Zitiervorschlag: Anonyme (Joseph Marie Durey de Morsan) (Hrsg.): "N°. 36.", in: La Bigarure, Vol.4\036 (1750), S. 121-128, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4670 [aufgerufen am: ].


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N. 36.

Ebene 2► Brief/Leserbrief► Il y a quelques années, Monsieur, que les Jesuites, qui ne faisoient pas à Mr. de Voltaire l’honneur de l’aimer & de le considérer comme ils ont fait depuis qu’il a eu le bonheur de s’introduire à la Cour, le placerent parmi les Ecrivains Jansénistes *1 . Ce fut au sujet de son Poëme de la Ligue, ou de la Henriade, dans lequel ils trouverent, ou feignirent de trouver, tout le Systême du Jansenisme. Ils l’accuserent aussi de debiter, avec Calvin & le Ministre Du Moulin, la Reprobation positive, & de faire de Dieu un Tiran qui n’a pas voulu que l’homme se servit, & fit son Salut en le servant. Ce brillant Ecrivain se seroit, sans contredit, mis à couvert de ces terribles reproches, si la Lettre, qu’il a depuis écrite à leur Pere de la Tour, avoit précédé la publication de sa Henriade. Les éloges outrés qu’il y donne à la Société des Jesuites, & qu’elle mérite autant qu’il méritoit les accusations qu’ils intenterent alors contre lui, lui auroient valu des Patentes Autentiques de Catholicité ; car, pour me servir ici des expressions de Maitre François Rabelais, la Catholicité & l’Hérésie sont entre les mains de ces Messieurs, & ils font l’une & l’autre comme de cire.

Mais ce n’étoit pas encore assez pour Mr. de Vol-[122]taire, que le parti Moliniste eut rendu sa foi suspecte, il lui manquoit encore d’être mis au rang des Auteurs impies. C’est ce que les Jansénistes ont fait, depuis peu, par la plume de leur Nouvelliste Ecclésiastique. Apparemment que certaines piéces, peu Chretiennes (& entre autres l’Epitre à Uranie) qui ont paru sous le nom de ce Poëte, lui ont attiré ce dernier reproche. Quoiqu’il en soit, l’accusation étoit trop grave pour demeurer sans réponse. Aussi Mr. de Voltaire, avant que de partir pour la Cour de Berlin où il va un peu jouir de la grande réputation que ses ouvrages lui ont fait dans ce païs-la, vient-il de s’en laver par un Ecrit intitulé : Remerciment sincere à un homme charitable. On ne sҫait ce qui peut avoir encore brouillé cet Ecrivain Universel avec Mr. l’Abbé Pluche, Auteur du Livre du Spectacle de la Nature, mais M. de Voltaire, dans la Brochure qu’il vient de publier contre le Gazetier Janseniste, paroit fort choqué de ce que M. Pluche a placé, dans son Livre, une Démonstration Evangélique a côté d’une Dissertation sur la manière d’elever les Vers à foye. Il trouve étrange qu’il soutienne que Moïse étoit un excellent Physicien, & que, malgré toutes les Académies & tous les Philosophes du monde, la Lumiere ne vient point du Soleil ni des autres corps lumineux ; qu’il avance que les Negres sont devenus noirs peu-à-peu, en qualité de descendants de Chus ; & qu’il soutienne enfin que Mahomet avoit voyagé dans les Sept Planettes en une nuit. Mr. de Voltaire s’éleve avec beaucoup de force contre toutes ces choses qui ne sont pas effectivement des plus raisonnables, & qui paroissent sans doute fort risibles à bien d’autres qu’à lui.

Mais un reproche bien plus sanglant encore que ceux dont je viens de parler, & auquel M. de Voltaire doit s’attendre, est celui de l’Atheïsme qu’il ne peut éviter de la part de tout le Clergé Catholique-Romain, contre les intérêts duquèl il a eu, dit-on, la hardiesse de composer & de publier, incognito, une seconde petite Brochure que je vous envoye. Le refus que celui de France a fait, & dans lequel il persiste encore, de se [123] conformer à l’Edit du Roi pour le payement du vingtieme denier <sic>, & les murmures des Moines & des Nonnes contre celui qui leur deffend de recevoir, à l’avenir, à la profession Religieuse aucun sujet avant l’âge de 25 ans, ont occasionné ce petit ouvrage qui est aussi bien raisonné que le stile en est concis & énergique. Vous en jugerez vous même.

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La voix du sage
et du peuple.

La bonté d’un Gouvernement consiste à protéger & à contenir également toutes les Professions d’un Etat. Le Gouvernement ne peut être bon, s’il n’y a une Puissance unique. Dans les Etats les plus mixtes, la Puissance résulte du consentement de plusieurs Ordres, & alors elle acquiert son unité, sans laquelle tout est confusion.

Dans un Etat quelconque, le plus grand malheur est que l’autorité Législative soit combatuë. Les années heureuses de la Monarchie Françoise ont été les dernieres de Henri IV. celles de Louis XIV. & de Louis XV. quand ces Rois ont gouverné par eux-mêmes.

Il ne doit pas y avoir deux Puissances dans un Etat. La distinction entre Puissance Spirituelle & Puissance Temporelle, est un reste de barbarie Vandale ; C’est comme si dans ma maison on reconnoissoit deux Maîtres, moi, qui suis le Pere de Famille, & le Précepteur de mes Enfans, à qui je donne des gages. Je veux qu’on ait de très-grands égards pour le Précepteur de mes enfans ; mais je ne veux point du tout qu’il ait la moindre autorité dans ma maison.

Il y a dans le monde entier quatre Etats qui sont de [124] la Communion Romaine, la France, les Espagnes, la moitié de l’Allemagne, la Pologne. Dans les Espagnes, le Gouvernement s’accommode avec le Pape pour imposer des Taxes sur le Clergé. La Reine de Hongrie en use de même : elle a obtenu, dans la derniére guerre, la permission de prendre l’Argenterie des Eglises. En Pologne, l’Armée de la Couronne vit à discrétion sur les Terres du Clergé, parce que le Clergé paye trop peu à la République. En France, où la raison se perfectionne tous les jours, cette raison nous apprend que l’Eglise doit contribuer aux charges de l’Etat, a proportion de ses revenus, & que le Corps destiné particuliérement à enseigner la justice doit commencer par en donner l’exemple.

Ce Gouvernement seroit digne des Hottentots, dans lequel il seroit permis à un certain nombre d’hommes de dire : C’est à ceux qui travaillent à payer ; nous ne devons rien, parce que nous sommes oisifs. Ce Gouvernement outrageroit Dieu & les hommes, dans lequel des Citoyens pourroient dire : L’Etat nous a tout donné, & nous ne lui devons que des Priéres.

La raison, en se perfectionnant, détruit le germe des Guerres de Religion. C’est l’esprit Philosophique qui a banni cette Peste du monde. Si Luther & Calvin revenoient au monde, ils ne feroient pas plus de bruit que les Scotistes & les Thomistes. Pourquoi ? Parce que les lumiéres répandues dans toutes les conditions ont appris qu’il ne faut jamais s’élever contre la Religion du Prince, & que quand on s’éléve contr’elle, il en naît des calamités affreuses pour des siécles.

Ce n’est que dans des tems de barbarie qu’on voit des Sorciers, des Possédés, des Rois excommuniés, des Sujets déliés de leur Serment de fidélité par des Docteurs.

La raison nous apprend, que le Prince peut laisser subsister quelques anciens abus, comme de laisser décider en Cour de Rome certaines affaires, qu’on pourroit très-bien décider dans son Conseil, &c. Elle nous montre, que quand le Prince voudra abroger ces Coutumes, elles tomberont comme un bâtiment Gothique qu’on détruit [125] pour le rebâtir à la moderne. Elle nous montre que, quand le Prince voudra extirper un abus préjudiciable, les peuples doivent y concourir, & y concoureront, l’abus eût-il quatre mille ans d’ancienneté.

Cette raison nous enseigne, que le Prince doit être le Maître absolu de toute Police Ecclésiastique, sans aucune restriction, parce que cette Police Ecclésiastique est une partie du Gouvernement ; & de même que le Pere de Famille prescrit au Précepteur de ses enfans les heures du travail & le genre des études, &c. de même le Prince peut prescrire à tous les Ecclésiastiques, sans exception, tout ce qui a le moindre rapport à l’ordre public. Cette raison nous dit à tous, que quand le Prince voudra donner à ceux qui ont versé leur sang pour l’Etat des Pensions sur des Bénéfices, lesquels Bénéfices sont une partie du Patrimoine de l’Etat, non-seulement tous les Officiers de Guerre, mais tous les Magistrats, tous les Cultivateurs, tous les Citoyens béniront le Prince ; & quiconque s’opposeroit à une Institution si salutaire, seroit regardé comme un Ennemi de la Patrie. De même, quand le Prince, qui est le Pasteur de son Peuple, voudra augmenter son Troupeau, comme il le doit quand il voudra rendre aux Loix de la Nature les Imprudents & les Imprudentes qui se font voués à l’extinction de l’espéce, & qui ont fait un Vœu fatal à la Société dans un âge où il n’est pas permis de disposer de son bien, la Société bénira ce Prince dans la suite des siécles.

Il y a tel Couvent inutile au monde, à tous égards, qui jouit de deux cents mille livres de rentes. La raison démontre, que si on donnoit ces deux cents mille livres à cent Officiers, qu’on mariroit, il y auroit cent bons Citoyens récompensés, cent Filles pourvûes, quatre cents Personnes au moins de plus dans l’Etat au bout de dix ans, au lieu de cinquante Fainéans, rendus à la Patrie, cultiveroient la terre, la peupleroient, & qu’il y auroit plus de Laboureurs & plus de Soldats. Voilà ce que tout le monde desire, depuis le Prince du Sang, jusqu’au Vigneron. La Superstition seule s’y [126] opposoit autrefois ; mais la raison, soumise à la Foi, écrase la Superstition.

Le Prince peut, d’un seul mot, empêcher au moins qu’on ne fasse des Vœux avant l’âge de vingt-cinq ans ; & si quelqu’un dit au Souverain : Que deviendront les Filles de condition que nous sacrifions d’ordinaire aux ainés de nos Familles ? Le prince répondra : Elles deviendront ce qu’elles deviennent en Suéde, en Dannemark, en Prusse, en Angleterre, en Hollande, elles seront des Citoyens ; elles sont nées pour la Propagation, & non pour réciter du Latin qu’elles n’entendent pas. Une femme qui nourrit deux enfans, & qui file, rend plus de service à la Patrie, que tous les Couvents n’en peuvent jamais rendre.

C’est un très-grand bonheur, pour le Prince & pour l’Etat, qu’il y ait beaucoup de Philosophes qui impriment toutes ces maximes dans la tête des hommes. Les Philosophes, n’ayant aucun intérêt particulier, ne peuvent parler qu’en faveur de la raison & de l’intérêt public. Les Philosophes rendent service aux Princes en détruisant la Superstition, qui est toujours l’Ennemie des Princes. C’est la Superstition qui a fait assassiner Henri III. Henri IV. Guillaume, Prince d’Orange, & tant d’autres. C’est elle qui a fait couler des Rivières de Sang depuis Constantin. La superstition est le plus horrible Ennemi du genre humain. Quand elle domine le Prince, elle l’empêche de faire le bien de son Peuple ; Quand elle domine le Peuple, elle le souleve contre son Prince.

Il n’y a pas un seul exemple sur la terre de Philosophes qui se soient opposés aux Loix du Prince. Il n’y a pas un seul siécle où la Superstition & l’Entousiasme n’ayent causé des troubles qui font horreur. Il n’y a pas un seul exemple de trouble & de dissention, quand le Prince a été le Maître absolu de la Police Ecclésiastique. Il n’y a que des exemples de désordre & de calamités, quand les Ecclésiastiques n’ont pas été entiérement soumis au Prince.

Ce qui peut arriver de plus heureux aux hommes, c’est que le Prince soit Philosophe. Le Prince Philo-[127]sophe sҫait, que plus la raison fera de progrès dans ses Etats, moins les Disputes, les Querelles Théologiques, l’Entousiasme, la Superstition seront de mal ; Il encouragera donc les progrès de la raison. Ces progrès seuls suffiront pour anéantir, par exemple, dans quelques années, toutes les disputes sur la grace ; parce que le nombre des hommes raisonnables étant augmenté, le nombre des esprits de travers, qui se nourissent d’opinions absurdes, diminuera.

Ce qu’on appelle un Janséniste, est réellement un Fou, un mauvais Citoyen, & un Rebelle. Il est fou, parce qu’il prend pour des vérités démontrées, des idées particulieres. S’il se servoit de sa raison, il verroit que les Philosophes n’ont jamais disputé ni pû disputer sur une vérité démontrée. S’il se servoit de sa raison, il verroit qu’une Secte qui méne à des Convulsions, est une Secte de Fous. Il est mauvais Citoyen, parce qu’il trouble l’ordre dans l’Etat. Il est Rebelle, parce qu’il désobéit. Les Molinistes sont des Fous plus doux. Il ne faut être ni à Apollon, ni à Céphas ; mais à Dieu & au Roi.

Il est certain que plus il y aura de Philosophes, plus les Fous seront à portée d’être guéris. Le Prince Philosophe encouragera la Religion, qui enseigne toujours une Morale pure & très-utile aux hommes. Il empéchera qu’on ne dispute sur le Dogme, parce que ces Disputes n’ont jamais produit que du mal. Il rendra, autant qu’il le pourra, la justice distributive plus uniforme & moins lente, & rougira pour nos Ancêtres, que ce qui est vrai à Dreux, soit faux à Pontoise. Le Prince Philosophe sera convaincu, que plus un Peuple est laborieux, plus il est riche. Il aura soin que ses Villes soient embellies ; parce qu’alors il y aura plus de travaux, & qu’il en resultera l’utile & l’agréable. On composeroit un gros Livre de tout le bien qu’on peut faire ; mais un Prince Philosophe n’a pas besoin d’un gros Livre. ◀Ebene 3

Instruit & Philosophe (c’est-à-dire, raisonnable) comme vous l’êtes, Monsieur, je suis persuadé d’avance qu’en lisant cette petite piéce vous en sentirez au-[128]tant la force, que je suis assuré qu’elle déplaira aux Prélats & aux Moines, qui ont leurs raisons pour ne la pas approuver. Mais ces raisons mêmes sont décisives contre eux, puisqu’elles ne sont fondées que sur la cupidité & la fainéantise, deux Vices qui furent toujours pernicieux à un Etat, & qu’un Prince sage & éclairé doit travailler à en extirper malgré tout ce qu’on en peut dire. J’ajouterai seulement encore ici une chose qui m’a paru digne de remarque. C’est la contrainte dans laquelle le Clergé tient partout, même en France, les Ecrivains. Elle s’étend jusque sur ceux mêmes que leur mérite, leurs talents, & leurs emplois à la Cour sembleroient devoir mettre à couvent d’une pareille vexation. Il y a plus ; c’est que la Cour même, par ordre de laquelle il paroit que ce petit Ouvrage a été composé, soufre la même gène de la part de ces Messieurs. En effet, quoique cette petite piéce y ait plus qu’à la Ville, que sous le titre d’une impression étrangere, & sous le nom d’un Libraire qui n’exista jamais dans la Ville où l’on indique sa demeure *2 . Ce n’est pas tout encore. Si l’on veut s’en rapporter à certain bruit qui court ici, le Voyage que M. de Voltaire est allé faire à Berlin est dit-on, une espece d’exil, auquel la Cour l’a condamné, pour les soustraire à la colere du Clergé que la publication de cette brochure lui a, dit-on, attirée. Si la chose est ainsi, nos Franҫois ont certainement grand tort de se moquer des Portuguais & des Espagnols chez qui le Tribunal de l’Inquisition a étendu son pouvoir jusque sur les Rois mêmes. Ce seroit, en ce cas, la Fable de l’Aveugle qui se moquoit de la Taupe.

J’ai l’honneur d’être &c.

Paris ce 28 Juillet 1750.

◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 2 ◀Ebene 1

1* Voyez la Bibliotheque Janseniste, Ouvrage publié, il y a quelques années, par les Jesuites de Paris.

2* A Amsterdam chez le Sintere.