Zitiervorschlag: Anonyme (Charles de Fieux de Mouhy) (Hrsg.): "No. 25.", in: La Bigarure, Vol.2\025 (1749), S. 41-48, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4910 [aufgerufen am: ].


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N°. 25.

Ebene 2► Brief/Leserbrief► Paris n’est pas le seul endroit, Monsieur, où nous cherchons de quoi vous amuser. Comme nous sçavons que les hommes sont partout à peu près les mêmes, nous sommes aussi persuadez qu’ils fournissent par tout des scénes tantôt sérieuses, tantôt divertissantes, mais toujours instructives à ceux qui observent leur conduite pour en profiter. C’est ce que vous reconnoitrez dans le recit d’une avanture qu’un de mes amis m’écrit de Vienne, & dont j’ai cru devoir vous faire part aussi-tôt. Vous y verrez, aussibien que dans une autre dont elle sera suivie, les effets singuliers de l’Amour, qu’on peut apeller la passion Dominante de nos Européens, & qui est le principe de la plûpart des folies qu’on leur voit faire par tout. Telle paroitra aux yeux de bien des gens l’avanture que je vais vous écrire, pendant que d’autres la regarderont de tout un autre œil ; car il n’y a rien de si bizare que les divers jugements des hommes sur cette matiere. Pour moi qui crois les connoitre un peu, je pense que les uns & les autres ont raison, par ce que dans ces jugements chacun suit les impressions & les mouvements de son cœur qui décide ordinairement dans ces sortes d’affaires selon qu’il se trouve affecté. Quoiqu’il en soit, Voici l’avanture telle que je viens de la recevoir.

Ebene 3► Allgemeine Erzählung► Il y a quelques années qu’un de nos Seigneurs Francois, qui étoit alors Ambassadeur auprès de la Republique de Venise, fit-connoissance, dans cette Capitale, avec nne <sic> Religieuse du Couvent de S. Lanrent <sic>, nommée la Signora R. . . . Elle étoit fille d’un Noble Ve- [42] nitien, & il n’est point necessaire d’en donner d’autres preuves que de dire que dans ce Couvent, comme dans quelques autres de la même Ville, on ne reçoit que des filles nobles. Celle-ci étoit faite au tour, & passoit, avec justice, pour la plus belle fille de tout Venise ; aussi ne l’appelloit on que la Bella Monaca di Sant Laurenzo. Notre Ambassadeur, en ayant souvent entendu parler en ces termes, fut curieux de la voir. Mais il ne lui eut pas plus-tôt fait une visite, qu’il en devint éperdument amoureux. Metatextualität► Il n’est pas nécessaire de vous dire ici qu’en conséquence il lui en rendit de très fréquentes. Vous connoissez trop la vivacité de nos François auprès du Beau Sexe pour ne pas croire que celui-ci n’omit rien pour se faire aimer de cetre <sic> belle Nonne, dont il devint idolâtre. ◀Metatextualität Non content de la voir, & de lui faire dans son Couvent toutes les galanteries qui sont ordinaires parmi les amoureux, il la menoient souvent à l’Opera. Metatextualität► Ce dernier article, quoique très contraire aux usages de notre païs, ne vous étonnera point lorsque vous sçaurez qu’à Venise tous les Prêtres, les Moines, & toutes les Religieuses mêmes vont aux Spectacles avec aussi peu de scrupule, que les notres lorsqu’ils vont au Chœur. C’est un rélâchement que la coutume à <sic> introduit depuis long tems à Venise, aussibien qu’en plusieurs autres Villes d’Italie, & qui y est si commun & si ordinaire, qu’on n’y fait pas seulement la moindre attention. ◀Metatextualität Toute la précaution & tout le ménagement que prenoit notre galant Ambassadeur dans cette rencontre, étoit qu’il lui faisoit prendre le Masque, moins pour empêcher encore qu’elle ne fut reconnue, que dans la crainte que sa grande beauté ne lui fit naître quelque dangereux Rival.

Cette précaution n’empêcha pourtant point qu’un soir qu’elle étoit avec lui à l’Opera, elle ne fut reconnue par son Frere qui y étoit aussi dans une Loge vis-à-vis de la sienne, cette Réligieuse ayant un tant soit peu levé son Masque, apparemment pour quelque raison : Si je ne sçavois pas, dit le Frere à un de ses amis qui étoit assis à côté de lui, que ma Sœur est dans le Cou- [43] vent de Sant Laurenze, je jurerois que c’est elle que je vois vis-à-vis de nous avec ce Masque, tant elle lui ressemble. Il ne se trompoit point, car c’étoit elle même.

Metatextualität► La galanterie, dans les filles, est sujette à des inconvénients fâcheux dont elles ont ordinairement tout le tems de se repentir, sur tout l’orsqu’elles <sic> en viennent jusqu’à accorder à leurs Amants les derniers faveurs. Hé, combien y en a-t-il peu qui leur échapent lorsque la passion d’un Galant se trouve encore fortifiée par une magnifique dépense, & par des richesses qui le mettent en état de procurer à la personne aimée tout ce qui peut flatter ses desirs ! ◀Metatextualität C’est la situation où se trouvoit la Signora R. . . avec l’Ambassadeur Francois. Au milieu des plaisirs de toute espece qu’il lui faisoit naître, pour ainsi dire, à chaque pas, elle oublia bientôt sa vertu, & se laissant aller aux séductions de son Amant, elle en ressentit enfin les tristes effets. Celui-ci, pour l’en consoler, lui promit de ne la point abandonner Metatextualität► (chose assez ordinaire en pareil cas) ◀Metatextualität & qu’il l’emmeneroit avec lui en France, où elle seroit à couvert de tous les reproches amers que des parents, & toutes les Religieuses d’un Couvent ont coûtume de faire dans de semblables rencontres : heureuses encore les filles qui en sont quittes pour de simples reproches ! La Signora R. . . . fut bientôt convaincue que l’intention de son Amant etoit de lui tenir sa promesse. En effet, quoique son Ambassade fut finie, il resta néanmoins encore, uniquement pour l’amour d’elle, à Venise où il ne discontinua point de la fréquenter.

Lorsqu’il fut prêt à s’en retourner en France, ils se concerterent sur les moyens qu’ils prendroient pour s’y rejoindre, car l’enlevement des Religieuses étant à Venise, comme en beaucoup d’autres endroits, un crime irrémissible, ils convinrent qu’ils ne partiroient point ensemble ; mais que se suivant de près, ils se réjoindroient tous les deux à Lyon. En consequence de cette résolution, l’Ambassadeur lui fit préparer tout ce qu’il falloit pour le Voyage, lui laissa une somme d’argent considérable pour la même fin, & quelques Domestiques assidez qui l’accompagneroient dans la route. [44] Ayant ainsi tout disposé, il part le premier, & elle le suit dès le lendemain. Mais ses parents ayant été avertis de son départ, la font poursuivre, & l’atteignent à Ferrare où ils la font de nouveau renfermer dans un Couvent. Cependant l’Ambassadeur, qui ignoroit le malheur qui venoit de lui arriver, continue sa route, arrive à Lyon où il l’attend quelques jours au bout desquels il tomba malade, & mourut de douleur lorsqu’on lui eut apris le triste sort de sa chere Amante.

Peut-être l’auroit-elle suivi dans le tombeau si elle avoit été informée de ce malheur, mais la captivité dans laquelle on la tenoit lui sauva la vie en lui laissant ignorer la mort de son fidelle Amant. Lorsqu’on crut qu’elle l’avoit oublié, on lui rendit la liberté, & elle jouit des mêmes priviléges que les autres Religieuses du Couvent dont elle se fit beaucoup aimer.

Elle ne pensoit plus qu’à passer & finir ses jours avec elles dans cette retraite, lorsque l’Amour, qui l’avoit destinée à un état bien différent, en disposa tout autrement. Un Colonel Espagnol, natif de Naples, qui étoit au service de S. M. Cath. se trouvant en quartier d’hiver à Bologne, dans les Etats du Pape où l’Armée des trois Couronnes sejournoit alors, fut curieux de voir la Ville de Ferrare, où il vint. Là il fit connoissance avec plusieurs Seigneurs, & entre autres avec un qui étoit natif de Bologne, lequel se chargea fort gracieusement de lui faire voir tout ce qu’il pouvoit y avoir à Ferrare de curieux & de digne de l’attention d’un Voyageur. Après lui avoir tout fait voir, un jour il le mena avec lui faire visite à une Tante qui étoit Réligieuse dans le Couvent où étoit aussi la belle Venitienne.

Comme c’est la coutume dans les Couvents d’Italie que toutes les Religieuses paroissent au Parloir lorsqu’il y vient quelque étranger, celle-ci n’eut pas plus-tôt paru devant le Colonel Espagnol, qu’il en devint aussi amoureux que l’avoit été l’Ambassadeur François. Il s’informe de son ami quelle est cette aimable Religieuse. Celui-ci lui raconte l’histoire de ses amours avec l’Ambassadeur, & toutes les suites qu’avoit eu cette passion.

[45] On dit que les Espagnols sont extrêmement délicats sur le fait de la galanterie. Si cela est, la régle n’est surément pas sans exception. En effet, quoique cet ami lui eut déclaré que cette aimable fille avoit eu de son premier Amant un enfant dont elle étoit accouchée dans le Couvent, ce malheur, qui dégouteroit bien des Galants, ne diminua rien de la passion qu’il venoit de prendre pour la Signora R. . . . . Il prie son ami de vouloir bien le servir dans son amour ; ils lui rendent ensemble de fréquentes visites & le Colonel Espagnol pousse si loin ses affaires, qu’il l’enleve de son Couvent, & l’emmene avec lui à Bologne.

Quelque secret qu’eut été cet enlevement, & quoique le Colonèl tint son Amante cachée aux yeux de tout le monde, les parents de la belle Religieuse furents néanmoins informés de l’un & de l’autre. Ils en écrivirent aussi-tôt au Pape, & à la Cour d’Espagne, pour en démander satisfaction. Celle qu’ils eurent de Madrit <sic>, fut que le Colonel fut mis aux arrêts. De son côté le Pape ordonna que la Signora R. . . . Seroit de nouveau renfermée dans un Couvent de Religieuses de l’Ordre de S. François.

Tant que l’Armée des trois Couronnes demeura en Italie, la Belle infortunée fut invisible pour tout le monde, si ce n’est peut-être pour les Religieux du même Ordre, appellez Récollects, qui avoient la direction de ce Couvent. Le Colonel Espagnol en étoit au désespoir, & il en eut un chagrin si violent, qu’en étant tombé malade peu s’en salut qu’il n’eut le triste sort de l’Ambassadeur. Vous dire <sic> si, de son côté, la Belle récluse prit le chagrin aussi à cœur, c’est ce que l’on n’a point sçu. Peut-être, en fille sage & pénitente, avoit-elle pris son parti. Peut-être aussi ses Peres directeurs la consoloient-ils dans l’affliction où elle pouvoit être. Quoiqu’il en soit, ces deux Amants passerent plusieurs années dans un éloignement qui devint enfin insuportable au Colonel. Celui-ci résolu de tout hazarder pour posseder celle qu’il adore, quitte le service, revient à Bologne où il fait connoissance avec le Prieur des Recollects qu’il vint à bout, non sans beaucoup de peine [46] de mettre dans ses intérêts. Un habit de Moine, que ce Révérend Pere lui fit prendre, lui donna bien tôt l’entrée du Couvent qui jusque-là avoit été interdit à tout Laïque. A la faveur de cet habit privilégié il voit aussi souvent & aussi long-tems qu’il veut le cher objet de son amour, qui de son côté goûte à le revoir un plaisir qu’il est plus aisé de sentir que d’exprimer. Ils le goûterent réciproquement pendant quelque tems ; mais l’imprudence & l’impatience, deux defauts très ordinaires dans les Amants, penserent les plonger une seconde fois dans le malheur dont ils avoient eu tant de peine à sortir. Une Sœur Converse, qui malheureusement pour eux étoit aux écoutes, ayant entendu la conversation qu’ils avoient ensemble, alloit tout découvrir, si la bourse de l’Amant & l’Autorité du Pere Prieur ne l’eussent engagée à garder le silence sur cette intrigue.

Dans la crainte qu’elle ne se découvrit enfin par quelqu’autre voye, le Colonel résout de faire enlever, une seconde fois, l’idole de son cœur. Il fait part de de <sic> sa résolution au Pere Prieur le supliant de vouloir bien l’assister dans cette entreprise. Celui-ci non seulement approuve son dessein, mais lui promet encore de lui rendre un service auquel il ne s’attendoit pas : c’est de l’enlever lui-même, & de la lui conduire à Vienne où l’intention du Colonel étoit d’aller rejoindre sa Mere qui s’y étoit retirée lorsqu’elle avoit vu le Royaume de Naples passer sous la domination du Roi Don Carlos. L’Amant Napolitain, charmé de cette proposition, dont un galant François ne se seroit certainement pas accommodé, rend mille graces à Sa Révérence à qui il récommande ses amours. Il lui laisse tout l’argent dont il peut avoir besoin pour l’exécution de ce projet hardi, & part pour Vienne où il va attendre l’effet de la promesse du Révérend Pere Prieur.

Le Moine ne fut pas long tems sans lui tenir parole. Une Commission dont le Pape le chargea pour cette Cour lui en fournit les moyens. Etant sur le point de partir pour s’y rendre il avertit la belle Religieuse de se tenir prête ; il l’enleve de son Couvent la nuit du [47] jour de son départ, & l’ayant travestie en Moine il prend aussi-tôt avec elle la route de Vienne dans une Chaise de Poste dont le Postillon avoit ordre d’aller grand train, sous prétexte que les affaires dont le Moine étoit chargé de la part du Pape demandoient qu’il fit une grande diligence. Elle fut en effet des plus grandes ; de sorte qu’au moment que le Galant s’y attendoit le moins, Sa Révérence remit entre les mains de ce fidelle Amant le précieux dépôt dont il s’étoit chargé.

A peine la belle Venitienne fut-elle arrivée, que la Mere du Colonel, qui la prit d’abord en affection, employa tout le crédit & tous les amis qu’elle avoit à la Cour pour obtenir de celle de Rome la cassation de ses Vœux. On la sollicita auprès du Nonce auquel on fit entendre, à l’ordinaire, que cette charmante personne avoit été forcée par ses parents d’embrasser la vie du Cloitre dans uu <sic> âge où l’on n’est pas en état de s’opposer à leurs volontez. Le Nonce, pressé par les sollicitations les plus puissantes, en écrit à sa Cour qui, ayant envoyé les dispenses qu’on lui demandoit, vient de mettre ces deux Amants au comble de la joye par un mariage qui fait leur félicité. ◀Allgemeine Erzählung ◀Ebene 3

Quelle foule de réflexions malignes & satiriques nos François, d’ailleurs idolâtres du Beau Sexe, ne feroient-ils pas sur ce mariage, s’ils en étoit informez. Dieu sçait combien ils plaisanteroient sur les amours du Colonel avec une Nonne devenue Mere bien avant le tems, enlevée par trois fois de son Couvent, & conduite enfin à son Epoux par un Moine de l’Ordre de S. François qui fait avec elle une route de près de deux cents lieues ! Ils ne manqueroient pas d’en faire une seconde Fiancée du Roi de Garbe (*1 ). Voyez néanmoins combien leur jugement seroit injuste ; car l’ami, qui m’a fait part de cette histoire, ajoute que cette belle & aimable personne est une des plus vertueuses Dames de Vienne, & qui, par cette raison, n’y est pas moins considerée, que pour sa grande beauté que l’on ne peut voir sans en être frapé. Je ne [48] conseillerois cependant pas à nos filles Francoises de prendre cette Dame, toute sage qu’elle est aujourdhui, pour le modelle de la conduite qu’elles doivent tenir avec leurs Amants ; mais de se ressouvenir, au contraire, à chaque instant, de ce precepte dont elles se trouveront beaucoup mieux.

Ebene 3► Zitat/Motto► Filles maintenez vous ; l’affaire est d’importance.

De pareils Epouseurs ne sont communs en France :
La régle la plus sure est de se bien garder,
Se défier de tout, & ne rien hazarder . . . . .
Si quelqu’une pourtant ne pouvoit s’en deffendre,
Le remede sera de cacher son malheur.
Il est bon de garder sa fleur ;
Mais pour l’avoir perdue il ne faut pas se pendre. ◀Zitat/Motto ◀Ebene 3

Je vous avois promis une seconde Avanture galante qui n’est ni moins amusante, ni moins instructive ; mais comme la place me manque, ma Sœur, qui vous salue & qui est parfaitement rétablie de son indisposition, vous en fera part dans la premiere Lettre qu’elle compte vous écrire incessamment.

J’ai l’honneur d’être &c.

Paris, ce 2 Janvier 1750.

◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 2

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Jeudi le 8 Janvier 1750.

◀Ebene 1

1(*) Conte de M. De la Fontaine.