Zitiervorschlag: Anonyme (Joseph Marie Durey de Morsan) (Hrsg.): "No. 2.", in: La Bigarure, Vol.5\002 (1750), S. 9-16, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4677 [aufgerufen am: ].


Ebene 1►

N°. <sic> 2.

Ebene 2► Brief/Leserbrief► Dans trois ou quatre de mes précédentes Lettres je vous ai parlé, Monsieur, des émeutes populaires arrivées, il y a quelques mois, dans cette Ville *1 . Je vais vous rendre compte du cinquième & dernier Acte de cette turbulente Tragédie dont le dénouement ne pouvoit manquer d’être funeste à ceux qui l’ont jouée. Allgemeine Erzählung► Comme le nombre en étoit fort grand, on en avoit aussi arrêté & emprisonné un très grand nombre, dont les uns ont été renvoyez & déclarez innocens, d’autres, un peu plus coupables, ont été condamnez à une Amende envers le Roi ; d’autres ont été envoyez aux Galeres ; & trois enfin, qui ont été trouvé les plus criminels, ont payé de leur vie. Le premier de ces malheureux étoit un Crocheteur, ou Porte-faix, le second un Charbonnier, & le troisieme un Brocanteur, gens plus propres à faire du bruit, qu’à tramer un complot, & occasionner une révolution dangereuse pour un Etat. Mais dans tous ceux où regne le bon ordre,

[10] Qui marche à la révolte aprête son suplice,

Et tombe tôt ou tard dans l’affreux precipice
Vers lequel sa folie, ou sa légéreté,
Ou ses propres fureurs l’ont d’abord emporté.

C’est ce qui vient d’arriver ici, Monsieur, & qui reprimera sans doute, pour l’avenir, dans nos Parisiens, la fougue impetueuse & peu ordinaire à laquelle ils se sont laissés aller en cette occasion. Comme on apréhendoit que l’éxécution des trois coupables n’occasionnât de nouveaux troubles, le jour qu’elle s’est faite, le Parlement prit la sage précaution de faire répandre dans les différents quartiers de cette Capitale tout le Corps des Gardes Françoises sous les ordres de leurs Officiers, de même que toute la Garde à pied & à cheval de la Ville, qu’il fit mettre sous les armes. Le peuple avoit toujours regardé ces émeutes comme une bagatelle, & s’étoit flatté que les choses n’iroient pas plus loin : Aussi a-t-il été extrêmement surpris quand il a vu que l’on procédoit si vivement contre les Perturbateurs. Facile à se persuader, il espéroit, du moins, que les Criminels en seroient quittes pour la peur de la Mort, & qu’on leur feroit grace au moment qu’ils seroient prêts à être exécutez. Peut-être même en avoit-on flatté ces malheureux. En effet, au moment que le Boureau alloit les expédier, tous les assistans crierent unanimement Grace. Mais nos bons Bourgeois n’ont pas ici le Privilége qu’avoit autrefois le Peuple Romain ; & les Arrêts de la Justice s’éxécutent malgré leur opposition & leur Appel.

Cependant le Boureau, qui ne se croyoit pas trop en sureté, s’imaginant que ces cris étoient le signal de la révolte du Peuple, abandonne la partie, & se jette du haut en bas de son Théa-[11]tre, crainte de plus fâcheux accident. La Garde qui formoit, à l’ordinaire, autour des Criminels un grand Cercle, se retourne aussi-tôt vers le peuple, & met la Bayonnette au bout du fusil pour s’opposer à tout ce qui pouvoit arriver. A la vue de cette Opération Militaire, la frayeur s’empare des Assistants ; & comme si chacun eût craint pour soi le châtiment qu’alloient subir ces malheureux, tout le monde s’enfuit en criant à pleine tête, grace, grace. Un des assistants, plus hardi que les autres, s’étant obstiné à demeurer en sa place, on le saisit, & on le met dans l’enceinte que formoient les Gardes, où on le force de regarder de plus près l’exemple qu’on lui donnoit. La terreur s’étant alors emparée de son ame, il étoit plus mort que vif, ce qui redoublant la frayeur des assistants, a causé un petit tumulte dans lequel il y a eu plusieurs personnes blessées & écrasées.

Le calme ayant succedé à cette petite émotion, l’Executeur, s’étant rassuré, a commencé la cérémonie patibulaire. Il en étoit déja au second Criminel, qui lui donnoit beaucoup plus de peine à expédier que le précédent, & qui donna pendant quelque tems des signes de vie ; ce qui fit dire à plusieurs femmes de la Halle, qui assistoient à ce Spectacle : Le pauvre homme ! On voit bien qu’il est innocent ! Voyez-vous comme il meurt malgré lui ? Quelle injustice ! Quelques personnes, qui entendirent ce plaisant discours, ne purent s’empêcher d’en rire. Voilà comme le monde est fait. Les uns rient de ce qui fait pleurer les autres. Enfin le reste de la cérémonie se passa fort tranquillement, après quoi chacun s’en retourna chez soi fort contrit, & bien résolu de ne pas s’exposer, à l’avenir, à avoir le sort de ces trois malheureux. ◀Allgemeine Erzählung

A cette Nouvelle j’en ajouterai une autre. C’est [12] que la Cour a nommé un nouveau Lieutenant de Police, pour cette Ville, M. Berrier qui l’étoit ci-devant, ayant, dit-on, remercié, peut-être pour prévenir poliment une demission qu’il prévoyoit qu’on lui demanderoit, & qu’il ne pouroit refuser.

De cette Scene Tragicomique je passe, Monsieur, à quelques autres Bagatelles qui peut-être ne vous amuseront pas moins. La première est une Epigramme qu’on vient de lâcher ici contre notre Académie des Quarante. Voici ce qui y a donné occasion. Depuis quelque tems Mr. l’Abbé Terrasson, Membre de ce Corps, est dangereusement malade. Comme il est fort âgé, les Candidats qui aspirent à être reçus dans cette Compagnie, se sont flattez que sa place seroit bientôt vacante. Chacun alors l’a sollicitée de tout son cœur, de toute son ame, & de toutes ses forces. On a prétendu que Piron, le plus Caustique & le plus Satirique de nos Poëtes, s’étoit mis sur les rangs malgré tout le mal qu’il a dit de cette Académie. On a même ajouté qu’il avoit l’agrément de la plûpart des Membres, & la protection de quelques Seigneurs. Mais sa brigue n’a pas été de longue durée. Il est survenu quelqu’autre Candidat Mitré, qui lui a fait donner l’exclusion. Ce dernier n’a pas joui beaucoup plus long tems de son triomphe, & cela par la faute de l’Abbé Terrasson qui n’a pas jugé à propos de se laisser mourir pour lui donner la satisfaction après laquelle il aspiroit. Comme cet Abbé se porte aujourd’hui beaucoup mieux, & paroit n’avoit aucune envie de quitter encore ni le monde ni sa place, on raille ici publiquement les Candidats qui se la sont disputez, & contre lesquels on fait courir l’Epigramme suivante qui regarde particulierement Piron.

Ebene 3►

[13] Epigramme.

Dans le fauteuil de Terrasson

(La surprise en paroit extrême)
S’alloit seoir le docte
Piron,
Par un grand oubli de soi même.
Que font les Dieux dans ce moment ?
Pour le frustrer de ce beau grade,
Et lui conserver son serment,
Ils rendent la Vie au Malade
. ◀Ebene 3

Puisque je suis sur l’article des Abbez qui ont fait & font encore honneur à la République des Lettres, je joindrai, Monsieur, à cette Epigramme d’autres Vers à la louange d’un de ces Messieurs, dont on vient de graver & de donner le portrait au Public. Comme ce digne personnage ne vous est pas aussi connu qu’à moi, je vais, Monsieur, vous peindre ici son aimable caractere, tel qu’il est.

Fremdportrait► L’Abbé de Voisenon (c’est le nom du personnage) est homme d’Esprit & de Lettres. Il est Auteur de la Coquette fixée, Comedie pleine d’esprit, de Zalmis <sic> & de Zilmaïde <sic>, Roman écrit avec beaucoup de délicatesse, & de plusieurs autres petits Ouvrages dans le genre badin & amusant. C’est un homme toujours mourant, & néanmoins toûjours gai. Il plait également aux personnes du caractere le plus opposé, & s’accommode aussi, pour un tems assez court, de tout le monde. On ne peut guère saisir ni rendre mieux les ridicules, qu’il le fait. C’est un article sur lequel il ne se fait pas grace à lui-même. Quoiqu’il ait toujours l’Epigramme à la main, il ne se fait point haïr. Ses bons mots n’offensent point, parce qu’ils ont un air de naïveté & de gayeté plutôt que de [14] malignité & de Misantropie. Son commerce n’est pas moins solide qu’agréable. Il est charmant dans une société pendant tout le tems qu’il y est ; mais il n’y est pas long-tems. On lui demande rarement des paroles sur des choses importantes ; & il ne tient presque jamais celles qu’il donne pour des choses frivoles. Il aide assez volontiers les jeunes Acteurs de ses conseils, de son credit, & de sa bourse. Cependant, grace à son inconstance, sa petite Cour se renouvelle souvent. Ses infirmitez ne l’empêchent point d’être l’idole de beaucoup de femmes, ni son caractere léger, d’être l’ami de plusieurs personnes très raisonnables.

Vers

Pour mettre au bas du Portrait de M. l’Abbé de Voisenon.

Ebene 3► Cet Abbé dont Vigier *2 rend si bien la figure,

Est le fils de l’Esprit & de la Volupté.
Le seul bien qu’il estime est celui qu’il procure ;
Le plaisir de l’instant est sa félicité,

Il borne là son espérance.
Encore un mot de ses talents :
Il donne à tout des agréments

Jusqu’à l’Astme & l’inconséquence. ◀Ebene 3

Par M. De la Salle.

Autres

Sur le même sujet.

Ebene 3► Connoissance agréable, essenciel Ami,

On ne peut ni l’aimer, ni lui plaire à demi.
[15] Arbitre des talents qu’il aime & qu’il possede ;
L’Esprit est dans ses Vers d’accord avec le goût.
Toujours nouveau, sans cesse à lui même il succede,
Et sans prétendre à rien il a des droits sur tout. ◀Ebene 3

Par M. de Mahis. ◀Fremdportrait

Une aimable & charmante Demoiselle vient de m’envoyer quelques Lettres galantes que l’Amour lui a dictées, & qui par la beauté & la vivacité dont elles sont remplies m’ont paru mériter d’avoir place ici. En voici quelques-unes que je me persuade qui vous amuseront & vous feront plaisir. Elles sont écrites à un Amant qu’elle a aimé passionnément.

Lettre I.

Ebene 3► Brief/Leserbrief► « J’ai reçu votre Lettre. Jamais vous n’avez montré tout-à-la-fois tant d’esprit & si peu d’amour. Une Amante aussi délicate que moi n’est point si aisée à tromper. Vos affaires sont un prétexte spécieux que je ne reçois pas. Quelque interressantes qu’elles puissent être, s’il est des moments pour tout, combien en doit-il être pour ce qu’on aime ? Mais supposons qu’elles ne vous laissent pas un moment de loisir pendant la journée, la nuit que devenez-vous ? Hélas, puis-je en douter ! Si l’Amour ne vous conduit pas chez-moi, c’est qu’il vous retient chez une autre. Dites-moi, la Beauté qui vous captive est-elle digne de votre attachement, ou plutôt, (comme je le souhaite) n’avez-vous pour elle qu’un amour passager ? Si cela est, je vous pardonne ; mais n’abusez pas de ma bonté. Venez m’avouer votre bonne fortune. Si la personne est aimable, cela justifiera mon choix, & je serai flattée qu’elle [16] n’ait pû que vous amuser. Croyez-moi, dès ce soir, venez vous racommoder avec moi. Je me sens disposée à vous dédomager du sacrifice que j’exige de vous. En un mot, j’oublie tout ; mais n’attendez pas à demain. Vous ne me trouveriez peut-être pas si facile ». ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 3

II. Lettre. Ebene 3► Brief/Leserbrief► « Le pardon que je vous offrois de si bonne grace ne vous a point tenté, & le sacrifice que j’exigeois vous a paru trop grand. Il faut, je le vois, renoncer au plaisir de vous posseder. Que ne puis-je renoncer à celui de vous aimer ! Que votre Sexe est perfide ; que le mien est foible ! Le plaisir de captiver un cœur est d’un prix sans égal. Pour y parvenir un homme ose tout risquer. Plus les obstacles sont grands, plus il s’obstine à les vaincre. Il est de son honneur d’en venir à bout. Que de soins, que de complaisances n’employe-t-il point ! Occupé de sa conquête, tout l’Univers lui est indifférent. Il sacrifie tout à son Objet. Mais après tant de soins, vient-il à bout de s’en rendre maitre, dès lors ce bien si desiré perd de son prix. Ce n’est plus une chose qu’on souhaite. On est possesseur ; l’amour s’évanouit. Voilà votre portrait. C’est celui de bien d’autres. Je vous ai connu bien différent. Vous aviez toutes les Vertus de votre Sexe sans en avoir les Vices. Que vous détesterez, un jour, ceux qui ont occasionné votre changement ! Aimer sincérement, être aimé de même ; voilà le souverain bien. C’est de vous que je tiens cette Maxime. Pendant trois ans, elle nous a procuré de doux moments. Par quelle fatalité voulez-vous y mettre fin ? J’ai beau m’examiner : Si trop d’amour est un crime, c’est le seul que vous puissiez me reprocher ». ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 3

Paris ce 16 Août 1750.

◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 2

Jeudi le 20 Août 1750.

◀Ebene 1

1* Voyez les pages 7, 23, 101, 134. du Tome précédent.

2* Peintre de Paris, célebre par son talent pour les Portraits.