Zitiervorschlag: Anonyme (Joseph Marie Durey de Morsan) (Hrsg.): "N°. 25.", in: La Bigarure, Vol.4\025 (1750), S. 33-40, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4659 [aufgerufen am: ].


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N°. 25.

Ebene 2► Brief/Leserbrief► O, l’ennuyeux & impertinent usage ! Dieu fasse miséricorde aux prémieres Bégueules qui l’ont mis à la mode ! Elles en ont assurément besoin. Pour avoir passé quatre ou cinq semaines à la campagne, me voilà attaquée d’une migraine épouvantable qui me durera peut-être autant ! A mon retour en cette Ville on auroit dit que je revenois de l’autre monde, & qu’il y avoit un siécle que j’étois sortie de celui-ci. Un tas d’ennuyeuses babillardes, qui sembloient s’être donné le mot pour m’assommer, sont poliment venues, les unes après les autres, m’étourdir les oreilles de mille fariboles dont elles n’ont point cessé de m’entretenir. Elles m’ont fait des milliers de questions sur le séjour que j’ai fait à ma campagne, sur la pluye, sur le beau temps, sur le froid, sur le chaud, sur le vent, sur le brouillard qu’il a fait ici pendant mon absence, & dont elles ont, disent-elles, été toutes fort incommodées. L’une m’a assommée avec le reçit des amours de la vieille Présidente que vous connoissez ; l’autre, avec la conversation prétendue miraculeuse de la coquette Marquise de * * *. Celle-ci m’a pensé faire démontrer la machoire, à force de bâiller, au reçit qu’elle m’a fait de la Métamorphose du vieux Abbé de . . . . qui vient de quitter son rabat, & ses Bénéfices, pour l’amour d’une jeune Actrice dont il est fou, & qu’il est, dit-on, résolu d’épouser. Enfin que ne m’ont-elles point raconté ? & tout cela assaisonné de ce que la Minauderie, l’Affec-[34]tation, & la Médisance ont de plus ennuyeux & de plus rebutant . . . .

Que vous êtes heureuse, Madame, d’être à l’abri d’un semblable fléau dans votre Province ; car si je m’en souviens bien, vous m’avez marqué que les Dames qui composent votre aimable Société ne sont ni babillardes, ni médisantes ; ce qui, sans doute, n’est pas un mérite médiocre. Pour moi, je n’y puis plus tenir, & après avoir eu la constante complaisance, pendant huit jours, d’écouter toutes les sotises de celles dont je viens de vous parler, je me dérobe à leur importanité, & me retranche dans le Cabinet de mon frere. Vienne donc me voir qui voudra, je ne suis au logis pour aucune d’elles. Je ne veux m’entretenir qu’avec vous, & me dédomager de ce que mon absence m’a fait perdre. Au reste j’espére que vous n’en aurez point souffert, ni vous, ni votre Société, & que mon frere aura tenu la parole qu’il m’avoit donnée de vous amuser à mon deffaut. Y aura-t-il réussi ? S’il ne l’a pas fait, ce ne sera pas, je crois, manque de bonne volonté de sa part, ni faute, de la mienne, que je ne l’eusse fort prié d’egayer son humeur naturellement sérieuse & Philosophe. A tout événement, je vais vous faire part de ce qui m’est tombé de plus amusant entre les mains, & est venu à ma connoissance depuis mon retour en cette Ville, persuadée, à mon ordinaire, que cela vous fera plaisir. Je commence par une piéce de Vers qui roule sur la matière du monde la plus agréable à notre Sexe.

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Ode anacréontique

A l’amour.

Maitre des cœurs, même insensibles,

Amour, puisque tu m’as réduit,
Prens pitié des peines horribles
D’un cœur par ton pouvoir séduit.

De ton plus admirable Ouvrage

Acheve d’affermir les nœuds,
[35] Daigne par un trait moins volage
Enflammer l’objet de mes vœux.

La Nimphe qu’adore ma flame

A donc tout vaincu désormais.
Les feux qu’elle allume en mon ame
Bruleront pour elle à jamais.

Enfant du fort & du caprice,

Favori du Goût & des Dieux,
Amour badin sois moi propice,
Embrase-la des mêmes feux.

Non, dis-tu, de cette espérance

Je ne puis flatter tes desirs.
Pour vaincre son indifférence
Il faut des soins & des soupirs.

Cruel, de ta rigueur extrême

Je vois la cause & les effets
Ah ! tu me refuses tes traits,
Parce que tu l’aimes toi-même. ◀Ebene 3

J’ai appris, Madame, que, pendant mon absence, mon frere vous a annoncé une Tragédie nouvelle du Sieur Marmontel, intitulée Cleopatre. Comme j’ai vû representer cette piéce en arrivant ici, que je sçai que vous n’en avez point encore reçu de nouvelles, & que vous êtes fort curieuse de ces sortes de choses, je vai <sic> vous rendre compte de celle-ci que j’ai écoutée avec beaucoup d’attention. Vous sçavez l’Histoire de cette fameuse Reine d’Egypte ; ainsi vous n’aurez pas de peine à convenir que ce sujet est des plus interressants par lui-même, & n’a besoin que des talents d’un vrai Poëte pour être mis en Action. Voici de quelle manière le Sieur Marmontel s’y est pris.

Ebene 3► Cleopatre, honteuse de la défaite d’Antoine à la Bataille d’Actium, voudroit tâcher de relever le courage des Egyptiens, ses sujets, & d’animer celui des Romains qui ont suivi le parti de son Amant. Elle s’i-[36]magine que le fils qu’elle a eu de Jules Cesar ne peut pas moins attendre du bras d’Antoine, que de monter sur le Trône de l’Empire du Monde. Pendant qu’elle lui montre la gloire de son Pere, que les Romains venoient de mettre au rang des Deux, Ventidius vient pour engager Antoine à avoir un entretien avec Octave (Auguste) qui est aux portes d’Alexandrie. Il tâche de faire entendre à la Reine, qu’il lui est impossible d’aspirer à ce Trône de l’Empire. Il lui represente qu’elle est l’instrument de la perte d’Antoine, le seul Héros que Rome ait encore, & qui puisse réparer la perte qu’elle vient de faire de César & de Brutus. Cet écart, qui a paru très déplacé à bien des gens, a donné carriere au Poëte pour peindre les Romains, & faire le portrait d’Auguste, qui est assurément le plus brillant morceau de la piéce.

La Reine, qui s’apperçoit bien que, si Antoine s’accommode avec Octave, ce ne sera qu’à condition qu’il la quittera, ne peut souffrir cet accommodement auquel elle s’oppose. Vaincue cependant par ses propres sentiments, elle aime mieux s’immoler à sa rivale, que de couvrir de honte son Amant. Elle fait plus ; Elle engage Ventidius à porter Antoine à conclure au plûtôt cette Paix. Dans l’entretien qu’ils ont ensemble, Ventidius fait les plus fortes remontrances à Antoine. Il lui remet sous les yeux la juste indignation des Romains contre lui, sa fortune renversée, la honte que lui attirent sa molesse & les voluptez dans lesquelles il est enséveli à la Cour d’Egypte. Il lui annonce les remords qui suivront immanquablement ce malheureux état, & qu’entraine nécessairement sa defaite. Antoine, pénétré de ces véritez, voudroit bien se dégager ; mais il sent que les charmes de la Reine le retiennent. Il tache de se justifier, en disant que

Le remords nait du crime, & non pas des malheurs.

Cependant il se résout à accepter la Paix, ou du moins à écouter les propositions d’Octave & de résister au penchant qu’il a pour Cléopatre.

Quoique cette Princesse eût desiré, comme on l’a vu, l’entrevuë & l’entretien de ces eux prétendants à l’Empi-[37]re, elle ne peut s’empêcher d’être allarmée de ce qui en peut résulter. Elle sent qu’elle doit être la Victime qu’on immolera. Elle voit sa rivale triompher ; mais quand elle compare son amour & ses bienfaits à l’amour seul d’Octavie, elle se trouve plus digne qu’elle de posséder le cœur d’Antoine. Il est vrai qu’Octavie a de la beauté & de la sagesse. Elle a de l’amour ; mais Cléopatre doit-elle lui ceder ? Elle se résout d’essayer si elle poura par ses charmes tenter le cœur d’Octave. Enyvrée de l’ambition d’être un jour Souveraine dans Rome, il lui semble voir cette Maitresse des nations à ses genoux recevoir les loix que lui impose son Amant. Personne ne peut s’y opposer. Octave seul est l’unique obstacle qui s’oppose à la jouissance de la grandeur qu’elle ose envisager. Pour lever cet obstacle, il faut l’entrainer dans le même précipice que son rival. Si ses attraits n’ont plus leur premier éclat, si elle a perdu quelques uns de ses charmes, elle s’en est pleinement dédomagée par l’art de séduire les cœurs, & d’assaisonner les plaisirs.

La Beauté les engage, & l’Art seul les entraine.

Octave paroit devant Cléopatre qui, déguisant son caractère, s’humilie & le reçoit en Vainqueur pour mieux couvrir les piéges qu’elle lui veut tendre. Les loüanges qu’elle lui prodigue avec finesse, la constance qu’elle malheur dans son affect, & la générosité qu’elle lui fait paroitre en renonçant, en faveur de sa Victoire, aux droits qu’elle a sur le cœur d’Antoine, remplissent de joye l’ame d’Octave, & lui donnent quelque émotion. La Reine s’en aperçoit, & le quitte brusquement, dans la crainte où elle affecte d’être de succomber. Octave reconnoît la force des appas de cette Princesse. Il cesse de blâmer Antoine sur son amour. Mais en même tems qu’il réfléchit sur ce qu’elle lui a inspiré, il est bien eloigné de n’y pas renoncer. Son ambition est bien au-dessus de son amour.

Les deux rivaux se parlent enfin. Octave reproche à Antoine sa molesse, & lui peint de la manière la plus touchante l’état d’Octavie, sa femme, qu’il a abandonnée. Antoine convient de son tort ; mais il ajoute qu’il [38] n’a pas été le maitre de choisir entre les deux objets qui lui étoient destinez. Ils entrent en négociation. Antoine ne se défie de l’éloquence & de la dissimulation d’Octave « Quelle est ta résolution, lui dit-il ? » Octave lui propose de vouloir occuper, sous lui, la place que Pompée lui-même n’auroit pas rougi d’occuper sous Cesar. Mais Antoine, vengeur de Cesar, tout vaincu qu’il est, est encore trop fier pour s’abaisser devant un rival qu’il méprise. Il refuse ce parti, & offre les conditions les plus généreuses. « Couverts du sang de tant d’illustres Citoyens, remettons, lui dit-il, le Peuple Romain en liberté. Retirons nous à Rome, & vivons y nous-mêmes en Citoyens ». Cette proposition est éludée par Octave qui fait entrevoir qu’il est nécessaire qu’il y ait un Maitre dans Rome ; que ce Peuple, asservi aux factions qu’il fomente, ne peut plus se soutenir que par les bras d’un Empereur qui le gouverne en paix. Antoine lui offre alors la moitié de cet Empire, & se réserve l’autre. Octave, connoissant le pouvoir de sa faction dans Rome, & desirant seulement d’y attirer Antoine pour l’y faire périr, veut généreusement remettre au pouvoir du Peuple & du Senat de choisir entre eux deux celui qu’il voudroit pour Maitre, & promet, en ce cas, d’obëir à Antoine, s’il est élû. Antoine accepte ce parti.

A peine l’a-t-il accepté, que Cléopatre aporte à Octave son bandeau Royal, en le supliant de la déclarer ou Esclave des Romains, ou femme d’Antoine qui vient de la trahir. Antoine ne peut souffrir une pareille proposition. Son amour l’emporte. Il se rejoint à Cléopatre, & se sépare d’Octave pour l’aller combattre. Abandonnée des Romains qui avoient suivi son parti, & des Egyptiens même, il est obligé de se sauver. Il entre dans son Palais où il annonce ses malheurs à Cléopatre, & lui conseille d’aller fléchir le Vainqueur. Après avoir déploré son tort, résolu de se donner la mort plutôt que de souffrir la moindre infamie, cette Princesse lui demande des nouvelles de son fils. Antoine lui aprend qu’il a été fait prisonnier des Romains en combattant contre eux. Cléopatre se désespere ; mais se res-[39]souvenant <sic> qu’elle avoit employé utilement ses charmes dans la premiere entrevüe qu’elle avoit eu avec Auguste, & qu’elle avoit fait sur lui quelque impression, elle lui écrit un billet, par lequel elle le prie de se rendre au Palais où elle l’attend. Elle engage ensuite un Esclave à l’assasiner dès qu’il le verra seul. Octave s’empare du Palais. Antoine vaincu est amené devant son Vainqueur qui lui reproche sa foiblesse ; mais celui-ci, bravant son ennemi, lui répond avec fierté. L’esclave, saisissant ce moment, s’avance pour assassiner Auguste. Antoine détourne & pare le coup, & dit à son Vainqueur :

- - - - Il a fait le devoir d’un Esclave,

Et moi je fais celui d’un Romain qui te brave.

Octave pénétré de la générosité du Vaincu tâche d’adoucir ses malheurs, & pour le détacher de Cléopatre, il lui remet le billet qu’elle lui avoit écrit. A la vuë de cet écrit fatal, la fureur s’empare d’Antoine qui se croit couvert de deshonneur & d’ignominie, & trahi par cette Princesse qu’il a tant aimée. Il refuse d’aller à Rome vivre en Citoyen. Ce n’est plus Rome ; ce n’est plus l’exil qu’il redoute ; c’est la vie qu’il haït. Enfin pénétré de désespoir, il se poignarde. Cléopatre arrive en ce moment, & voit son Amant expirant. Elle se jette à ses genoux, & lui donne les dernieres marques de son amour ; mais il ne l’entend plus. Elle adresse des plaintes inutiles à Octave qui lui annonce qu’il est résolu de la mener en triomphe dans Rome. Elle y consent, pourvu qu’il donne la liberté à son fils, Octave la lui promet avec ferment. Ne voyant plus rien dans le monde qui l’interresse, & sa gloire étant prête à être flétrie par un esclavage honteux, elle se fait piquer par un Aspic que sa Confidente lui apporte en presence d’Octave ; & la piéce finit par quelques Vers que dit ce Prince sur la douceur qu’il prétend suivre dans le gouvernement de l’Empire dont la mort de son rival lui assure la tranquille possession. ◀Ebene 3

Telle est l’analise de la piéce que j’ai vuë representer il y a quelques jours. C’est du-moins tout ce que ma mémoire en a pû conserver ; car comme vous sçavez bien, Madame, l’impression ne nous donne ici [40] nos piéces de Théatre, que lorsque le Public est las <sic> de les voir representer. A l’egard du jugement qu’on a porté de celle-ci, tout le monde convient qu’elle a de grandes beautez & qu’elle petille de traits brillants & de belles Maximes qui rachetent parfaitement quelques langueurs qu’on y trouve. L’essai que le Poéte a fait d’y peindre les Romains ne lui a pas réussi partout également. Il a été plus heureux dans les caracteres particuliers de ses Héros, qui sont assez soutenus. Celui d’Octave peut passer pour le mieux frapé, & le plus vrai que l’on ait fait de cet Empereur, ou du-moins qu’on en pouvoir faire au temps de cet evenement. Le voici.

Ebene 3► Jamais homme ne fut moins facile à connoitre ;

Plus heureux, plus puissant, & plus digne de l’être ;
Vain, soupçonneux, cruel, d’autant plus dangereux,
Qu’il paroit au dehors juste, humain, genéreux,
Sans valeur, sans talents, exepté l’artifice,
Colorant ses fureurs des traits de la justice,
Ami des trahisons, ennemi des combats,
Et jaloux à l’excès des vertus qu’il n’a pas ;
Voilà quel est Octave. ◀Ebene 3

L’action du Poëme est assez soutenuë, l’Exposition en est agréable ; & la Catastrophe seroit, dit-on, admirable, si elle étoit mieux préparée. En général toutes les situations, sans être déplacées, paroissent trop précipitées. A peine commence-t-on de s’échaufer, que les affaires se trouvent finies. Il semble que le Poëte ne fasse qu’enfanter toutes les situations, sans s’embarrasser de l’effet qu’elles doivent produire sur les Spectateurs. Parvenu une fois à saisir les pensées dont il a besoin, il ne peut faire un second effort pour y attirer son auditeur qui reste en suspens & voit arriver tout à coup une catastrophe qu’il croyoit encore fort éloignée. Antoine & Cléopatre meurent tous les deux de la même façon. Ebene 3► « Ces gens là, a-t-on dit, ont l’imagination bien vive & la tête fort chaude. Ils sont bien prompts, & ne marchandent guere pour mourir. On seroit pourtant bien aise de sçavoir un peu ce qui se passe en eux avant qu’ils meurent. Il paroit par-là que le Poëte est naturellement expéditif ; mais il devroit donner un peu plus de tems à ses Spectateurs pour sçavoir où ils en sont. » ◀Ebene 3 Voilà ce que j’ai entendu dire, Madame, & ce défaut, qui est considérable, & le plus apparent de la piéce, a empeché qu’elle n’ait eu l’approbation de tous les connoisseurs. Les gens sensibles mêmes en seroient fort mécontents sans les brillantes pensées dont elle est semée.

J’ai l’honneur d’être &c.

Paris ce 19 Juin 1750

◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 2 ◀Ebene 1