Zitiervorschlag: Anonyme (Joseph Marie Durey de Morsan) (Hrsg.): "No. 3.", in: La Bigarure, Vol.6\003 (1750), S. 17-24, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4702 [aufgerufen am: ].


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No. 3.

Ebene 2► Brief/Leserbrief► Zitat/Motto► De tous côtez je suis bien malheureux !

J’ai deux Enfans ; ils m’accablent tous deux,

Et tous les jours par leur débauche infame

Font mon suplice & me déchirent l’ame *1 . ◀Zitat/Motto

Combien de Peres dans le monde tiennent un pareil discours, & font ces tristes & tardives réflexions ! Ils se les seroient épargnées, sans contredit, si, lorsqu’il en étoit tems, ils eussent veillé, comme ils le doivent, à l’éducation de leurs enfans. Mais s’en trouve-t il beaucoup qui y pensent sérieusement, & qui s’aquittent comme il faut de cette fonction la plus essentielle de la Paternité ? L’amour seul du plaisir fait naitre presque tous les hommes ; l’indolence, la Volupté & les autres passions les abandonnent ensuite à eux-mêmes, c’est-à-dire, à la méchanceté qui [18] nous est naturelle. De-là cette corruption presque générale qu’on voit dans l’Espece humaine ; De-là ce torrent de vices, ce débordement dans les mœurs, qui la rendent si méconnoissâble aujourd’hui, sur-tout dans nos jeunes-gens.

Zitat/Motto► Dans le siécle où nous sommes

Nous voyons tous les jours dégénérer les hommes ;

Car qu’est ce qu’un jeune-homme ? . . . un jaseur importun,

Un petit freluquet vuide de sens commun,

Qui court, saute, trépigne, & met toute sa gloire

A passer & les jours & les nuits à bien boire ;

Sans goût, sans politesse, etourdi, dissipé,

Qui de la bagatelle est toujours occupé,

Ami tres indiscret, Amant tres infidelle,

Plongé dans la débauche, & ne respirant qu’elle,

Qui jure, qui médit, qui prodigue son bien,

Qui n’a nuls sentimens, & ne s’aplique à rien,

Qui ne sçait observer ni raison, ni mésure,

Et qui de l’homme enfin n’a plus que la figure. (a2 ) ◀Zitat/Motto

Est-il beaucoup de Peres aujourd’hui qui, en lisant ce portrait, n’y reconnoisse pas ses enfansl <sic>, à quelques uns, & même à plusieurs de ces traits ? J’en apelle à l’Experience journaliere. Que doivent-ils, en ce cas, attendre de semblables sujets ? . . La honte, les affronts, & les chagrins mortels que M. L’hom . ., ancien Echévin de cette Capitale, vient d’essuyer de la part de deux de ses fils dont voici l’Histoire édifiante.

Allgemeine Erzählung► Ces deux jeunes débauchez, dont l’un est dans les Gardes du Corps, & l’autre est un des plus rusez Notaires qui soit peut-être dans le Royau-[19]me, firent partie, il y a quelques jours, d’aller ensemble se réjouir dans un endroit près de Paris, que l’on nomme les Carieres. Chemin faisant ils rencontrerent une Demoiselle entretenue par un Seigneur dont on ne dit pas le nom, laquelle se promenoit sur le chemin avec une compagnie. En la voyant, ces Messieurs, qui la connoissoient, en dirent quelque chose qui n’étoit pas à sa louange, & ils le dirent assez haut pour qu’elle l’entendit. Le Cavalier avec qui elle étoit fut sur le point de s’en choquer ; Mais la Demoiselle, pour prévenir les suites que la querelle auroit pu avoir, se contenta de dire : Ce sont des insolents, il faut laisser un libre cours à leurs impertinences. Comme nos gens alloient à la rencontre les uns des autres, ces Messieurs entendirent le discours de la Demoiselle. Ils s’en choquerent à leur tour, & resolurent d’en tirer vengeance ; mais leur premier projet étant de se bien réjouir, ils commencerent par-là. C’est ce qu’ils firent par un bon repas dans le quel ils s’en donnerent copieusement. Ils allerent ensuite se divertir & danser avec les aimables grisettes qu’ils trouverent dans les guinguettes de cet endroit, ce qui dura jusque vers les neuf heures du soir. Mais ni le vin, ni la bonne chere, ni la danse ne leur firent point oublier le projet de vengeance qu’ils avoient formé.

Indignez de ce qu’une Catin, disoient-ils, avoit osé les insulter, ils vont chez elle pour tirer raison de cette offense prétendue. Animez par le vin & par la debauche ils commencent par faire tapage à sa porte, que la Demoiselle n’eut garde de leur faire ouvrir. Ils s’irritent de ce refus, & menacent de l’enfoncer si elle ne la leur ouvre. Nouveau refus de la part de la Demoiselle ; nouveaux efforts de la part des deux débauchez qui [20] jettent enfin la porte à bas. Les voyant entrez dans sa premiere chambre, la Demoiselle se réfugie dans la seconde dont elle ferme & baricade la porte. Son Laquais, ayant voulu s’opposer à cette premiere violence qu’on faisoit à sa Maitresse, sur laquelle ces insolents vouloient même assouvir leur brutalité, fut presque roué de coups, & obligé de s’enfuir. Un Jardinier du voisinage, étant de même accouru pour la deffendre contre ces furieux, en fut reçu de même, & obligé de prendre aussi la fuite ; enfin ils seroient venus à bout de leur beau projet, si les deux fuyards n’avoient pas été promtement avertir le Guet.

Celui-ci étant accouru chez la Demoiselle, les deux Maitres libertins furent obligés de renoncer à leur entreprise, & s’enfuirent à leur tour. Mais comme ils étoient connus l’un & l’autre pour ce qu’ils étoient, on fit le lendemain les informations usitées en de semblables affaires, & l’on procéda contre ces Messieurs dont l’Histoire se répandit bien-tôt dans tout Paris. Voici les suites qu’elle a eu. Le Corps de Ville, ayant été instruit de cette violence, a rayé M. L’hom . ., leur Pere, du Registre des Echevins ; affront le plus grand, & le plus sensible, qu’on puisse faire à cette espece de Magistrats. De leur côté, les Notaires de Paris se sont assemblez, & par le résultat de leurs déliberations, ont obligé leur jeune Confrere à se défaire de sa charge comme s’étant rendu indigne de la posseder & de l’exercer ; enfin, pour arrêter les suites fâcheuses que pouvoit encore avoir cette affaire, que le Seigneur insulté dans la personne de sa Maitresse vouloit poursuivre dans la derniere rigueur, on l’a accommodée moyennant la somme de cinquante mille livres qui a été accordée à la Demoiselle insultée, outre celle de huit cens livres, [21] qui a été pareillement payée à chacun des deux battus, c’est-à-dire, à son Laquais & au Jardinier qui étoient accourus pour la deffendre de leur violence. ◀Allgemeine Erzählung

Voilà, Monsieur, une sotise payée bien chérement ; mais les uns & les autres ne méritoient-ils pas bien cette punition ? On plaint beaucoup ici Monsieur l’ancien Echevin. Quelques personnes même murmurent de l’affront sanglant qui lui a été fait à cette occasion ; Mais ceux qui le trouvent mauvais ignorent, apparemment, que les Romains avoient une Loi, que nous lisons encore aujourd’hui dans leur Histoire, par la quelle ils punissoient sur les Peres les fautes que faisoient leurs enfans, Loi fondée sur l’Equité & sur la Raison, puisqu’ils en doivent être regardé, & qu’ils en sont réellement, presque toujours, la premiere cause. Si l’on punissoit ainsi toutes celles que font aujourd’hui nos jeunes-gens, le nombre des débauchez ne seroit pas si grand qu’il l’est. Profitez de l’exemple, Peres qui lirez ceci ; Et vous jeunes gens profitez de cet autre qui ne vous sera pas moins utile.

Une des principales causes de la débauche que l’on remarque aujourd’hui dans notre Jeunesse, est la lecture de certains Livres obscenes que quelques misérables Auteurs repandent, de tems en tems, dans le Public. Le nombre de ces infames Ouvrages s’est extrêmement multiplié depuis quelques années ; & malgré l’attention & la sévérité du Magistrat qui exerce ici la Police, on n’en voit encore que trop paroitre tous les jours. Ce qu’il y a de plus étrange en ceci, c’est que ces Livres sortent, bien souvent, des mains de personnes dont on devroit attendre tout autre chose. Vous en jugerez ainsi par la capture qu’on vient de faire d’un de ces Ecrivains. Vous y verrez en [22] même tems les sages & extraordinaires précautions que prend ici notre Magistrat pour ne point confondre, en ces rencontres, l’innocent avec le coupable.

Exemplum► Cet Ecrivain se nomme Alegre. Il étoit ci-devant de la Congregation de la Doctrine Chretienne, nouvel Institut plus connu ici sous le nom de Doctrinaires. Qui jamais auroit cru qu’un pareil sujet eût dû infecter le Public d’ouvrages aussi dangereux que detestables ! Le jeune Pere Alegre, faute, sans doute, de prudence & de discretion, en fut soupçonné par la Police qui a ici l’œil à tout. Soit qu’il s’aperçut des soupçons que l’on avoit, ou par quelqu’autre motif, il quitta Paris, & prit pour cela le prétexte d’aller voir, en Province, sa famille, & un de ses freres qui est pareillement Doctrinaire, & Regent dans un Collége que cet Ordre a dans la petite Ville de Nantz *3 . Avant qu’il partit de cette Capitale, la Police avoit mis auprès de lui pour Espion, sans qu’il en sçut rien, un Exemt qui avoit pris le nom de Farcin, & qui ayant lié connoissance & amitié avec lui, s’offrit d’être aussi du voyage sous prétexte de quelques affaires qui l’appelloient dans ce païs-là.

Le Sieur Alegre, qui ne se defioit de rien, fit route avec lui, le presenta partout où il avoit des connoissances comme un fort honnête homme & un de ses amis particuliers ; & comme dans les Voyages les amis, pour l’ordinaire, ne se déguisent rien, il l’entretint bonnement de ses liaisons & de son sçavoir-faire. Farcin en l’écoutant feignoit d’être charmé de ses confidences & de ses talents, ce qui fut cause que le Sieur Alegre ne lui cacha rien de toute sa condui-[23]te. Arrivé à Nantz, il n’y trouva point son frere qui étoit allé passer ses vacances à Lodeve qui n’est qu’à une journée de-là, & où ils allerent le voir. Ils y passerent quelques jours dans la joye & la bonne chere, comme cela se pratique ordinairement entre amis, surtout dans la raison des Vandanges qu’on faisoit alors dans cette Province.

Comme le vin, tant le nouveau que le vieux, fait souvent un peu trop babiller, Farcin découvrit bientôt tout ce qu’il vouloit sçavoir. Alors, levant le masque, il leur dit que la Farce étoit jouée ; qu’il étoit Exemt de la Police de Paris ; que son veritable nom étoit Saint-Marc, & non Farcin, & qu’il les arrêtoit l’un & l’autre de la part du Roi. Alors s’étant fait donner main forte, il les conduisit à Montpellier où il communiqua ses ordres à l’Intendant, constitua le Doctrinaire prisonnier, avec ordre de ne lui laisser voir personne, & de ne lui donner ni encre ni papier ; après quoi il repartit avec le Laïc qu’il a ramené dans cette Capitale. Le Superieur des Doctrinaires de Nantz, ayant été informé de tout ceci, a presenté à l’Intendant un Placet par lequel il reclamoit son Religieux ; mais on n’y a point fait de réponse. A l’égard du Laïc, à son arrivée en cette Ville, il a été mis à la Bastille d’où il ne doit sortir, disent les uns, que pour être mis au Carcan, en place de Greve, avec un Ecriteau infamant, ou pour être enfermé, le reste de ses jours, disent d’autres, dans la maison de correction de Bicêtre. ◀Exemplum

Je finis par une Epigramme faite sur un sujet qui, au jugement des personnes qui le connoissent, ne mériteroit, dit-on, guère moins d’occuper une place dans cette honorable retraite.

Ebene 3►

[24] Epigramme.

Avis à Maitre Claude.

Depuis un tems, comme l’insecte

Dont tu portes le vilain nom,
Contre Danbré ta bouche infecte
Bourdonne partout sans raison.
A quoi penses-tu, pauvre Oison,
De tenir envers lui cette conduite étrange ?
Ah ! tremble bien plutôt qu’enfin il ne se vange
Et n’aprenne au Public le train de ta maison ! ◀Ebene 3

Au revoir.

J’ai l’honneur d’être &c.

Paris ce 14 Octobre 1750.

◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 2

Livres nouveaux.

Qui se vendent à la Haye Chez Pierre Gosse Junior, Libraire de S. A. R.

Histoire Generale, Civile, Naturelle, Politique, & Religieuse de tous les Peuples du Monde, par l’Abbé Lambert, 12. 15 vol. Paris, 1750.

L’Opera du Gueux, avec les Chansons sur les Airs Anglois, traduit de l’Anglois de Monsieur Gay, 8. Londres 1750.

Histoire de Mademoiselle de Cerni, 8. Berlin, 1750.

Clef des Sciences, & des Beaux Arts, ou la Logique, 8. Paris, 1750.

Histoire Generale de Pologne par le Chevallier de Solignac, 12 5 vol. Paris, 1750

Amadis des Gaules, 12. 4 vol. fig. Paris, 1750.

Jeudi ce 22 Octobre 1750.

◀Ebene 1

1* Euphemon, dans la Comedie de l’Enfant Prodigue, par M. de Voltaire, Acte III. Scene 3.

2(a) Destouches, Comedie de l’Ingrat, Acte I. Scene 5.

3* Petite Ville, dans le Rouergue, au Diocèse de Vabre.