Zitiervorschlag: Anonyme (Charles de Fieux de Mouhy) (Hrsg.): "No. 12.", in: La Bigarure, Vol.1\012 (1749), S. 97-104, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4892 [aufgerufen am: ].
Ebene 1►
No. 12.
Ebene 2► Brief/Leserbrief► Quelque enterré que vous soyez, Monsieur, dans une Province où, si j’en veux croire la Médisance, on ne se pique guére de connoitre, encore moins de rechercher, les bons Livres, je doute néanmoins que vous n’y ayez pas entendu parler d’un Ouvrage si excellent, que depuis environ un an, qu’il a paru pour la première fois, il est déjâ à sa quatrième édition. Fremdportrait► C’est le sçavant Traité que Mr. le Président de Montesquiou, Membre de l’Académie Françoise, & connu depuis long-tems dans la République des Lettres par plusieurs autres Ouvrages qui lui ont fait la réputation qu’il mérite *1 , ◀Fremdportrait a donné au Public ; & qui est intitulé L’Estrit <sic> des Loix. Ce Livre à été d’autant mieux reçu ici, qu’il part d’une excellente plume, d’un génie profond, & qu’il est presque le seul, ou du moins le meilleur de tous ceux qui ont été écrits en François sur le Droit Public. Quelque approbation cependant qu’il ait eu, comme il est absolument impossible de plaire à tout le monde, que d’ailleurs il est des Esprits bisares, jaloux, difficiles, envieux, de mauvaise humeur qui semblent s’être fait un principe & une régle générale de censurer tout ce que les autres admirent, tout excellent qu’est ce Traité, il n’a pu échaper à la Critique d’un Poëte qui en a porté le jugement que vous verrez dans les Vers suivants :
[98] Ebene 3► Vous connoissez l’Esprit des Loix ;
Que pensez-vous de cet Ouvrage ? . . . .
Ce n’est qu’un pénible Assemblage
De Républiques & de Rois.
On y voit les mœurs de tout âge
Et des Peuples de tous les Lieux,
Leurs Legislateurs & leurs Dieux.
Sur tous ces objets d’importance
L’Auteur nous laisse apercevoir,
Non une simple Tolérance,
Mais une froide Indifférence ;
Tout lui paroit fruit du Terroir.
Le Sol est la Cause première
De nos Vices, de nos Vertus ;
Néron, dans un autre Hemisphere,
Auroit peut-être été Titus.
L’Esprit est le second mobile
Et nôtre Raison versatile
Est dépendante des Climats,
Féroce au païs des frimats,
Voluptueuse dans l’Asie.
Le même ressort ici bas
Détermine la fantaisie :
Ainsi sans un grand appareil
On peut, dans le siécle où nous sommes,
Par les seuls degrez du soleil
Calculer la Valeur des hommes.
Sur ce point seul, Législateurs,
Etablissez bien vos Maximes,
Dirigez les Loix & les Mœurs,
Distinguez les Vertus des Crimes,
Sur l’Air réglez vos documents !
Un Païs devient Despotique,
Républicain, ou Monarchique
Par la force des Eléments.
La Liberté n’est qu’un vain titre,
Le Culte un pur consentement,
Et le Climat seul est l’Arbitre
Des Dieux & du Gouvernement.
Ce n’est point un Esprit Critique
[99] Qui me sert ici d’Apollon ;
Voilà toute la Polilique <sic>
De notre moderne Solon *2 . ◀Ebene 3
Quelque injuste que me paroisse la censure d’un Ouvrage si universellement goûté, je ne puis refuser à l’Auteur de cette piéce la justice d’avouer ici qu’elle est fort ingénieuse, & d’un Stile très Poëtique : Aussi l’attribue-t-on à un Académicien assez connu dans le monde par ces deux talents qui ne sont pas aujourd’hui des plus communs.
Au reste, M. de Montesquiou n’est pas le seul qui ait éprouvé en écrivant la difficulté, pour ne pas dire l’impossibilité, qu’il y a de plaire à tout le monde. Un autre Livre, qui n’est pas moins bon que le sien, & dont je présume que vous avez entendu parler avant nous, puisqu’il a passé par vôtre païs avant que de parvenir dans le nôtre, éprouve actuellement un sort tout semblable. Ce sont les Memoires de M. L’Abbé de Mongon, dont on ne nous avoit donné, il y a près de vingt ans, qu’une espèce d’échantillon, & qui viennent de paroître dans leur entier. Ces Memoires contiennent ce qui s’est passé de plus important en Europe durant la meilleure partie du Ministère du Cardinal de Fleuri.
Rien n’est plus singulier, Monsieur, que la bisarerie des jugements que l’on porte ici de cet Ouvrage & de son Auteur. En général on donne à ce dernier assez de pénétration, une hardiesse aussi rare que nécessaire dans des affaires aussi délicates & aussi épineuses que l’étoient celles dont la Cour l’avoit chargé, une imagination vive, & qui se soutient parfaitement jusqu’à la fin : en un mot, on y trouve tout ce qui forme un Negociateur habile.
D’autres, au contraire, trouvent dans Mr. l’Abbé de Mongon peu de jugement, des contrarietez sans nombre dans son caractère, du haut & du bas dans sa [100] conduite & des instants de lumière & d’obscurité. Tel est le fonds que l’on doit faire sur les jugements que les hommes portent sur les mêmes choses. Pauvres Ecrivains que vous êtes à plaindre d’être exposez à une pareille bisarerie ! Ce qu’il y a de plus divertissant encore dans tout ceci, c’est que, malgré cette diversité d’opinions contradictoires, ces deux Livres se font lire avec plaisir, & sont aussi instructifs qu’amusants. C’est surquoi les deux partis sont d’accord ; ce qui ne doit pas être une petite satisfaction pour ces deux illustres Ecrivains.
Il s’en faut de beaucoup que le Public ait été aussi favorable à l’Auteur d’un Poëme Héroïque intitulé L’isle de Malthe, qu’on vient de nous donner. Ce Poëme, qui est très long, a paru fort ennuyeux à la plûpart des Lecteurs. Peut-être ne leur a-t-il paru tel que par ce que la Religion, pour laquelle bien des gens ne s’interessent plus guére aujourdhui, y fait le principal rôle. Il y a cependant de grandes beautez dans cet Ouvrage dont l’argument & la fable sont fort simples. Ebene 3► Allgemeine Erzählung► Philippe de Villiers de l’Isle Adam, François de nation, & dernier Grand-Maitre de l’Isle de Rhodes, quitte cette Isle pour aller s’établir dans une autre contrée. Après de longues traverses il aborde enfin en Italie, & il fixe sa residence avec les débris de son Ordre dans l’Isle de Malthe. Par ce petit échantillon il est aisé de juger que l’Auteur de ce Poëme, qui est un Chevalier de cet Ordre, a pris Virgile pour son modelle : mais il a éprouvé aussi combien il est dangereux d’essayer même de marcher sur les traces d’un aussi grand Maitre. Le peu de succès qu’a eu son Poëme me fait ressouvenier <sic> de la reponse qu’un Poëte Anglois, nommé Waller & que M. De la Fontaine a surnommé l’Anacreon de l’Angleterre à cause de l’harmonie & de la douceur de ses Vers, fit au Roi Charles II. Ce Poëte lui ayant présenté une Ode dont la beauté ne répondoit pas tout à fait à la haute réputation qu’il s’étoit aquise, le Monarque lui dit, qu’il auroit mieux fait s’il avoit travaillé pour le [101] Protecteur *3 , Waller, sans se déconcerter, ni se fâcher de ce que lui disoit son Roi, lui répondit fort spirituellement en ces termes : Sire, nous autres Poëtes, nous réussissons toujours beaucoup mieux dans les fictions que dans la Verité. ◀Allgemeine Erzählung ◀Ebene 3 On en pourroit dire autant de tous ces Poëmes dans lesquels les Auteurs ont presque toujours échoué. La Majesté de la Religion ne sçauroit s’allier avec les ornements de la Fable qui sont essentiels à tout Poëme Héroïque ; elle a même bien de la peine à se soumettre aux caprices de la Rime. Il faut en effet, sur tout à nôtre Poësie Françoise, des sujets beaucoup moins sérieux, des sujets susceptibles de ce charmant-badinage qui plait à tout le monde, des sujets enfin semblables à celui que notre aimable Abbé de Bernis, l’Anacreon de nos jours, a traité dans l’Epitre que je vous envoye, & qui semble lui avoir été dictée par les Graces & les Amours mêmes.
Ebene 3►
Epitre
de M. L’Abbé de Bernis, à M. Duclos,
De l’Académie Françoise.
Tu sais que d’un peu de bêtise
Le bon vieux tems est accuse ;
Mais dans ce siécle plus rusé
Je regrette fort la franchise
De l’âge d’or si méprisé.
Que je regrette l’innocence
De l’homme qui marchoit tout nud !
Le plaisir au front ingénu
Sans voile étoit sans indécence.
Moins défini, mais mieux connu,
L’Amour avoit plus de puissance
Quand les Bergers étoient les Rois ;
[102] On ne vit pas souvent, je crois,
De Patriarches Petits-maitres ;
L’amour qu’on fait au pied des hêtres
Ne sait pas vanter ses exploits.
Sans art, ainsi que sans mystère,
On s’aimoit parce qu’on s’aimoit ;
C’étoit le goût seul qui formoit
La chaine éternelle & legère,
Qui si librement retenoit
Le Berger près de la Bergere.
Sous un toit couvert de fougere
Chacun sur le soir revenoit,
Et le travail entretenoit
Du plaisir l’ardeur passagere.
L’Amour, qu’on présente à nos yeux,
Entouré de traits & de flames,
N’étoit, du tems de nos Ayeux,
Que le besoin délicieux
De raprocher toutes les ames.
Une fontaine, un verd gazon,
Ombragés par un chêne antique,
Voilà la petite maison
Où l’Amour, en habit rustique,
Venoit passer chaque saison.
Notre jargon Métaphisique
N’êtoit pas encore inventé ;
Le sentiment qu’on alambique
N’a guére de solidité :
Par un seul mot l’ame s’explique ;
L’art du cœur est la Vérité.
Mais lorsque le faste des Villes
Eut changé les mœurs des Bergers,
L’Amour éloigné des vergers
Ne trouve que des cœurs serviles.
L’Intérêt, la soif des grandeurs,
Formerent les nœuds des familles,
L’honneur, ce fier Tiran des filles,
Les força de vendre leurs cœurs ;
Les perfides & les cruelles
Virent le jour au même instant ;
[103] La loi d’être toujours constant
Donna naissance aux Infidelles.
Il fut défendu de charmer ;
Les plaisirs devinrent des crimes
L’Amour se traita par Maximes,
L’esprit enseigna l’art d’aimer.
On donna le nom de victoire
Au seul triomphe du bonheur,
Et l’amant, surnommé vainqueur,
Céda le plaisir pour la gloire.
L’Amour ne fut plus dans les cœurs
Dès qu’on écrivit son histoire.
Ainsi le vieil âge changea ;
La vertu faisoit sa noblesse,
Le second âge l’échangea
Contre un vernis de politesse.
Pour moi je crois qu’il derogea :
Tel fut le siécle de Thesée,
Du fils d’Alcmene & de Jason.
Dès ce moment la trahison
Fut pour jamais autorisée ;
Mais ce siécle peu rafiné
N’avoit pas encore vu paroître
Un être insolent & borné
Que l’on appelle Petit-maître.
Le premier fat de l’Univers
Fut le fils d’un Roi de Pergams :
Cet insensé passa les mers
Pour aller séduire une femme.
L’Amour, moins que la vanité,
Le rendit Amant de la Belle :
Car sans le bruit de sa beauté
Il n’eut point soupiré pour elle.
Un autre se fût contenté
De trahir l’hospitalité
En possedant cette Infidelle,
Mais le rival de Ménélas,
Plutôt que de la vouloir rendre,
Fit armer deux cent mille bras
Et reduire sa Ville en cendre :
Or Paris est le fondateur
[104] De cette Ville singulière
Que nous voïons digne héritière
Du nom de son premier auteur.
Peuple ingrat, perfide & frivole,
Faut-il que d’un Sexe charmant
Tu sois le tiran & l’idole ?
Faut-il que ton orgueil immole
Le devoir & le sentiment ?
Quoi ! cette Maitresse adorée
Qui sacrifie à ton bonheur
Sa beauté, sa vie & l’honneur,
Par toi sans cesse déchirée
Va donc mourir désespérée
Du don qu’elle fit de son cœur ?
On peut sans crime être volage,
C’est la faute de nos desirs :
Mais à l’objet de nos soupirs
Le cœur doit toujours son hommage.
Quel est l’ingrat, ou le sauvage,
Qui peut oublier les plaisirs,
D’un Sexe digne qu’on l’adore ?
N’exagérons point ses travers ;
Sans lui l’homme seroit encore
Farouche au milieu des déserts.
Oui, les femmes qu’on deshonore,
Même en voulant porter leurs fers,
Sont les fleurs qu’Amour fit éclore
Dans le jardin de l’Univers.
Fidele ami, Censeur utile,
N’examine dans mes écrits
Ni l’ordonnance, ni le stile ;
Le sentiment en fait le prix.
Ton esprit brillant & fertile
A le droit d’être difficile ;
Mais c’est pour ton cœur que j’écris. ◀Ebene 3
La suite dans l’Extraordinaire. ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 2
P.S. Il y a aujourdhui un Extraordinaire.
Jeudi ce 27. Novembre 1749.
◀Ebene 1
1* Les charmantes Lettres Persanes, Considérations sur les véritables causes de la grandeur & la décadence des Romains, & plusieurs autres.
2* Un des Sept Sages de la Grece, & le Législateur des Athéniens.
3* Olivier Cromwel, cet illustre Scélérat qui eut la hardiesse & assez d’autorité pour en venir jusqu’à faire périr son Roi par la main du bourreau & s’emparer de sa place sous le nom de Protecteur de la République d’Angleterre.