Zitiervorschlag: Anonyme (Joseph Marie Durey de Morsan) (Hrsg.): "No. 20.", in: La Bigarure, Vol.5\020 (1750), S. 153-160, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4694 [aufgerufen am: ].


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No. 20.

Ebene 2► Brief/Leserbrief► J’ai fini ma derniere Lettre, Monsieur, par une réflexion sur l’effet que les passions violentes produisent sur l’esprit des hommes, dont j’ai dit qu’elles offusquent la raison au point de leur faire faire les plus grandes extravagances. Cette réflexion étoit la conséquence naturelle d’une histoire assez divertissante dont je vous ai fait part. En voici une seconde qui confirme encore cette vérité. Elle vous étonnera d’autant plus, que les Acteurs de cette nouvelle Scène sont partout reconnus pour des gens d’esprit, & consommez dans la Politique. Voici néanmoins une sotise des plus puériles qu’ils viennent de faire. Je suis persuadé, Monsieur, que vous la leur pardonnerez d’autant moins, qu’elle détruit absolument l’idée qu’ils s’efforcent de donner de leur Vertu, laquelle s’est malheureusement démentie dans cette rencontre ; chose qui leur arrive, dit on, assez souvent malgré tout leur esprit & leur politique Hypocrisie. Voici le fait.

Ebene 3► Allgemeine Erzählung► Il y a quelque tems que M. Antelmi, Evêque de Grasse *1 , donna un Mandement, ou une Instruction Pastorale portant condamnation d’un fort mauvais Livre de Dévotion qui a pour titre L’Esprit de J. C. & de l’Eglise sur la fréquente [154] Communion, composé par un Jesuite, nommé le P. Pichon ( )2 . Comme cette piéce ne fut point imprimée, qu’elle ne fut lue & publiée que dans l’Eglise Cathedrale, qui est en même tems la seule Paroisse qu’il y ait dans cette petite Ville, où d’ailleurs les Jesuites n’ont point de maison, ces bons Peres n’eurent, pendant quelque tems, aucune connoissance de la condamnation que le Prélat avoit fait du Livre de leur confrere ; & en conséquence ils ne lui en témoignerent aucun ressentiment.

Zitat/Motto► Ignoti nulla cupido,
Nec vindicta. ◀Zitat/Motto

Lorsque le Prélat étoit obligé de venir, pour quelques affaires, à Aix, Capitale de sa Province, la modicité des révenus de son Evêché le mettoit dans la nécessité de loger chez ces R. R. P. P. qui le recevoient avec beaucoup de politesse, & comme un ami de leur societé. Ils continuerent d’en agir de même avec lui tant qu’ils ignorerent la censure qu’il avoit fait du Livre de leur P. Pichon. Mais ayant enfin appris que M. l’Evêque de Grasse avoit suivi, sur ce point, l’exemple de ses confreres, l’amitié qu’ils lui avoient jusqu’alors témoignée se changea en haine, & ils se promirent bien de se venger de l’affront qu’ils prétendoient qu’avoit reçu leur Ordre par cette condamnation. Leur Vengeance n’a pas tardé à éclater. M. Antelmi, étant venu, dernierement, à Aix, pour quelques affaires, alla, selon sa coutume, descendre à son Hospice ordinaire ; Mais les Jesuites lui firent dire, qu’ils ne pouvoient le recevoir, parce que leur P. Provincial, qui étoit arrivé depuis peu, occupoit le seul appartement qui pouvoit lui convenir. Le Prélat, leur ayant répondu qu’il se [155] contenteroit d’une autre chambre, même de la pus médiocre, le Recteur, ou Superieur de ces P P, levant alors le masque, lui fit dire, assez grossierement, que les Jesuites ne logeoient point leurs ennemis, & qu’il pouvoit s’aller éberger ailleurs. Ce fut effectivement ce que l’Evêque fut obligé de faire ; & comme il étoit assez tard, que ces P P. d’ailleurs l’avoient pris au dépourvu, il fut contraint d’aller loger dans l’Auberge voisine où il envoyoit ordinairement ses chevaux ; ce qui fut pour les Jesuites un grand sujet de joye & de triomphe dont ils eurent la puerilité de se vanter le lendemain dans toute la Ville. Ne voila-t-il pas une belle victoire & une vengeance bien digne de gens d’esprit, & qui se donnent dans le monde pour des modelles de Vertu !

Zitat/Motto► Tant de fiel entre-t-il dans l’ame des Dévots ? ◀Zitat/Motto

Ce n’est pas là l’exemple de modération, & même de charité que vient de donner à ces P P. un homme du monde à qui il me semble que l’esprit de ressentiment auroit été plus pardonnable, surtout étant d’un rang, & dans une place où les hommes n’abusent que trop souvent de l’autorité qu’ils ont en main. Celui dont je vais vous parler ici est M. de Tourny, Intendant de la Généralité de Bourdeaux. Ce Magistrat, ayant, pour l’utilité & l’embellissement de la Capitale de sa Province, fait construire, avec des dépenses incroyables, de magnifiques chemins, & planter des Allées d’arbres d’une beauté admirable, s’est fait par là beaucoup d’ennemis dans ce païs-là, parce que, pour l’allignement de ces Ouvrages, il a falu tailler & couper dans les terres appartenant à divers particuliers, qui néanmoins en ont été dédomagez. Un de ceux-ci, étant à Paris pour une affaire de conséquence, se trouva, par hazard, dans une maison où étoit M. de Tourny qu’il ne connoissoit pas. Ce Magistrat, [156] l’ayant accosté, lui demanda de quel païs il étoit. Ce bon Bourgeois lui répondit qu’il étoit d’auprès de Bourdeaux, & de discours en discours la conversation tomba sur l’Intendant de la Province.

Le Magistrat, curieux d’apprendre par lui même ce que l’on pensoit de lui, sçut bientôt par cet homme sincére que bien des gens le maudissoient dans ce païs-là. Il m’a enlevé, lui dit le Bourgeois, la moitié d’une maison, & mon jardin tout entier qui m’étoient fort utiles ; & tout cela pour redresser & élargir un grand chemin dont je n’ai que faire. Mr. de Tourny, ne voulant pas se faire connoitre pour tirer plus aisément du Bourdelois tout ce qu’il en vouloit sçavoir, conversa avec lui à peu près dans le même goût. Il m’a fait bien pis à moi, lui dit-il ; Car il m’a pris toute la longueur d’un Pré de cinq arpents qu’il a fait entrer dans son grand chemin. La conversation étant tombée quelques moments après sur la famille de l’Intendant. On m’a dit, continua M. de Tourny, que votre Intendante étoit bien laide . . . O ! Diablement laide, lui répartit le Bourgeois ; mais, mai foi, ajouta-t-il, M. de Tourny s’en dedomageoit bien avec la femme de son Secretaire. Ces dernieres paroles furent le coup de séparation. L’Intendant ne fut pas curieux de pousser plus loin l’entretien dans lequel la naïveté du Bourdelois lui auroit peut-être dit des choses qu’il auroit pu n’être pas fort aise d’entendre.

Ce qu’il y a de plus singulier encore dans cette petite avanture, c’est que ce véridique & sincére Bourgeois avoit des Lettres de recommandation pour M. de Tourny que l’on prioit de vouloir bien s’interresser dans son affaire. Notre homme alla donc, le lendemain, voir son Intendant & lui presenta ces Lettres. Mais quelles furent sa surprise & sa consternation lorsque dans ce Magistrat il reconnut la personne avec qui, & sur le compte de la quelle il s’étoit si librement [157] & si naïvement expliqué la veille ! Il se crut perdu. Mais Mr. de Tourny, par une générosité qu’on ne sçauroit trop louer, & qu’il seroit à souhaiter que tous les gens en place imitassent, se contenta de sourire, & lui promit de lui rendre tous les services dont il seroit capable. Ce qu’il y a encore de plus admirable en ceci, c’est qu’il lui a tenu parole. En effet ce Magistrat s’est donné, pour lui, tant de mouvements, & a employé tant d’amis, que le Bourdelois a obtenu, par son crédit, ce qu’il étoit venu solliciter ici ; après quoi il s’en est retourné dans sa Province où il ne cesse point de dire autant de bien de l’Intendant, qu’il en disoit de mal auparavant, & qu’il lui en avoit dit à lui méme en face. ◀Allgemeine Erzählung ◀Ebene 3

Voila, Monsieur, le véritable moyen de faire changer de langage aux mécontents qui, pour la plûpart, ne jugent que sur leurs interêts particuliers & presents, des actions des personnes préposées pour travailler au bien & à l’intérêt public ; Et voilà, d’un autre côté, de quelle maniere les personnes qui sont en place devroient tous en agir avec leurs inférieurs.

Ebene 3► L’Exemple de ce digne & prudent personnage

Est une instruction de grande utilité :
La générosité doit être le partage
De ceux qu’un Roi revêt de son autorité ;
Et dans un Magistrat de la brutalité
Marque une ame basse & sauvage. ◀Ebene 3

Ce que je dis ici des gens ne place, je le dis de toutes les personnes de condition aux quelles je proposerai encore pour exemple l’avanture qui vient d’arriver ici au Marquis de Canillac. Ebene 3► Allgemeine Erzählung► Ce Seigneur avoit, l’autre jour, dans son Carosse un Débiteur que ses Créanciers avoient obtenu la permission de saisir. Les gens préposez pour ces sortes d’expéditions, ayant suivi ce Débiteur, arrêterent le Carosse dans le quel il étoit avec le Marquis. Ce dernier, prenant pour un [158] affront que l’on saisit à ses côtez un homme qu’il honoroit de sa considération, voulut s’opposer à cette capture ; Mais les Hape-chair *3 ayant brisé les glaces du Carosse, & commis quelqu’autre violence, emmenerent en prison & le Débiteur & son Protecteur. Le Marquis, fâché de n’avoir pu réussir dans l’acte de générosité qu’il avoit envie de faire, trouva bien-tôt un moyen infaillible pour éxécuter le coup qu’il venoit de manquer. Ce fut de se rendre caution pour le Débiteur, avec lequel il est sorti deux heures après, de la Prison où on venoit de les renfermer. ◀Allgemeine Erzählung ◀Ebene 3 Exemple de générosité d’autant plus admirable, qu’il est aujourdhui extrêmement rare, & peut-être unique parmi les Grands !

Je me souviens de vous avoir envoyé, Monsieur, quelques Lettres galantes d’une Demoiselle à son Amant ( )4 dont vous m’avez témoigné être fort content, & m’avez démandé la continuation. En voici quelques autres, de la même main dont j’espere que vous ne serez pas moins satisfait.

Lettre III. Ebene 3► Brief/Leserbrief► « Enfin j’ai découvert le sujet de vos froideurs ; & Lucile, cette Coquette, vous a mis au rang des malheureux qu’elle captive. Quoi ! un homme comme vous peut-il encenser un Autel où le Public sacrifie ? Est-il possible que vous préfériez les caresses simulées d’une pareille femme à la tendre foiblesse d’une fille qui n’a jamais poussé de soupirs que pour vous ? Que sont devenus les serments que vous avez faits de n’être qu’à moi ? Quittez, quittez cette perfide. Mon amour pour vous, tout blessé qu’il est, sera encore assez généreux pour vous pardonner. Je reprendrai sur votre cœur tous mes droits. J’arracherai le fatal bandeau qui vous aveu-[159]gle ; Vous ouvrirez les yeux ; Enfin vous détesterez Lucile, & rendrez justice à la tendre Julie. » ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 3

Lettre IV. Ebene 3► Brief/Leserbrief► « Ton fidelle la Vallée, l’infame Courtier de tes plaisirs, m’a remis ton criminel Ecrit. Tu m’y peins comme la plus aimable femme. J’ai, dis-tu, mille charmes, mille vertus ; un seul défaut les obscurcit. Je suis jalouse enfin. Est-ce à toi, ingrat, à t’en plaindre ? La vie que je mene n’auroit, pout tout autre, rien que d’agréable ; mais je t’aime. Je ne te vois plus ; que me sert tout le reste ? C’est à ton amour que je dois la connoissance du plaisir. Je m’en suis fait une douce habitude. A qui recourir, perfide ? Veux-tu qu’à ton exemple j’aille étouffer dans les bras d’un autre les feux que ma tendresse pour toi fait naître chaque jour ? Jusqu’ici mon imagination a supléé à la réalité ; mais enfin ce n’est qu’une chimere. Crains que je ne me venge. Il est vrai, je suis encore pleine de ton image, je t’adore tout perfide que tu es ; mais chaque chose a son terme. Une femme outragée est capable de tout. Que dis-je ? Je pourois . . . . Non, cher Clitandre, non. Plutôt mourir ! Mon cœur t’appartient, Il ne fut jamais sensible que pour toi. Veux-tu donner la mort à ta Julie ? Par pitié, viens la consoler. Si tu ne peux plus l’aimer, feins du-moins qu’elle t’est encore chere. Amuse mes déplaisirs. Mon foible pour toi ne te secondera que trop bien ». ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 3

Lettre V. Ebene 3► Brief/Leserbrief► « Malgré les précautions que vous avez prises, je suis au fait de votre prétendu Voyage. Lucile vous a retenu chez elle pendant trois jours. Je suis charmée de votre raccommodement. Je vous exhorte à ne la plus quitter. Un charme inconnu vous attache l’un à l’autre ; & si vous m’en croyez, vous unirez votre sort au sien. Que je vous sçai gré de m’avoir rendue à moi-même ! L’Amour a des charmes, j’en conviens ; mais on paye trop cher ses fa-[160]veurs. Adieu volage, adieu. Je quitte un séjour qui m’a paru charmant. Ma tendresse pour vous étoit une yvresse qui s’est passée. Ne vous informez pas ce que je deviendrai. Quel que soit mon sort, il sera toujours assez beau, ayant recouvré ma liberté. » ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 3

PS. Je viens de lire un petit Livre imprimé à la Haye, *5 dont la lecture m’a paru fort utile. C’est un Abrégé de Géographie Historique des Sept Provinces Unies des Païs-Bas, par Jean François Fabre. Il seroit à souhaiter que, dans chaque Etat, il se trouvât des personnes qui travaillassent ainsi à la Géographie particuliere de leur païs, & qui la missent, comme a fait l’Auteur de celle-ci, à la portée des Enfans. Notre France, où les notres ne connoissent guére que leur Ville &, tout au plus, quelques unes de celles qui les environnent, auroit besoin d’un pareil Livre qu’il est étonnant que M. l’Abbé Lenglet ait manqué. Cet Ouvrage leur auroit été infiniment plus utile que celui qu’il leur a donné sous le titre de Géographie des Enfans, le quel est un tant soit peu au-dessus du rien, & n’est nullement digne de son Auteur.

J’ai l’honneur d’être &c.

Paris ce 2 Octobre 1750.

◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 2

Avertissement.

Cette Feuille Periodique continuera de paroitre tous les Jeudis, & se vend à la Haye chez Pierre Gosse Junior Libraire de S. A. R. à Amsterdam chez Pierre Mortier & M. Rey, à Utrecht chez Kribber, à Leyden chez C. Haak, à Haerlem chez van Lee, à Rotterdam chez J. D. Beman, à Delft chez Boitet, à Berlin chez J. Neaulme, à Cologne chez Mr. Kauth Expediteur des Gazettes au Chef-Bureau des Postes, à Aix la Chapelle chez J. Barchon, à Maseyk chez Mr. de Bois Maitre des Postes, à Rennes chez Vatar Imprimeur du Roi, à Gand chez P. T. de Goesin Imprimeur de S. M. Imp. & Royale ; à Cleves, Ruremonde, Wezel, Emmerich, Anvers, S. Nicolas en Flandre, aux Bureaux des Postes ; dans les autres Villes chez les Principaux Libraires, & dans les Pays étrangers aux Bureaux des Postes.

Fin du Tome Cinquième.

Jeudi ce 8 Octobre 1750.

◀Ebene 1

1* Petite Ville de la Provence, à 6 lieues d’Antibes & à 6 de Nice. Cet Evêché est de 7 à huit mille livres de revenu.

2( ) Ce Livre a été pareillement condamné par quarante, tant Archevêques qu’Evêques de France qui ont fait publier de même des Mandements, dans lesquels ils en deffendent la lecture, & en condamnent la doctrine.

3* C’est le nom qu’on donne ici aux gens employez à ces sortes d’expéditions.

4( ) Voyez le No. 2 de ce Volume pag. 15 & 16

5* Chez Pierre Gosse Junior Libraire de S. A. R.