Zitiervorschlag: Anonyme (Charles de Fieux de Mouhy) (Hrsg.): "No. 10.", in: La Bigarure, Vol.1\010 (1749), S. 81-88, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4894 [aufgerufen am: ].


Ebene 1►

No. 10.

Ebene 2► Brief/Leserbrief► J’ai fini ma derniere Lettre, Madame, par un trait de générosité Angloise dont je me persuade que vous aurez été contente ; je commence celle-ci par le reçit d’une action bien différente, mais qui vous divertira, pour le moins, autant que l’autre vous à charmée. C’est un tour de fripon joué à Londres par quatre coquins de Filoux échappez de Paris, & qui sont venus faire leurs Caravannes dans cette grande Ville aux dépens de cette riche nation. Voici le Chef-d’œuvre par lequel ils y ont débuté, & dont j’ai été encore informée par Miladi R . . . qui me marque qu’elle en a ri, & qu’elle en rioit encore comme une folle en me l’écrivant.

Si la gravité Angloise n’a pu tenir contre cette Histoire, quels éclats de rire n’allez-vous point faire en la lisant, vous qui êtes naturellement de la meilleure humeur du monde, & que j’ai vue tant de fois rire à gorge déployée aux moindres plainsanteries <sic> que vous entendiez ? Pour peu que Messieurs vos Brabançons soient du même caractére, O qu’ils vont être contents de moi ! Je vai passer chez eux pour une femme adorable, pour un génie sublime & transcendant, pour le Phœnix des Beaux-Esprits femelles, en un mot, pour la femme du monde la plus propre à amuser une compagnie, & à en bannir la mélancolie. Qui sçait si leur entousiasme n’ira pas jusqu’à me mettre au rang des Scudery, des Noyers, des Gomez, & autres femmes Auteurs qui ont si long-tems amusé & diverti le Public par leurs écrits ? Qui sçait si leur générosité & leur reconnoissance pour le plaisir que vous me marquez qu’ils prennent à la lectu-[82]re de mes Lettres, n’ira pas jusqu’à me faire présent de quelque garniture de leurs plus magnifiques dentelles de Malines ? S’ils étoient dans cette disposition, Madame, s’ils en avoient seulement la pensée, avertissez les bien de ma part de n’en rien faire ; dites leur que n’étant point Auteur, je ne suis par conséquent point intéressée, & que le plaisir de vous amuser & toute votre aimable Societé (car je crois pouvoir lui donner à bon titre cette Epithete) est pour moi une récompense dont je suis plus que satisfaite . . . Mais je reviens à nos filoux que j’ai laissez à Londres.

Ebene 3► Allgemeine Erzählung► Ces quatre Coquins, après s’être bien mis au fait du quartier de la Ville où ils vouloient travailler, résolurent de faire leur coup d’essai dans la maison d’un vieux Docteur émérite, nommé Robert Ledlton, homme fort riche, & agé d’environ soixante & quinze ans, lequel étoit allé passer à la campagne les trois derniers mois de la belle saison : Ce vieux bon homme, qui étoit alors à trente milles de Londres, avoit laissé dans cette Ville une gouvernante presque aussi agée qui lui, à qui il avoit confié la garde de sa maison pendant son absence. Cette vieille Sibille s’aquitoit fidellement de cet emploi, & ne s’attendoit à rien moins qu’au tour <sic> qu’on lui préparoit, lorsque deux Messieurs, fort bien mis, & en habit de deuil, vinrent, un beau matin, lui rendre visite. Ils étoient accompagnez d’un Conétable *1 , & de son Clerc, munis d’un Testament, & d’autres papiers qu’ils dirent être de la derniere conséquence. Avec ces prétendues piéces autentiques <sic> ils lui persuaderent que son Maitre étoit mort presque subitement, & qu’en qualité d’héritiers ils venoient s’assurer de sa succession en vertu du Testament qu’ils lui montrerent.

A cette triste nouvelle, qu’elle croit vraye, la vieille soupire, gémit, pleure, se désespere, s’arrache le seul [83] toupet de cheveux qui lui restoit sur la tête, & jette des cris des plus lamentables. Les Voisins accourent en foule au bruit qu’elle fait, & lui en demandent la cause <sic> La vue & l’habillement du Conétable accompagné de son Clerc, & des deux, soi disants héritiers en habit de deuil, les tire bientôt de leur ignorance. Ces quatre fripons, qui soutenoient parfaitement bien leur rôle, leur annoncent la mort du vieux Docteur, & leur confirment cette Nouvelle par la lecture qu’ils leur font de son prétendu Testament & des autres piéces qu’ils avoient de même fabriquées. A cette lecture, la vieille recommence & redouble ses lamentations, ses cris, & ses hurlements ; mais un Legs considérable, qui se trouve fait en sa faveur dans le prétendu Testament, appaise un peu sa douleur. Les voisins, aussi crédules & aussi sots qu’elle, achevent de la consoler, après quoi ils se retirent chacun chez eux, fort peu attristez de la mort du vieux Docteur qui ne s’étoit pas fait beaucoup aimer d’eux à cause de son excessive avarice.

Cependant les héritiers demandent au Conétable comment il faut s’y prendre pour recueillir la succession du deffunt. Celui-ci les instruit, avec une gravité & un sérieux des plus imposants de toutes les formalitéz que la Justice observe en pareil cas, & de tous les détours que la Chicane pourroit leur opposer ; Enfin il conclut qu’il est indispensablement nécessaire, pour procéder selon les regles, de commencer par apposer le Scellé sur tous les meubles du Docteur. En conséquence de cette décision, la gouvernante est sommée de lui livrer toutes les clefs, afin de visiter & inventorier tous les effets du prétendu déffunt. Rien ne paroissant plus juste à la vieille, elle obëit. Aussi-tôt nos Fripons visitent & fouillent par tout sous prétexte de procéder à l’Inventaire. Pour cet effet on ouvre toutes les Armoires, toutes les Cassettes, tous les Coffres, Tiroirs, Buffets, & on régle combien il faudra de vacations pour terminer cette affaire. On examine, on compte, on inscrit tous les effets, enfin on tourne & retourne si bien tout, qu’on vient à bout de tromper la vigilan-[84]lance <sic> de la gouvernante, & d’enlever adroitement aux vieux Docteur tout ce qu’il avoit d’argenterie portative, & environ trois cents guinées qu’il avoit chez lui. Ce coup de main étant achevé, le Conétable ordonne, & les prétendus héritiers recommandant bien à la gouvernante de continuer ses soins comme par le passé, & de bien veiller à la garde des effets qu’on lui confioit, jusqu’à l’entière exécution du Testament. La vieille de leur promet, après quoi nos quatre Fripons, nantis de ce petit trésor, gagnent au pied, & courent encore.

Cependant la huitaine & la quinzaine se passent sans qu’on ait aucunes Nouvelles ni du Testament, ni du Legs, ni du Conétable, ni des héritiers. Au bout de ce terme, le vieux Docteur arrive de la campagne, & rentre sur le soir dans sa maison. Tous ses voisins qui le voyent & qui, comme je l’ai dit, le croyoient trépassé, depuis près de trois semaines, s’imaginent, en l’apercevant, voir un Spectre. Il arrive cependant à son appartement où il trouve sa vieille qui pleuroit encore sa mort, interditte, effrayée, & toute tremblante à son aspect, elle ne peut croire ce qu’elle voit. Comme c’étoit une vieille Prosélite Françoise, sa frayeur lui rapelle son ancienne croyance. Elle s’imagine que son cher Maitre, à qui elle n’avoit pas été indifférente dans sa jeunesse, fâché d’avoir quitté le monde si brusquement, y revenoit tout exprès pour prendre congé d’elle, ou pour lui demander des prieres. Dans l’effroi où la jette cette pensée, elle lui adresse ces paroles, d’une voix tremblotante & entrecoupée de sanglots & de soupirs.

Ebene 4► Dites-moi, mais de loin, quel sujet vous amene ;

Si pour me dire adieu vous prenez tant de peine,
C’est trop de courtoisie, & véritablement
Je me passerois bien de vôtre compliment.
Si vôtre Ame est en peine & cherche des priéres
Las ! je vous en promets ; & ne m’effrayez guéres :
Allez, retirez-vous ; je vais faire à l’instant
[85] Prier tant Dieu pour vous, que vous serez content.
Disparoissez donc, je vous prie ;
Et que le Ciel, par sa bonté,
comble de joye & de santé
Votre deffunte Seigneurie
. ◀Ebene 4

Le Docteur fort surpris à son tour du discours que lui tient sa gouvernante qu’il soupçónne d’être devenue folle pendant son absence, s’efforce de la rassurer, & de lui remettre l’esprit. N’en pouvant pas venir à bout, le hazard veut qu’il jette les yeux sur une de ses Armoires sur laquelle il n’est pas peu étonné de voir qu’on ait mis le Scellé. Il demande ce que cela signifie ; si on l’a cru mort pendant le voyage qu’il a fait à la campagne, ou si quelque Créancier, pendant son absence, a cru qu’il étoit devenu insolvable ; car ce sont les deux seuls cas où l’on a coûtume de mettre le Scellé sur les effets de quelqu’un. La vieille, un peu revenue de sa premiere frayeur, lui raconte l’histoire qu’on lui avoit faite de sa mort, & tout ce qui s’étoit passé en conséquence. A ce recit le Sire Robert Ledlton, sans s’embarrasser des formalitez de la Justice, arrache le Scellé, ouvre promtement l’Armoire, porte la main & les yeux à l’endroit où il avoit laissé son cœur, je veux dire son trésor, & où il ne trouve plus que la place qui étoit vuide.

Peu s’en salut qu’à cette vue le vieux Avare ne tombat réellement mort. Désespéré de la perte qu’il vient de faire il entre en fureur, & fait des hurlements épouvantables. Sa vieille gouvernante, le voyant dans ces horribles transports, s’imagine à son tour qu’il est devenu enragé & s’efforce de l’appaiser ; mais le rage du Docteur redouble à chaque exhortation qu’elle lui fait. Sans respect pour sa vieillesse, sans aucun égard pour ses anciennes Amours, non seulement il la maltraite d’une étrange manière, mais il la fait encore arrêter & conduire en prison, & la veut faire punir du larcin de son argenterie & de ses guinées qu’il l’accuse de lui avoir volées. Peut-être cette innocente créa-[86]ture auroit-elle été la victime de son avarice si tous les voisins, qui avoient été témoins de ce qui a’étoit <sic> passé, n’eussent deposé en sa faveur, & fait connoitre la fourberie des quatre filoux qui avoient ainsi duppé ce vieux couple. En conséquence elle vient d’être relâchée & renvoyée, avec la liberté de se retirer où bon lui semblera. Pour la dédomager de l’injure faite à sa fidélité & punir le Docteur de sa dureté envers ce vieux Domestique, les Juges ont ordonné qu’elle jouiroit, tant qu’elle vivra, du Legs que les Filoux lui avoient donné dans le prétendu Testament de son Maître, lequel a pris, de son côté, la résolution de ne plus perdre sa maison de vue, & de n’en confier la garde qu’à lui-même. ◀Allgemeine Erzählung C’est ainsi que l’Avarice de ce vieux Harpagon a été doublement punie. Belle leçon pour tous les Vieillards qui lui ressemblent ! . . . ◀Ebene 3 Mais je vous retiens peut-être trop long-tems en Angleterre, Madame ; & il me semble vous entendre sonpirer <sic> après Paris . . . Hé bien, je vais vous y ramener pour vous y amuser par le recit d’une histoire toute nouvelle qui y est arrivée pendant le séjour que nous avons fait ensemble à Londres.

Vous sçavez que cette premiere Capitale est apellée par excellence le Paradis des Femmes, & par une raison conséquente, le Purgatoire des Maris. Il n’y en a point effectivement dans le monde où l’on abuse davantage de la complaisance & de la foiblesse que ces derniers ont pour notre Sexe dont on peut dire qu’ils sont véritablement Esclaves. Plus dociles & plus soumis que ceux qui portent les chaines en Turquie, à Maroc, à Salé, à Tunis, & à Alger, la plûpart n’osent pas même soufler devant leurs Epouses ; & s’il s’en trouve quelquefois d’assez hardis pour le faire, ils ont tout le tems de s’en repentir, parce qu’elles ont toujours grand soin de leur opposer quelque Galant qui ne manque pas de les Maitriser de la bonne façon. Ebene 3► C’est ce qui vient d’arriver à un Procureur nommé D * * * dont la Femme, aussi galante que belle, s’est débarrassee <sic> d’une manière que je ne puis m’empêcher de condam-[87]ner, toute jalouse que je suis des priviléges accordez à notre Sexe.

Allgemeine Erzählung► Ce bon homme (aussi honête homme qu’un Procureur peut l’être) fort mécontent de la conduite de sa très-chere moitié qui entretenoit un commerce de galanterie avec un certain Magistrat dont je suprime ici le nom par conssidération <sic> pour la famille, lui donnoit le tems en tems des conseils très sensez dont la galante Procureuse ne faisoit que rire. Des conseils il passa plus loin, & lui deffendit absolument de voir à l’avenir, ni d’avoir aucun fréquentation avec le Rival qui le deshonorôit. Deffendre quelque chose à une femme, est précisément le véritable moyen de lui donner encore plus d’envie de la faire. Ce fut aussi ce qui arriva. Enfin le Procureur voyant qu’elle faisoit si peu de cas de ses conseils, de ses exhortations, & de ses deffenses, eut la hardiesse d’en venir aux menaces & des menaces aux effets.

C’étoit-là que sa Femme l’attendoit. Il ne lui en fallut pas davantage pour dénoncer son Mari au Magistrat comme étant un Brutal, un Jaloux, un Libertin, un Débauché, un Dissipateur, un Fripon, un Occiseur de femmes, &c. &c. &c.

L’Accusation étoit grave, & méritoit par conséquent bien d’être examinée avec toute l’impartialité & l’attention que les Juges doivent aporter dans les affaires. Mais malheureusement pour le pauvre Procureur, celui devant qui celle-ci fut portée étoit, tout à la fois, son Juge & sa Partie. ◀Allgemeine Erzählung ◀Ebene 3 Vous sçavez, Madame, comment vont les Procès dans ces sortes de rencontres. La décision de celui-ci a été très prompte ; & je suis persuadée que vous n’aurez pas de peine à deviner en faveur de qui il a été decidé.

Ebene 3► Allgemeine Erzählung► La dénonciation ne fut pas plutôt faite, que sans se donner ni le tems ni la peine d’observer les formalités de justice requises en pareil cas, le Magistrat condamne l’accusé à être renferme pendant un an dans le Château Royal de Bicêtre. Comme ces sortes de jugements s’éxécutent ordinairement sans Appel, le Procureur con-[88]damné est aussi-tôt conduit & enfermé dans cette Maison de Correction où il est encore actuellement. Ce n’est pas tout encore. Non content de lui avoir fait cet affront, le Magistrat, qui croyoit par-là l’avoir intimidé & rendu plus traitable, alla le voir, quelque-jours après, dans cette deshonorante retraite où il tent ta <sic> de le racommoder avec sa femme. Il sçavoit bien qu’il n’y reussiroit pas. En effet le malheureux Procureur n’eut pas plutôt comparu devant son rival, qu’il lui tourna le dos & ne daigna pas même ouvrir la bouche pour lui parler. Le Magistrat piqué de cette généreuse hardiesse, & voulant s’en vanger, le fit aussi-tôt deshabiller, & revétir des habits infâmes de cette maison où, pour comble d’insulte, sa femme envoye de tems en tems ses amis pour le voir dans cet humiliant équipage. ◀Allgemeine Erzählung Telle est la manière dont certains Magistrats rendent ici la justice. Que les Maris, après cela regardent la beauté & l’humeur galante de leurs femmes comme une ressource dont ils peuvent tirer parti dans le besoin ! La triste situation dans laquelle celui-ci se trouve aujourd’hui est bien une preuve du contraire, puisque c’est de cette double cause que procéde son malheur. ◀Ebene 3

J’ai l’honneur d’être, &c.

Ce 6 Novembre 1749.

◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 2

P.S. La Suite de cet Ouvrage Periodique paroitra tous les Jeudis reguliérement.

Jeudi le 13 Novembre 1749.

◀Ebene 1

1* L’emploi de Conétable à Londres répond à celui de Commissaire à Paris, sur tout dans ce qui concerne les Scellez & les Testaments.