une autre piéce que l’on represente actuellement sur notre Théatre Italien, & dans le succès de laquelle je ne puis m’empêcher d’admirer la bisarerie de notre nation. C’est une Comédie en trois Actes, & en Vers, qui a pour titre La Fausse Prévention. On ne connoit point l’Auteur de cette piéce, & c’est agir, à mon avis, très prudemment que de ne se pas avouer pour le Pere de semblables Enfans. L’Auteur cependant n’est pas un homme absolument sans talent, [100] & Metatextualität► je dois ici lui rendre la justice de dire qu’il en a un particulier pour l’Epigramme : ◀Metatextualität Aussi s’en trouve-t-il dans sa piéce au moins une vingtaine des plus piquantes.

Le sujet de cette Comédie est une Femme qui ne peut pas s’imaginer que son Amant l’aime, & qui se persuade, pendant qu’il n’a des yeux que pour elle, qu’il adore une rivale imaginaire. Cette piéce est sans intrigue, sans nœud, sans dénouement, sans ordre, sans liaison, en un mot sans ombre de Bons-Sens. Les Vers piquants y sont heureux, & les idées chimériques de cette Femme jalouse, passion qui, comme vous le sçavez, n’est pas plus récréative, ni plus amusante sur le Théatre qu’ailleurs, remplissent les trois Actes. Toutefois, malgré ses irrégularitez, tout Paris court à cette Comédie qui a déja raporté plus d’argent à ces Comédiens, que ne fait aux François la plus belle piéce de Moliere. Il est vrai qu’on peut attribuer ce concours extraordinaire de Spectateurs, moins à la piéce en question, qu’à un Ballet fort joli dont elle est suivie, exécuté par des danseurs & des danseuses excellentes, & dans lequel on a introduit deux Enfans de huit à neuf ans qui y attirent principalement cette grande foule. Voilà nos Parisiens ! Ce Théatre les a longtems amusez par de petits feux d’artifice qu’on y exécutoit avec beaucoup de gentillesse ; aujourdhui il les amuse avec des Enfans. Cela doit-il étonner après l’exravagant & puérile amusement des Pantins ( 4 ) qui a occupé pendant des années entieres les Bons habitans de cette Capitale du Royaume ?

A propos de Spectacles & de Comédiens, il paroit ici, depuis quelques jours, un Ouvrage concernant ces derniers, composé par M. Francesco Riccoboni, Comédien Italien de la troupe de Paris, & Auteur de plusieurs piéces de Théatre, ainsi que de quelques autres Traitez sur cette matière. Celui-ci est intitulé l’Art du Théatre. Personne n’étoit plus en état de traiter ce [101] sujet que M. Riccoboni qui s’est principalement soûtenu & distingué dans sa profession par l’esprit & l’intelligence qu’il a toujours fait paroitre dans son jeu. Cet Ecrivain place un Acteur, soit Tragique, soit Comique, dans toutes les situations où il peut se trouver, & lui enseigne tout ce qu’il doit faire pour bien réussir dans son rôle. Il lui forme le geste, la voix, la déclamation ; il lui apprend à avoir de la grace, de la dignité, & de la noblesse ; enfin il l’éleve au ton des passions, du sentiment, & de la plaisanterie.

L’Auteur apelle l’intelligence du Comédien, le talent qu’il a de concevoir à chaque instant le raport que peut avoir ce qu’il dit avec le caractère de son rôle, avec la situation où le met la Scène, & avec l’effet que cela doit produire dans l’Action Théatrale. Par exemple on a dans une Scène à dire Bon-jour. Rien de plus simple que ces deux mots ; & tout le monde les entend ; Mais ce n’est pas assez d’entendre que c’est une politesse qui se fait aux gens qui arrivent, ou que l’on aborde. Il y a mille façons de dire Bon-jour suivant le caractere & la situation. Un Amant, par exemple, dit Bon-jour à sa Maitresse avec cette douceur & cette affection qui fait connoitre ses sentiments pour celle qu’il salue. Un Pere le dit avec tendresse au fils qu’il aime, & avec une froideur mêlée de chagrin à celui dont il est mécontent. Un Avare, même en disant Bon-jour à son Ami, doit se montrer inquiet ; Le Jaloux marque une colere que la bienséance empêche d’éclater, en saluant un jeune homme qu’il est forcé de recevoir contre son gré ; Une Suivante dit Bon-jour d’un ton flateur & insinuant à l’Amant aimé de sa Maitresse, & d’un ton brusque au Vieillard qui cherche à l’obtenir sans son aveu ; Le Petit maitre salue & donne le Bon-jour avec une politesse affectée, & d’un ton d’orgueil & de suffisance qui font entendre que, s’il veut bien s’abaisser jusqu’à vous saluer, c’est par bonté, & qu’à la rigueur il n’y est point obligé. L’homme dans la tristesse dit Bon-jour d’un ton affligé. Un fourbe salue celui qu’il va duper d’un ton qui doit inspirer la confiance à celui qui est l’objet de sa trahison, & dans lequel le Spectateur doit a-[102]percevoir qu’il medite une fourberie.

En parlant de l’expression, M. Riccoboni nous communique une idée nouvelle que je crois vraye. Ebene 3► Zitat/Motto► « On croit communément, dit-il, que pour qu’un Acteur exprime avec force les sentiments qui sont dans son rôle, il faut qu’il en soit affecté. Pour moi je crois, au contraire, que si on a le malheur de ressentir véritablement ce que l’on doit exprimer, on est hors d’état de jouer. Les sentiments se succedent dans une Scène avec une rapidité qui n’est point dans la Nature. La courte durée d’une piéce oblige à cette précipitation qui, en raprochant les objets, donne à l’Action Théatrale toute la chaleur qui lui est nécessaire. Si dans un endroit d’attendrissement vous vous laissez emporter au sentiment de votre rôle, votre cœur se trouvera tout à coup serré, votre voix s’étoufera presque entierement. Si vous devez alors passer subitement à la plus grande colere, comme cela arrive assez souvent, la chose vous sera-t-elle possible ? Non sans doute ». ◀Zitat/Motto ◀Ebene 3

Ebene 3► Zitat/Motto► « Le caractère, dit il ailleurs, influe si fort sur toute la personne, qu’il donne à celui qui en est dominé une Phisionomie particuliere, une contenance qui lui est propre, un geste dont sa façon de penser a formé chez lui l’habitude une voix surtout, dont le ton ne sçauroit convenir à un caractére different. La timidité donne une voix foible & entrecoupée. La Fatuité à le ton dominant & d’une assurance choquante. L’homme grossier à la voix pleine & l’articulation lourde ; & l’Avare, qui passe la nuit à compter son argent, doit avoir la voix rauque &c ». ◀Zitat/Motto ◀Ebene 3

Quoique ce Livre puisse passer plutôt pour un Essai que pour un Traité complet sur cette matière, & qu’il y ait plus de pratique, que de Théorie, il peut néanmoins être fort utile à tous ceux qui jouent la Comédie, & il contient des leçons dont le plus grand nombre a aujourd’hui très grand besoin. Les Spectacles ayant fait de tout tems l’amusement des honnêtes gens, & même des Rois & des Princes, c’est sans contredit rendre service aux uns & aux autres que de contribuer, autant que l’ont peut, [103] à tout ce qui peut les rendre plus agréables. Ce fut ce motif qui engagea, il y a environ deux ans, M. Remond de S. Albine à donner sur le même sujet un Traité dont on fut assez content. Je crois qu’on ne le sera pas moins de celui de M. Riccoboni.

Metatextualität► Dans la derniere Lettre que j’eus l’honneur de vous écrire il y a environ trois semaines, ◀Metatextualität & dans laquelle je vous annonçai la mort de Madame de Tencin, je vous marquai que cette Dame avoit été fort regrettée de plusieurs Académiciens qui se ressentoient pendant sa vie de son humeur généreuse & libérale. *5 J’ai appris depuis, qu’une de ses libéralitez étoit de faire présent, tous les ans, pour leurs Etrennes, à chacun de ceux qui fréquentoient chez elle, d’une culote de velours. Metatextualität► La singularité de ce présent a occasionné l’Epigramme suivante qui pourra égayer un peu le serieux de ma Lettre. ◀Metatextualität

Ebene 3►

Regrets

De Madame de Tencin en mourant.

J’ai donné, tant que j’ai vécu,

Une culotte à chacun des Quarante.
Respectable Sénat dont j’étois Présidente,
Vous allez donc montrer le C. ! ◀Ebene 3

Je finis par ce petit Conte qu’un de mes amis vient de me donner & que je vous envoye.

Ebene 3►

Le Campagnard, sa Femme, et son Horloge,
Conte.

Certain homme, qui sans Compagne

Tenoit ménage à la Campagne,
Et s’ennuyoit d’être garçon
,
[104] Aquit un Horloge, & prit Femme.
Il visoit, de cette façon,
Tant à bien régler sa maison,
Qu’à fixer la joye en son ame.
Le projet sans doute étoit bon ;
Mais il n’eut point de réussite.
D’un côté l’Horloge maudite
N’alloit qu’à l’aide de la main,
Ou s’arrêtoit presque aussi vite
Qu’on l’avoit pu remettre en train ;
Le silence étoit son affaire.
Et non le bruit. Tout au rebours
La Femme ne pouvoit se taire,
Et sur un rien avoit toujours
Quelque fâcheux sermon à faire :
Le pauvre homme en devint tout sot.
Pour finir le Conte en un mot,
Souvent l’Horloge fut muette ;
Souvent la Femme querela.
Je plains quiconque fait emplette
De deux meubles comme ceux-là
. ◀Ebene 3

J’ai l’honneur d’être, &c.

Paris, ce 31 Janvier 1750.

◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 2

Livres Nouveaux.

Qui se vendent à la Haye dans la Boutique de Pierre Gosse Junior Libraire de S. A. R. Madame la Princesse d’Orange et de Nassau.

Histoire des Empereurs Romains depuis Auguste jusqu’à Constantin, par Mr. Crevier, 12. 2 vol. Paris, 1749.

Reflexions sur le Comique-Larmoyant par Mr. M. D. C. Tresorier de France, &c. 8. Paris, 1749.

Journal Britannique par Mr. Maty, 12. pour le Mois de Janvier 1750. & la suite qui paroitra régulierement tous les Mois.

Procureur Arbitre, Comedie par Mr. Poisson, 8. la Haye 1750.

Ludwig (Chr. Gottl.) Terræ Musei Regii Dresdensis, fol. fig. Lipsia, 1749.

Wolf (L. B. de) Institutiones Juris Naturæ & Gentium, 8. Haga, 1750.

Jeudi le 19. Fevrier 1750.

◀Ebene 1

1* Semiramis, Nanine, & Oreste, sans compter son Catilina qui est, dit on, sur le point de paroitre.

2Despreaux, Art Poëtique, Chant. I.

3( ) Dans la Préface de sa Tragédie de Marianne.

4( ) Petites figures de Carton, plus grotesques les unes que les autres, dont tous les membres sont disloquez, & auxquelles les enfans font faire toutes sortes de gestes en les remuant.

5* Voyez le N. 26. pag. 50.