Zitiervorschlag: Jacques Mague de Saint-Aubin (Hrsg.): "Second Paquet", in: Les Chiffons, Vol.2\01 (1787), S. 1-96, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4698 [aufgerufen am: ].


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Les Ciffons, ou Mélange de Raison et de Folie ;
Par M.lle Javotte, Ravaudeuse,
dedié Au Cousin Jacques.

Quidquid agunt homines, nostri farrago libelli.

Juvénal.

Second Paquet.

A Paris,

Chez Cailleau, Imprimeur-Libraire, rue Galande, No. 64.Lesclapart, Libraire de Monsieur, rue du Roule, No. 11.Guillot, Libraire de Monsieur, rue St.-Jacques, vis-à-vis celle des Mathurins.

M. DCC. LXXXVII.Avec Approbation, & Privilége du Roi.

[2] Ebene 2► Metatextualität► On ne mettra pas désormais autant de distance entre chaque Paquet, qu’il y en a eu entre le premier & celui-ci. L’Auteur hésitoit à risquer le second, avant que d’être à-peu-près certaine du succès de l’autre. Mais, rassurée par l’accueil flatteur de plusieurs Savans, aussi recommandables pour leur affabilité, que pour leurs lumières, elle continuera son travail avec une nouvelle ardeur, & tâchera toujours de se concilier les suffrages des honnêtes gens, & des vrais Littérateurs. On ne doit pas s’embarrasser des autres. (Note de Mlle. Javote.) ◀Metatextualität

Ebene 3►

[3] Epitre Dédicatoire
Au Cousin
Jacques.

Sur l’air : Voilà, mon Cousin, l’allure.

1.

Vous avez sans dédain,
Mon Cousin,
Agréé ma brochure,
C’est un rempart d’airain,
Mon Cousin,
Contre toute morsure ;
Mon Cousin,
Qui protège mon allure,
Mon Cousin,
Qui protège mon allure.

2.

Un goût solide & fin,
Mon Cousin,
Une morale pure,
L’esprit juste & badin,
Mon Cousin,
Des graces sans enflure,
Mon Cousin ;
En deux mots c’est votre allure,
[4] Mon Cousin,
En deux mots c’est votre allure.

3.

J’ai sous mon casaquin,
Mon Cousin,
Sous mon humble coëffure,
Un caractère enclin,
Mon Cousin,
A chérir la nature,
Mon Cousin,
Que l’on voit dans votre allure,
Mon Cousin,
Que l’on voit dans votre allure.

4.

Tant que d’un œil benin,
Mon Cousin,
Vous ferez ma lecture ;
Du propos aigre-fin
D’un faquin
Je braverai l’injure,
Mon Cousin ;
Je rirai de son allure,
Mon Cousin,
Je rirai de son allure.

5.

Rimer toujours en in,
[5] Mon Cousin,
C’est une tablature ;
Mais vous aimer sans fin,
Mon Cousin,
C’est ce que vous assure,
Mon Cousin,
Mon cœur simple en son allure,
Mon Cousin,
Mon cœur simple en son allure. ◀Ebene 3

Avis aux Dames.

Metatextualität► Mesdames, comme il est clair que votre jugement, aussi sûr, quoi qu’on en puisse dire, & souvent plus délicat que celui de MM. les Hommes, nos soi-disants Maîtres ; influe beaucoup sur le sort des Ouvrages, & de bien d’autres choses : comme il est évident qu’une fille de mon espèce, devenue Auteur & presque Philosophe, est un phénomène ; & que les phénomènes sont assez de votre goût : comme il est naturel qu’abstraction faite de mon métier, vous vous intéressiez à un individu de votre sexe : comme [6] il est notoire que je suis très-honnête fille : comme il est probable que cette qualité, jointe à celle de demi-Poëte, n’est pas un brevet de fortune : comme il est légitime que je souhaite tirer parti de mon travail : comme il est permis de chercher des protections : comme enfin il n’en est pas de meilleure que la vôtre : je vous la demande, Mesdames : achetez mes Chiffons, parcourez-les, jettez-les ensuite sur vos toilettes ; confondez-les avec vos baigneuses, vos paresseuses ; vos fichus, vos &c . . . . . . &, si vous voulez même, faites un paquet du tout, & envoyez-le moi, avec vos observations. Je reprendrai la brochure, que je revendrai : double bénéfice. Je me parerai de vos dépouilles ; économie : & j’imprimerai vos Remarques ; ce sera l’ornement de mes Paquets. Mon Imprimeur vous donnera mon adresse. ◀Metatextualität

Avertissement.

Metatextualität► Si l’on ne trouve pas dans ce second Paquet, & dans celui qui l’a précédé, [7] toute la variété, tout le piquant que l’on pourroit désirer, ce n’est pas ma faute. Selbstportrait► Pourquoi suis-je fille ! Pourquoi ne m’a-t-il pas été ni permis, ni possible de m’instruire d’une infinité de choses, que les hommes seuls sont à portée d’apprendre & de connoître ? Quelle misère, avec une tête & un cœur, d’être attachée à un corps féminin, esclave de tous les usages qui captivent notre sexe ! O ! Hommes, que vous êtes heureux, quand vous savez vous servir sagement de tous vos priviléges ! mais que souvent vous le savez peu ! c’est ce qui me console.

Maîtresse de moi-même, ce qui n’est pas une petite richesse, je prétends m’affranchir, au moins en partie, de cette contrainte : & si, quelques-uns de mes Lecteurs se trouvent scandalisés de la résolution que je prends, je leur en demande pardon : mais je leur promets de l’exécuter avec tant de circonspection, que cela joint à la pureté de l’intention, me disculpera sûrement dans l’esprit des autres.

Il n’y a dans ma taille, comme dans mes traits, rien de rude ni d’efféminé. De sorte que j’ai une figure un peu équi-[8]voque, propre à paroître tantôt homme, tantôt femme, sans trop me faire regarder. C’est ce que je veux faire, pour avoir la liberté de me promener, de voir & d’entendre des choses, dont la connoissance devient un aliment nécessaire à mon esprit avide ; & me sera un fonds de pensées & d’anecdotes raisonnables, folles, sérieuses, gaillardes ; enfin de toutes les façons. ◀Selbstportrait Cette collection formera un Ouvrage mêlé, souvent sans ordre, composé de pièces rapportées, aussi diversifiées que les jugemens & les goûts ; & qui par conséquent ne manquera point d’exciter tour-à-tour l’approbation & la critique des Lecteurs. Car il est rare, presqu’impossible de plaire à tout le monde. Il y en a qui ne jugent que d’après les autres, & qui par conséquent ne jugent point : d’autres sont butés à ne décider que d’après eux seuls, & à donner l’exclusion au jugement de tous ceux qui pensent autrement qu’eux. Je suis loin de regarder cela comme un grand mal ; d’autant plus que tout ce qui tient au ridicule entre pour quelque chose dans ma spéculation. ◀Metatextualität

[9] La guerre des dieux, ou la défaite de Vénus,
opéra
.

Ebene 3►

[10] Personnages.

Comus, Dieu de la Table.

Vénus, (tout le monde dit qu’il la connoît.)

LAmour, Général de l’Armée de Vénus.

Kirchwasser, Général de l’Armée de Comus.

Plusieurs Régimens de Bouteilles & de Plats, composants l’Armée de Comus.

Troupe nombreuse de Filles & de Femmes, formant l’Armée de Vénus.

La Scène se passe au Vaux-Hall.

[11] Scène première.

Tout est encore illuminé : le Tournois est fini ; le Feu d’Artifice tiré ; & Vénus désœuvrée erre avec ses Troupes dans la Rotonde & dans les Corridors.

Vénus.

Récitatif.

Tout devient triste dans ces lieux ;
Quel funeste abandon ! Cruelle solitude !
Est-ce pour le plaisir des yeux ?
Est-ce par ton, par habitude,
Qu’on se rassemble en ce séjour ?
On se montre, l’on fait un tour ;
On lorgne, on badine, on prélude,
Et l’on persiffle nos appas.
Ah ! que les hommes sont ingrats.

Ariette.

Vaine toilette, inutiles apprêts !
Que sert de tendre des filets ?
Le Poisson évite la nasse ;
Et, si par fois il s’embarrasse,
[12] Bientôt il sait se dégager.
Nous croyons le tenir, nous le voyons plonger.

Scène II.

Vénus, L’Amour ; Chœur de Filles.

L’Amour, dans le lointain.

Aux armes ;
Aux armes.

Chœur de Filles, aussi dans le lointain.

Aux armes ;
Aux armes :

L’Amour & le Chœur, arrivant tous essoufflés.

Aux armes :
Eh ! vîte, aux armes.

Vénus.

D’où naissent vos alarmes ?

Chœur.

Aux armes ;
Aux armes.

[13] L’Amour.

Récitatif.

Comus avec des légions,
Vient attaquer ces régions :
Ce Tyran redoutable,
Qui, par les plaisirs de la table,
Et la variété des vins,
Engourdit les foibles humains ;
Peu content de cette victoire,
Veut encor nous donner des fers :
Il ose prétendre à la gloire
De faire voltiger les Amours de travers.

Le Chœur.

Quelle offense !
Quel attentat !
Mettons-nous en défense ;
Que notre vengeance
Fasse de l’éclat.

Vénus.

Et vîte une contredanse,
Pour rassembler les forces de l’Etat.

Chœur.

Quelle offense ! . . . &c.

(On joue une contredanse, Vénus, l’Amour & leur Armée se réunissent dans la rotonde.)

[14] Scène III.

Comus, Kirchwasser.

(Au fond du Jardin, sur le Théâtre.)

Comus.

Récitatif.

Mes ordres, Kirchwasser, sont-ils exécutés ?
Et mes soldats, vers ces murs assemblés,
Sont-ils prêts à faire l’attaque ?

Kirchwasser.

Ne craignez pas, Seigneur, qu’aucun tourne casaque.
Vous jugerez de leur valeur :
Rien ne résiste à leur fureur ;
Et la preuve en est glorieuse.
Non loin d’ici, chez N . . . .t :
Dans les loges, dans le parquet,
Votre ennemie ambitieuse,
Avoit mis ses détachemens.
J’y fais marcher deux régimens
De votre Milice légère,
Qui déjà tant de fois ont vaincu dans Cythère ;
Ceux de Frontignan & d’Arbois,
[15] Que commandoit le brave fil-en-trois (I1 ),
A leur aspect la Troupe enjuponnée,
Sans faire de condition,
A ses Conquérans s’est livrée,
Et rendue à discrétion.

Comus.

Ariette.

C’est pour nous un heureux présage :
Le succès enfle le courage ;
Et nos intrépides Guerriers
Vont faire moisson de lauriers.

Kirchwasser.

Récitatif.

Nous les mettrons à toute sauce.
On en charge des mirmidons,
Qui ne valent pas nos jambons.

Comus.

La remarque n’est pas si fausse !
Mais nous perdons à discourir,
Un temps que réclame la gloire.

Kirchwasser.

Parlez, Seigneur, & nous allons courir
A la victoire.

[16] Comus.

Pour la fixer, ami, n’épargnons aucun soin :

Dispose ton infanterie ;
Et place de l’artillerie,
Pour la secourir au besoin.

Kirchwasser fait un signal. On entend une Musique bruyante, formée du choc des verres, & du cliqueris d’une grande batterie de cuisine. On fait avancer & braquer l’artillerie, composée de gros saucissons de Boulogne, sur des affuts d’oranges au sucre & au vin de Champagne. Ensuite l’Armée marche en bel ordre, & se range en bataille.

Scène IV.

Comus & Kirchwasser dans la plaine, à la tête de leurs Légions.

Vénus & l’Amour sur la grande terrasse, suivis de leur Armée.

Vénus.

Récitatif.

Quel est donc l’insolent,
Qui, d’un front téméraire,
[17] Dans ma retraite solitaire
Ose faire un bruit indécent ?

Comus.

Ne vous échauffez pas, Princesse ;
Vos efforts seroient superflus :
Et, soit par force ou par adresse,
Vous & l’Amour, serez bientôt vaincus.

L’Amour.

N’y comptez pas. Quel est votre délire !
Tous les sujets de notre Empire
Chérissent trop nos loix,
Pour faire un autre choix.

Kirchwasser.

Vous les nourrissez d’élégies,
D’insipides propos, de stériles faveurs ;
Nous, de volailles bien nourries,
Et des plus flatteuses liqueurs.

Vénus.

Ariette.

Dieux ! quel langage !
Peut-on ainsi braver l’Amour ?
Charmantes Nymphes de ma cour,
Frémissez d’un pareil outrage.
Aimer n’est-il pas le seul bien ?
Le plus grand bonheur de la vie ?
[18] Et, quand on aime, est-il au monde rien
Qui puisse exciter notre envie !

Chœur.

Sans doute, aimer est le seul bien,
Le plus grand bonheur de la vie.
Et, quand on aime, il n’est au monde rien
Qui puisse exciter notre envie.

Un Coriphée.

Mais . . . mais . . .

Vénus.

Quoi donc !

Le Coriphée.

Comus
N’est pas sans mérite ;
Et l’ami Bacchus . . .

Vénus.

Quelle fureur m’agite !

L’Amour.

Ah ! ma mère !

Vénus.

Ah ! mon fils !
Je me désespère !

L’Amour.

Nous sommes trahis !
Laissez-moi sur nos ennemis
Epuiser ma juste colère.

[19] Vénus.

Vengez-moi, vengez-nous :
Qu’ils tombent sous vos coups.

Chœur.

Vengeons-nous, vengeons-nous :
Qu’ils tombent sous nos coups.

L’Amour lance à la hâte plusieurs traits, qui font sauter la tête à quantité de bouteilles. Le vin rouge teint de son sang le champ de bataille ; mais la mousse pétillante du Champagne rejaillit aux yeux de Vénus & de son Armée, qui commence à rompre ses rangs ; le désordre est augmenté par une vigoureuse décharge de l’artillerie chargée à mitraille ; qui vomit une grêle de cervelats, de confitures sèches & de dragées. Les troupes plient. Comus, suivi de son Armée victorieuse, se met à la poursuite des fuyards ; tandis que Kirchwasser, qui n’a pas plus de raison qu’un Suisse, attaque Venus & l’Amour, qu’il fait prisonniers. Comus revient suivi des Troupes vaincues, enchaînées par les siennes.

Comus, à Vénus.

Récitatif.

Vous le voyez, la résistance est vaine,
Il faut subir l’arrêt du sort.
[20] Mais, quoique je sois le plus fort,
Je prétends avec vous faire un heureux accord.
Et je jure par ma bedaine,
De faire observer le traité,
Si par vous il est accepté.

Vénus.

Ne le crois pas, Tyran, je suis trop délicate :
L’empire sur les cœurs est le seul qui me flatte :
Et toi, vil Artisan de stupides plaisirs,
Tu ne fais inspirer que de honteux desirs.

Comus.

Vous avez le ton fier, & le style superbe :
Mais avez-vous, Madame, oublié le proverbe ?
Sans Bacchus & . . .

L’Amour.

Tais-toi, c’en est assez.
De l’amour vrai les beaux jours sont passés.
Un feu brutal, une grossière ivresse,
Trompe les cœurs & maîtrise les sens.
J’ennoblissois une tendre foiblesse ;
Tu ne peux qu’avilir les feux les plus décens.
Exerce ton pouvoir sur un sexe fragile ;
Et de tes lourds suppôts fais-lui porter les fers.
Dans l’Olympe je m’exile,
Et t’abandonne l’Univers.

[21] Comus.

Quoi ! ne peut-on faire un partage ?

Vénus.

N’ajoute pas à ton outrage.
Seule je veux régner, ou bien ne régner plus.
Quel seroit avec toi l’accord qu’on pourroit faire,
Lorsque le sentiment par toi sera perclus ?
Sur la fine galanterie
Mon domaine étoit affecté ;
J’enseignois l’art à la Beauté
De triompher par la coqueterie :
Petits égards, jolis propos
Servoient à lier connoissance,
Galants poulets, brillants cadeaux
En devenoient la récompense.
Ce n’étoit qu’un tissu de fleurs,
Qu’avoit formé la main des Grâces ;
Où se jouoient de tendres cœurs,
Qui sous elles faisoient leurs classes.

Comus.

N’est-ce plus de même aujourd’hui ?

L’Amour.

Non, & c’est toi qui le détruis,
Cet agréable & doux empire.
On veut de moi faire un satyre,
[22] Et l’on ne m’aime plus enfant.
Si je veux paroître innocent,
Je fatigue, ou bien je fais rire.
Jeunes & vieux sont les muguets,
Même en dépit de la nature ;
Et pleins de vin, gonflés de nourriture,
Ils me soupirent en hoquets.
Les femmes vont à la taverne,
Et, déposant toute pudeur,
Aux yeux d’un Public qui les berne
Offrent leur bachique rougeur.
De leurs figures bourgeonnées
S’éloigne à jamais le plaisir ;
Sur des lèvres enluminées
Le baiser peut-il se cueillir !
Un minois devient une trogne ;
La beauté périt dans le vin :
En un mot de Vénus on fait un c. . .n ;
Et de l’Amour un dégoûtant ivrogne.

Chœur.

Ah ! que c’est beau ! que c’est divin !
Allons souper chez Bancelin. ◀Ebene 3

[23] Remarque.

Ebene 3► On donne une pièce nouvelle dans un Spectacle, il n’importe lequel : l’Auteur a ses partisans. Mais il a aussi des ennemis, sur-tout s’il a déjà fait preuves de talent. Un de ceux qui lui veulent du bien prend au bureau vingt billets ; & accostant sur la place des oisifs, ou même des gens qu’il ne soupçonne pas dans le cas de faire la dépense de leur entrée au Spectacle ; il leur dit à chacun en particulier : Monsieur, si vous n’avez rien de mieux à faire, je vous invite à venir voir la Pièce nouvelle ; l’Auteur est de mes amis ; & quoique je n’aye pas l’honneur de vous connoître, permettez-moi de vous offrir ce billet. Je me flatte que vous n’hésiterez point à me seconder, quand vous saurez que c’est un jeune-homme rempli de mérite ; qui a besoin de tirer parti de ses talens, & d’être protégé contre la cabale. – Monsieur, je vous remercie, mais j’ai des affaires. Monsieur, je ne connois pas cet Auteur-là, & je ne puis [24] pas en conscience . . . . . Monsieur . . . . . . ci . . . . . Monsieur . . . . ça . . . . . il n’en trouve qu’un qui daigne accepter ; & encore sous la condition de n’applaudir que dans le cas où l’Ouvrage lui semblera excellent : &, dans le cas contraire, de ne rien dire ; ce qui est encore beaucoup. Dans le même temps un des Généraux de la Cabale sort avec pareil nombre de billets. – Monsieur, voulez-vous venir à la Comédie ? Je vous offre une entrée. C’est une pièce nouvelle, il faut, morbleu ! la pulvériser. – Ah ! c’est bon ! oui, volontiers : avez-vous encore des billets ? – Oui, en voilà plusieurs. – Bon ! excellent ! Un tel ! écoutez donc ; il faut venir siffler.Volontiers : Allons, encore, & encore. Enfin les billets manquent au Recruteur ; il en en fait des excuses. – Eh ! laissez donc ! – Monsieur, cela ne nous empêchera pas d’entrer. Nous allons nous amuser. Et il entre, avec une foule de gens disposés à mal faire, sans aucun intérêt, sans savoir pourquoi . . . . Voilà comme on traite les Spectacles. Voilà comme les Auteurs & les Acteurs sont jugés . . . . . . . Pauvres talens ! comme on vous humilie ! ◀Ebene 3

[25] Les Maux a la Toise.

Ebene 3► Les plus habiles Anatomistes ont découvert, & nous ont appris que les intestins déployés dans leur longueur, font sept fois la hauteur du corps à qui ils appartiennent : & qu’une portion de chacun des sept gros intestins, ouverte longitudinalement, & cousue avec les autres de façon que les sept longueurs soient réunies, enveloppe le même corps dans sa grosseur . . . . tout le monde sait que ces mêmes intestins sont l’objet du travail des purgations, qui en expriment & en détachent les humeurs. Mais tout le monde ne sait pas que cette immense capacité est veloutée par une quantité innombrable de petits vaisseaux, qui l’humectent par le suintement continuel d’un suc précieux. Qu’une médecine trop forte non-seulement épuise & tarit ce suc, mais encore excorie & corrode toutes ces papilles délicates ; que tout le monde sache donc que c’est-là la cause de ces coliques, de ce mal-aise intérieur qu’on [26] éprouve souvent après les purgations ; que tout le monde fasse attention qu’une médecine ordonnée mal-à-propos, ou mal composée, ou à trop forte dose (& comment deviner juste ?), administrée à un individu de cinq pieds de haut, l’expose à des douleurs de trente cinq pieds de long & de trois pieds de large. Purgez-vous après cela, si vous l’osez. ◀Ebene 3

Avis au public.

Ebene 3► Dans le nombre de mes pratiques, je compte un Monsieur, dont le nom & la qualité n’ont que faire ici. Il suffit de savoir qu’il entend parfaitement le latin ; aime les Belles-Lettres, & que le penchant, qu’il m’a trouvé pour elles, goût si extraordinaire dans une fille de mon acabit, m’a mérité sa protection & sa bienveillance. Un jour (il y a de cela environ six mois), je lui témoignois un grand désir d’entendre cette belle langue (le latin). Il me dit qu’en effet, outre l’avantage de pouvoir goûter par soi-même les beautés des Anciens, l’intelli-[27]gence de leurs Ouvrages étoit nécessaire à quelqu’un qui veut se mêler d’écrire : quand ce ne seroit que pour se donner un air d’érudition, en citant quelques passages, quelques vers, qu’on tronque ou que l’on bistourne, pour les faire cadrer à sa situation. De si bons motifs ne faisoient qu’augmenter mon envie d’apprendre ; mais, faute de moyens, mon chagrin s’accroissoit en raison de ma bonne volonté. Faites à un affamé le détail d’un bon repas, montrez-lui le menu, vous irriterez son appétit : c’est une rage. Tel étoit mon sort. Ma Pratique en fut touchée. Ebene 4► Dialog► – Je vous enseignerai le latin, moi, ma chère Javote. – Oh ! Monsieur, c’est trop de bonté ; mais ce sera bien long ; & je crains de vous donner trop de peine. – Ce me sera un plaisir, puisque je vous obligerai (12 ). Quant à la longueur du travail, qu’elle ne vous ef-[28]fraye point : cela n’ira pas aussi loin que vous le croyez. Je ne suis ni Régent de Collége, ni Précepteur ; je n’ai nul intérêt à faire durer dix ans une étude qu’on peut faire en six mois. Venez ici tous les matins, nous travaillerons ensemble une heure par jour : vous ferez le reste chez vous. . . . . ◀Dialog ◀Ebene 4 Je n’ai eu garde d’y manquer ; & voilà qu’en six mois j’entends passablement les Auteurs latins. C’est bien joli, au moins ! J’en suis toute fière : Metatextualität► &, pour faire voir que je ne suis pas menteuse, voici une de mes Versions. . . . . Quelques jours je pourrai bien faire part de la méthode que mon Maître a suivie. Elle épargnera bien de la dépense aux parens ; &, aux jeunes gens, bien du temps & de l’ennui. ◀Metatextualität

[29] Version libre,
ou imitation de la satyre
dHorace.

Ebene 4►

Zitat/Motto► Sunt quibus in Satyrâ &c. Sat. I. Lib. II. ◀Zitat/Motto

Par Mlle Javote.

Il est dans le Public des esprits inquiets,
Qui chicanent sur tout, & ne sont satisfaits,
Que lorsqu’un Ecrivain leur offre de quoi mordre.
Mon livre, ce dit-on, les met tout en désordre.
L’un condamne ceci, l’autre blâme cela.
« Vit-on jamais gachis pareil à celui-là ? . . . .
Doit-on si méchamment aiguiser la satyre !
Est-ce qu’à mes dépens il est permis de rire ?
Un être en cotillons, est-il notre censeur ? . . .
Ah ! que vous êtes bon de prendre de l’humeur ! »
S’écrie, en ricannant, un autre virtuose :
« Faut-il se gendarmer pour aussi peu de chose !
Cet ouvrage est mauvais, lâche, foible, pesant ;
Et je gage en deux jours d’en griffonner autant . . . »
Que dois-je faire, ami, dans cette conjoncture ?
– Vous taire. – C’est bien dit. Mais j’ai de ma nature,
[30] Le sommeil difficile ; & ne puis m’endormir,
Sans avoir dans l’esprit matière à réfléchir.
– Hé bien, réfléchissez ; mais n’attaquez personne.
Pour calmer vos esprits, dont l’ardeur vous chiffonne,
Allez vous rafraîchir le sang chez Poitevin ;
Avalez, en soupant, quelques bons traits de vin ;
Couchez-vous lá-dessus, & d’un sommeil facile,
Les pavots anodins éteindront votre bile,
Cela n’y fait-il rien ? Lisez un Opéra.
– Vous parlez en Docteur. Mais, avec tout cela,
Je ne puis m’empêcher de penser & d’écrire.
– Si vivre sans rimer est pour vous un martyre,
Célébrez les vertus du meilleur des Bourbons.
Inspirés par le cœur, les vers sont toujours bons.
Sur ce noble sujet exercez votre verve ;
Et vous aurez pour vous Apollon & Minerve.
Vous ne craindrez alors ni clameurs ni procès.
Ceux qui vous blâmeront ne seront pas François.
Chantez son équité, sa candeur, sa clémence,
Son amour paternel, sa bonté, sa prudence . . . . .
– Qui ? moi, chanter Louis ! Mon cher, y pensez-vous ?
L’aimer, est de mon cœur le plaisir le plus doux :
Mais l’aigle seul a droit de fixer la lumière.
Et, quand je remplirois cette noble carrière,
[31] Pour lui mon foible encens auroit-il des appas ?
Il sait le mériter, & n’en exige pas.
– L’intention du moins vous serviroit d’excuse.
Car c’est, en bonne foi, prostituer sa Muse,
Que tirer de l’oubli ce Marquis du hasard,
Valet dans le comptoir, Seigneur aux boulevards ;
Qui promène en Jokei sa morgue & sa bêtise :
Ou ce plat Ecrivain, boursoufflé de sottise,
Qui d’un drame ennuyeux vient nous assassiner ;
En fait siffler l’Acteur qui lui donne à dîner.
Ceux que vous entamez vous déclarent la guerre ;
Et redoutant les traits d’une satyre amère,
D’autres, pour prévenir vos invisibles coups,
Sauront vous devancer, & tireront sur vous.
On vous évitera, comme l’on fuit la peste ;
Et l’on vous haïra, comme un objet funeste.
– Je conçois vos raisons ; mais je le dis encor :
Autant on vit Mesiner soupirer pour de l’or,
Autant à des lauriers aspiroit La Fayette ;
Autant pour un bonnet palpite une grisette,
Autant j’ai de penchant à rire, à critiquer.
Chacun a son plaisir, le mien est de piquer.
Voyez si Despréaux, le Dieu de la Satyre,
Ne s’est pas fait un nom pour avoir su medire ?
Des vices de son temps son livre est un extrait ;
Et plus d’un fat encore y trouve son portrait.
Je n’ai pas, comme lui, l’art sublime de peindre :
[32] Mais je n’ai pas non plus le vil talent de feindre.
Je hais le ridicule, & l’attaque par-tout.
D’où vient par ses excès me pousse-t-il à bout ?
Est-ce ma faute à moi, si le siècle où nous sommes
Ote aux femmes l’honneur, & la raison aux hommes ?
Que chacun dans son coin remplisse son devoir.
Qu’on respecte les mœurs, la vertu, le savoir ;
Je brûle mes cahiers, je jette au feu ma plume ;
Ou, si j’enrage encor de former un volume,
Je brise mon cornet, où fermente le fiel ;
Et ne parlerai plus que pour bénir le Ciel.
Mais, tant que je verrai l’ignorance estimée,
Le crime triomphant, l’innocence opprimée ;
Le flatteur protégé, l’honnête homme éconduit ;
L’intriguant s’enrichit d’un infame produit ; . . . .
Tant de travers enfin, que je ne saurois dire ; . . .
Au péril de mes jours, contre eux je veux écrire.
Tant pis pour les nigauds qui voudront se fâcher.
Je parle en général. Si l’on vient s’afficher,
Et dire : C’est de moi que vous parlez, Javote ;
Tel défaut est le mien
 : . . . Eh ! tête de linotte !
(Lui dirai-je à mon tour :) Vous ai-je nommé, moi ?
Quand on se reconnoît, il faut se tenir coi.
Et profiter tout bas des leçons qu’on nous donne.
J’évite les portraits : j’esquisse, je crayonne.
Tracés sur un plan vrai, mes grotesques tableaux,
[33] Sans avoir de modèle, ont mille originaux.
Je fronde l’Univers, & n’en veux à personne.
Si l’on m’en veut, à moi, je ne suis pas poltronne.
Je saurai, comme un autre, affronter le danger.
Chacun a ses moyens, & trouve à se venger.
Le Gascon vous punit pour une escroquerie ;
La coquette Phriné, par une perfidie :
Le Normand chicanneur vous intente un procès ;
Le prêteur en courroux vous accable de frais.
La vengeance, en un mot, ne connoît point de bornes.
Le chien avec les dents, le bœuf avec les cornes,
Tout être se défend, lorsqu’on veut l’attaquer.
Ainsi vous auriez tort de vous estomaquer,
Pour un léger propos qui par hasard vous blesse.
A d’autres comme à vous il convient & s’adresse.
Le prendre pour vous seul, c’est être mal-adroit :
Le dire, c’est vouloir que je vous montre au doigt.
– Votre muse s’échauffe, & fait voir du courage :
Mais plus d’un Satyrique avec ce beau langage,
S’est repenti d’avoir pris un trop libre ton.
Une plume n’est pas si lourde qu’un bâton.
Et ce dernier souvent couronne une épigramme.
– Je le crois : mais d’abord songez que je suis femme . . .
Et, pour citer encore le caustique Boileau,
[34] Ne le voyoit-on pas fêté dans le château
Des Grands, dont en ses vers il attaquoit les vices ?
Tout en les corrigeant, il faisoit leurs délices :
Il n’épargnoit personne, & chacun l’estimoit,
Depuis le Conquérant jusques au Prestolet.
Il régentoit le monde : & juge inexorable,
Condamnoit son ami, s’il le trouvoit coupable.
Si je n’ai son esprit, j’ai des yeux pénétrants :
Et ceux qui me liront, quoique récalcitrants,
Quoique la vérité les frappe & les confonde,
En eux mêmes diront : Elle connoît le monde.
– Suivez donc votre pointe : écrivez, badinez,
Mocquez-vous des abus, sappez les préjugés :
Que la loi de l’Etat vous soit toujours sacrée !
Que la Religion soit par vous révérée !
Et bravez hardiment ces lâches détracteurs,
Des vices foudroyés infames sectateurs.
De ces êtres obscurs la cohorte ameutée,
Contre qui la démasque, est toujours irritée :
Riez de leurs efforts ; méprisez leur courroux :
Vous avez la justice & la raison pour vous. ◀Ebene 4 ◀Ebene 3

[35] Embarras.

Ebene 3► Fremdportrait► Cliton a de l’esprit, du talent, des connoissances : il travaille depuis deux ans à limer, polir, vernir un Ouvrage où la pureté du style ne brille pas moins que l’érudition. Mais depuis deux ans, Cliton mange son petit avoir ; il n’a plus le sou. Qu’importe ! son Ouvrage est fini : il le porte :

1o. Chez un Libraire ; il veut l’avoir pour rien.

2o. Au Mont de Piété : on ne donne rien sur les papiers.

3o. Chez un Notaire : on ne prête qu’à usure.

4o. Chez un Directeur de Spectacle ; il ne sait pas lire.

5o. Chez un Petit-Maître : il savonnoit ses manchettes.

6o. Chez un Seigneur : il traitoit avec ses Créanciers.

7. Chez un Médecin : il étoit avec son Maître d’Armes.

8o. Chez une Elégante : on lui prenoit mesure d’une redingotte.

[36] 9o. Chez un Avocat : il prenoit sa leçon de danse.

10o. Chez un Chanoine : il faisoit du ratafiat.

Par-tout enfin, par-tout, l’infortuné Cliton se voit éconduit, rebuté, compromis, humilié. Dans l’extrême besoin qui le poignarde, il ne sait à qui recourir. Il confie sa peine à quelqu’un. Les malheureux sont fort pour les confidences : il semble que cela les soulage. Voyez M. un tel, lui dit-on. Ce M. un tel étoit un homme de finance. Cliton hésite. Ces gens-là (se disoit-il à lui-même), ne s’occupent que de chiffres. Ils ne connoissent, à ce qu’on dit, d’autres livres que Barrême & les Calculs faits. Cependant, voyons. Il va chez le Financier : il est tout étonné de se voir accueilli, complimenté, fêté. On accepte l’hommage de son livre : on en paye la dédicace par une somme suffisante aux frais de l’édition. L’Ouvrage s’imprime ; se vend avec rapidité : voilà Cliton au-dessus de ses affaires ; & placé dans un poste avantageux que lui donne son Mécène . . . . Il en est tout stupéfait : il ne peut pas en revenir . . . . . Remettez-vous, Cliton, tout [37] est dans l’ordre. Puisque les Seigneurs deviennent Marchands, Maquignons, Maltotiers ; il est juste que les Maltotiers deviennent Seigneurs. ◀Fremdportrait ◀Ebene 3

Accident.

Ebene 3► Allgemeine Erzählung► Je fus témoin, il y a quelques jours, d’un événement, dont je crois fort essentiel que tout le monde soit instruit, pour que l’on puisse aviser aux moyens de se précautionner contre mille autres semblables, qui peuvent arriver tous les jours.

Deux Demoiselles bien mises marchoient parallèlement, l’une à droite, l’autre à gauche, le long des maisons, dans la rue Pagevin . . . . qui est fort étroite & fort passagère ; comme tout le monde sait : & comme il y a beaucoup de rues dans cette superbe ville, pleine de vilains endroits. La prestesse de leurs pas agiles, faisoit balancer de-çà de-là deux longues chaînes d’or (ou dorées), qui pendoient au bout de leurs oreilles, & en auroient sans doute déchiré le petit lobe charnu, [38] sans le secours des épaules, qui de temps en temps supportoient & soulevoient une partie de ce lourd & ridicule ornement. Le hasard fait que les deux chaînes se rencontrent & s’accrochent. Voilà les Demoiselles arrêtées dans leur course ; & la rue barricadée. L’embarras des gens de pied est augmenté par les voitures qui surviennent des deux extrémités de la rue. Cinq carrosses bourgeois, une lourde diligence, sept à huit fiacres ; quinze cabriolets, un tombereau de boues, deux vinaigrettes, une charrette chargée de pavés, un haquet de Brasseur, trois phaëtons, & un fourgon de Ventillateur ; tout cela arrive, se croise, s’embarrasse, se culbute, & estropie les malheureux fantassins. Enfin, après un gros quart d’heure de cris, de huées, de juremens, de lamentations, on parvient à dégager ces Dames ; & petit-à-petit l’embarras se dissipe, aux dépens de plusieurs bras meurtris, de pieds foulés, de linge déchiré, d’habillemens perdus de boue & de cambouis. J’en ai eu ma bonne part, moi qui vous parle ; & en vérité c’est fort désagréable. Je crois qu’en bonne police on devroit parer à de tels malheurs. Pour [40] moi, je sais bien que, si je deviens jamais belle Dame, je ne porterai point de bijoux qui puissent obstruer la voie publique. ◀Allgemeine Erzählung ◀Ebene 3

Mon Agenda
Des Dimanches (I3 ).

Ebene 3► Une paire de bas à reporter à un Monsieur qui n’en a qu’une paire de rechange. C’est un Gascon, se disant Doc-[40]teur, qui court du matin au soir (pour trouver un dîner). Il est cependant peu de Médecins, dont les malades soient mieux traités que le siens : car il n’en a pas un.

Idem, à un Auteur qui fait des Pièces pour les petits Spectacles : jusqu’à présent il n’a pas fait fortune ; parce qu’il a eu la maladresse de mettre du sens commun & de la décence dans ses ouvrages. Mais il compte beaucoup sur une Cochonnerie qu’il vient de faire, dont les Directeurs sont amoureux foux.

Idem, à un Avocat qui ne se charge que des bonnes causes.

Idem, à un homme qui a de la naissance & du mérite ; mais qui ne veut pas faire de courbettes.

Idem, à un Colporteur qui vend des livres de Morale.

Idem, à plusieurs Ouvrieres qui ne vivent que de leur travail.

Blanchissages & bonnes Pratiques.

Dix paires à un Suisse qui enseigne aux Parisiens la Langue Françoise.

Idem, à un homme bègue & manchot, [41] qui donne des leçons de geste & de déclamation.

Vingt-cinq paires à un jeune Conseiller qui change de forme quatre fois par jour.

Idem, à un Petit-Maître que les femmes se disputent, parce qu’il chante en fausset, & raisonne comme une huitre.

Cinquante paire <sic> à une Danseuse (elle change six fois par jour)

Trente paires à M. le Marquis de . . . .

Douze paires à son Valet de-chambre, marquées des mêmes lettres. ◀Ebene 3

Visite.

Ebene 3► Dialog► Jovial (entre en chantant). Ta la la la rela larela la la.

Grognon. Quelle gaîté ! Vous êtes donc fou ?

Jov. Au contraire : je suis très-sage de conserver ma gaîté ; & je trouve de la folie à s’attrister de tout, ta la la la lera la la.

Grog. Encore faut-il avoir des sujets [42] réels de joie, pour s’y livrer comme vous faites : car, un grain de plus, vous danseriez.

Jov. Ah ! vous m’y faites songer. (il danse) Ta la la lera la la la la.

Grog. Eh ! pour le coup, on n’y tient pas : &, si vous ne me dites ce qui vous rend si joyeux, je serai forcé de vous croire digne des petites-maisons.

Jov. Ce qui me rend si joyeux ? Hé bien. . . . devinez. Ta la la lera la la.

Grog. Que voulez-vous que je devine ? Auriez-vous gagné quelque procès ?

Jov. Pour en gagner ou en perdre, il faut en avoir ; & c’est de quoi je me donne bien de garde. J’aime trop ma tranquillité pour m’embarrasser d’un pareil meuble : d’ailleurs, j’ai peu, & je m’en contente : avec cela on n’est guère sujet à procès. Je vous avoue même que, si j’étois forcé d’en avoir, & que je les perdisse, j’en serois encore plus gai que triste ; parce que je me trouverois au moins débarrassé des inquiétudes chicanneuses, & je regagnerois de ce côté-là ce que je perdrois de l’autre.

Grog. Vous avez sans doute une Maitresse, qui vient de vous donner des [43] preuves touchantes de son amour & de sa fidélité.

Jov. Ah ! bien oui, une Maitresse ! C’est bien le moyen d’être gai ! Non, je n’en ai point, n’en veux pas avoir ; & assurément n’en aurai pas. Moi ! me rendre esclave des bizarreries & des caprices d’une femme ! lui sacrifier bourse, honneur & repos ! Oh ! que nenni ! Il est bon là. De l’amour ! de la fidélité ! Non, mon cher ami ; je ne cours jamais après l’impossible.

Grog. Vous avez donc obtenu quelque charge, quelque emploi considérable, une dignité qui vous flatte ?

Jov. Non, non, mille fois non : je n’en attends, ni ne les recherche : & vous devez m’en croire, puisque je vous dis que je me contente de peu ; & que j’aime mon repos.

Grog. Oh ! bien, expliquez-vous donc. Je m’y perds.

Jov. Je vais vous tirer de peine. Je sors d’un Café. Ce foyer public & gratuit étoit plein de monde. Les uns prenoient de l’eau colorée, pour faciliter la digestion d’un dîner de quatorze sols : d’autres se brouilloient la raison & l’esto-[44]mac, en godaillant du soi-disant punch. D’autres appliquoient toutes leurs facultés calculantes à une partie de domino : d’autres, enfin, ne jouoient point, ne buvoient rien, étoient là pour rien, se chauffoient & bavardoient. Je me fourre parmi ces derniers ; &, comme ma mise & mon extérieur me donnoient un certain air au-dessus du commun, on me demande mon avis sur une difficulté importante que l’on discutoit avec beaucoup d’agitation. Il étoit question de savoir si les Dames d’Athenes portoient des bouffantes sous leurs jupons. Surpris du choix de la matière, & de la dignité qu’on y mettoit ; j’ai résolu de m’amuser aux dépens des Doctes qui la traitoient ; & j’ai répondu d’un air fort bête, que je n’avois jamais lu l’Histoire Romaine. On s’est regardé en soûriant ; & chacun prenant pitié de mon ignorance, s’est empressé à me donner des leçons d’Histoire. Vous les eussiez vu tous se rengorger, se donner un air capable, & entasser erreurs sur bévues, faussetés sur anacronismes. J’écoutois d’un air sérieux & reconnoissant, & riois en moi-même de l’applaudissement qu’ils accordoient à leurs pro-[45]pres lumières, & de la bonne foi avec laquelle ils me donnoient la comédie. La conversation a changé. On a parlé du théâtre. J’ai dit que j’aimois beaucoup les Tragédies de Molière ; mais que rien ne me sembloit plus gai que les farces de Crébillon. Autres éclats ; nouvel étalage d’érudition. Voyant à la fin que j’allois me trahir moi-même, ne pouvant plus me retenir de rire, je suis sorti, en les remerciant beaucoup de leur complaisance ; & les ai laissés dans la flatteuse persuasion que j’étois plus sot qu’eux, & que leur science avoit mérité la considération d’un homme riche : car c’est tout ce qu’ils voyoient en moi.

Grog. Plaisante jouissance, de se faire passer pour un imbécille.

Jov. C’est le moyen de se faire des partisans. ◀Dialog ◀Ebene 3

Diète.

Ebene 3► Un Guèrisseur Gascon disoit à son Malade :
Mangez de tout, mon cher ; suivez votre appétit :
– Mais on m’a défendu le jambon, la salade. . . . .
[46] – Abus ! Je veux encor qu’on vous serve du fruit.
– Je crains. . . – N’ayez pas peur ; c’est la diète qui tue.
Que votre table soit abondamment pourvue ;
Ayez force gibier, du poisson, des poulets :
Je vous réponds de tout : mais je veux par prudence,
En dînant avec vous, prévenir les excès ;
Eux seuls sont dangereux . . . . On sert, & chaque mets,
Où l’infirme portoit l’œil de concupiscence,
Etoit par le Docteur soustrait & dévoré.
Le repas étant fait, le Médecin bourré,
Vous le voyez, dit-il, cette abstinence austère
N’est que l’ordre gênant d’un systême idéal.
Ces ragoûts prohibés vous ont-ils fait du mal ? . . . .
– Point du tout : je me sens la tête fort légère ?
Et du vieux préjugé je reconnois l’erreur.
Grace à vous, j’ai très-bien dîné, (par Procureur). ◀Ebene 3

[47] Y glacent, y glacent.

Ebene 3► A ce cri, par lequel les Marchandes de poisson annoncent leur denrée, ayant besoin de quelque chose pour mon petit souper, je descends ; mais quelle est ma surprise ! lorsqu’au lieu d’une Vendeuse de merlans, je vois un pauvre diable nud, sec & transi ; qui m’offre une brochure semblable à l’Almanach de Liège. . . . . Etes-vous fou ? lui dis-je. – Non, Mademoiselle : je remplis ma commission, & les vues de l’Auteur. Méchant par caractère, insensible aux douces émotions d’une gaîté naïve, & aux charmes d’un agréable badinage, son ame froide, son esprit obtus, ne lui permettent ni d’être enjoué, ni de souffrir que les autres le soient : &, pour étouffer cette aimable folie, dont quelques écrits charmants font depuis quelque temps fermenter la chaleur, il a fait cette brochure, qui, toute mince qu’elle vous paroît, n’en est pas moins lourde. – Combien la vendez-vous ? – Hélas ! vous m’en donnerez [48] ce qu’il vous plaira. L’Auteur avoit proposé une souscription ; mais personne n’a signé : il n’en vend pas plus au détail ; & forcé de mettre son livre à la beurrière, les deux sols que vous allez me donner sont une aubaine qu’il attend avec impatience pour dîner. . . .(I4 ). – La compassion m’excite à en donner quatre ; & je remonte chez moi avec mon emplette. Je lis ce titre : Les Coups de patte du Frère Nicolas, par M. L. B. D. B. Première Estafilade.

Je poursuis, & bientôt je regrette mon argent. Un style glacé, une prose insipide, des vers aussi dénués de pensées que de tournure, l’intention d’être méchant pour le plaisir de l’être ; voilà tout ce que j’y ai trouvé : &, pour qu’on ne m’accuse point de partialité, voici des preuves.

Ebene 4► Leur exemple point ne ramène. . . .

Tel auroit franchi la barrière,
Où l’arrête un foible talent,
Que séduit par un prompt salaire
Il n’écrit que pour de l’argent.

[49] Des riens, qu’on appelle des Lunes,

Que l’Auteur vante à tout propos,
Que sont, pour le dire en deux mots,
Extravagances fort communes.

Et, comme on peut s’appercevoir

Que la contrainte point ne m’arrête,
Plus que jamais, je le répète,
La
Seine est un bel abreuvoir (I5 ).

Et l’on sait qu’à parler femme est tant obstinée,

Qu’elle parle même après sa mort.
Grands, petits, hauts & bas, gris, noirs & blancs aussi,
Dont on vante par-tout l’albâtre de son sein.
Mais pour moi, vous avez par <sic> trop d’expérience,
Fille novice est bien plus de mon goût :
Fraîcheur, gaîté, pudeur, valent votre
science.
Ainsi cessez de me pousser à bout. ◀Ebene 4

Tout est de la même force, & de la même élégance. Presque tous les vers [50] sont farcis de chevilles. Le Frère Coupechoux ignore qu’inouï est de trois syllabes ; l’emploie pour deux, le faisant par surcroît rimer avec aujourd’hui. Il écrit contreverse pour controverse : enfin il veut écrire, & ne sait pas lire.

C’est avec des talens aussi précieux que le Frère Nicolas veut qu’on applaudisse

Ebene 4► Les efforts de ces fiers Auteurs,
Qui savent démasquer le vice. ◀Ebene 4

Il se donne pour un Héros Littéraire, à qui l’audace est nécessaire. Effectivement il faut du front pour oser se montrer sous une forme aussi rebutante. Mais quoi de plus audacieux qu’un obscur Libelliste, qui, sans droit, sans autorité, non-content de se dérober au joug respectable des loix, ose trouver mauvais :

Ebene 4► Qu’une rigueur ridicule
A nos Censeurs fasse la loi
. ◀Ebene 4

Et qui dit que :

Ebene 4► Vous n’aurez pour prix du scrupule,
Que des œuvres d’un mince alloi
. ◀Ebene 4

En voilà plus qu’il n’en faut pour faire [51] juger du mérite de Frère Nicolas ; &, en même temps, pour me consoler de la gauche diatribe qu’il a griffonnée contre mes Chiffons. Lisez, & pardonnez-lui.

Ebene 4► Un Illustre plus moderne (que l’Auteur des Lunes,) daignant s’humaniser, a resté terre-à-terre, s’est élevé simplement sur un amas de Chiffons, d’où il a cru pouvoir tout dominer. Mais la matière étoit si sale, qu’on a contraint la Dame Javote à courir se nétoyer. . . . . . Allusion qui a été faite à l’espèce d’Ouvrage qui a paru sous le titre des Chiffons de Javote. ◀Ebene 4

Que veut dire ce galimathias ? Quelle matière sale ai-je traité dans mes Chiffons ? Voici la première fois que je parle du Frère Nicolas. Ecoutez, pauvre Frère, quand on veut être singe, il faut être adroit. J’ai promis de ne point parler des ouvrages d’autrui, & je tiendrai ma parole, tant que je n’y serai point compromise. Mais j’ai, comme tout autre, le droit de me défendre. Je n’attaquerai personne ; mais on ne m’attaquera pas impunément, & je saurai venger mes Chiffons, qui se trouvent déjà placés avec accueil dans des cabinets, & sur des toilettes, où l’on ne souffrira jamais vos lourdes estafilades. ◀Ebene 3

[52] Galerie.

Ebene 3► Dialog► Mon état primitif (que je n’oublirai jamais, parce que je ne suis point les modes :) me donne l’entrée dans plusieurs maisons. Mon second métier de fille Auteur me vaut déjà des distinctions, des prérogatives : je dirai même des égards, que j’ai vu refuser dédaigneusement à des Ecrivains d’un mérite fort au-dessus du mien. C’est peut-être parce qu’ils ne portent pas un bonnet-rond. Mais passons. Je fus il y a peu de jours chez un homme de considération ; &, après avoir réglé & soldé mon petit mémoire (car il paye comme un Bourgeois) ; il me proposa de me faire voir sa Galerie : Mon temps m’est doublement précieux, j’hésitois. Ce n’est pas ce que vous pensez, me dit-il. Vous n’y verrez ni portraits de famille, ni chef-d’œuvre des trois Écoles, ni Sujets lascifs & indécens : ces derniers sont absolumens bannis de chez moi. Les tableaux des Maures décorent mes appartemens ; & [53] les portraits de mes Ancêtres sont dans un cabinet secret, où personne n’entre que moi. Qu’ai-je besoin de redire sans cesse, & de montrer à tout le monde, qu’une longue suite d’Hommes célèbres ont illustré mon nom ? On le sait. Cette vaine ostentation ne serviroit qu’à faire faire des comparaisons, qui peut-être ne me seroient pas avantageuses ; ou à m’attirer de fades adulations. Seul je dois me souvenir des titres & des vertus de mes aïeux, pour ne rien faire qui puisse y déroger : & lorsqu’ennivré par le tournoyement des passions & des plaisirs, je veux me rendre à moi-même, je m’enferme dans le cabinet où ils sont placés ; je me rappelle leurs belles actions, & je m’excite à les imiter.

Déterminée par un discours si sage, j’acceptai la proposition, & nous passâmes dans la Galerie. Comme mon Guide prévint toutes mes questions, c’est toujours lui qui va parler.

Ebene 4► S’il est avantageux, ma chère Javote, d’avoir sous les yeux des images qui, nous retraçant l’idée du bien moral, nous encouragent à le faire ; il n’est pas moins utile de connoître ces modèles de ridi-[54]cule & de perversité, dont les sociétés abondent. La science du mal est un flambeau, qui éclaire pour le fuir. La vue des méchants & des sots amuse aux dépens de ceux-ci, & donne des armes pour résister aux conseils & aux exemples des autres, qu’un naturel vicieux ou foible seroit peut-être enclin à suivre. C’est le but de cette collection. Suivez-moi.

Fremdportrait► Cette prude, qui porte un faux air de dignité, dont l’œil demi-fermé ne laisse entrevoir que la moitié de ce qu’elle pense, est, à l’entendre, la plus fidelle des épouses : elle affecte, sur tout en présence de son mari, de déclamer contre les femmes qui donnent du scandale. Il est peu de vertus à l’abri de ses charitables pamphlets. Elle a cependant le cœur tout aussi tendre qu’une autre & ce n’est pas pour son époux. Ardente à se soustraire au joug de ses parens, ambitieuse d’une fortune & d’un nom, elle l’a épousé sans l’aimer, l’endort par le jargon fastidieux d’une sagesse verbale, l’assomme des minuties d’une décence étudiée, lui prête à regret des faveurs glacées, & se dédommage en secret avec un étourneau, qui ne vaut pas Damis, [55] à beaucoup près ; mais qui posséde le mérite insigne, de n’être pas conjugalement lié. ◀Fremdportrait

Fremdportrait► Lindane, dont vous voyez le portrait, & dont les charmes surannés semblent garantir la vertu, passe en effet pour sage ; & cela avec d’autant plus d’aisance, que, dans ce pays ci, on aime la fraîcheur & les agrémens. Elle voudroit pourtant avoir des retours de tendresse ; elle affecte mille petites façons minaudières qui ne sont plus que de laides grimaces. Voyant que cela ne prenoit pas, elle s’est formé une ménagerie de Poëtes à la grosse, dont l’estomac, aussi dénué que leur tête, trouve à la table de Lindane de quoi se refaire des fatigues d’un long jeûne. Chacun paye son écot par quelques vers indigestes, dont le but est toujours de louanger le vieux Amphitrion femelle, qui croit rajeunir, parce qu’elle entend ressasser les mots d’appas, de beauté, de graces, & de charmes ; & tous les lieux communs qui font le magasin & la seule ressource de ses rimeurs affamés. Le vin de Champagne, tire encore même quelques étincelles de ses yeux ; & l’on assure que l’on peut [56] trouver chez un Notaire la preuve de sa reconnoissance pour un de les commensaux, dont l’amadoue a pris feu. ◀Fremdportrait

Fremdportrait► Cette veuve a les passions extrêmement vives : elle est jeune & jolie ; mais si bête. . . . . Elle parle peu, & fait bien ; lorgne beaucoup, & réussit mal. Au sortir de son deuil, elle fut à un bal, prit un simple propos d’usage pour une déclaration, fut sensible, & est encore veuve. ◀Fremdportrait

Fremdportrait► Cette Tullie, quoique liée par le nœud Gordien à un homme qui travaille beaucoup, se plaint sans cesse de l’inutilité de son mari. Un de mes Amis me raconta il y a quelque temps, que, passant à pied devant sa maison, il la vit à sa fenêtre, & la salua : elle lui parle, il répond ; un laquais ouvre ; mon Ami entre, trouve la Dame sur un sopha, se place à côté d’elle, avance une proposition ; se trouve pris au mot, & sort bien convaincu des vues actives de Tullie. . . . ◀Fremdportrait

Fremdportrait► Ce portrait est celui de Léonore. C’étoit vraiment une beauté decidée. Loin de se jetter dans la réforme, au moment où l’âge sembloit lui en imposer la nécessité, elle a tellement affiché la galanterie, que les gloseurs ont pris le parti [57] de se taire. Elle dit hautement, que c’est le bon moyen : que, si elle eût pris le masque de l’hypocrisie ; la critique, toujours maligne & sur-tout acharnée contre les changemens subits, auroit pris plaisir à la poursuivre & à la tourmenter ; au lieu que s’étant mise au-dessus de tout, pour avoir trop à dire, on se tait. ◀Fremdportrait

Fremdportrait► J’ai mis pour son pendant Sylvie, dont la conduite est l’inverse de la sienne. Elle a beau jouer de la décence & les grands airs, des yeux tendres qui lui restent décèlent ses vraies prétentions. Mais leur éclat ne survivra pas à son printemps ; & elle est si connue, que sa cour n’est plus composée que d’étrangers qui ne sont pas au courant, & de Freluquets qui font auprès d’elle leur noviciat de mines. ◀Fremdportrait Fremdportrait► Chloé, que voici, fut jolie, & croit l’être encore ; mais voyant qu’il n’y a qu’elle assez complaisante pour se le persuader, contrariée d’ailleurs par les charmes naïssans de sa fille, & n’ayant pas su ménager le produit des siens, elle joue la sévère, couve Délia de ses yeux, ne la perd pas de vue un seul instant, la sermone en public, & l’instruit en particulier à faire valoir un bien, [58] qui désormais doit soutenir deux maisons, sauf à en ruiner le plus possible. ◀Fremdportrait ◀Ebene 4

Je ne veux pas vous amuser plus longtemps, à vous faire le détail de toutes les autres têtes de femmes que vous voyez ici rassemblées. C’est toujours à-peu-près le même cercle de vices, de foiblesse & d’inconséquences. Un penchant irrésistible pour le plaisir, une étude réfléchie des moyens de nous subjuguer, un égoïsme exclusif ; un ton despotique fondé sur notre fragilité ; du jargon sans esprit, de l’esprit sans jugement ; des passions véhémentes, des raisonnemens faux & sophistiques, pour concilier la loi rigoureuse du devoir avec l’impétuosité licencieuse des desirs ; telles sont en général les qualités & les maximes des femmes, & les causes du peu de respect que les hommes ont pour elles. On peut dire que, par leur faute, elles sont devenues pour nous, ce que les Comédiens sont, pour le gros du Public : des êtres faits pour les plaisirs des autres, dont on s’amuse en les méprisant ; à qui l’on dit de jolies choses par manière d’acquit & sans les penser ; & dont on a si mauvaise opinion, qu’il est presque ridicule de [59] croire à leurs vertus. – Doucement, Monsieur, l’obscurité de ma profession vous fait sans doute oublier mon sexe. Il me semble qu’il est certaines bienséances qu’on ne doit jamais perdre de vue : &, tout irrité que vous me paroissiez contre les femmes, vous devriez faire attention que je suis du nombre, & m’épargner l’amertume de la satyre générale dont vous les accablez.

– Pardon, Javotte ; mon dessein n’a pas été de vous offenser ; & vous, qui vous piquez de réfléchir, vous allez bientôt en convenir. C’est précisément parce que mon sarcasme tombe sur le général ; que personne en particulier ne peut s’en trouver blessé ? Vous ne connoissez point les originaux des portraits que je viens de vous faire voir, & dont j’ai déguisé jusques aux noms. D’ailleurs, souvenez-vous que je ne vous ai annoncée ma Galerie que comme une collection des tableaux de gens aux dépens de qui il est permis de s’égayer. Mais je me garderai bien de mettre au même rang les femmes décentes & honnêtes, sages par caractères & par principes, vertueuses sans ostentation ; qui joignent à l’aménité [60] d’un aimable enjouement, aux attraits enchanteurs d’un coloris pur & d’une parure innocente, les graces naïves de la candeur, & la majesté imposante d’une modeste retenue. Epouses sensibles & respectables, mères tendres, amies desirabels & précieuses, elles font la gloire de leurs maris, la félicité de leurs enfans, & le charme de leurs sociétés. Celles qui sont formées sur ce modèle (& il y en a beaucoup), auront toujours des droits à ma vénération : au reste, voyons les hommes de ce côté-ci. Vous avouerez que je suis bien impartial, & que, si je persiffle le vice, sous l’habit doré comme sous la robe de linon & de soie : je sais aussi respecter & honorer la vertu, quelque part que je la trouve.

Ebene 4► Fremdportrait► Examinez d’abord ce visage de Faune, dont le regard lascif & le maintien dissolu souillent l’habit respectable dont il est couvert. Parvenu à n’avoir plus de lui-même ce sentiment d’estime que tout honnête homme se doit, il se croit dispensé d’en avoir pour les autres. Il n’est plus rien de sacré pour lui. Profanateur impie du plus auguste des caractères, il ose faire brûler son encens pour des [61] divinités, dont par état il devroit ignorer jusqu’au nom. La crapule est sa volupté. Honteusement banni d’un azyle que déshonoroient ses mœurs impures, & dans lequel son atrocité l’avoit rendu aussi odieux que méprisable, même pour les esclaves : il vomit à grands flots l’invective & la calomnie, contre les Grands qui ne daignent pas l’entendre ; contre l’Artiste qui le réduit à sa valeur ; contre le marchand qui ne veut pas être sa dupe ; contre le citoyen qui le chasse de chez lui, parce qu’il craint la peste : tout ce qui est bon & juste enflamme sa bile envenimée ; &, privé de tous moyens honnêtes, nul en tout genre, peu délicat sur les moyens d’assouvir sa voracité : il terminera ses jours hors des barrières, & dans l’oubli, s’il est assez heureux pour éviter une fin publique. ◀Fremdportrait

Fremdportrait► Ici, c’est un homme de néant, bouffi de son or & de sa dépense : il se croit grand, parce qu’il est gros ; parce qu’il a une bonne table, de nombreux valets, un hôtel vaste & de riches ameublemens. De riches flatteurs vantent son mérite & ses talens. Qu’a-t-il fait ? Il a eu assez de souplesse pour se glisser parmi ceux qui [62] rampent sous la roue de la fortune ; & assez d’adresse pour saisir, malgré la rapidité du mouvement, un rayon qui l’a jetté en haut. ◀Fremdportrait

Fremdportrait► Ce Capitan à la mine audacieuse, au regard meurtrier, qui ne parle que sang, que combats ; qui raconte ses faits d’armes, & ne montre pas une blessure ; qui bat ses gens, & fait trembler ses foibles amis, n’a jamais servi qu’en temps de paix, & tire sa révérence quand on lui tient tête. ◀Fremdportrait

Fremdportrait► Ce Chef massif, épaisse enveloppe d’un esprit encore plus épais, juge les talens d’après un droit qu’on lui a affermé. Les productions délicates de l’Artiste agréable, de l’Ecrivain sensible, glissent sur son génie triplement cuirassé. Il ne peut être ému que par le choc brutal d’une œuvre monstreuse, & par des traits lourdement acérés. ◀Fremdportrait

Fremdportrait► Celui-ci, dont vous cherchez à fixer le regard oblique & ambigu, après avoir couru le monde, exerce, sans titre comme sans talens, un art noble, à la faveur duquel il s’insinue dans les maisons pour brouiller les ménages, séduire les femmes, vivre à leurs dépens ; leur faire [63] oublier enfans & devoir ; jusqu’à ce que l’époux ouvrant les yeux, se voie forcé de recourir à l’autorité ; pour se séparer de la moitié de lui-même, & contraindre le suborneur à porter dans d’autres lieux ses dangereuses assiduités. ◀Fremdportrait ◀Ebene 4

Quelqu’amusans que fussent pour moi ces détails, ne connoissant point les originaux de ces portraits, je n’y trouvois pas un extrême intérêt. Je pris congé de mon Monsieur ; le remerciant de sa complaisance, rendant justice à son impartialité, & lui représentant que je n’avois pas besoin de ses tableaux pour voir des grotesques. En effet, je n’ai qu’à faire un tour aux spectacles, dans les promenades, & encore ailleurs ; j’en verrai bien d’autres ; & l’on aura encore pour moi la complaisance de faire les frais de la peinture. ◀Dialog ◀Ebene 3

Reproches a mon Amoureux.

Ebene 3► Tu me quittes, Picard, tu ne viens plus me voir !
Tu brûles, je le sais, d’une flâme nouvelle :
[64] D’une Nymphe au vernis le magique pouvoir
Te fait abandonner une Amante fidelle.
L’athomsphère musqué d’un élégant boudoir,
Les chaises de damas, les fichus de dentelles,
Ont rayé de ton cœur le modeste mouchoir,
L’odeur de soupe aux choux, la boiteuse escabelle,
Qui t’inspiroient jadis dans mon humble manoir,
Les parjures sermens d’une ardeur éternelle.
Ils sont passés, ces jours qui flattoient mon espoir ;
Où tu prenois plaisir à laver ma vaisselle :
Où, pour avoir du temps à me donner le soir,
Avant l’aube du jour tu faisois sentinelle !
Prends-y garde, Picard, on court risque de cheoir,
Quand on grimpe trop haut sur une mince échelle.
Ton beau nez, ta fraîcheur, ton grand œil vif & noir,
Ton brillant coloris ont tenté la donzelle :
Ses appas frelatés ont su te décevoir ;
Tu pousses de soupirs une ample kirielle :
Et la croyant t’aimer, tu te fais un devoir
D’oublier ta Javote, & ton métier pour elle.
Tu presses de Clotho le fatal dévidoir,
Et de tes heureux jours entassant la séquelle,
Tu prodigues en fou ton plus solide avoir.
Bientôt le vent du Nord fondra sur ta nacelle :
[65] En vain pour la guider tu mettras ton savoir,
La honte, le dépit troubleront ta prunelle ;
Et ne te laisseront qu’un stérile vouloir.
Loin de plaindre tes maux, la vorace Isabelle
Se riant de tes pleurs & de ton désespoir ;
Triomphante d’avoir vuidé ton escarcelle,
De son logis pour toi rendra sourd le heurtoir.
Tu viendras alors sec comme une haridelle,
Caliner à mes pieds, tâcher de m’émouvoir ;
Et je te renverrai près de ta Perronelle,
En te disant : Allez, Monsieur, ça fait rasoir. ◀Ebene 3

Dialogue.

Metatextualität► Le meilleur moyen pour entendre, c’est d’écouter. C’est Figaro qui l’a dit. J’aime à entendre, comme à voir. J’écoute souvent ; & voici ce que j’entendis un jour au Boulevard entre un Monsieur & une Dame. ◀Metatextualität

Ebene 3► Dialog► La Dame. Prenons des chaises : je ne saurois marcher plus long-temps.

Le Monsieur. Effectivement, je m’apperçois à mon bras, que vous avez bien de la peine à vous soutenir. Seriez-vous indisposée, Madame ?

[66] La D. Hélas ! mes pauvres pieds ne peuvent me porter : je marche comme une canne ; &, si je ne m’appuyois toujours sur quelqu’un, je tomberois à chaque pas.

Le M. Cela vient peut-être d’une foiblesse de jarrets, causée par le peu d’exercice ; car vous n’êtes pas d’un âge. . . . .

La D. D’un âge ? Mais quel âge, croyez-vous donc que j’aie ? On dit que j’ai près de quarante ans, & . . . . . 

Le M. Ah ! on se moque assurément : c’est une plaisanterie.

La D. Ne pensez pas rire : je ne crois pas en avoir trente. Je m’en rapporte à ma santé ; j’en prends ma fraîcheur à témoin ; & je n’ai que mes pieds qui. . . . .

Le M. Seroient-ils enflés ?

La D. Non, point du tout. J’ai toujours eu les plus jolis petits pieds du monde. Est-ce que vous ne les avez pas vus ?

Le M. Ma foi, Madame, jusqu’à présent je n’ai pas pu voir que le petit bout de vos mules ; & j’ai même admiré votre modestie dans le soin que vous prenez de ne jamais montrer votre pied tel qu’il est.

La D. N’est ce pas le voir tel qu’il [67] est, que d’en voir le bout ? Connoît-on autrement le pied d’une femme ? Et ne doit-on pas juger, quand la mule est petite, que le pied est petit ?

Le M. Oui, si la mule est de la mesure du pied.

La D. Ah ! qu’il est bon ! Est-ce que les femmes font prendre la mesure de leurs mules sur celle de leurs pieds !

Le M. Pardon de mon erreur. Je croyois que cela devoit être ainsi. Mais, puisque ce n’est pas la mode, je ne m’étonne plus s’il est si rare de trouver chaussure à son pied.

La D. Eh ! non ! mon pauvre Monsieur : il faut que ce soit le pied qui se mesure à la chaussure. La mode est d’avoir le pied très-petit : il faut que tous les pieds en passent par-là, & qu’ils paroisient au moins tels que la mode l’exige.

Le M. C’est-à-dire, Madame, que celles qui ont le malheur de les avoir un peu grands, doivent s’estropier, pour se mettre à la mode ?

La D. Mais sans doute. Pour qui passeroit une femme comme il faut, qui ayant les pieds grands, se chausseroit à leur mesure ? On la prendroit, non pas [68] pour une Bourgeoise, pas même pour une Cuisinière ; car toutes ces espèces-là singent l’élégance ; mais pour une servante de village.

Le M. Avec votre permission, je connois des Dames de la première qualité, qui vont fort bien avec des chaussures aisées, & qui n’ont point honte de marcher avec des souliers faits sur la mesure de leurs pieds.

La D. Ah ! l’horreur ! Des souliers ! C’étoit donc du temps du Roi Guillemot ?

Le M. Non, en vérité. Ces personnes-là sont encore très-vivantes.

La D. A la bonne heure. Je sais bien qu’il y a des femmes assez peu jalouses de leur qualité, pour se mettre de la dernière gaucherie. Dans les meilleures maisons il y a toujours quelqu’un qui dégénère ; & preuve de cela (je le dis à regret), n’ai je pas ma cousine la Marquise de . . . . qui trotte du matin au soir, avec des chaussures, d’un large à faire peur ? Ce n’est pas qu’elle ne soit de bonne maison : mais que voulez-vous ? On ne sait pas toujours soutenir sa noblesse : & cette pauvre femme a la foiblesse de vouloir marcher à son aise, en [69] dépit de la mode, & au mépris d’un attrait si frappant dans une femme.

Le M. Il faut convenir qu’elle a grand tort.

La D. Plus que vous ne pensez. Imaginez-vous qu’elle ne veut jamais que personne lui donne le bras, quand elle marche : est-ce aller en femme de qualité ? Pour moi, Dieu merci, j’ai les pieds si mauvais, que, quand je le voudrois, je ne pourrois pas marcher en Bourgeoise. Il faut de nécessité que je soutienne ma condition, en allant toujours appuyée sur quelqu’un ; & j’en suis fort aise. Je trouve cela très-heureux : car, que sait on ? Si je pouvois courir seule, j’oublierois peut-être que cela ne me convient pas : mais graces à mes pauvres pieds. . . . .

Le M. Et si je vous disois, Madame, que ce ne sont point vos pieds qui vous en empêchent, & qui vous incommodent ; mais que sûrement ce sont vos chaussures.

La D. Beau raisonnement ! Est-ce que des chaussures peuvent incommoder, puisqu’on les prend pour sa commodité ?

Le M. Oui, c’étoit comme cela du [70] temps du Roi Guillemot. Mais je crois que les vôtres ne sont rien moins que commodes ; &, sérieusement parlant, je gagerois qu’elles ne vous gènent tant, que parce qu’elles sont de moitié trop étroites, & que vous y fourrez à peine le petit bout du pied.

La D. Pardonnez-moi, je l’y mets fort aisément.

Le M. Oui, mais que devient le reste ? Il rebrousse & regorge jusqu’à la cheville. Voyez, voyez vous-même.

La D. Je n’ai pas besoin de le voir : je le sens bien.

Le M. Hé bien, convenez qu’avec un pareil serrement, une base si étroite, & des talons extrêmement hauts, vous ne marchez que sur la pointe des doigts, & que c’est-là ce qui vous empêche de vous soutenir.

La D. Cela se peut : mais peut-on faire autrement ? Voudriez-vous que je m’exposasse à faire croire que je n’ai pas le pied joli ? Mon Cordonnier m’a bien dit à-peu-près ce que vous me dites-là : mais c’est un imbécille qui ne peut pas faire qu’une chaussure trop petite ne me gène pas.

[71] Le M. Je vous en donnerai un qui sera peut-être plus adroit.

La D. Envoyez-le-moi, j’en essayerai. Mais je vous avoue que j’aimerois mieux être éclopée, & rester assise toute ma vie, que de renoncer à passer pour avoir le pied mignon. . . . . ◀Dialog ◀Ebene 3

Annonce
De Livres Nouveaux
.

Ebene 3► Les Charmes de la Solitude, ouvrage philosophique, composé par une Demoiselle retirée malgré elle à la Salpétrière ; revu par un Commis révoqué, mis au jour par un Avocat sans causes, & imprimé aux frais de la Régie du Transport intérieur de Paris.

Principes de Politique, par un Habitant du caveau ; commentés sur un manuscrit trouvé sur la terrasse des Thuileries ; dédié au Courier d’Avignon.

Traité de la Foi conjugale, par une Femme, mère de six enfans, & mise en lieu sûr à cause de sa conduite.

L’Art de traiter avec les Usuriers, mis [72] au jour par un jeune-homme de famille ; revu par un Gascon, dédié à plusieurs Seigneurs.

Protocole des promesses sans effets, à l’usage des Grands & des Gens en place.

L’Art d’ennuyer, composé par un Auteur dramatique, augmenté par un bavard, publié par M. L. B. D. B. ◀Ebene 3

Anecdote.

Ebene 3► Un de ces Faiseurs d’Ouvrages faits, dont Paris abonde, qui dénigrent les vrais Gens de Lettres, & dominent dans les cercles d’ignorans & de Caillettes ; vient un matin, bouffi de prétentions & d’audace, trouver un Imprimeur, qui n’est point dépourvu de connoissances littéraires ; & lui montre une Epigramme fort bonne, qui lui coûtoit, disoit-il, une nuit de travail. Par un de ces malheureux hasards que toute la prudence humaine ne peut prévoir, l’Imprimeur avoit sur son bureau un livre ancien & rare, qu’il s’étoit amusé à parcourir, & où il se rappelle d’avoir lu en entier cette [73] épigramme. Il laisse le Fripier donner cours à son impudente jactance ; & lui ayant accordé le temps de jouir & de se vanter, il voulut s’amuser à son tour. Dialog► – Vous ne me persuaderez jamais que cette production, qui de bonne foi est charmante, soit le travail d’une seule nuit. – Je vous jure que je l’ai commencée & finie avant que de m’endormir. – A la bonne heure : mais il vous a fallu plusieurs jours pour. . . .  – Y penser ? Non, point du tout ; je n’y songeois pas. – Ce n’est pas cela que je veux dire. . . . . . Pour trouver ce livre. – Quel livre ? Quel rapport a ce livre avec mon épigramme ? – Plus que vous ne croyez : puisque l’Auteur a le mérite d’avoir pensé précisément comme vous. – Pas possible ! – Voyez. . . . & il lui fait voir l’endroit, dont il eût copié jusqu’aux fautes, s’il s’y en étoit trouvé : tant il est exact. – Ah ! Ah ! c’est plaisant ! – Pour moi, répond l’Imprimeur. ◀Dialog Honteux & confus, notre jeune homme se retira, & il fit bien. ◀Ebene 3

[74] Autre, plus intéressante.

Ebene 3► Dans les dernières guerres d’Italie, où commandoit le Prince de Condé, un brave Grenadier, nommé Marcé, fut privé, par un passe-droit, d’un avancement bien mérité, tant par sa bravoure que par sa conduite : il ne se plaignit pas. Peu de temps après, deux soldats, ses compatriotes, furent condamnés à la mort, pour avoir déserté par étourderie, comme cela arrive souvent. Marcé vient trouver le Prince, que ses vertus & son humanité n’ont pas moins immortalisé que sa valeur & ses talens dans l’art de la guerre. Il se jette à ses pieds. Leves-toi, lui dit Condé, un brave Grenadier ne doit pas me parler à genoux : c’est mon camarade. – Mon Général, deux enfans du pays sont pris comme déserteurs, ils vont périr, je vous demande leur grace : vous rendrez au Roi deux hommes, imprudens à la vérité, mais braves, j’en réponds. – Tu en réponds ? Ils sont sauvés. . . . . & il signe la grace. . . . . [75] – Mais tu ne me demandes rien pour toi ; je sais que tu as désiré quelque chose qui t’étoit dû. – Je ne désire, je ne demande rien ; je suis trop récompensé : je tiens entre mes mains la vie de mes camarades, & je vole. . . . . Le Prince le fit Officier.

Metatextualität► On regrette de ne s’être pas trouvé là, pour embrasser le Général & le Soldat. ◀Metatextualität

Dans une affaire qui se donna quelques jours après, Marcé, (alors Lieutenant,) voit à côté de lui son Capitaine mortellement blessé ; il le charge sur ses épaules, & l’emporte hors de la mêlée. Après lui avoir donné les secours que permettoient le lieu & la circonstance, il veut retourner à son poste. Où vas-tu ? dit le Capitaine, le feu est terrible, la Compagnie abîmée, le péril affreux. – C’est pour cela que j’y suis nécessaire. Que feront ces enfans, qui ne vous ont plus, s’il <sic> ne me voient pas à leur tête ? . . . & il part. – Tu cours à la mort. – C’est mon métier . . . . . Il se remet à son rang, & à peine arrivé, un boulet le coupe en deux : fin glorieuse, & digne d’un tel héros ! Mais que cette gloire coûte cher [76] à la patrie ; lorsqu’elle lui enlève de pareils hommes ! ◀Ebene 3

Encore une.

Ebene 3► Les François assiégeants une ville, s’étoient emparés de différens ouvrages ; & plusieurs postes, dans lesquels ils s’étoient logés, avoient sauté par l’effet des mines, où l’ennemi avoit mis feu en les abandonnant. Des Grenadiers occupoient un bastion, qu’ils avoient également emporté le sabre à la main ; & l’un d’eux, blanchi sous le harnois, fumoit tranquillement sa pipe dans le corps-de-garde : Sais-tu bien, lui dit à l’oreille un autre vieux héros, que nous pourrions faire aussi la cabriole cette nuit ? car on dit que ce poste est miné comme les autres. Je le sais, répond l’intrépide Guerrier ; mais n’en parlons pas ; cela feroit peur à nos jeunes gens. . . . . & il reprend sa pipe. ◀Ebene 3

[77] Réflexions folles.

Je crois, d’après mes petites lumières, qu’il ne suffit pas d’avoir de l’esprit pour bien écrire : il faut encore, outre les connoissances acquises & dirigées par un maîtres judicieux & éclairé, qui ait tourné l’esprit du bon côté ; un jugement sain, un goût épuré par la lecture des grands modèles ; le sentiment intime du vrai, qui seul est beau ; comme le dit un beau livre, où je me souviens de l’avoir lu & éprouvé.

Bien des gens écrivent mal, parce qu’ils veulent trop bien écrire. Ils dédaignent les pensées naïves qu’inspire la nature. Ils rejettent les expressions vraies que dicte le sentiment ; & les tournures simples que la langue présente si naturellement. Le terme propre leur semble trop commun : ils forcent les mots à signifier autre chose que l’idée qui y est attachée, & ne disent pas ce qu’ils veulent dire. L’inversion des phrases, le sens contraint des épithètes, l’abus des figures, [78] dénaturent le discours, & ne font pas moins de tort au goût général qu’à la réputation de l’Ecrivain qui les emploie. Il y a des Tragédies, où l’on ne peut s’empêcher de rire d’une idée bouffonne, que fait naître au moment le plus sérieux un vers louche & amphybologique.

Certaines Comédies passables quant au sujet & à l’intrigue, ne font pas sourciller, parce que l’esprit tendu à pénétrer le sens d’un dialogue obscur & contourné, perd de vue l’intérêt & le plaisant des situations.

Cela ne viendroit-il pas de ce que bien des personnes parlent & écrivent, sans savoir ce qu’elles veulent dire ? Ne pourroit-on pas l’attribuer à la démangeaison de faire de l’esprit aux dépens du bon sens ? J’ai vu des gens qui, dans une simple lettre, où tout doit être naturel & facile, comme dans la conversation, avoient la rage de vouloir mettre du style, & ne faisoient que du galimathias. Lorsque vous me parlez d’affaires, ou que vous m’assurez de votre amitié, ce ne sont pas des mots que je veux ; ce sont des choses. Dites-moi tout bonnement ce que vous pensez ; & si réellement vous [79] pensez quelque chose : votre style sera clair & intelligible. J’en ai fait l’épreuve ; & forçant un jeune-homme qui s’étoit épuisé pour me faire une Epître guindée ; à me dire nettement ce qu’il pensoit : il fit une fort jolie lettre, au lieu d’un amphigouri, dont il s’applaudissoit, & où je n’entendois rien.

Ce n’est pas que pour écrire, ce qui s’appelle bien, il ne faille beaucoup d’art : mais, quand on a de l’esprit, cet art se trouve dans la nature même, & devient ridicule dès qu’il en sort. C’est, pour ainsi dire, une vérité de sentiment, sur laquelle je ne pense pas qu’aucun vrai Littérateur me donne le démenti.

Après l’étude de la nature, occupez-vous de celle de votre langue, & connoissez le génie & le goût du siècle où vous vivez. Je défie qu’avec ces ressources un homme d’esprit écrive mal, & je défie également qu’il écrive bien, si une seule lui manque. Les uns ont à la vérité plus de génie que les autres ; &, avec un égal degré de connoissances, tous n’écriront pas également bien ; mais aussi ce ne sera jamais absolument mal.

Rien de plus choquant, sur-tout dans [80] les hommes, que l’ignorance de l’Orthographe : & les personnes des deux sexes, qui se font un mérite de la négliger : ont autant de tort que ceux qui ne veulent rien pardonner, à cet égard, à des gens qui ne peuvent savoir que ce qu’ils savent.

Metatextualität► Voilà, ce me semble, un article bien littéraire, pour une Ravaudeuse. Mais je me forme ; & vous en verrez bien d’autres. ◀Metatextualität

Vente
Au Mont de Piété
,
De plusieurs Effets, dont les Propriétaires ont perdu les reconnoissances.

Ebene 3► La bonne-foi d’un Normand.

La cordialité d’un Italien.
La douceur d’un Provençal.
La légèreté d’un Hollandois.
La véracité d’un Gascon.
La bêtise d’un Toulousain.
La Balourdise d’un Dauphinois.
La Duplicité d’un Bourguignon.
[81] La sincérité d’un Comtois.
La làcheté d’un Soldat François.
L’envie d’obliger d’un Courtisan.
La grossiereté d’un Officier.
L’affabilité d’un Commis.
La modestie d’un Acteur.
L’humanité d’un Procureur.
La politesse d’un Marin.
Le désintéressement d’un Homme d’affaires.
La frugalité d’un Fermier-Général.
L’économie d’un jeune Seigneur.
La tendresse d’une Belle-Mère pour les enfants d’un autre lit.
Les largesses d’un vieux Capitaliste à ses héritiers.
La bienfaisance de certaines gens pour les Hommes de Lettres.
Et autres articles : le tout au rabais. ◀Ebene 3

Histoire sérieuse.

Ebene 3► Allgemeine Erzählung► Le Bon croyoit, lorsqu’il épousa Lucile, que rien dans la vie n’étoit plus doux que la société d’une femme que l’on aime ; & il le croyoit encore après une [82] année de mariage. Ils ne se quittoient pas. Lucile suivoit son mari dans ses voyages : Le Bon accompagnoit son épouse dans les boutiques, qu’elle faisoit mettre sens dessus-dessous, pour ne rien acheter ; & jusque chez les voisines, où elle alloit commérer. Ils ne pouvoient vivre l’un sans l’autre ; & Lucile sur tout, sembloit souffrir les assiduités de son mari avec autant de plaisir, que bien des Maitresses en ont à se soustraire à celles de leurs Amans.

Un soir Lucile se trouva mal, bâilla, tressaillit, fit des grimaces horribles, & finit par tomber évanouïe sur une otomane. Le Bon, fort alarmé, vole à son secours : sa cuisinière Jacqueline le retient. – Ne vous y fiez pas, Monsieur, dit-elle ; gardez vous d’approcher de Madame. Je connois sa maladie ; j’ai déjà servi une Dame qui en avoit une pareille. Elle faisoit semblant de mourir ; & quand on vouloit la toucher, elle dévisageoit le monde. Encore un coup, ne vous y fiez pas. . . . . Il voulut pourtant s’y fier, & s’en repentit. Sa bien-aimée lui mordit le bras jusqu’au sang, & peu s’en fallut qu’elle n’emportât la pièce.

[83] Je vous le disois bien, s’écria Jacqueline : c’est la mode des femmes qui ont comme-cà des vapeurs ; elles sont ni plus ni moins que si elles étoient folles. Je vous plains bien, Monsieur, si Madame devient une fois sujette à cette cérémonie-là. Quand ces chiennes de vapeurs ont passé en routine : on n’y peut plus durer.

Cependant Lucile revint à elle, & n’en soupa que mieux.

Le lendemain à la même heure, même crise, mêmes alarmes de la part du mari, qui vouloit aller chercher un Médecin : mêmes efforts de la soubrette pour le retenir. – C’est inutile, Monsieur, disoit-elle. Il ne lui faut ni Médecin ni mari. . . . . Il ne l’écouta pas ; & aux dépens de quelques coups de poing qu’il reçut, il rappela sa Belle à la vie, & à la raison ; mais l’accès fut plus long que celui de la veille.

Le jour d’après, ce fut encore pis. Elle l’égratigna, le pinça, le mordit tant, qu’il la crut enragée ; & vouloit appeller les voisins. Lucile, qui ne vouloit ni voisins ni témoins, se précipite sur lui, le retient. – Ne m’abandonnes pas, mon [84] cher ami, s’écria-t-elle en pleurant : rien ne peut me soulager que le plaisir de te voir. . . . . Pressée de douleur & de tendresse, elle l’embrassoit jusqu’à l’étouffer. Il crioit de toute sa force, Jacqueline rioit de toute la sienne : les contorsions & les égratignures redoubloient. Les clameurs de Le Bon, les éclats de la suivante redoubloient aussi. Enfin cette scène, prolongée près de deux heures, fut suivie d’un calme inattendu, ou très-attendu : c’est comme on voudra, car je n’aime point à disputer sur un mot.

Le jour suivant. . . . . Metatextualität► oh ! ça ; mais entendons-nous. Je crois que j’aurai plutôt fait de dire que les choses se maintinrent sur le même pied pendant quinze mois. Ce n’est pas que je ne pusse donner jour par jour le détail des crises de Lucile : & cela me feroit quatre cents cinquante-sept alinéa (l’année étoit bissextile), qui rempliroient fort commodément, & sans fatigues, mes quatre feuilles d’impression : mais cela pourroit devenir monotone, & faire bâiller mes Lecteurs & moi aussi. J’abrége donc, & ne ferai plus de digression inutile. Car il n’y a rien de si insipide que les digressions, qui coupent [85] l’intérêt, tranchent le fil de la narration, & empêchent de goûter un récit. Qu’est-ce en effet qu’une digression ? C’est un discours hors d’œuvre, qui fait que. . . . ◀Metatextualität

Un jour Lucile s’avisa de vouloir souper dans un petit cabinet, qui étoit au fond du jardin. Ce n’étoit qu’une espèce de serre, mais qui fermoit à clef, & que la malade choisit comme étant l’endroit le plus frais de la maison ; disant que la chaleur contribuoit à augmenter ses vapeurs. A compter de-là, on y soupa tous les soirs ; & tous les soirs se renouvelloient les scènes tragi-comiques entre Le Bon, Lucile & Jacqueline.

Enfin le mari s’ennuya d’être moulu de coups régulièrement deux ou trois heures par jour. Voilà, se dit-il à lui-même, une étrange maladie. Si elle continue, ma femme mourra de ses vapeurs, & moi de leurs effets. . . . Et moi, de rire, reprit Jacqueline ; car elle vous rosse si drôlement, que c’est une comédie.

Ne pouvant donc plus y tenir, & voyant un soir que le manège alloit recommencer, il sortit, & laissa sa femme dans le cabinet, disant qu’il avoit aussi des vapeurs, & qu’il alloit se coucher, [86] de peur que l’envie ne lui vînt de mordre & d’égratigner sa douce Amie, par manière de revanche : & quelques heures s’étant écoulées, elle vint le rejoindre ; & lui dit qu’elle avoit été beaucoup plus mal qu’à l’ordinaire ; que la privation de sa vue avoit redoublé ses souffrances : que &c. . . .  &c. . . . .

N’en croyez rien, interrompit Jacqueline ; c’est la force de l’amitié qui lui fait dire cela. Mais Madame n’a pas été de moitié si tourmentée que les autres jours ; & je suis bien sûre que c’est parce qu’il n’y avoit que moi ; car on dit que la vue des hommes aigrit ce mal-là.

Je croirois assez ce que tu me dis, Jacqueline, reprit Le Bon, qui n’étoit pas fâché d’accoutumer sa femme à se passer de le battre. Vas, mon cher cœur, je te laisserai seule dorénavant. – Ah ! je vois bien, mon cher mari, que vous n’êtes plus amant, ant, ant, ant : hélas ! ah ! ah ! ah ! avant notre mariage, tout cela, ah ! ah ! ne vous auroit pas fait peur.

Ce reproche, accompagné de sanglots, déchira le cœur du mari. Non, tendre chate, lui dit-il, en se jettant à [87] son col ; non, je ne te quitterai plus, dusses-tu m’assommmer <sic>.

Par ce mouvement il avoit mis ses bras hors du lit. Lucile les voyant tout noirs de meurtrissures, & réfléchissant que c’étoit son ouvrage : Ah ! malheureuse ! s’écria-t-elle : est-ce bien moi qui t’ai pu traiter si cruellement ! Ah ! Dieux ! justes Dieux ! grands Dieux ! Ah ! . . . . . (toutes les exclamations qui font l’intérèt d’un Opéra, & le pathétique d’un Drame.) & après cela, je voudrois encore t’obliger à souffrir un pareil martyre ! Non, non, non, non, non : j’aime mieux mourir seule, que de t’exposer davantage à te voir massacrer de mes mains. – Je te jure que j’y resterai. – Je jure que je ne veux pas que tu m’approches dans ces funestes momens. – Je fais vœu de ne te pas abandonner. – Je proteste que je ne te laisserai pas entrer. . . . . . . Et tous ces sermens, c’étoit l’amour, le tendre amour qui les dictoit.

A la fin pourtant ils se mirent tous deux à la raison. Il fut conclu que Le Bon iroit tous les soirs se coucher de bonne heure, & que Lucile s’enfermeroit dans le cabinet des vapeurs, afin de ne tuer [88] personne. Cela fut exécuté ponctuellement pendant quelques mois : de sorte que Lucile venoit retrouver son mari plus ou moins tard ; souvent au milieu de la nuit ; quelquefois au point du jour : car il arrivoit que les vapeurs duroient parfois plus longtemps qu’elle ne croyoit.

Tout se passoit avec trop de tranquillité, pour que le Diable ne fît des siennes.

Un soir, que les deux époux soupoient amicalement dans le fin cabinet, longtemps avant l’heure ordinaire de la crise, ne voilà-t il pas que les maudites vapeurs s’avisent de devancer le moment. . . . . Je me meurs, Jacqueline, eh ! vîte ! eh ! vîte ! Jacqueline prend une caraffe pleine d’eau ; Le Bon la lui arrache des mains, & la laisse tomber : dans son trouble il casse encore la burette au vinaigre, & court à un placard où l’on mettoit de coutume des liqueurs & des eaux spiritueuses ; mais, ô surprise ! ô fureur ! au lieu de rayons, il apperçoit, en l’ouvrant, que la muraille est tout-à-fait percée, & que l’armoire n’est plus qu’une porte qui sort dans le jardin de la maison contigüe à la sienne. Lucile oublie son mal, & se jette à ses pieds. – Qu’est-ceci, Madame ? [89] Dites-moi la vérité, ou je. . . . . – Grace ! mon ami, grace ! c’est moi qui ai fait percer cette porte à son insçu, pour aller passer les soirées chez notre voisine. Tu ne me quittois non plus que si tu eusses été jaloux : je sais bien que tu ne l’es pas : mais enfin je ne pouvois me consoler d’être toujours avec toi ; & si je ne me fusse avisée d’avoir des vapeurs, je crois que je serois morte d’ennui. N’ai-je pas trouvé là un joli secret pour me contenter sans te causer d’alarmes ? Avoue que tu es bien heureux d’avoir une femme si délicate & si ingénieuse.

– Ingénieuse ! que trop peut-être : & . . . . . que faites-vous-là ?

– Nous causons, nous rions, nous jouons à de petits jeux innocens avec de jolies femmes qui s’y assemblent, & des jeunes gens fort aimables & fort gais. . . . – Des jeunes gens ! ne me dites plus rien. Je n’en veux pas savoir davantage : je veux tout oublier. Mais si vous m’y rattrappez, dites que je suis un imbécille.

Il fit murer l’ouverture, & démolir le cabinet. Lucile n’eut plus d’accès : il surveilla sa conduite actuelle, & ne fit point sur le passé des recherches qui l’auroient [90] chagriné, sans réparer le mal fait : si toutefois il y en avoit ; car tout cela pouvoit être fort innocent. ◀Allgemeine Erzählung Metatextualität► Mais on est, dans le monde, si porté à tout envenimer ! Aussi eut-il encore la prudence de n’en parler à personne ; & on ne l’auroit jamais su, sans l’indiscrétion de Jacqueline, qui, chassée par Le Bon, pour prix de sa confidence, a raconté cette histoire. C’est ce qu’il auroit dû prévoir, & la seule imprudence qu’il ait faite ; car,

De ne rien voir, c’est être sot ;
De souffrir tout, c’est indolence :
Voir tout, ne souffrir rien, agir sans dire mot ;
C’est la véritable prudence. ◀Metatextualität ◀Ebene 3

Ce qu’on voit tous les jours.

Ebene 3► On soupire, on maigrit, on pleure, on se tourmente,
Pour un objet aimé qu’on brûle de saisir :
Corine pour Hylas, Hylas pour son amante,
Succombent aux langueurs de leur tendre desir.
Sensible à leurs tourmens, le grave parentage
Consent à les unir. On dresse le contrat :
[91] On chicanne, on stipule en gothique langage,
Des articles obscurs, sources de maint débat.
Il luit ce jour heureux, qu’on attend, qu’on redoute.
Rayonnant de plaisir, triomphant, plein d’ardeur,
Hylas mène à l’autel sa Maitresse, qui doute
S’il faut rougir alors de joie ou de frayeur.
Elle pleure, elle rit, s’alarme, se rassure ;
Prononce, en bégayant, le mot tant desiré ;
Se remet, goûte enfin la douceur vive & pure
D’embrasser librement un Vainqueur adoré.
Des jeux & des plaisirs la cohorte bruyante
Accompagne au logis les fortunés Epoux ;
Bacchus les enhardit, & d’une voix touchante,
Erato leur promet les instans les plus doux. . . . .
Transports délicieux ! trop flatteuse espérance !
Déjà vous n’êtes plus : l’ennui vient à son tour ;
Le dégoût, la froideur suivent la jouissance :
Et les chants de l’Hymen ont endormi l’Amour. ◀Ebene 3

[92] Chanson de ste Halle, oùs’qu’on za l’cœur sus la main.

Air : Monsieur le Prévôt des Marchands.

Ebene 3► 1.

Viens, Commer’, que j’te pay’ d’mis’quiet

Du rogom’ de d’cheux st’Epicier,
Faut que j’te débagoul’, ma chere,
En pompant la gout’ sus l’comptoir,
C’que m’a dégoisé mon biau-frere,
En v’nant d’Versail’ z’hier au soir.

2.

Primò, d’abord, drès le matin

Il avoit trouvé sur l’chemin
Un’ ribandelle de carrosses,
Qu’i n’savoit plus par où toucher,
Pour faire avancer ses deux rosses ;
Quoiq’ pourtant il soit bon cocher.

3.

Il arriv’, quoiq’ ça, dans l’buriau,

Et puis va s’prom’ner vers l’chaquiau :
V’là-t-il pas qu’y treuv’ l’Roi z’en face,
Suivi d’un régiment d’Messieux,
[93] Et d’un saccage d’populace,
Qui lisions l’bonheur dans ses yeux.

4.

Ous qu’y va donc ? Qu’demand’ Jacot ?

Quiens, qu’on l’y dit, têt’ d’escargot,
Regarde sa face riante,
Son air joyeux, son doux maintien ;
En voyant sa mine contente,
Tu d’vin’ras qu’y va faire du bien.

5.

De ses domain’les plus r’culés,

Tous les Notab’ sont rassemblés ;
Pour trouver avec not’ bon Maître
L’moyen qu’ chacun d’nous soit nourri ;
Comme l’vouloit son noble Ancêtre,
Le brave & sensible Henri.

6.

La poule au pot, la joie au cœur,

Des écus & d’la bonne humeur ;
V’là comm’ nous veut ce tendre père,
Qui s’fait z’aimer d’tous les climats,
En donnant la paix à la terre ;
Et l’bon exemp’ à ses Etats.

7.

Il aime ses gentils Enfans,

Comme un Bourgeois de six cents francs.
Quoiqu’y soie si bon Gentiz’homme,
[94] Qu’on n’en trouv’ pas d’sa condition,
I s’fait un’ gloir’ d’être honnête homme,
Qu’ gn’y en a pas pour l’y damer l’pion.

8.

Ses deux frères sont avec lui,

Et puis les autres Prince’aussi.
Faut avouer qu’c’est eun’ bell’ famille !
Ça vous a la fleur du printemps ;
Et l’Roi z’est au milieu, qui brille
Comme l’Soleil parmi l’biau temps.

9.

Tous ses per’ ont z’eu des surnoms,

Gn’ia des Justes, des Grands, des Bons.
Mais pour lui faudra qu’on z’en fasse,
Un tout exprès, qui soit ben doux,
Et qui renferm’ tous ceux d’sa Race,
Puisque seul il les vaut tretous.

10.

Monsieur, dit Jacot, grand merci,

M’faut partir dans eun’ heur’ d’ici :
Au cabaret voulez-vous m’suivre ?
D’un’ bouteille j’veux fair’ les frais ;
Car vous jaspinés comm’ un livre.
Bah ! dit l’autre ; c’est comme un François.

11.

V’là, Commer’, pour te l’couper court,

La grande nouvelle du jour :
[95] Pour des Hôpitals qu’on va faire,
On dit qu’i gn’ya d’l’argent d’donné :
Eh ! jarni j’n’aurons pus d’misère :
C’est d’la moutard’ après dîné. ◀Ebene 3 ◀Ebene 2

Fin du Second Paquet.

P.S On avoit projetté de placer le Privilége du Roi à la fin du IV. Paquet, comme devant completter le premier Volume ; mais plusieurs personnes ayant eu la bonté de dire Javote que leur intention étoit de faire relier ses Numéros de deux en deux, pour rendre les Volumes plus portatifs, il est indispensable de le mettre dans celui-ci.

Approbation.

J’ai lû, par ordre de Monseigneur le Garde des Sceaux, le second Cahier d’un Manuscrit, intitulé : les Chiffons, A Paris, ce 20 Mars 1787.

Guidi.

Privilege.

Louis, par la grace de Dieu, Roi de France et de Navarre : A nos amés & féaux Conseillers, &c. Salut. Notre amé le Sieur de S * * * Nous a fait exposer qu’il désireroit [96] faire imprimer & donner au Public un Ouvrage de sa composition, intitulé : les Chiffons, ou Mélange de Raison & de Folie, s’il Nous plaisoit lui accorder nos Lettres de Privilege pour ce nécessaires. A ces causes, voulant favorablement trai(…) l’Exposant, Nous lui avons permi & permettent de faire imprimer ledit ouvrage autant de fois (…) bon lui semblera, & de le faire vendre & débi (...) par tout notre Royaume à perpétuité, pour qu’il ne le rétrocéde à personne, &c. Faisons (…) senses, &c. Voulons que la copie des Présentes, qui sera imprimée tout au long au commencement ou à la fin dudit Ouvrage, soit tenue pour duement signifiée, & qu’aux Copies collationnées par l’un de nos amés & féaux Conseillers-Secrétaires, foi soit ajoutée comme à l’original. Commandons au premier notre Huissier, ou Sergent sur ce requis, de faire pour l’exécution d’icelles, tous Actes requis & nécessaires, sans demander autre permission, & non-obstant elameur de Har(…) Charte Normande, & Lettres à ce contraires : car tel est notre plaisir. Donné à Paris, le neuvième jour du mois d’Octobre, l’an de grâce mil sept cent quante-vingt-six <sic>, & de notre Regne le treizième.

Par le Roi, en son Conseil.

Le Begu.

Registré sur le Registre XXIII de la Cha(…) Royale & Syndicale des Libraires & Imprimeurs Paris, N. 875, fol. 73, conformément aux dispositions énoncées dans le présent Privilége ; & à charge de remettre à ladite Chambre les neuf Exemplaires prescrits par l’Arrêt du Conseil, du 16 Av 1785. A Paris, le 24 Octobre 1786.

Cailleau, Adjoint. ◀Ebene 1

1(I) Nom de mignardise que les femmes donnent à l’eau-de-vie.

2(1) J’entends déjà les mauvaises langues qui disent: Ah ! c’est que le Monsieur avoit des vues sur sa Ravaudeuse ; peut-être même que déjà . . . . . Eh ! maudits bavards, si vous le connoissiez bien, & moi aussi, vous ne parleriez pas comme cela. Mais il faut qu’on parle . . . . Ah ! mon Dieu ! Qu’une pauvre fille est à plaindre !

3(I) Voilà qui est bien intéressant! dira quelque Lecteur à laborieuse digestion : nous avons bien besoin de savoir cela . . . . Ne nous fâchons pas. D’abord, vous pouvez passer l’article. En second lieu, je trouve qu’il est beau de pouvoir avouer l’emploi de son temps. Vous n’oseriez peut-être le faire, vous qui faites le gros dos. – Mais cet emploi est vil. – Pourquoi donc cela ? Il est utile, je le trouve plus noble que l’oisiveté. Le pain du pauvre, arrosé de sa sueur, est à lui ; c’est le fruit de son travail ; il le trouve délicieux, parce qu’il a faim ; & le mange en paix, parce qu’il est bien acquis. Cet assaisonnement ne se trouve pas toujours dans les mêts recherchés dont se farcit l’opulence.

4(I) Il étoit six heures du soir.

5(I) Tous ceux qu’on y mène boire, sont tellement d’accord là-dessus, que le Frère Nicolas n’ose leur donner un démenti. . . . . Il est des bienséances d’état, qui retiennent les plus hardis.