Zitiervorschlag: Anonyme (Joseph Marie Durey de Morsan) (Hrsg.): "N°. 19.", in: La Bigarure, Vol.7\019 (1750), S. 145-152, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4740 [aufgerufen am: ].


Ebene 1►

N°. 19.

Ebene 2► Brief/Leserbrief► Chacun applaudit à ce Burlesque Plaidoyer, & touts <sic> les Auditeurs furent de l’avis du harangueur. Il en faut pourtant excepter la Courtisanne qui s’étoit réservée la Culotte en question, pour s’en faire des Mitons. Quelques rasades de vin de Champagne, que l’on continua à boire, l’étourdirent un peu sur cette perte, & disposerent les Acteurs à l’exécution de la Scène qu’on venoit de projetter, & que voici.

Ebene 3► Allgemeine Erzählung► Nos jeunes egrillards, qui étoient au nombre de sept ou huit, firent prendre la Culotte par un de leurs Domestiques qui les suivit jusque chez le Marchand. Ce dernier étoit pour lors dans sa Boutique. Dès qu’il les vit entrer, il crut d’abord que ces Messieurs venoient chez lui pour y faire quelque emplette. . . . Dialog► Ce n’est point pour acheter que nous venons ici, Monsieur, lui dit l’Orateur de la Compagnie ; mais pour restituer à Madame votre Epouse, à qui nous voulons parler, une chose qui lui appartient, & que nous avons appris qu’on lui avoit dérobée. Le Marchand, lui ayant répondu qu’elle étoit malade. . . . Nous le sçavons, continua l’Orateur ; mais elle ne l’est pas au point, qu’elle ne puisse bien récevoir notre visite. D’ailleurs la bonne Nouvelle que nous lui apportons ne peut que contribuer au rétablissement de la santé . . « Mais, Messieurs, repliqua le Marchand, elle est en compagnie » . . . Tant mieux, repartit le [146] Mousquetaire ; la chose en sera plus touchante, & n’en voudra que mieux. ◀Dialog

Le Marchand, ne sachant que penser d’une visite si extraordinaire, dont il ne pouvoit pénétrer le motif, allégua quelques autres raisons aux quelles ils n’eurent pas plus d’egard qu’ils n’en avoient eu pour les précédentes ; de sorte qu’il se vit, en quelque maniere, forcé de les introduire lui même dans la Chambre de sa femme. L’entrée qu’ils y firent fut tout-à-fait Comique. Ils marchoient deux à deux, tenant à la main leurs epées qu’ils eurent la prudence de ne point tirer du foureau, pour ne point effrayer la malade. L’inventeur de cette Scene Burlesque marchoit à la suite, & faisoit la clôture de cette espece de Procession. Il tenoit en l’air la Culotte du Marchand, qui, posée sur la pointe de son epée, formoit une espece d’Etendart. Quelques parentes de la malade, qui étoient venues lui rendre visite, voyant cette Comique & bisarre cérémonie, ne purent s’empêcher d’en rire. Il n’en fut pas de même du Marchand qui, ayant aperçu & reconnu sa Culotte, fut si confus de cette Scène, qui étoit des plus humiliantes pour lui, qu’il s’enfuit sur le champ sans pouvoir dire un seul mot.

Tout ce cortege étant entré dans la chambre de la malade, le Mousquetaire qui portoit la Culotte, la donna à tenir à un de ses camarades, & commença une petite harangue Comique, dans la quelle il fit à la Marchande, & à ses parentes & Comeres qui étoient auprès d’elle, l’histoire de cette Culotte, de la maniere dont elle avoit été enlevée, la veille, au chevet de son lit, de ce qui étoit dedans alors, & qui ne s’y trouvoit plus, de la peine qu’ils avoient eu à la faire restituer par la Demoiselle qui l’avoit enlevée & vouloit la garder comme un gage & un rémémoratif de [147] l’Amour éternel que son Mari lui avoit juré, & en conséquence du quel elle lui avoit accordé ses faveurs dans son Antichambre ; que craignant, avec raison, qu’elle ne s’aquittat pas conscientieusement de la restitution de cette précieuse Culotte, ils s’étoient chargez de la faire eux-mêmes ; qu’ils profitoient de cette occasion pour l’exhorter à veiller d’un peu plus près, à l’avenir, sur les Culottes de son Epoux ; enfin qu’ils étoient charmez d’avoir trouvé cette occasion de l’assurer qu’ils étoient ses très humbles & très obeissants serviteurs. La harangue finie, l’Orateur & toute sa Compagnie se retirerent, dans le même ordre qu’ils étoient venus, laissant la Marchande & ses Comeres toutes ébaubies, & plus d’amoitié pétrifiées.

Avouez, Monsieur, qu’il faut être Mousquetaire, c’est-à-dire, la Malice incarnée, pour jouer aux pauvres Maris de tours aussi sanglants que celui-là. Vous connoissez ces Messieurs, & de quoi ils sont capables. D’ailleurs vous sçavez les licences qu’ils se donnent ici, & qu’on leur laisse prendre, surtout quand elles ne font mal à personne, & qu’elles n’aboutissent qu’à la plaisanterie, comme celle que je viens de vous raconter, & qu’on peut regarder comme un vrai tour de Carnaval.

Il s’en est falu de beaucoup que la Marchande & ses Comeres l’aient pris sur ce ton. Les Mousquetaires s’étant retirez, elles demeurerent quelque tems sans pouvoir ouvrir la bouche, tant elles étoient stupefaites de ce qu’elles venoient de voir & d’aprendre : Mais ayant enfin recouvré l’usage de la parole, elles s’en dedomagerent bien ; & Dieu sçait comme ces bonnes langues dauberent le pauvre Mari. Il fut accommodé de toutes piéces par ces Commeres qui irriterent contre lui la malade au point, qu’elle en [148] a pensé mourir de chagrin, de dépit, & de jalousie. De son côté le Marchand, honteux & confus de cette humiliante scene & de sa galanterie qui l’a occasionnée, a été, pendant quelques jours, sans oser paroitre devant elle ; & vous pouvez juger, Monsieur, par ce que je vous ai raconté ci-dessus, quelle gamme elle lui a chanté lorsqu’ils se sont revus. ◀Allgemeine Erzählung ◀Ebene 3

Comme il n’est point de Trompettes pareilles à Messieurs les Mousquetaires (à qui je crois que c’est pour cette raison que l’on n’en a point donné *1 ) ils n’ont pas manqué de publier ici partout, à leur ordinaire, cette Avanture Comique, dans la quelle ils ont joué un si plaisant rôle. On vient même de m’assurer qu’un deux l’a célébrée par un Vaudeville assez joli que je ne manquerai pas de vous envoyer aussi-tôt qu’il me sera parvenu. En attendant voici une Lettre que M. le Comte de V. . . notre Ami commun, m’a prié de vous communiquer. Elle est de son Neveu, à qui il en a surpris une Copie. Le bon homme a été si charmé des sentiments tendres & delicats qu’elle contient, & que ce jeune & aimable Officier ressent pour Mademoiselle M. G. qui est aussi de votre connoissance, qu’il s’est persuadé que vous la liriez avec plaisir.

Lettre

D’un jeune Officier à Mlle M.G.

Ebene 3► Brief/Leserbrief►

Mademoiselle,

« Il est si rare de vous rencontrer seule, & ces occasions sont si courtes lorsqu’elles se présentent, que je me trouve obligé d’emprunter le secours de la plume pour vous faire part de mes sentimens. Si l’Amour qui les anime, [149] n’étoit fondé sur l’estime la plus sincère & sur le respect le plus profond, je n’aurois jamais osé vous les découvrir ; Mais pourquoi craindrois-je de vous en faire l’aveu ? L’Amour, quand il est raisonnable, soumis, tendre & respectueux, est l’ouvrage même du sage Auteur de la Nature, & je ne vois pas pourquoi on devroit rougir d’un sentiment pour le quel nos cœurs semblent avoir été formez : La Nature l’exige ; la Raison l’approuve ; la Religion le perfectionne. Daignez donc accepter l’hommage que je rends à vos vertus & à vos charmes, belle & sage M. G. ; Daignez favoriser d’un doux acceuil l’entier aveu que je vous fais d’une passion aussi pure & aussi vive que l’est la mienne. Vous ne pouvez l’ignorer ; Ce fut au dernier passage de notre Régiment par votre Ville que je perdis ma liberté. Vos beaux yeux & les agrémens de votre entretien me la ravirent pendant cet heureux souper, où je me trouvai chez Mr. votre Père avec le Capitaine M . . . . Des idées, que je n’avois encore fait qu’effleurer, s’emparèrent de mon esprit ; un feu, inconnu jusqu’alors, succéda à l’indifférence dans la quelle j’avois vêcu ; & depuis cet instant, votre image me suivant en tous lieux, m’a fait appercevoir que les impressions qu’elle a faites dans mon ame sont absolument ineffaçables.

Que je me livrerois avec plaisir à des pensées si délicieuses, si la connoissance que je vous donne de mon état pouvoit vous plaire ! Quelle satisfaction, quel ravissement, si votre cœur devenu sensibles pouvoit laisser quelque lieu à mes espérances ! Mais hélas ! je languis dans une incertitude affreuse ! Obsédé en tous lieux, mes yeux ont été jusqu’ici les seuls interprêtes de mon cœur, & j’attendois de lire [150] mon sort dans les votres, avant d’oser faire parler une bouche peut-être assez malheureuse pour vous déplaire. Mais il n’y avoit plus moyen de différer. Mon indifférence pour tout ce qui ne vous touche pas, commence à se faire remarquer ; mes langueurs, mon inéxactitude au service, m’exposent à plusieurs inconvéniens que je dois éviter. La perte de ma réputation, celle de ma santé deviendroient les tristes suites d’un plus long silence, & me rendroient indigne de vous. Envain, ai-je préféré de passer ici mon quartier d’hyver, au plaisir d’aller revoir à Paris des parens que j’honore & qui me chérissent ; En vain, ai-je éludé toutes leurs prières par diverses raisons frivoles. Je jouis, il est vrai, du plaisir de vous voir ; Mille politesses dont vos chers Parens ne cessent de me combler, en raménent souvent les occasions ; Mais cela ne me suffit pas : Si les yeux ont sujet d’être satisfaits, le cœur ne l’est pas ; Ce n’est que dans la possession du votre que je puis goûter de vrais plaisirs ; Sans lui tout m’est indifférent. Insensible à tout ce qui n’est pas Vous, vous seule pouvez me procurer le repos & la tranquillité.

Sachez cependant, belle & vertueuse M. G. que je n’aime pas avec moins de délicatesse que de sincérité. Quelque jaloux que je sois de votre conquête, je ne veux la devoir qu’à mes soins & à votre tendresse. Un cœur partagé ne seroit pas mon affaire ; Le mien est tout entier à vous, j’exige pareillement le votre tout entier ; & c’est ce qui fait une partie de ma peine. Une jeune personne ne réünit pas les talens du cœur & de l’esprit, avec l’éclat de la beauté sans faire bien des Martyrs : D’autres auront eu des yeux ainsi que moi : [151] D’autres vous auront adorée comme moi : D’autres se seront peut-être fait écouter. Ah ! si cela étoit . . . . Mais pourquoi me plaindre ? De quel droit exigerois-je que vous vous fussiez conservée pour moi ? Tant de gens l’emportent sur moi en mérite, en biens, que si j’osois espèrer quelque préférence, ce ne seroit qu’en faveur de ma sincérité & de ma constance : C’est en cela que je fais gloire de ne céder à personne ; en douter, seroit me faire la plus criante injustice. Il s’agit donc, Mademoiselle, d’être aussi franche avec moi, que je suis sincere avec vous. Sans blesser les loix les plus sévères de la plus exacte bienséance, vous pouvez dire que votre cœur est pris, s’il l’est en effet. Ce cœur est à vous & à vous seule : C’est à vous d’en disposer comme il vous plait ; & si vous l’avez fait en faveur de quelqu’autre, je l’apprendrai sans me plaindre que des destinées : Mon cœur en souffrira, mais j’aurai soin de vous cacher ses murmures. En un mot, si je ne puis être à vous, l’absence la plus prompte, vous délivrera de moi, & j’irai loin de vous pleurer mes malheurs. Mais si ce Cœur est libre encore, (oserois je le croire !) Si ce cœur ne sent aucune repugnance à s’unir au mien, pourquoi refuseriez vous aussi de me le dire ? C’est le propre d’un caractère généreux, d’être sincère & ouvert ; & ce n’est qu’une Politique dépravée qui peut ordonner de feindre. Ne la suivez jamais cette Politique détestable : Que votre bouche soit le véritable Echo de votre Cœur. On ne doit jamais rougir que de ce qui déshonore, & l’Amour dans une Ame vertueuse est le plus noble & le plus excellent de tous les sentiments. Sentez surtout combien il est beau de soulager les malheureux.

[152] Quelque soit votre réponse, elle ne peut que produire de bons effets. S’il n’est plus en votre pouvoir de répondre favorablement à mes desirs, pour peu que vous aïez de compassion & d’éstime pour moi, vous ne devez pas souffrir que je m’obstine inutilement à tenter l’impossible. Si vous êtes disposée à m’écouter, pourquoi me laisseriez-vous flotter entre l’espérance & la crainte ? Décidez donc de mon sort : Vous en êtes l’arbitre désormais. Ordonnez de mon bonheur ou de ma misére. Puissiez-vous vous laisser toucher par mon respect, & par ma tendresse ! Toutes les circonstances se réünissent pour moi. Nos Familles sont égales : Mon Bien, se bornât-il à la moitié du votre, s’égalisera par la pension du Roi. Nos âges conviennent parfaitement : Nos humeurs sympathisent. D’ailleurs, mes amis sollicitent à la Cour le poste de Commandant de St. . . . . . qui n’est qu’à trois lieües d’ici ; ainsi vous ne sortiriez pas du sein de votre famille. Tant d’heureuses conjonctures se réuniroient-elles envain ? Seroit-il dit qu’un amour sage & prudent auroit une issue moins favorable que n’en ont souvent des passions bouillantes & capricieuses que la Raison condamne ? De mon côté je suis Majeur, & je ne dépens que de sages parens qui ne s’opposeront jamais à des vües aussi justes que le sont les miennes ; les votres vous chérissent trop pour vous gêner : C’est donc de vous seule que j’attens désormais une réponse qui sera ma félicité ou mon malheur. Ah ! si tous mes sentimens vous étoient connus ! Si vous connoissiez l’ardeur, la sincérité, la fidélité, . . . . Prononcez, Prononcez, trop aimable M. G. guérissez les plaïes que vous avez faites vous même ; Ah! Rendez moi mon cœur ! Ah ! rendez moi mon Cœur ! Ou donnez moi le Votre ». ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 3

Que l’Amour seroit une passion aimable & belle, si toutes les flammes dont il embrase nos cœurs, & si toutes les démarches qu’il nous fait faire, étoient aussi honêtes que celles qui sont exprimées dans cette charmante Lettre ! Ce seroit alors qu’on seroit bien en droit d’imposer silence aux Moralistes… Mais, non ; je me trompe ici moi même, car ils n’auroient plus alors rien à dire contre cette passion. Mais qu’il s’en faut que toutes les personnes qui en sont atteintes ayent des sentiments aussi epurez, aussi honêtes, & aussi respectueux pour celles qui en font l’objet ! Les Anecdotes, & Avantures galantes que nous voyons tous les jours arriver, ne justifient que trop ma réflexion.

J’ai l’honneur d’être, &c.

Paris ce 28. Janvier 1751.

◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 2

Jeudi ce 4. Fevrier 1751.

◀Ebene 1

1* Quoique les Mousquetaires soient du Corps de la Cavalerie de la maison du Roi, ils n’ont cependant ni Trompettes ni Timballes, mais des Tambours comme les Dragons.