Zitiervorschlag: Anonyme (Joseph Marie Durey de Morsan) (Hrsg.): "N°. 10.", in: La Bigarure, Vol.7\010 (1750), S. 73-80, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4731 [aufgerufen am: ].


Ebene 1►

N°. 10.

Ebene 2► Brief/Leserbrief► Dans le recit de la mort Tragique de la Demoiselle Grenier, Actrice de la Comedie de Bourdeaux, dont je vous ai fait part dans quelques unes de mes Lettres, vous avez vu, Monsieur, les funestes & ordinaires suites du libertinage *1 . La Troupe des Comediens de Paris m’offre aujourd’hui une histoire, à peu près du même goût, dans la personne de deux de ses Acteurs dont l’un vient d’être la malheureuse Victime de la jalousie & de la folle vanité de l’autre. Fremdportrait► Le premier s’apelloit Roselli. C’étoit un de ces Comediens qui, prévenus en faveur de leurs talents, quoique bien souvent très médiocres, brulent d’envie de se charger des plus grands rôles, & qui n’ont d’autre mérite, que de se sentir beaucoup de bonne volonté, ce qui ne suffit pas au Théatre ; en un mot, c’étoit un de ces Acteurs dont les talents n’annoncent rien de fort merveilleux. Sa figure, sa taille, & sa démarche, n’étoient rien moins que nobles, sa déclamation rien moins que belle & exacte, & ses gestes étoient fort mal assortis. ◀Fremdportrait Il y avoit néanmoins de certains rôles dans les quels il plaisoit ; & la Reine aimoit beaucoup à lui voir jouer celui de Télémaque dans la Tragedie de Penelope.

Des talents si bornez, & des succès si mediocres lui avoient cependant attiré la jalousie & la haine d’un autre jeune Comedien assez aplaudi, & [74] goûté du Public. Ce dernier ne pouvoit entendre, sans une indignation mefiée de fureur, les applaudissements que l’on donnoit quelquefois à Roselli. Pour les lui enlever, il lui disputoit continuellement certains rôles, dans les quels il se flattoit de mieux réussir que lui. Ces disputes avoient fait naitre entre les deux Concurrents une animosité dont leurs confreres avoient souvent prévenu les suites. Croiroit-on, Monsieur, qu’il y eût dans le monde des hommes assez Enfans, ou assez depourvus de raison pour faire, de semblables puérilitez, les motifs de la haine la plus forte & la plus irréconciliable ! L’experience cependant ne démontre que trop que la chose arrive très souvent parmi cette sorte de gens. J’en apelle sur cela au temoignage de ceux qui les connoissent & frequentent. Roselli, & son rival, semblables en ce point aux deux plus grands Héros de Rome (Pompée & César) dont l’un

Zitat/Motto► Ne vouloit point d’egal, & l’autre point de Maitre, ◀Zitat/Motto

ces deux Rivaux, dis-je, maigrissoient des succès de l’un & de l’autre ; & la Jalousie qui les dévoroit ne leur laissoit pas un moment de tranquilité. Se voyoient-ils, se rencontroient ils au Théatre, dans les Foyers, à l’Assemblée, aux Répétitions, aux Répertoires, c’étoient toujours des altercations, des disputes, & des querelles dont on avoit toutes les peines du monde à arrêter les suites. Semblable à ce Monstre horrible dont un ancien Poëte nous a fait un portrait aussi hideux, qu’il est ressemblant, leur Ame en proye à l’Envie & à la Jalousie soufroit réciproquement les plus cruelles tortures.

Ebene 3► Si quelque heureux succès venoit à leurs oreilles,

C’étoient des desespoirs, des rages sans pareilles ;
Ils en sechoient tous deux, & leur esprit jaloux
Des traits qu’ils se lançoient sentoient les premiers coups ;
[75] Ainsi par-là toujours livrez à la malice
Eux mêmes ils faisoient leur peine & leur suplice. (a2 ) ◀Ebene 3

Il n’étoit guére possible que deux hommes, qui se trouvoient dans de pareilles dispositions, n’en vinssent pas, à la fin, à une rupture ouverte, & à quelque violente extrémité. Ce fut aussi ce qui arriva ; & voici de quelle maniere la chose s’est passée. Sur la fin du dernier voyage que la Cour a fait à Fontainebleau, la Reine ayant demandé une representation de la Tragedie de Pénélope, & que Roselli y jouât le rôle de Télémaque, préférablement à son rival, ce dernier en conçut un dépit si violent, & le marqua si indignement par deux souflets qu’il donna à Roselli, en sortant de ce Spectacle, que quelque accommodement & quelque mediation qu’on y ait pu employer, ils n’ont pu se racommoder sincerement.

Brulant donc tous les deux de se venger, l’un de l’affront qu’il avoit reçu, l’autre de l’honneur des applaudissements, qu’il avoit trouvé fort mauvais que son rival lui eut enlevé à la Cour, ils résolurent, de part & d’autre, d’en tirer satisfaction, & de vuider cette affaire à la pointe de l’épée. C’est ce qu’ils ont fait, quelque tems après leur retour à Paris. S’étant pour cet effet donné parole, la semaine derniere, ils se trouverent sur le pré, mirent flamberge au vent & ferraillerent pendant quelque tems ; mais Roselli n’a pas eu le bonheur de se deffendre aussi bien, que de bien déclamer. Deux coups d’épée que son Rival lui a donné au travers du corps l’ont envoyé dans le Royaume de Pluton donner la Comedie aux Ombres infernales. Son corps a été publiquement exposé à la Morne, & de là tranferé <sic> à la Grenouillere [76] qui est ici le lieu de la Sepulture de nos Comediens lorsqu’ils n’ont pas, avant de mourir, renoncé à leur profession. Après ce beau coup de Théatre, coup qui dans tous les Etats bien policez, mene son Acteur au Gibet, s’il tombe entre les mains de la Justice, celui-ci n’a evité ce juste châtiment, qu’en prenant promptement la suite, & en quittant le Royaume où l’on ne croit pas qu’il reparoisse jamais.

Ne voilà-t-il pas un jeune fou bien avancé, & un motif bien grave & bien pressant pour insulter, affronter, & tuer enfin un homme ? « Il mérite la mort, par ce qu’il a joué, avec applaudissement, à la Cour, un rôle de Théatre que j’y voudrois jouer, & que ma vanité me fait croire que je jouerois mieux que lui ! » En quel endroit du monde sensé & policé un tel écervelé poura-t-il trouver un asile, & quel est le Souverain, assez ennemi de ses Sujets, qui voudra soufrir dans ses Etats de pareils enragez ? La vie d’un Citoyen depend-elle donc de la fantaisie & de la brutalité d’un fat qui, parce qu’il joue, sur un Théatre, des rôles de Rois & de Princes, s’imagine apparemment l’estre, & oublie ce qu’il est dans la réalité, quoique les siflets du Public l’en fassent de tems en tems ressouvenir ? Si cet étourdi & tous ceux qui peuvent lui ressembler étoient capables de quelques réflexions, il ne faudroit, pour les corriger, que les renvoyer au grand Livre de l’Experience, dans le quel ils verroient, d’avance, quel doit être leur funeste sort. Ils y apprendoient, par des milliers d’exemples, que la Vengeance Divine, qui ne perd jamais de vue les homicides, permet, presque toujours, qu’au moment qu’ils y pensent le moins, ils trouvent leurs Maitres, & périssent enfin malheureusement, comme ils le méritent. Raro antecedentem scelestum deseruit pede pœna claudo.

A propos de Héros de Théatre, le Héros bien réel, que notre France vient de perdre, ne [77] cesse point d’occuper ici nos Poëtes qui continuent toujours leurs Jérémiades sur la mort de ce grand homme. Outre les Vers composez à sa louange, que nous vous avons déja envoyez, en voici de nouveaux que je crois, Monsieur, qui pouront vous faire plaisir.

Vers

Sur la mort du Marechal Comte de Saxe.

Ebene 3► Quoi ! le même Heros qu’on vit à Fontenoi

Echaper à la mort pour courir à la Gloire,
Pour fixer dans nos Camps l’Honneur & la Victoire,
Du moindre des Mortels a donc subi la Loi l . . .
Rien n’a pu t’arrêter, o trop cruelle Parque,
Ni les vœux des Sujets, ni l’amour du Monarque ;
L’Art même de Senac n’a pu te secourir ! . . .
Ma Muse, au désepoir <sic>, ne peut plus se contraindre !
Heros du second ordre apprenez à mourir ;
Maurice ne vit plus !.... Oseriez-vous vous plaindre ? ◀Ebene 3

La Bruyante affaire du Clergé, dont je vous ai plusieurs fois entretenu dans mes Lettres n’a point encore ici lassé le Public, & encore moins nos Auteurs qui écrivent tous les jours sur ce sujet. Ils ne se contentent pas de le faire en Prose, leur Verve Poëtique, & même Satirique, s’exerce encore sur cette interressante affaire. Voici deux de leurs nouvelles productions qui ne m’ont pas paru absolument mauvaises. La premiere fait allusion à un petit Ouvrage fait sur cette matiere, intitulé La voix du Prêtre, que je vous ai envoyé il y a quelques mois *3 .

Epigramme.

Ebene 3► Quand l’Auteur Presbiterien

Dit que l’Evêque est un vaurien.
Il parle mieux qu’homme de France ;
Mais il s’exprime encor fort bien
Quand il dit, que la difference
Du Prêtre à l’Evêque n’est rien. ◀Ebene 3

[78] La seconde petite Piéce, qui me paroit être l’ouvrage de quelque Poëte Janseniste, est beaucoup moins mordante, & par cette raison elle sera plus du goût des devots & des devotes. En cas qu’il s’en trouve dans votre aimable societé (car il y a de ce ces gens là partout) ce sera pour les uns, ou les autres, un petit régal qui leur fera plaisir.

Vers

Sur l’affaire du Clergé de France, à l’occasion de l’imposition du vingttième Denier, à la quelle on l’a voulu assujettir.

Ebene 3► De tout tems l’Autel & le Trône

Se doivent des soins mutuels.
L’Autel affermit la Couronne,
Le Trône soutient les Autels.
Entre cette double Puissance
Il est un lien respecté :
Ce lien soutient la Balance
Et maintient la tranquilité.
Cet Equilibre nécessaire,
Quoique fort, est très délicat.
La main d’un Ministre d’Etat
Doit être sçavante & légere
Pour en manier les ressorts
Et n’en point rompre les accords.
Plaise à Dieu, par son entremise,
Si bien inspirer nos Prélats,
Que le Roi soit dans les Etats
Ce que le Pape est dans L’Eglise ! ◀Ebene 3

Quoique, pour l’ordinaire, on ne s’occupe pas ici fort long-tems du même évenement, par ce que se succedant en très grand nombre ils se chassent, pour ainsi dire, les uns les autres, il en est cependant de prédilectionnez aux quels on revient de tems en tems, & qu’on se fait un plaisir de se rappeller. Telle est l’Avanture presque incroyable, & pourtant très veritable, de M. l’Homme, Echevin de cette Capitale, dont je vous ai déja [79] parlé*4 , dont le Procès Criminel se continue toujours. Voici encore un Vaudeville que cette Avanture vient de faire éclore. Il est sur un Air qui ne vous déplaira pas, & contient une Morale Satirique dont bien des gens pouront profiter.

Nouveau Vaudeville5

Sur l’Avanture de M. L’Homme.

Ebene 3► Satire► Qu’un étourdi prodigue ses ducats,

Et qu’un fanfaron l’accompagne
A sabler le Vin de Champagne,
Cela ne me surprend pas ;

Mais qu’un Bourgeois que dans l’œuvre ( 6 ) on mitonne,

Un homme qu’on croyoit Divin,
Pour avoir trop lampé de vin,
Perde le titre d’Echevin,
C’est-là ce qui m’étonne.

Qu’un bon Papa, fuyant les grands éclats,

A la tête de sa famille,
Accepte un gendre pour sa fille ;
Cela ne me surprend pas.

Mais qu’un Barbon, dont tout Paris raisonne,

Par maniere de passetems,
Donne l’exemple à ses enfans
[80] D’aller assassiner les gens ;
C’est-là ce qui m’etonne !

Qu’un Cadedis fasse bien du fracas

En arrivant de la Garonne,
Et vante sa sotte personne ;
Cela ne me surprend pas.

Mais qu’un Marquis, de Noblesse assez bonne

Dans le seul genre masculin, *7
Pour faire tort au feminin,
S’empare de l’Esprit malin, †8
C’est-là ce qui m’étonne !

Qu’une Beauté, de ses naissants appas

Qu’un libertin met au pillage,
Venge sévérement l’outrage ;
Cela ne me surprend pas.

Mais que Themis, qui si souvent pardonne

Pour peu qu’on lui graisse la main,
Pour une ci-devant Catin
Veuille proscrire un Echevin ;
C’est-là ce qui m’étonne !

Qu’un Magistrat pâlisse sur Cujas, (a9 )

Et pour protéger l’innocence,
Epuise son or, sa science ;
Cela ne me surprend pas.

Mais qu’au Palais, pour venger sa Mignone,

Il fasse pour cette guenon,
Digne éleve de la Fillon,
Cent fois vilipender son nom ;
C’est là ce qui m’étonne !

Que l’Orphelin trouve des Avocats,

Et que la Veuve qu’on opprime
Trouve un Défenseur qu’on estime ;
Cela ne me surprend pas.

Mais qu’une Iris, dont l’amour s’abandonne

Au premier Amant importun,
Pour deffendre un bien si commun,
En trouve cinquante pour un ;
C’est là ce qui m’étonne ! ◀Satire ◀Ebene 3

J’ai l’honneur d’être, &c.

Paris, ce 31 Decembre 1750.

◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 2

Jeudi ce 7, Janvier 1751.

◀Ebene 1

1* Voyez les pages 105 & 110 de notre Tome V. & les pages 99 & 102. du Tome VI.

2(a) Non fruitur somno vigilacibus excita curis, Sed videt ingratos, intabescitque videndo, Successus hominum ; carpit que, & carpitur unà, Suppliciumque suum est. Ovid. Metamorph. Lib. II. ad fin.

3* Voyez notre Tome V. pag. 66. & suiv.

4* Voyez notre Tome VI. pag. 17. 81. 83. 87.

5Note des éditeurs: Dans le texte original, cette chanson est accompagnée des notes que nous n’avons pas pu copier dans cette édition digitale.

6(a) C’est le nom que l’on donne au banc distingué que nos Marguilliers occupent dans les Eglises.

7* C’est un des Acteurs de la Lubrique & insolente Scène qui se passa aux Carrieres chez la Mazarelli. Voyez la pag. 83 de notre Tome VI.

8† Allusion au Conte de Mr. De la Fontaine, intitulé le Diable en Enfer.

9(a) Celebre Jurisconsulte dont les sçavants Ouvrages sur la Jurisprudence ont été imprimez, dans le siecle dernier, en neuf Vol. in sol.