Zitiervorschlag: Anonyme (Joseph Marie Durey de Morsan) (Hrsg.): "N°. 2.", in: La Bigarure, Vol.7\002 (1750), S. 9-16, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4723 [aufgerufen am: ].


Ebene 1►

N°. 2.

Ebene 2► Brief/Leserbrief► Je vous ai promis, Madame, de vous faire part d’une seconde Avanture arrivée tout recemment en Hollande. Je vous tiens parole. La voici telle qu’elle a été mandée à mon Frere par un de ses Amis qui est dans ce païs-là.

Ebene 3► Brief/Leserbrief► De Leyden *1 ce 26 Novembre 1750.

« Comme je ne doute point, Monsieur, que parmi les personnes de votre connoissance il n’y en ait un assez grand nombre qui s’imaginent que ce n’est qu’à Paris, ou en France, que les Dames sҫavent jouer de jolis tours aux Cavaliers qui prennent de trop grandes libertez avec elles, j’ai cru devoir vous faire part d’une Avanture qui vient d’arriver dans ce païs, & qui poura les faire revenir de cette fausse prévention.

Pour vous bien mettre au fait de l’Histoire, & de toutes ses circonstances, vous voudrez bien vous rapeller, Monsieur, (car je ne crois pas que vous l’ignoriez) que la Voiture ordinaire, lorsqu’on voyage dans ces Provinces Aquatiques, est celle des Barques. Cette Voiture est très commode en ce qu’elle n’est point fatigante, & assez agréable d’ailleurs [10] quand on a le bonheur d’y trouver bonne compagnie, ce qui arrive presque toujours lorsqu’on y prend sa place dans une Chambre particuliere que les Hollandois nomment Roef, Chambre qui est ordinairement occupée par les Dames, & par toutes les personnes de faҫon. Comme il part tous les jours, & presque à à <sic> toutes les heures, un grand nombre de ces Barques (car je ne crois pas qu’il y ait de païs dans le monde où l’on voyage plus, que dans celui-ci) il arrive quelquefois que toutes les places de ces Chambres ne sont pas remplies, & qu’il ne s’y trouve que deux ou trois personnes. Ebene 4► Allgemeine Erzählung► Ce fut ce qui arriva, il y a quelques jours, à une jeune Dame, des plus aimables de cette Ville, que quelques affaires apelloient à Delft ( )2 qui n’est qu’à trois lieues d’ici. Cette Dame avoit avec elle deux Laquais qui, selon la coutume, se mirent dans la Barque, avec le reste des Voyageurs.

Au moment qu’elle alloit partir, & que le Chasseur ( )3 n’attendoit plus que le signal du Batelier pour se mettre en marche, arrive un jeune Officier Gascon qui, depuis quelques années, est au service de la Republique. Les gens de cette Province-là, comme vous le sҫavez, Monsieur, se fourent partout,

Ebene 5► Mieux que chez eux comme partout ils sont,

Peu leur importe où le hazard les meine.
[11] Des autres gens le Domaine est borné
A quelque coin acquis avec grand’ peine,
Ou qu’en naissant le Ciel leur a donné ;
Mais d’un Gascon le Monde est le Domaine.
◀Ebene 5

Aussi cette Republique en a-t-elle beaucoup à son service. Celui-ci, qui avoit aussi quelque affaire à Delft, demande au Batelier s’il y a place pour lui dans son Roef. Sur sa réponse, il entre, & va se placer auprès de la jeune Dame Hollandoise à qui il fait beaucoup de civilitez, article sur le quel les Gascons ne sont pas chiches.

La coutume des Voyageurs, dans tous les païs, & plus encore dans la Hollande que par-tout ailleurs, est d’être extrêmement sérieux pendant le premier quart d’heure. Le jeune Officier ne put pas tenir si long-tems sa gravité, ni sa langue, surtout quand il eut envisagé la Dame près de la quelle il étoit assis, & qui étoit d’une grand beauté. Il entame la conversation par l’ouverture de sa Tabatiere qu’il presente, d’un air des plus gracieux, à son aimable Compagne de Voyage. Comme cette politesse est sans conséquence, la Dame prend de son Tabac, & le remercie fort civilement. Insensiblement la conversation se lie ; & la Belle Hollandoise paroit y prendre du plaisir. Notre Gascon s’en aquite des mieux.

Ebene 5► De riens galants, de tendres bagatelles

Il entretient cette Reine des Belles,
Vante surtout ses Celestes attraits
Qui dans le cœur lui lancent mille traits ;
Puis comme il faut lui parle de lui même,
Il est, dit-il, homme de qualité ;
[12] Un tel Seigneur est de sa parenté ;
Le Prince même en fait grand cas, & l’aime.
Lors, se faisant d’une opulence extrême,
Il lui décrit Terres, bien paternel,
Châteaux, Etangs, du côté maternel,
Sans y comprendre un bien aussi réel
Qu’un sien parent lui fait encore attendre.
D’un Régimeut <sic> il se fait Colonel ;
Ce Régiment fait garnison en Flandre
Où dans huit jours, dit-il, il doit se rendre….
Mais, dans l’état où n’ont mis vos appas
Dont le pouvoir me laisse sans deffense,
Ajoute-t-il, puis-je m’y rendre, helas ! . . .
Non, c’en est fait, je ne m’y rendrai pas,
Et vais en Cour en demander dispense,
Pour n’adorer que vos perfections.

A la fleurette il joint d’autres machines,

Roulements d’yeux, gesticulations,
Propos tronquez, des soupirs, & des mines,
Et des serments, & des contorsions ;
Tel qu’un Barbet qui fait sur le rivage
Supercherie aux habitants des eaux,
Qui saute, danse, & par son badinage
Livre au Chasseur les credules Oiseaux.

Notre Hollandoise entendoit raillerie,

Et n’étoit pas de ces Dragons d’honneur
Que les douceurs font entrer en furie.
Elle sourit, & de son surborneur.
Sans s’emouvoir, ecoute la légende.
Mais ayant vu que l’Aggresseur urgent
Poussoit trop loin l’amour de contrebande,
Et que c’étoit à bon jeu bon argent,
Que dans ses yeux une flame impudique
Manifestoit les insolens desseins
De l’Officier, & qu’à sa Rhetorique
Il ajoutoit l’éloquence des mains,
Pour réprimer son ardeur trop grivoise,
Elle médite un tour de fa, <sic> façon
[13] Pour lui montrer que femme Hollandoise
En sҫait assez pour duper un Gascon.

Gens du bel air s’enoncent à merveilles,

Repond la Belle avec un doux regard ;
Mais ce lieu-ci peut avoir des oreilles ;
C’est une affaire à traiter à l’écart.
Sortant d’ici vous sҫaurez ma pensée
Sur vos propos & sur le prompt amour
Dont mes attraits ont votre ame embrasée,
Et vous verrez, Monsieur, à votre tour,
Jusqu’à quel point la mienne en est blessée, ◀Ebene 5

Comme l’amour propre vient toujours nous flatter, l’Officier ne douta pas un moment que sa déclaration n’eût été bien reçue. Plein de cette flateuse esperance, il continua, pendant toute la route, à conter à la Dame (mais d’un ton un peu plus modeste) son amoureux martire. De son côté, la Dame l’écoutoit d’une façon à l’entretenir dans ses folles idées. Pour l’y mieux affermir encore, elle lui fit accroire qu’elle étoit un jeune Veuve fort riche, maitresse de ses volontez, & qui ne seroit nullement éloignée de contracter un second engagement si l’Amour lui presentoit encore un Mari tel que celui qu’elle avoit eu le malheur de perdre. A cette déclaration peu s’en fallut que notre Officier Gascon ne devint fou. Il lui renouvella les protestations d’Amour qu’il lui avoit déja faites, & dont la Dame rioit beaucoup dans le fonds de son ame.

Cependant la Barque arrive à Delft, sur les six heures du soir. Le Gascon, impatient de sҫavoir où cette Avanture le meneroit, fit ressouvenir la Dame de la parole qu’elle lui avoit donnée : Je ne l’ai point oubliée, lui dit-elle ; & pour mieux vous le prouver, Monsieur, vous [14] me ferez l’honneur de venir avec moi. Un Carosse qui se trouva à la descente de la Barque, & deux Laquais, qui en sortirent pour venir prendre les ordres de leur Maitresse, lui confirmerent ce qu’elle lui avoit dit de son état & de ses richesses. Enchanté de sa bonne fortune notre Gascon étoit au comble de sa joye, & se promettoit deja une nuit des plus heureuses que l’Amour ait jamais procurée à ses plus chers favoris. Il s’en falloit cependant de quelque chose, Monsieur comme vous l’allez voir.

En effet, la Dame, ayant fait prendre les devants à un Laquais, à qui elle dit quelques mots à l’oreille, elle fit avertir de même le Cocher de l’endroit où il faloit aller. Celui-ci après avoir fait, à dessein, plusieurs tours dans la Ville dont notre Officier connoissoit peu les rues, le conduisit dans une maison où il ne s’attendoit sûrement pas d’aller. La Dame, qui avoit fait avertir le Portier de cette maison, fut introduite, avec le galant, dans un salon fort propre que celui-ci prit pour un de ses appartements. Elle l’y laissa, sous prétexte d’aller changer d’habits & de se mettre plus à son aise ; mais ce ne fut que pour aller parler au Pere, ou Directeur, de cette maison à qui elle recommanda le sujet qu’elle venoit de lui amener. C’est un jeune Officier de tres bonne famille, lui dit-elle, à qui malheureusement l’Amour a fait tourner la tête, & dont la plus grande folie est de croire que toutes les femmes sont folles de lui. Cette idée lui a fait faire quantité d’extravagances, qui nous ont obligé de le faire enfermer dans cette maison d’où il ne manquera pas de chercher à s’échaper dès-qu’il ne me verra plus. Il a falu que je me sois prêtée au stratagê- [15] me qu’on a employé pour l’amener ici, où vous pouvez bien croire qu’il ne seroit jamais venu s’il avoit sҫu où on le conduisoit. Je sors pour un moment, & retourne au Logis où, par inadvertence, j’ai oublié la permission qu’on a obtenu du Conseil de Guerre de le faire enfermer ici jusqu’à ce que l’on voye si l’esprit poura lui revenir. En attendant ayez-en bien soin jusqu’à ce que je revienne. S’il s’avisoit de vouloir faire le mechant, ce qui ne lui est pourtant pas ordinaire, vous sҫavez comment on range ces sortes de personnes ; Au revoir. En achevant ces mots elle remonte dans son Carosse, & laisse-là M. l’Officier qui l’avoit si bien galantisée pendant le Voyage.

Cependant notre Gascon l’attendoit avec toute l’impatience qu’on sҫait être ordinaire aux Amants lorsqu’ils sont en bonne fortune. Enchanté de la sienne, celui-ci s’en felicitoit, & bâtissoit mille Châteaux en Espagne, vraiment dignes de la maison où l’on venoit de le renfermer. Après en avoir bien repu son imagination, il commenҫa à s’ennuyer de ne point revoir la Belle dont il demanda des nouvelles au Directeur de la maison qui vint voir s’il ne lui manquoit rien. L’Officier, le prenant pour son Intendant, ou son Maitre d’Hôtel, l’interroge sur la qualité, les revenus, & la famille de l’aimable Maitresse dont il lui exalte la beauté & les perfections plus qu’humaines. Ces questions & ces louanges, qui parurent des plus deplacées au Directeur, le confirmerent dans l’idée que la jeune Dame venoit de lui donner de son nouveau pensionnaire. Comme il faut feindre d’entrer dans les extravagances des foux, pour ne pas empirer leur mal, il repond à l’Officier qu’elle alloit revenir, & qu’en attendant elle lui avoit donné ordre de ne le [16] laisser manquer de rien ; qu’en conséquence il n’avoit qu’à ordonner. Le Gascon lui replique qu’il ne lui appartient pas de prendre tant de liberté dans la maison d’une si grande & si belle Dame, & qu’il sera assez tems de servir lorsqu’elle viendra.

Cependant sept, huit, neuf heures sonnent, & la Dame ne paroit point. Notre galant commence à s’impatienter tout de bon, & même à soupҫonner qu’elle pouroit bien lui avoir joué quelque tour. Pour s’en eclaircir, il sonne une clochette qu’il trouve sur la Table. Un Valet lui vient demander ce qu’il souhaite, & lui annonce qu’on va servir dans le moment. Ces derniers mots font renaitre toutes ses esperances. Il se flatte qu’il va recueillir, dans ce charmant tête-a-tête, le fruit de sa galanterie. Ces voluptueuses idées furent comme le prélude des plaisirs qu’il se promettoit de goûter. Mais l’un & l’autre s’évanouit comme un Eclair lorsque, quelques moments après, il vit rentrer le même Domestique, qui lui apportant son souper, ne mit sur la Table qu’un seul couvert. Frapé d’un étonnement qu’il est plus aisé de se figurer que de bien décrire, il demande si Madame ne lui fera pas l’honneur de souper avec lui . . . . Dialog► De quelle Dame parlez-vous, Monsieur ? lui repliqua le Valet : Ce n’est pas l’usage dans cette maison que les femmes mangent avec les hommes. Vraiment, poursuivit-il, cela feroit un beau Charivari, & il en arriveroit, je crois, de fort jolies choses. Vous aurez, par conséquent, la bonté de vous en passer pour ce soir, & tout le tems que vous avez à demeurer ici. Vous aurez sans cela, assez de gens qui vous y divertiront par leurs folies. ◀Dialog ◀Allgemeine Erzählung ◀Ebene 4 ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 3 ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 2

La Suite dans le Numero suivans <sic>. ◀Ebene 1

1* Ville de la Hollande, très considérable par le nombre de ses habitants, par ses Manufactures, par son Académie, & par les grands hommes qu’elle a produits.

2(a) Autre Ville de la même Province, qui n’est guére moins considérable que la précédente, surtout par les grands hommes qui y sont nez. C’est la Patrie du celebre Hugues Grotius.

3(b) En Hollandois Jager, & en Franҫois Chasseur. C’est le nom que l’on donne ici à ceux qui chassent & conduisent les Chevaux par qui ces Barques sont trainées.