Zitiervorschlag: Anonyme (Joseph Marie Durey de Morsan) (Hrsg.): "No. 8.", in: La Bigarure, Vol.5\008 (1750), S. 57-64, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4683 [aufgerufen am: ].


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N°. 8.

Ebene 2► Brief/Leserbrief► Voici, Monsieur, une Piéce qui peut servir de Tome II. à celle que j’ai eu l’honneur de vous envoyer par une de mes Précedentes, intitulée la Voix du Sage & du Peuple. Celle que je vous envoye aujourd’hui ne fait pas moins de bruit ici que l’autre, & est d’une rareté extrême, tous les Exemplaires en aïant été d’abord saisis.

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La Voix du Pretre.
Ou

Très-humble & très-respectueuse Remontrance du Second Ordre du Clergé au Roi, au sujet du Vingtieme.

Brief/Leserbrief►

Sire,

Le Clergé de Vôtre Roïaume ; Ce n’est point celui qui est vêtu de Pourpre & d’Ecarlate, qui brille par la pompe des Equipages, par la magnificence des Palais, par la somptuosité de la Table, par la justesse des Ameublemens, qui [58] porte dans le Sanctuaire même l’Orgueil & le Faste. Ce n’est point celui que le credit seul, qu’un nom terrestre tout seul a élevé sur le thrône sacerdotal, que la chair & le sang ont mis en possession du sacerdoce de Melchisedech, qui ne connoissoit ni parens ni généalogie. Ce n’est point celui qui confond le titre de Courtisan avec celui de Prélat, les intérêts de l’Eglise avec ceux de sa vanité, les secours d’une dignité sainte avec l’appareil d’un poste profane. Ce n’est point celui qui achete le Don de Dieu par des bassesses, des soins, des adulations, des sollicitations humaines, sans penser que tout ce qu’il fait est un prix criminel, un argent sacrilege qu’il offre pour l’obtenir. Ce n’est point celui qui accumule sur sa tête les biens & les dignités de l’Eglise, sous prétexte que les profusions doivent être proportionnées à son nom, comme si le patrimoine des pauvres étoit destiné à nourrir l’orgueil de la naissance. Ce n’est point celui qui ne sert pas à l’Eglise, mais qui fait servir l’Eglise à ses cupidités injustes ; qui regarde sa dignité comme le lieu de son repos, comme un lit d’indolence & de molesse, qui ne prend de cette dignité que les fleurs & les roses, & en laisse aux autres les épines ; qui est jaloux des honneurs du Ministrere, & en méprise les fonctins, qui entre dans l’héritage de ses Prédecesseurs, sans enter dans leurs travaux, qui dort & laisse l’homme ennemi semer de l’ivroye dans le champ de Jesus-Christ. Ce n’est point celui qui accomode les regles aux abus, qui sacrifie le devoir à des faveurs humaines, qui se livre à la tyrannie des usages du monde, & s’assujettit à un tribut d’inutilités qui ne devroit obliger que les esclaves du monde. Ce n’est point enfin celui qui, plus instruit des bagatelles, des frivolités, [59] des affaires du monde que des regles de l’Eglise, va trainant par-tout avec son incapacité la honte de son caractere. Non, Sire, ce n’est point ce Clergé.

C’est celui qui par ses habits annonce la modestie, qui n’a souvent d’autre équipage que la monture de Jesus Christ, qui est frugal dans sa table, réserré dans ses maisons, pauvre & simple dans ses meubles, qui méprise les vanités du Siécle, & tout ce qui ne brille qu’aux yeux des sens. C’est ce Clergé du Second Ordre par son rang, mais du Premier par ses travaux, qu’une Vocation sainte a placé dans le Sanctuaire, qui continue ici-bas la mission de Jesus-Christ & son amour pour les hommes, & en y continuant son Sacerdoce, qui consacre ses Prieres, ses Désirs, ses Etudes, ses Veilles, ses Travaux, ses Fonctions au salut de ses freres ; Celui qui court avec empressement après une seule Brebis égarée, qui reçoit avec des marques de joie sensibles l’Enfant rebelle, perdu, & retrouvé, qui oublie sa lassitude, sa nourriture, tous ses besoins, pour instruire une Femme de Samarie, qui plein de tendresse pour les malheureux, multiplie, pour ainsi dire, le pain même, qui lui est nécessaire, pour soulager leur indigence ; celui qui fait se faire tout à tous, pour les ranger sous l’Empire de Jesus-Christ. C’est celui qui regarde les Biens Ecclésiastiques, comme des Dépôts religieux & des Aumônes saintes, dont il ne se croit que le Dispensateur, qui n’use pour lui-même de ces Biens que parce qu’il est pauvre, & que le travail & l’indigence l’autorisent à s’en servir, qui n’a de besoins effectifs qu’autant qu’il a de besoins véritables, qui sent le ridicule & l’indecence d’un faste attaché à un état saint, & à l’usage d’un Bien consacré à la piété, & à la miséricorde. [60] C’est ce Clergé convaincu par sa propre expérience, que le respect des Peuples pour la Religion de ses Ministres est moins fondé sur l’éclat des honneurs & des richesses, que sur ses vertus & ses bons exemples ; que le monde n’a cessé de respecter les Ministres de l’Eglise, que quand ils ont cessé de se rendre respectables : que jamais ils n’ont été plus honorés que dans les siécles, où ils parurent plus pauvres & plus modestes. C’est celui qui regarde l’honeur du Sanctuaire comme une Servitude honorable, qui établissant les Prêtres sur tous les rend redevables à tous ; comme une sollicitude laborieuse, qui leur met entre les mains les passions, les foiblesses, & tout le détail des miséres humaines ; comme une élevation incommode qui les expose aux regards publics, & fait que tout ce qui leur est permis, ne leur est pas expédient ; comme une inspection pénible, qui les oblige de reprendre à tems & à contre-tems, & les expose à la haine de ceux même qu’ils veulent sauver. C’est celui qui sacrifie au devoir les plaisirs les plus innocens, pour être tout aux autres, & ne vivre pas un seul moment pour lui-même ; qui préfere l’Oeuvre de Dieu aux niaiseries, aux inutilités des Enfans du Siécle ; qui respecte son Ministere & ses fonctions ; qui sçait être dans la faim & dans l’abondance, dans la réputation & dans l’ignomie ; qui parvient à se faire un délassement même de ses fatigues. C’est celui qui vaque au Ministre de la Parole, & porte le poids du jour & de la chaleur, qui porte écrit sur son front, avec bien plus de majesté que le Pontife de la Loi, la doctrine & la vérité ; qui passe ses jours au milieu des Temples, des Autels, des Mistéres sacrés, des Cantiques saints de la Parole de vie, & qui fait de ces Spectacles terribles & divins [61] le sujet de toutes ses occupations. C’est en un mot celui, dont le Minsitere est pauvre, laborieux, sans pompe, exposé à la faim, à la nudité, aux persécutions.

Oui, Sire, c’est ce Clergé qui ose pour la premiere fois porter ses regards jusqu’au pied du Trône, & faire à V. M. avec autant de confiance que de soumission, non de vives, mais de très-humbles Représentations sur les Divisions funestes qui troublent les deux Puissances. Les liens qui unissent l’Eglise & l’Empire sont augustes. La même bouche qui dit, rendez à Dieu ce qui est à Dieu, dit aussi, rendez à César ce qui est à César. Le Prince ne doit point porter une main sacrilegé sur l’Autel, ni le Pontife une main ambitieuse sur le Trône : il y a pour l’un & pour l’autre un cercle sacré de droits, de priviléges, de devoirs, de fonctions, qu’il ne leur est pas permis de franchir. Nous aprenons avec douleur que Votre Majesté, toujours attentive à ne point violer les Droits sacrés du Sacerdoce, voit le Sacerdoce oser fierement attaquer les Droits de sa Couronne. Les Remontrances du Haut Clergé prêchent hautement la revolte & l’independance. Ils veulent se soustraire au payement du Vingtieme, & faire retomber sur les autres Sujets de votre Roïaume tout le poids de ce tribut indispensable. Si on les en croit, l’obéïssance les avilira, & le peuple méprisera leurs avis, quand ils ne mépriseront pas les ordres de V. M. Poussa-t-on jamais plus loin le Fanatisme ? Les anciens Apologistes de la Religion Chrêtienne ne trouvoient pas de meilleure preuve de sa Dignité & de son Excellence, que le précepte rigoureux qu’elle faisoit aux fidéles de l’obéissance exacte aux ordres des Puisances. Si les Chrêtiens resistoient autrefois aux Césars, ce n’étoit point pour conserver [62] des richesses que les vers & la rouille consument, c’étoit pour ne pas perdre, par l’Apostasie, les Biens éternels, que rien en peut détruire. Ah, que les tems sont changés ! La soif de l’or devore ceux que le Zèle de la Maison du Seigneur devoroit autrefois ; le Bien des Pauvres est enlevé, l’Orphelin pleure, la Veuve gemit, & le Prêtre cruel, destiné à soulager ses besoins & à essuïer ses larmes, vuet, par un refus injuste, forcer le Prince à les opprimer, & à les rendre encore plus malheureux. Sire, nous disons le Prêtre cruel ; mais ce Prêtre ne se trouve point, par la grace du Seigneur, dans notre Ordre. Nous les appellons du nom respectable qui leur est commun avec nous : idem Presbiter, qui Episcopus, dit Saint Jerôme ; le Prêtre n’est pas different de l’Evêque. Plut-à-Dieu que l’intervalle qui nous sépare fût aussi grand que leur hauteur se l’imagine, nous partagerions avec moins de honte leurs prévarications & leurs scandales.

Le Haut Clergé a oublié la difference imperceptible du Prêtre à l’Evêque. Celui-ci, dans les beaux jours de l’Eglise, n’entreprenoit, ni discutoit, ne décidoit rien qu’avec le conseil, l’examen & le consentement des Prêtres : ce que le Conseil étoit dans le Sénat, l’Evêque l’étoit dans l’Eglise ; il portoit la parole, il ouvroit les avis : mais c’étoit seulement dans le Corps entier du Presbytère que residoit l’autorité législative. Un Prêtre alors n’étoit pas regardé par son Evêque comme un homme vile & méprisable, comme un Plebeien dont l’habit lugubre jure avec la pourpre brillante d’un joli Pontife. Le défaut de naissance n’étoit pas un sacrilége vis-à-vis d’un Gentilhomme mitré ; les premiers Pasteurs ne se distinguoient des Ministres inferieurs, que par une vie plus dure, plus pauvre, plus laborieuse ; le Curé & le Vicaire étoit les Collegues & les Cooperateurs des Evêques dans le Saint Ministere. L’Evêque étoit Prêtre, parce qu’il étoit Ancien, ætate senior, & le Prêtre étoit Evêque, parce qu’il étoit Inspecteur, Inspector. Le Sacerdoce & l’Apostolat ne forment en un sens parmi les hommes. Nous appuïons, Sire, sur la presqu’égalité, qui nous confond avec le Premier Ordre, afin de donner plus de poids à nos Remontrances, & aux raisons que nous allons mettre sous vos yeux, pour prouver que le Clergé de France est obligé de Vous payer le Vingtieme, tout comme la Noblesse & le tiers Etat.

Nous ne nous plongerons pas, Sire, dans les abimes de l’Histoire, & de la Tradition : il nous suffira de l’Evangile & de la Raison. Condamnées à l’obscurité, nos plumes ne doivent point s’élever à une Eloquence mondaine peu di-[63]gne des Ministres de la Vérité même, qui nous ordonne d’être simple comme des Colombes, & de dire sans emphase, cela est ou cela n’est pas.

Nous lisons dans Saint Matthieu, que ceux qui recevoient le tribut des deux Drachmes, vinrent trouver Pierre, & lui dirent : votre Maitre ne paye-t-il pas le Tribut ? Jesus dit à Pierre : allez vous-en à la mer, jettez votre ligne & le premier poisson que vous tirerez de l’eau, ouvrez lui la bouche ; vous y trouverez une piéce d’argent de quatre Drachmes que vous donnerez pour vous & pour moi. Jesus-Christ fait un miracle exprès pour payer le tribut qu’on lui demande. Le premier des Apôtres ne se croit pas plus grand que son Maitre. Ils payent, l’un & l’autre, le Publicain, sans murmure & sans Remontrances. La mer, qui ravit aux hommes leur or & leur argent, en fournit liberalement à Jesus Christ, & à St. Pierre, pour s’acquitter.

Nos Successeurs des Apôtres seroient bien à plaindre s’ils n’avoient d’autres ressources que celles des Miracles, & si, pour en opérer, il devoit leur en coûter un travail mecanique d’une minute : y consentiroient-ils ? Ils aiment bien mieux manier une Crosse qu’une Ligne, & s’ils méritent le nom de Pêcheur, ce n’est pas pour pêcher ni des Poissons, ni des Hommes. St. Marc raconte que le Prince des Prêtres aïant envoyé à J. C. quelques-uns des Pharisiens & des Hérodiens, ceux-ci lui demanderent, s’il étoit permis, ou non, de payer le Tribut à César ? Jesus se fit apporter un Denier, & leur dit : de qui est cette Image & cette Inscription ? de César, lui dirent-ils. Il leur répondit : rendez donc à César ce qui est à César, & à Dieu ce qui est à Dieu. Répondez, Cresus du Clergé, riches Pontifes : De qui est l’image & l’inscription des metaux dont regorgent vos Coffres forts ? N’est-elle pas de Louïs ? Rendez donc à Louïs ce qui est à Louïs. Mais peut-être vos dépenses & vos prodigalités ont tari vos Tresors, & vous ne sauriez y trouver une seule piéce de monnoie marquée au coin du Prince. Ah ! qu’importe, l’art utile & adroit de faire des emprunts, que vous possedez, vous mettra bientôt entre les mains l’or & l’argent d’un prêteur credule, à qui les extérieurs trompeurs de la richesse & de l’opulence imposent malheureusement. St. Paul dans son Epitre aux Romains, àprès avoir ordonné que toute personne soit soûmise aux Puissances Supérieures, parce qu’il n’y a point de Puissances Supérieures, parce qu’il n’y a point de Puissance qui ne vienne de Dieu, qui a établi celles qui sont sur la Terre, ajoûte : Il est donc nécessaire de vous y soûmettre, non-seulement pour éviter le châtiment, mais aussi par devoir de conscience ; s’est pour cela que vous payez le Tri- [64] but aux Princes, parce qu’ils sont les Ministres de Dieu, étant toujours appliqués aux fonctions de leur Emploi. Rendez donc à chacun ce qui leur est dû ; le Tribut à qui vous devez le Tribut, les Impôts à qui vous devez les Impôts. L’Apôtre des Nations enseigne que c’est par devoir de Conscience, qu’on paye le Tribut & les Impôts au Prince : il en fait un précepte exprès : payez le Tribut, &c. Ce n’est point par pure générosité, ni par forme de Don gratuit, mais, encore une fois, par devoir de Conscience. Il faut passer sur la raison qu’il apporte pour établir le Droit des Princes. Ils sont, dit-il, les Ministres de Dieu, toujours appliqués aux fonctions de leur Emploi. A quel Roi, Sire, ce trait convient-il mieux qu’à V. M. Vôtre modestie souffrira à l’entendre, mais notre zèle ne souffriroit pas moins à le taire. Proteger la Religion, défendre ses Sujets durant la Guerre, les rendre heureux durant la Paix, ce sont les fonctions d’un Roi. Ce furent toujours les Vôtres. Quels soins & quelle vigilance de la part de V. M. pour éteindre cette Guerre intestine qui éleve Autel contre Autel ! pour terminer les Disputes, dont les suites sont souvent si funestes ! pour concilier nos libertés avec les prétentions de la Cour de Rome ! pour, en un mot, réduire tout à un Berger, & à un Berçail ! Les champs Belgiques fument encore du sang François que nos Soldats, animés par l’exemple de leur roi, ont répandu pour la défense de la Patrie. A quels périls, Sire, ne vous exposates-vous point dans ce jour de Sang & de Carnage, où la Victoire balança si longtems entre Albion & la France ? Nous tremblons encore au souvenir de ces momens terribles, où vos jours précieux furent en danger. Mais glissons sur des loüanges qui nous rappellent des tems de douleur & de tristesse. Passons à des idées plus riantes ; préferons l’Olive au Laurier. Livrons-nous aux douceurs de la paix. Le Commerce abbatu se réleve, l’Agriculture négligée se rétablit, les Arts languissans se raniment, le Laboureur tranquille ne seme plus pour le Guerrier, & le Guerrier paisible jette dans son cœur la semence de nouveaux exploits, par le récit fidéle de ceux qui firent autrefois sa gloire. ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 3 ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 2

(La suite dans le Numero suivant.)

Mercredi ce 9 Septembre 1750.

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