Zitiervorschlag: Anonyme (Joseph Marie Durey de Morsan) (Hrsg.): "No. 19.", in: La Bigarure, Vol.5\019 (1750), S. 145-152, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4696 [aufgerufen am: ].


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No. 19.

Ebene 2► Brief/Leserbrief► Ebene 3► Allgemeine Erzählung► La elle lui raconte ce qui vient de se passer, lui remet les billets du Banquier, & rit beaucoup du tour qu’elle vient de lui jouer. « Il m’attend le sot, continua-t-elle ; mais il m’attendra encore long-tems. J’ai joué mon rôle ; c’est à vous presentement, mon cher, à aller jouer le votre » .

Il faudroit ici, Madame, une plume beaucoup plus élégante que n’est la mienne pour vous bien peindre l’étonnement où étoit notre Anglois en écoutant ce récit. Pénétré d’estime, de respect, & d’admiration pour sa femme, dont il croyoit que la vertu auroit, dans cette critique & facheuse rencontre, succombé à la nécessité, il l’accabla des plus tendres caresses, & la remercia mille & mille fois du service important & même essenciel qu’elle venoit de lui rendre. Ensuite s’étant jetté dans le Carosse qui l’avoit amenée, il retourna à la Ville, où il vint achever la piéce que son Epouse avoit jusque-là si bien conduite.

Cependant l’amoureux Banquier, qu’elle avoit laissé dans sa chambre, s’impatientoit de ne la point voir revenir. Après l’avoir long-tems, & inutilement, attendue, il demande au Domestique s’il sçavoit ce qu’elle pouvoit être devenue. Celui-ci lui ayant répondu qu’elle est [146] partie pour la Campagne, le Galant, sur cette réponse, ne doute point qu’il ne soit la dupe de sa folle passion. Pour soulager son dépit, il se répandoit en injures, en invectives, & en imprécations contre elle, lorsque tout-à-coup il vit entrer son Mari. Cette vue lui confirma la juste idée dans la quelle il étoit. Dèsque le Marchand l’aperçut, feignant d’ignorer ce qui venoit de se passer, il s’avança pour lui faire politesse, à son ordinaire ; Mais le Banquier, confus & désespéré du tour que sa femme venoit de lui jouer, s’enfuit, & alla cacher chez lui sa honte & son désespoir.

Il manquoit un troisieme & dernier Acte à cette piéce pour qu’elle fût complette. Il fut joué, dès le jour même, par trois ou quatre Créanciers du Marchand qui vinrent demander le payement des billets qu’il avoit faits le matin à sa femme, & auxquels il fut obligé de faire honneur. Ce ne fut pas sans beaucoup de dépit ; je pourois même dire, de désespoir. Ce qui l’augmentoit encore, c’est qu’outre la honte de se voir dupé par une femme, il avoit appris, en rentrant chez lui, par des Lettres qui lui étoient arrivées en son absence, que ses Correspondants avoient tiré sur lui des sommes très considérables. Par cette abondante & terrible saignée, & par un nouvel incident de plusieurs Lettres de Change qui revinrent protestées, sa Caisse se trouva vuide ; desorte que, quelques semaines après, il s’est vu lui même obligé de faire une Banqueroute qui l’a totalement ruiné. ◀Allgemeine Erzählung ◀Ebene 3

Voila, Madame, une Avanture dont le dénouement doit servir d’instruction à tous les Galants qui travaillent à séduire, & débaucher des femmes vertueuses. Deux choses m’ont particulierement frapée dans la relation que m’en a envoyée Miladi A. . . que je n’ai fait que co-[147]pier ici. La premiere est l’esprit avec lequel cette belle & vertueuse Angloise a conduit & dénoué cette périlleuse intrigue. La seconde est le bonheur inopiné de son Mari dont le projet hardi couroit risque, à vous parler franchement, d’avoir un tout autre dénouement si sa femme eût été moins vertueuse. Il me semble qu’on peut bien dire de cet homme qu’il a été, dans cette rencontre, beaucoup plus heureux que sage.

Ebene 3► O ! combien d’Epoux, à Paris,

Où l’Ambition est sans bornes,
Voudroient que leur moitié leur fit, à pareil prix,
Porter, de tems en tems, les plus superbes Cornes
 ! ◀Ebene 3

La seconde Avanture que je vous ai annoncée ne vous amusera pas moins, à ce que j’espere, Madame, que celle que vous venez de lire. La voici telle qu’elle nous a été mandée de Mastricht.

Ebene 3► Allgemeine Erzählung► Dans le nombre de troupes que la République de Hollande tient en garnison dans cette Ville il y a un Regiment qui porte le nom de Pepin du Chailar, le quel n’est, dit-on, composé que de François qui tous sont, ou doivent être de la Religion Prétendue Réformée. Un Caporal de ce Régiment, ayant mérité d’être pendu, & l’ayant été effectivement, sa femme fut obligée de quitter Mastricht avec un jeune enfant qu’elle avoit eu de lui. Cette femme, qui est très jolie, fut accueillie dans le chemin par un Marchand du Païs de Liége qui, la trouvant sort à son gré, lui proposa de faire route ensemble, en lui offrant de la défrayer. Ces sortes de femmes ne se piquent pas, ordinairement, d’une vertu fort austere. Aussi celle-ci accepta-t-elle sa proposition. Les voilà donc Compagnons de Voyage. Comme la Charité n’étoit pas le mo-[148]tif qui avoit engagé le Marchand à l’accueillir, il convint avec elle que, dans les Auberges où ils s’arrêteroient, elle passeroit pour être son Epouse. Ces sortes de Mariages passagers sont, dit-on, fort communs dans les Voyages & se rompent ordinairement lorsqu’on est arrivé au lieu de sa destination. C’étoit bien aussi ce que le Marchand s’étoit promis de faire ; Mais les événements de ce monde ne tournent pas toujours de la maniere que nous nous l’imaginons, comme vous l’allez voir par la presente Avanture.

La nouvelle femme du galant Liégois, arrivant, le soir, dans une Auberge avec son prétendu Mari, y fut reçue en cette qualité, partagea sa table & son lit, & passa la nuit avec lui comme si réellement elle avoit été sa Femme. Ce n’étoit pas sans doute la premiere fois que Madame la Caporale faisoit ce joli métier ; & le dénouement de la piéce a fait voir qu’elle étoit beaucoup plus fine que son compagnon de voyage. En effet, comme celui-ci n’avoit pas beaucoup reposé pendant la nuit, il s’endormit, le matin, & ne se reveilla que fort tard. La galante Commere le voyant si profondément endormi, n’eut garde de troubler son repos. Elle résolut, au-contraire, de lui jouer un tour qui vraisemblablement n’étoit pas le premier de sa façon. Pour cet effet elle se leve doucement, & s’habille de même. Après avoir décroché la Montre du Marchand, elle prend sa culotte, dans laquelle étoit une bourse remplie de Ducats qu’il avoit eu l’imprudence de lui faire voir la veille, elle descend en bas, & laisse son prétendu Mari & son enfant, tous les deux dans les bras de Morphée *1 .

L’Hotesse du Logis, la voyant levée si matin, lui demande comment elle se porte, si elle a bien passé la nuit, & ce qu’elle vouloit faire avec cette culotte qu’elle lui voyoit à la main. Je voudrois, lui répondit la jolie fripone, la faire racommoder. Elle avoit en [149] effet eu la malice d’en découdre une partie, pour avoir un prétexte qui put cacher, en cas de surprise, le tour qu’elle méditoit . . . . La chose est fort aisée, lui répliqua l’Hôtesse ; nous avons, à quelques pas d’ici, un Tailleur qui vous fera cette affaire ; & en même tems elle lui montra sa demeure . . . Grand-merci, Madame, lui répartit la galante Commere ; Je vais tout de ce pas la lui porter, & la lui faire racommoder. Elle sort en effet, & va, tout de suite, chez le Tailleur à qui elle donne la Culotte dont elle avoit eu grand soin de vuider les poches dans les siennes. Celui-ci racommode ce qui y manque, & la raporte à l’Auberge dont l’Hôtesse lui donne, pour cela, ce qu’il lui demande.

Cependant Madame la Caporale, qui l’avoit portée, ne revenoit point. Aussi n’avoit-ce pas été son ïntention en sortant, mais bien de fausser compagnie à son prétendu Mari, à qui, pour une seule nuit, elle faisoit présent d’un joli petit enfant qu’elle lui échangeoit contre sa Montre & ses Ducats. Mais comme elle avoit pressenti que l’échange pouroit bien ne pas être de son goût, elle avoit pris le parti de se retirer, de voyager seule, & de prendre tout un autre route que celle qu’elle s’étoit d’abord proposée.

Elle étoit déja bien loin lorsque, sur les dix ou onze heures du matin, le Marchand se réveilla. Un peu étonné de ne la point trouver à ses côtez, il ne sçut d’abord qu’en penser ; mais l’enfant, dont il entendit la voix, & qui de son lit apelloit sa Maman, afin qu’elle le vint habiller, le rassura un peu. Il crut qu’elle s’étoit levée, & étoit descendue pour quelque besoin. En attendant, il se leve & veut s’habiller ; mais il ne trouve point sa culote qu’il cherche longtems, & fort inutilement. Il appelle la Servante à qui il la demande & des nouvelles de sa prétendue Femme. On lui apporte la premiere. Il fouille promptement dans les poches ; mais il les trouve vuides. Il cherche partout, des yeux, sa Montre qu’il avoit acrochée, la veille, auprès du lit en se couchant ; Mais elle avoit disparu avec ses Ducats. Il s’informe de nouveau de ce qu’est devenue sa femme ; On lui répond qu’il y avoit plus de quatre heures qu’elle étoit sortie pour aller faire racommoder sa culotte chez le Tailleur, & que depuis ce tems-là elle n’étoit point encore revenue.

A cette triste Nouvelle le galant Liégeois, plus sot qu’un fondeur de Cloches lorsqu’il a le malheur de manquer son ouvrage, peste, crie, jure, tempête, blas-[150]phême, accable la friponne de tous les noms injurieux qu’elle mérite, & publie dans toute l’Auberge sa honte & son libertinage. Il jure de la faire punir de ce vol, & pour cet effet il a recours au Juge du lieu auquel il va raconter ce qui venoit de lui arriver, en le priant de faire courir après cette Coquine, & de la faire pendre. Il y auroit de l’injustice, lui répondit gravement le Magistrat, d’en agir de la sorte à son égard. Vous vous êtes diverti avec elle ; n’est-il pas juste que vous payiez les violons ? Remerciez bien plutôt le Ciel de ce qu’il n’a pas permis qu’elle vous coupât la gorge, comme elle pouvoit le faire pendant que vous dormiez, pour vous punir de vos plaisirs criminels. Si la chose étoit arrivée, je la ferois poursuivre & punir en ce cas. Mais à l’égard de ce dont vous vous plaignez, vous n’avez que ce que vous méritez. Vous avez, il est vrai, perdu vos Ducats & votre Montre ; mais en revanche elle vous a fait present d’un joli petit enfant qui sera beaucoup mieux entre vos mains qu’il n’auroit eté dans les siennes. Il est bien à vous ; car, outre que vous avez epousé, cette nuit, sa Mere, vous l’avez assez bien payé. Prenez-en donc un grand soin, & sur-tout faites lui donner une bonne éducation, afin qu’il ne marche pas un jour sur les traces de son Pere ni de sa Mere. Je m’en vais, dans le moment, informer de cette Avanture le Magistrat de votre Ville, auquel je ne manquerai pas de vous recommander, aussi bien que cet enfant, dont vous aurez la bonté d’être le Pere Adoptif. Adieu, mon cher Monsieur, & bon Voyage. J’espere que cette petite Catastrophe vous rendra un peu plus sage à l’avenir.

Si jamais il y eut un homme sot dans le monde, ce fut le Marchant Liègeois que le discours du Juge pensa pétrifier. Honteux & confus du tour que Madame la Caporale lui avoit joué, & des brocards que chacun lui donnoit à ce sujet (car son Avanture s’étoit déja répandue dans la Ville) il ne put se soustraire aux huées de tous les habitants, qu’en partant promtement avec son petit fils Adoptif qu’on aura, sans doute, été fort étonné de voir arriver, & entrer, dans une famille où personne ne l’a vu naitre. ◀Allgemeine Erzählung ◀Ebene 3

Je finirai, Madame, cette longue Lettre, dont je me flate néanmoins que le contenu ne vous ennuyera point, par une petite piéce qui poura encore vous amuser. C’est une Chanson fort jolie que je viens de recevoir de la Haye, en Hollande, où elle a été chantée sur le Théatre de la Comedie Françoise qui est dans ce charmant séjour, & où elle a, dit-on, été reçue avec de grands applaudissements.

[151] Eloge de l’Inconstance.2

Ebene 3► Gracieusement.

Tout change en l’humaine Nature,

Diversité regne ici bas,
Tout change en l’humaine Nature,
Pourquoi ne changerions nous pas ?
Le chaud succede à la froi-[152]dure,
Les Fleurs remplacent les frimats,
l’Hiver couronné de verglas,
Moissonne à son tour la verdure.

Vous, qui de l’amoureux empire

Etes l’ornement & le choix,
Belles, changez autant de fois
Que votre cœur y peut suffire.
Tout change &c.

Aimons ce qui nous semble aimable,

Evitons d’indiscrets sermens,
Vivre sans nuls engagemens
C’est le sort le plus désirable,
Tout change &c.

Fi de cette vaine constance

Qui voit vieillir deux sots Amans !
Elle pouvoit passer au tems
Où l’Amour étoit en enfance.
Tout change &c.

Le Papillon leger, volage,

Se promene de fleurs en fleurs,
Aussi libre dans ses ardeurs,
Voltige l’Amour le plus sage,
Tout change &c. ◀Ebene 3

Les Vers & la Musique sont du Sr. De Hautemer.

J’ai l’honneur d’être,

Paris ce 27 Septembre 1750.

◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 2

Jeudi ce 1. Octobre 1750.

◀Ebene 1

1* C’est le Dieu du Sommeil.

2Note des éditeurs: Dans le texte original, cette chanson est accompagnée des notes que nous n’avons pas pu copier dans cette édition numérique.