Zitiervorschlag: Anonyme (Joseph Marie Durey de Morsan) (Hrsg.): "No. 16.", in: La Bigarure, Vol.5\016 (1750), S. 121-128, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4691 [aufgerufen am: ].


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No. 16.

Ebene 2► Brief/Leserbrief► Ebene 3► Brief/Leserbrief► Au fond du cœur ce n’est pas au Clergé seul que vous en voulez ; & vous feriez volontiers grimper le peuple à la Montagne Sacrée au risque de devenir son Tribun. Si, au lieu de la Paix & du silence que je vous demande, je voulois disputer contre vos principes, je ne vous en passerois aucun. Je vous nierois, par exemple, qu’un Etat ne puisse subsister sans impôts, & je vous citerois les Suisses qui, sans cela, sont très puissants, & fort respectez ; je vous renverrois au Testament de St. Louis, ce Roi le mieux obéi, & le plus craint de son tems. Il recommande à son fils d’eviter toute levée de derniers sur son peuple, qu’il traite d’usurpation. De là je passerois à vous prouver qu’il y a des exemtions très utiles à l’Etat. Je vous citerois seulement l’Edit du Port-franc à Marseille, par lequel le grand Colbert, d’un seul trait de plume, fit de cette Ville une Ville presque immense. Je vous citerois les Priviléges accordez à Lyon, qui attirerent, pour ainsi dire, dans cette Ville, celles de Geneve & de Milan, les Foires de Bourdeaux, [122] Beaucaire, Guibrai, Niort, &c. Je vous prierois ensuite de convenir avec moi que le Clergé peut être de quelque utilité dans un Etat, du moins pour l’instruction ; Car enfin, quelque simples qui soient le Décalogue & le Catéchisme, ce sont néanmoins de trés bonnes leçons pour le peuple. S’il y avoit, dans le dernier, un Article qui deffendit aux Chiens de mordre, il me semble que la Société devroit quelque chose à ceux qui prendroient la peine de le leur faire entendre. Pour moi je ne me mefie pas trop de ces choses, mais il me paroit que ce qu’on appelloit il y a dix ans le Jubilé, occasionna bien des restitutions, bien des réconciliations, & eut quantité d’autres bons effets. Un mien voisin cependant retrancha six Chiens courants qu’il avoit, pour en donner le pain à six pauvres. Cela me fâcha ; Mais où il n’y a-t-il point des abus ?

J’avoue avec vous que les Prôneurs devroient un peu plus pratiquer la pauvreté qu’il prêchent. Il y en a toutefois bien de pauvres parmi eux. Je me rappelle que le Curé d’un Vilage voisin, lequel porte des sabots & un habit percé, n’est pas si respecté que le mien qui est à son aise. Proportion gardée ne pouroit-il pas en arriver autant ailleurs ; & nos Evêques (fissent-ils des Miracles) ne risqueroient-ils pas de manger à l’Office, & d’être en butte aux plaisanteries des Valets, s’ils arrivoient dans les maisons le bâton blanc à la main ? Quant à ceux-ci, quoique je sois, dans le fond, de vôtre avis, je leur passe un peu d’abondance, toujours nécessaires aux Dignitez ; Car ne fussent-ils les Pasteurs que de ce que nous appellons Prétraille, nous avons trop souvent affaire à eux pour vouloir les opprimer, ou es avilir. D’ailleurs, par hazard, il est quelquefois des utilitez d’éclat. [123] Mr. l’Evêque de Marseille, par exemple, tâtoit le poux assez courageusement aux Pestiserez, en 1719 & 1720. Lorsque l’Hôtel-Dieu brula, il y a quelques années, à Paris, le bouillon ne manqua pas aux malades sous la galerie de l’Archevêché ; Messieurs les Evêques de Beauvais, de Mande, & quelques autres, viennent de donner du pain à leurs pauvres. Ne fut-ce que pas ostentation, ils font tous quelque bien dans leur canton. Des Seigneurs, qui auroient leurs terres, habiteroient Paris. Il est même à remarquer que les Abbayes, les Chapitres, les Couvents font subsister les habitants des endroits où ils sont, & empêchent la dépopulation des Villes Champêtres du Royaume. C’est un fait que, bien intentionné comme vous l’êtes, je n’ai pas voulu vous laisser ignorer.

Mais il est un autre point, tout autrement important à votre zèle pour l’Etat ; C’est qu’il me semble que les biens de l’Eglise sont les biens Patrimoniaux de ce même Etat depuis que le Souverain a la nomination des Bénéfices. Le Roi donne une pension, un Gouvernement ; il est tenu de les donner au plus digne ; & celui-ci les possede pendant toute sa vie. En est-il autrement des Bénéfices ? Il en gratifie qui il lui plait de ses Sujets. C’est un fait, & je m’en suis informé, car j’avois cru d’abord à voir la vivacité de vos plaintes sur leur bien-être, que ce Clergé fatal étoit quelque nation venue du Tunquin pour profiter de nos dépouilles ; Mais point. Ce sont nos freres, nos enfans, & ceux de l’Etat. Les revenus des Bénéfices sont donc les revenues de l’Etat qui, à la vérité, échapent aux Financiers, comme les cent écus que Henri IV gagna à la Paume : Or, pour nous bien entendre, je vous avertis que, quand je dis l’Etat, [124] je veux dire le Roi, & non la Finance. Le Roi pouroit donc, à ce qu’il me semble, donner à Pierre ou à Jaques tels ou tels Fiefs & Redevances en forme de pension, leur vie durant & les décharger de tout impôt & retenue sur leur pension, sauf l’entretien des lieux & bâtiments. Il le pouroit, dis-je, sans faire grand tort à la Justice réelle & distributive. Mais il ne le fait pas à beaucoup près ; & ne vous en déplaise, c’est encore un fait de la plus facile démonstration que la partie du Clergé, même la plus soulagée, paye plus que tous les autres Sujets du Roi si l’on ajoute à ses Decimes, les fortes Tailles & autres charges que suportent leurs Fermiers & Laboureurs, & par conséquent leurs biens.

Il ne s’agit donc plus que d’une difficulté de forme. Oh ! mon cher Monsieur, sauvons nous, & n’allons pas nous embarquer là dedans ; Car, au lieu de tous les beaux compliments que vous faites à la Noblesse, aux païs d’Etat, &c. au lieu de ces belles Généalogies dont vous gratifiez les autres Privilégie, en cela semblable au Vainqueur d’Albe qui sépara si adroitement les trois Curiaces, vous allez vous retrouver sur le chemin (a)1 . Ils vous appelleront Guillot le Sycophante, comme dit La Fontaine, qui revétu de tout l’attirail de Pasteur laisse échapper la voix du Loup (b)2 . On vous priera de ne vous point mesler des affaires d’Etat, de laisser le monde tel qu’il est, ou d’aller être le premier Ministre du Roi Alphonse qui disoit qu’il auroit bien mieux rangé les Etoiles, s’il avoit été du [125] Conseil de celui qui les fit. Cessons d’imiter cet autre Guillot qui vouloit déplacer les glands de dessus les Chênes, ne les trouvant pas assez chargez & voulant qu’au lieu de Glands ils portassent des Citrouilles (a)3 . Demeurons tranquilles ; embrassons nous, & croyons ce que disoit Charles Quint qui avoit long-tems gouverné les hommes. Ce Prince disoit que les Etats se menent d’eux-mêmes, & que les Innovateurs en sont les Perturbateurs. ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 3

Dixi.

Enfin cette grande affaire vient d’être terminée au désavantage du Clergé qui, malgré ses nouvelles Remontrances, n’a pû obtenir de la Cour l’effet de ses prétentions. La réponse du Roi a été, qu’ils devoient commencer par obeïr, & qu’ils se conformassent à se derniere Declaration, dont je vous ai parlé ; après quoi S. M. verroit ce qu’elle auroit à faire. Pour révenir tous les nouveaux obstacles que cette réponse auroit encore pû faire naître, les Membres les plus obstinez de ce respectable Corps ont été priez, de la part du Roi, de se retirer, les uns dans leurs Evêchez, les autres dans leurs Bénéfices, & d’y rester jusqu’à nouvel ordre ; à quoi il a falu obéir.

A cette piéce Comiquement sérieuse, ou sérieusement Comique, selon que vous l’aimeriez mieux appeler, je vais joindre, Monsieur, un morceau de Poésie à peu près du même goût. C’est l’Epitaphe, ou l’Eloge funebre, d’un Frere Portier des Capucins, du Couvent de Nantes, en [126] Bretagne. Vous verrez par cette piéce, qui m’est venue de ce païs-là, qu’il y a des gens d’esprit, comme partout ailleurs, & qu’Apollon y a de très aimables éleves, aussi bien que Bacchus, quoique les premiers y soient en beaucoup plus petit nombre.

Epitaphe

Du Frere Hilarion, Capucin.

Ebene 3► C’y gît le Frere Hilarion.
C’étoit un digne personage.
Nul autre, avec tant d’avantage,
N’honora sa profession.
Enloîtré dès sont plus jeune âge,
Ce fut dans l’Ordre Capucin
Qu’il mit ses talents en usage.
Sans impudence il fut badin,
Sans être Caffart il fut sage,
Merite, assurément, Divin
Chez l’encapuchonné lignage,
Il ne fit jamais du Latin
Le long & dur apprentissage ;
Mais, à l’aide de maint lopin
Qu’il goboit parfois au passage,
On l’eut pris pour un Calepin.
Pour peu qu’il en sçut davantage
Le Couvent l’eut fait Gardien,
Et certes plus homme de bien
Ne méritoit ce haut étage.
Il attiroit par son langage
Froment, Orge, Avoine au Moulin,
Et la Cloche, au premier drelin,
Lui disoit si c’étoit du Pain
Qu’on apportoit, ou du Fromage.

Fut-il à manger son potage,

A la porte il voloit soudain,
[127] Et froc à bas, d’un front serein,
Recevoit le friand message ;
Puis demandoit d’un air benin :
Comment va-t-il dans le ménage ?
Le monde au logis est-il sain ?
Votre procès va-t-il son train ?
Que dit-on dans le voisinage ? . . . .

O le beau tems ! point de nuage . . . .

Le soleil se leve matin . . .
L’Almanach Nantois, pour certain,
Promet, s’il ne vient point d’orage,
Un Eté fertile en tout grain,
Une Automne abondante en vin.
Le Printems l’est en paturage.
D’ailleurs le Proverbe, ou l’Adage,
Dit que gras Avril & chaud May
Mettent le froment au balay.

Mais, mon Dieu, qu’à notre domage

S’est changé le tems ancien !
Le peuple est devenu Payen,
Et de la Ville & du Vilage
Il ne nous vient presque plus rien,
Ni provisions, ni chaufage.
Aujourd’hui nous moussions de faim
Si votre bienfaisante main
N’avoit aporté son sufrage . . . . .
Puis adieu . . . Bon jour . . . grand merci.
Le donneur retrounoit ainsi
Tres satisfait de son voyage.

Il étoit Portier, Cuisinier,

Sommelier, Questeur, Jardinier,
Tous les Arts furent son partage.
Sa mort m’a causé des regrets ;
Je l’aimois pour son caractere,
Et de mes intimes sécrets
Il fut le seul dépositaire.

Combien de notre Hilarion

[128] A tous ceux de la Nation
La perte a dû paroitre amere !
Quoique cet excellent garçon
Dans l’Ordre n’ait été qu’un Frere,
Il pouvoit être, avec raison,
Des autres appellé le Pere. ◀Ebene 3

J’ai l’honneur d’être &c.

Paris ce 19 Septembre 1750.

◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 2

Livres Nouveaux

Qui se vendent à la Haye chez Pierre Gosse Junior Libraire de S. A. R.

Memoires Turcs, ou Histoire Galante de deux Turcs pendant leur sejour en France, par un Auteur Turc de toutes les Academies Mahometanes, Licentié en Droit Turc, & Maitre-ès-Arts de l’Université de Constantinople, 8. 2 vol. Francfort 1750.

Histoire de Bertholde, contenant ses Avantures, Sentences, Bons Mots, Reparties ingenieuses, ses Tours d’Esprit, l’Histoire de sa Fortune & son Testament, 8. Haye 1750.

Le Cosmopolite ou le Citoyen du Monde, 8. Haye, 1750.

Abregé de Geographie Historique des Sept Provinces Unies des Pays-Bas, par J. F. Fabre, 8. Haye 1750.

Théatre de la Haye, ou Nouveau Recueil Choisi & mêlé des meilleures Piéces du Théatre François & Italien, 8. 3 vol. Haye 1750.

Lucina fine concubitu, ou Lettre addressée à la Societé Royale de Londres dans laquelle il est pleinement demontré qu’une Femme peut concevoir & enfanter sans le commerce de l’Homme 8. Londres 1750.

Jeudi ce 24 Septembre 1750.

◀Ebene 1

1(a) L’Auteur fait ici allusion au fameux combat des trois Horaces & des trois Curiaces.

2(b) Voyez, dans La Fontaine, la Fable du Loup devenu Berger.

3(a) Voyez, dans La Fonatine, la Fable du Gland & de la Citrouille.