Zitiervorschlag: Anonyme (Joseph Marie Durey de Morsan) (Hrsg.): "No. 3.", in: La Bigarure, Vol.5\003 (1750), S. 17-24, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4678 [aufgerufen am: ].


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N°. 3.

Ebene 2► Brief/Leserbrief► Je vous ai informé par ma derniere, Monsieur, du Tragique dénouement qu’avoient eu les émeutes de Paris, & vous y avez vu les marques de bravoure que nos Archers ont donné en cette rencontre. Ce dernier Phenomene a dû vous étonner d’autant plus, qu’on a presque toujours accusé ces sortes de gens de poltronnerie. Ce reproche n’est pas sans fondement. Ils en avoient donné, quelques jours auparavant, des preuves à l’occasion d’un Voleur dont l’Histoire mérite de vous être racontée.

Fremdportrait► Ce scélérat faisoit, depuis quelque tems, & assez heureusement, cette malheureuse profession. Tant qu’il l’exerça seul, comme il n’avoit ni complices ni confidents, & que d’ailleurs il avoit toujours la précaution de faire ses coups sans témoins, on ne l’avoit pas-même soupçonné des crimes qu’il commettoit ; mais l’Ambition, qui perd tant de gens, a conduit enfin celui-ci sur l’Echafaut. La multitude des Voleurs, dont vous sçavez que nous avons été désolez l’hiver passé, lui fit naître l’envie de se faire Chef de troupe. [18] Il s’associa donc un nombre de scélérats, comme lui, avec lesquels il continua le métier qu’il avoit jusqu’alors si heureusement exercé. Il y réussit encore mieux pendant quelque tems ; Mais les recherches, que le Gouvernement fit faire de ces Canailles, les ayant presque tous dissipez, il fut abandonné par ses compagnons qui allerent travailler ailleurs.

Si tous les hommes réfléchissoient tant soit-peu sur leurs démarches, ils n’en feroient jamais aucune dont ils eussent sujet de se repentir ; du moins, lorsqu’ils ont eu le malheur d’en faire de mauvaises, ils prendroient les précautions nécessaires pour en prévenir les funestes suites. Ce fut à quoi manqua ce malheureux, & à quoi manquent tous ses pareils. Quoique mille exemples l’instruisissent du sort qui l’attendoit, non seulement il resta à Paris, mais il y continua son métier à l’ordinaire, c’est-à-dire, qu’il travailla tout seul. Il croyoit y être aussi heureux que par le passé ; mais il touchoit à son terme fatal. En effet, pendant qu’il continuoit à voler ici, un de ses anciens compagnons ayant été pris à Lion <sic>, & mis à la torture, le déclara comme un des complices des vols qu’il avoit faits précédemment. Cette déclaration ayant été envoyée ici, notre homme fut arrêté au moment qu’il s’y attendoit le moins.

Comme on ne trouva rien dans sa maison, qui déposât contre lui, qu’il n’avoit point d’autre accusateur que le Voleur dont je viens de parler, que d’ailleurs il passoit pour honnête homme dans son quartier, il ne fut point traité, dans sa prison, comme un Criminel Ordinaire. On lui laissa la liberté de voir du monde ; & on ne le veilla point d’assez près pour l’empêcher de former le dessein de s’echaper. Il le forma en effet ; & [19] voici de quelle maniere il s’y prit pour effectuer son projet.

La crainte donne, dit-on, quelquefois de l’industrie aux personnes les plus stupides lorsqu’elles se trouvent dans un danger pressant. Notre Voleur, se doutant bien qu’il ne sortiroit pas de ce lieu comme il y étoit entré, imagina l’expédient suivant pour se tirer des mains de la Justice avec laquelle il est toujours dangereux d’avoir quelque chose à démesler. Je viens de vous dire, Monsieur, que ce scélérat passoit pour honnête homme dans son quartier où il s’étoit bien gardé de se faire connoitre pour ce qu’il étoit. Aussi y fut-on extrêmement surpris, & même affligé, de son arrêt & sa détention. Ses voisins & son Hôte, qui étoit un Pâtissier, s’en plaignirent comme d’une grande injustice qu’on lui faisoit ; ce que le Voleur ayant remarqué, il lui vint dans l’idée de profiter de ces bonnes dispositions. Dans cette vuë il envoya prier le dernier de le venir voir ; ce que celui-ci fit sans le moindre scrupule. Dans cette visite le Voleur, suivant la coutume de ces fripons, ne manqua pas de lui faire de grandes protestations de son innocence, & lui fit accroire tout ce qu’il voulut, d’autant plus aisément, qu’on le prenoit dans son quartier pour tout autre qu’il n’étoit. Il le pria de le venir voir le plus souvent qu’il pourroit, pour le désennuyer, disoit-il, & le consoler dans ce triste sejour ; enfin il ajouta qu’il lui seroit fort obligé s’il vouloit bien lui faire un Pâté de venaison, dont il avoit une envie extraordinaire de manger, & dont il l’invita à venir manger sa part.

Les Parisiens sont naturellement bons & compatissants, comme vous l’avez pu voir par ce que je vous ai marqué dans ma dernière Lettre. Ce-[20]lui-ci lui promit ce qu’il demandoit, & lui tint parole dès le lendemain. Le Voleur le retient à souper, & engage le Géolier à lui tenir compagnie. On se régale des mieux, & l’on boit de même ; de sorte que le vin étant venu à manquer, le Géolier fut obligé de sortir pour en aller chercher. Notre homme saisit ce moment pour communiquer à son Hôte le projet qu’il a formé. Pour l’exécuter, il le prie de lui faire, à deux jours de-là un second Pâté, de la même forme que le premier, dans lequel, au lieu de viande, il auroit soin de mettre une corde, & quelques instruments de fer dont il avoit besoin pour percer la muraille de sa prison.

On aime à faire plaisir aux gens qui nous ont fait du bien. Le Pâtissier, que celui-ci avoit toujours bien payé, lui promit de lui rendre ce service, & deux jours après il s’aquita de sa promesse. Le Voleur ne tarda pas à faire usage de ce qu’il lui avoit envoyé. Il fit au mur de la prison une ouverture par laquelle il s’evada en se laissant couler le long de la corde.

Il est un vieux Proverbe, parmi nous, qui dit, que le Gibet ne perd jamais rien de ses droits. La chose se vérifia encore dans cette occasion. En effet le fugitif n’eut pas fait cinquante pas, qu’il tomba entre les mains d’un détachement des Archers du Guet, lesquels le voyant fuïr à toutes jambes coururent après lui, & l’atteignirent. La frayeur où il étoit, & dont ils s’apperçurent, leur ayant fait soupçonner que cet homme pouvoit avoir fait quelque mauvais coup, ils le conduisirent provisionnellement dans la prison d’où il venoit de s’échapper, & où le Géolier, qui ne savoit rien de son évasion, ne fut pas peu étonné de le voir ramener. Pour éviter pareille surprise, il le remit dans un endroit plus sûr où il [21] fut visité & interrogé, quelques jours après, par les Juges qui, ayant reçu de nouvelles informations, procéderent contre lui. Enfin son Procès ayant été instruit dans toutes les formes, il fut condamné au suplice qu’il méritoit depuis long-tems.

Ce malheureux, pour prolonger sa vie le plus qu’il pourroit, attendit précisement le moment de l’exécution de sa sentence, pour révéler à ses Juges ce qu’il avoit à leur déclarer. Une des premieres choses qu’il leur demanda, fut qu’on le conduisit au Cours de la Reine où il assura qu’on trouveroit un Trésor qu’il y avoit caché. Ce n’est pas ici la coutume de faire faire aux Criminels de pareilles promenades avant de mourir. Mais quand il est question de Trésor, les gens de Justice ne sont pas toujours si scrupuleux sur les formalitez. On passa donc sur celle-ci, d’autant que le Criminel ne vouloit révéler son secret qu’à cette condition. Il y fut donc conduit ; & l’on n’eut pas lieu de s’en repentir ; car ayant fouillé la terre dans un endroit qu’il indiqua, on y trouva quantité de vaisselle d’argent, & beaucoup d’or monnoyé qu’il y avoit enfoui, & qui, sans cela, auroit été perdu, du moins pour un tems. C’étoit là, selon toutes les apparences, un des Magasins de ce fripon qui, ne voulant point être reconnu pour ce qu’il étoit, ne gardoit rien chez lui de ce qu’il voloit.

Amorcez par ce qu’ils venoient de trouver, les supôts de Themis lui demanderent s’il n’avoit pas encore ailleurs quelqu’aure <sic> Trésor caché. Le Voleur ayant répondu que oui, on le conduisit aussi-tôt dans l’endroit qu’il indiqua. Mais, soit que quelque autre fripon eut prévenu la Justice en volant ce qui y étoit, soit que le Criminel eut imaginé cette ruse pour prolonger encore [22] sa vie de quelques heures, & prendre un peu l’air de la campagne avant de mourir, on n’y trouva point l’argent que l’on cherchoit. Peut-être s’en seroit-on dédomagé par quelque autre découverte si l’on avoit eu la hardiesse de pousser les recherches jusque dans le Bois de Bondi, qui est à plusieurs lieues de cette Capitale, & où le Voleur assura qu’il avoit caché, depuis peu, son plus grand Trésor ; Mais nos Archers, apréhendant que ce ne fût quelque piége, & une amorce pour les attirer dans ce Bois, ils s’imaginerent que les anciens compagnons de ce scélérat les y attendoient pour faire main basse sur eux, & sauver leur camarade. Saisis de cette terreur panique, ils refuserent de l’accompagner dans cet endroit ; de sorte qu’on le ramena ici où, continuant toujours son manége, il demanda à monter à la Maison de Ville. Là, sous prétexte de déclarer ses complices, il nomma quantité de personnes qu’il prétendit avoir eu part à ses crimes. On courut les chercher les uns après les autres. Mais ceux-ci ayant fait voir leur innocence, tant par leur contenance assurée, que par d’autres bonnes preuves, les Juges reconnurent à la fin que ce misérable ne cherchoit, par tous ces artifices, qu’à prolonger sa vie. Ils le firent donc alors expédier par le Boureau, au grand contentement de nos Archers à qui jamais Voleur, depuis Cartouche *1 n’avoit donné tant d’exercice.

La Nouvelle du Trésor qu’on venoit de trouver s’étant répandue dans cette Ville, tous ceux que ce Scélérat avoit volez ont aussi-tôt couru chez le Juge pour réclamer ce qu’ils avoient perdu. Reste à sçavoir s’il leur sera rendu.

[23] Ce point n’est pas bien sûr ; car le Greffe tient bon

Quand une fois il s’est saisi des choses,
C’est proprement la Caverne au Lion ;
Rien n’en revient. Là les mains ne sont closes
Pour recevoir ; mais, pour rendre, trop bien.
Fin celui-là qui n’y perd pas le sien, ◀Fremdportrait

A cette Histoire Tragicomique je vais joindre, Monsieur, quelques autres Nouveautez qui pourront amuser vos Dames.

Fabel►

Fable.

La Chasse au Miroir.

Sur la fin de l’Hiver vivoit une Allouette,
Vrai modelle d’instinct & de vivacité,
Jeune, surtout, & fort-bien faite,
Par conséquent pleine de vanité.
On la voyoit par tout dans les campagnes
Se rengorger, se panacher,
D’elle même s’amouracher.
Alloit-elle avec ses compagnes,
Ce n’étoit que pour s’assurer
Qu’elle valoit beaucoup mieux qu’elles,
Et les contraindre d’admirer
Quelques gentillesses nouvelles.
Elle se disoit quelquefois :
Je suis, on l’on m’a bien trompée,
L’Allouette la mieux hupée,
Il n’est pas un Oiseau dans nos champs, dans nos bois,
Qui ne s’honorât de mon choix. . . .
Mais, après tout, suis-je donc faite
Avec tant d’agréments, pour le bonheur d’un seul Coquette ?
Et quel mal est-ce, au fond, que d’être un peu
Dans le creux de quelque Tilleul
Une vieille Mésange, au déclin de sa vie,
En aura fait un crime, & cela par envie ;
[24] Nous aurons toutes bonnement
Comme infaillible Loi reçu ce Radotage ;
Mais enfin je ne suis pas d’âge
A penser ridiculement.

Tandis qu’elle tient ce langage,

Elle voit dans un champ reluire son image.
Un Miroir, faisant cet effet,
Déroboit à ses yeux un dangereux filet ;
Un jeune enfant de loin la guettoit au passage.
La voilà toute fois qui s’éleve en chantant,
S’abaisse par degrez, plane avec complaisance,
Se retourne à chaque distance,
Se trouve, au moindre mouvement,
Plus belle encor qu’auparavant ;
Tant qu’à la fin, se baissant sur la glace,
Dans le piége elle s’embarasse,
Et paye chérement le plaisir de se voir.
Que de jeunes Beautez l’Amour prend au Miroir ! ◀Fabel

Ebene 3►

Epigramme.

Requête d’un pauvre Curé à son Archevêque.

Prélat, qui m’as <sic> placé pour la premiere fois

Dans un païs sauvage, aride, & plein de Bois,
Ma misere est extrême, & ma peine accablante.

Suivant ta parole obligeante,

Suivant l’ordre établi, dont tu t’es fait la loi,

J’attends que ta main bienfaisante
Me confére un meilleur emploi.

Veux-tu que je te donne une preuve évidente

Que la misere me tourmente,

Et que mes Paroissiens sont de très pauvres gens ?
C’est que (pour un Curé chose assez étonnante !)

Je suis triste, & ma peine augmente
Quand je fais des enterrements. ◀Ebene 3

J’ai l’honneur d’être, &c.

Paris ce 20 Août 1750.

◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 2

Jeudi le 27 Août 1750.

◀Ebene 1

1* Fameux Chef de Voleurs, éxécuté à Paris, il y a environ trente ans.