Zitiervorschlag: Anonyme (Charles de Fieux de Mouhy) (Hrsg.): "No. 13.", in: La Bigarure, Vol.3\13 (1750), S. 97-104, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4644 [aufgerufen am: ].


Ebene 1►

N°. 13.

Ebene 2► Brief/Leserbrief► Dans quelques-unes de mes précédentes Lettres je vous ai rendu compte, Monsieur, de la Tragédie d’Oreste, dernière piece de M. de Voltaire, aussi bien que du sort qu’elle avoit eu sur notre Théatre, & des Critiques qui en ont été faites (a1 ). Vous aurez été sans doute étonné, depuis, de voir que ce Poëme, dans lequel, malgré ses defauts, il y a de grandes beautez (car les Ouvrages de ce brillant Poëte sont tous marquez à son coin) n’ait point eu de Panégiristes ; M. de V. . . surtout ne manquant pas de Trompettes toujours prêtes à préconiser ses talents. Je vous avouerai, Monsieur, que je n’en ai pas été moins surpris que vous, sachant mieux que qui que ce soit combien cet ingénieux Ecrivain a toujours été amoureux, & même jaloux, de ses productions. « Seroit-il bien possible, me suis-je dit cent fois, que ce grand homme fut passé de la plus aveugle tendresse à une indifférence totale pour ses chers Enfants ; ou son respect pour le Public auroit-il été jusqu’au point de se soumettre sans rien dire à la sentence qu’il a prononcée contre celui-ci » ? Je l’ai cru bonnement, Monsieur ; mais on me fait accroire ici que je me suis trompé. En effet M. de V. . . . n’ayant, dit-on, trouvé, par je ne sçai quelle fatalité, aucun Apologiste de sa piéce, vient d’en prendre lui même le deffense dans une Dissertation dont tout Paris assure qu’il est Auteur, & qui vient de paroitre ici sous le nom d’un Colporteur appellé Dumoulard. En voici le précis qui, à ce que je presume, vous fera plaisir.

[98] Ebene 3► Allgemeine Erzählung► l’Auteur de cette petite Brochure y examine, dit-il sans partialité, l’Electre de Sophocle, celle de Mr. de Crebillon, & celle que M. de V. . . a donnée, cet hiver, au Théatre sous le nom d’Oreste. Après avoir élevé jusqu’au Ciel les trois plus fameux Poëtes Tragiques qu’ayent eu les Grecs*2 , comparé leurs piéces avec celle d’Oreste, analisé les belles pensées que M. de V. . . a imitées de ces Ecrivains, après avoir mis ces derniers dans un degré inférieur, il vient enfin à l’examen de l’Electre de M. de Crébillon dont il condamne le stile & la conduite. Voici comme il parle de la conduite.

Ebene 4► « Qu’auroit-on dit dans la Gréce, si on y avoit entendu une fille d’Egiste s’écrier :
Zitat/Motto► Faisons tout pour l’Amour, s’il ne fait rien pour moi ! ◀Zitat/Motto

Qu’auroit on-dit en voyant Clectre occupée d’un amour froid, auquel personne ne s’interresse, qui ne sert de rien à la Catastrophe, qui dément son caractere, qui de l’aveu de l’Auteur ne produit rien, qui jette une espece de ridicule sur le personnage le plus terrible & le plus inflexible de l’Antiquité, & le moins susceptible d’amour ? Qu’auroit-on dit en voyant le Gouverneur, d’Oreste devenir le principal personnage de la piéce, attirer sur lui toute l’attention, effacer entiérement, & avilir même celui qui y doit faire le principal rôle ? N’auroit on pas mieux fait d’intituler cette piéce Palamede, au lieu d’Electre ? Qu’auroit-on dit enfin si Sophocle avoit chargé sa piéce de deux reconnoissances brusquées, l’une & l’autre très mal ménagées ? Electre, qui sçait ce que Tydée a fait pour Egiste, qui n’ignore pas qu’il est amoureux de la fille de ce Tiran, peut-elle soupçonner un moment, sans aucun indice, que ce même Tydée est son frere ? De plus, comment est-il possible qu’Oreste ait été si peu instruit de son sort & de son nom ? Voilà pour le conduite ». ◀Ebene 4

« Voyons maintenant le stile, continue le sçavant & Critique Colporteur. On n’auroit pas hazardé impunément, devant un Public aussi délicat que celui [99] d’Athenes, un Vers dur ni des termes impropres. Par quelle étrange corruption se pouroit-il faire qu’on soufrit parmi nous ce nombre prodigieux de Vers dans lesquels la Sintaxe, la propriété des mots, la justesse des figures, le Rythme sont éternellement violez ? Il faut avouer qu’il y a peu de pages dans l’Electre de Mr. de Crébillon, où ces fautes ne se presentent en foule ; par exemple, lorsqu’il fait dire à Electre par Itis :

Zitat/Motto► Enfin, pour vous forcer à vous donner à moi,
Vous sçavez si jamais j’exigeai
rien du Roi.
Il pretend qu’avec vous un sacré nœud m’unisse.
Ne
m’en imputez point la cruelle injustice. ◀Zitat/Motto

Ce rien n’est pas François, & sert à rendre la phrase barbare. Il faloit dire : Vous sçavez, si jamais j’exigeai du Roi qu’il vous forçat à m’épouser. Cet en n’est pas François, & la cruelle injustice n’est pas raisonnable dans la bouche d’Itis ; il ne doit pas regarder comme une cruelle injustice un mariage qu’il ne veut faire, que pour rendre Electre heureuse. »

Le but de l’Auteur de cette Dissertation est de faire voir que ceux qui méprisent les Anciens ne peuvent rien faire de bon. Il ajoute que M. de Crebillon, les ayant attaqué fortement dans la Préface qu’il a mis à la tête de son Electre, il s’enfuit que cette piéce ne vaut rein ; que Mr. de Voltaire les respectant, au contraire, infiniment, peut faire quelque chose de très bon ; que conséquemment sa Tragèdie D’Oreste, dans laquelle il a surpassé les Tragiques Grecs, doit être une piéce incomparable. Tous ces raisonnements, dont je vous laisse à discuter la solidité, sont terminez par cette exclamation qui est certainement des plus ridicules dans la bouche de M. de V. . . s’il est vrai, comme on l’assure, que cette Dissertation soit de lui. Ebene 4► « Quelle obligation, dit-il, la République des Lettres n’a-t-elle pas à un Auteur qui ressuscite l’Antiquité dans toute sa noblesse, dans toute sa grandeur, & toute sa force, & qui y joint les plus grands efforts de la nature, sans aucun mêlange des petites foiblesses des misérables intrigues amoureuses qui deshonorent le Théatre parmi nous ! » ◀Ebene 4

Quoiqu’on assure que cette Dissertation, qui fait ici [100] beaucoup de bruit, est incontestablement de M. de V. je <sic> xous avouerai <sic> cependant, Monsieur, que j’ai peine à me le persuader. La raison qui m’en fait douter est, qu’il a tenu lui même, il n’y a pas long-tems, un langage tout différent. Ouvrez le troisième Tome de ses Œuvres, vous y lirez, dans la Preface qui est à la tête de sa Tragédie d’Alzire, les paroles suivantes *3 Ebene 4► « On me traite d’homme envieux de la réputation d’autrui. Je ne connois l’envie, que par le mal qu’elle m’a voulu faire. J’ai deffendu à mon esprit d’être Satirique ; & il est impossible à mon cœur d’être envieux. J’en appelle à l’Auteur de Radamiste & d’Electre, dont les Ouvrages m’ont inspiré les premiers le désir d’entrer quelque tems dans la même carière. Ses succès ne m’ont jamais couté d’autres larmes, que celles que l’attendrissement m’arrachoit aux représentations de ses piéces. Il sçait qu’il n’a fait naitre en moi que de l’émulation & de l’amitié ». ◀Ebene 4 ◀Allgemeine Erzählung ◀Ebene 3

Voila, Monsieur, un éloge bien glorieux pour M. de Crebillon, & une Apologie complette de sa Tragédie d’Electre dont vous venez de voir la sanglante Critique. Mr. de V. . . a trop d’esprit pour se contredire lui-même, surtout dans une chose où il est démenti par le Public qui, depuis quarante ans, pense comme lui sur le compte de son Confrere. Comment soupçonner de jalousie & d’animosité un homme qui a deffendu à son esprit d’être Satirique, & dont il est impossible que le cœur soit envieux ? . . .

Peut être allez-vous me dire que ce ne sont ici que des discours auxquels le cœur ni l’esprit même n’a aucune part ; Peut-être, pour me le prouver, me citerez vous les paroles suivantes du même Poëte qui, dans le même endroit, s’exprime ainsi. Ebene 3► « L’Auteur n’a jamais répondu aux invectives de personnes, qu’à celles du Poëte Rousseau, homme ennemi de tout mérite Calomniateur de Profession, reconnu & condamnée pour tel, livré par la Justice à la haine de tous les honêtes gens comme le Cadavre d’un Criminel qu’il [101] est permis de disséquer pour l’utilité publique *4  ». ◀Ebene 3

A cela, Monsieur, je n’ai rien autre chose à répondre, si-non, qu’il en est des Poëtes, les uns envers les autres, à peu près comme des Courtisans, & du Parnasse comme de la Cour.

Zitat/Motto► Combien ce qu’on y dit est loin de ce qu’on pense !
Que la bouche & le cœur sont peu d’intélligence ! ◀Zitat/Motto

Dire qu’on a deffendu à son esprit d’être Satirique, & déchirer, dans le même moment, d’une maniere si indigne, un des plus grands Poëtes qu’ait eu notre Nation, voilà de ces contrastes dont on auroit de la peine à croire que l’esprit humain fut capable ; si on n’en avoit pas tous les jours mille exemples sous les yeux.

Puisque je suis en train de vous parler de Critique, je vous ferais part de quelques Vers qui viennent de paroitre contre la derniere Comedie de Mr. Destouches, qui a pour titre, La force du Naturel, & dont ma sœur vous a rendu compte dans une de ses Lettres (a5 ). Les voici.

Ebene 3► Le Marquis d’Oronville, avouant ses foiblesses,

Et se lassant de partager son cœur

Entre sa Femme & ses Maitresses,
Ennuye fort le Spectateur
Par les Vers flateurs qu’il adresse

A sa chere moitié qu’il vante & qu’il caresse

En observant, sort inutilement,
Que revenu de son égarement
Il trouve sa femme parfaite.
Son impertinence Soubrette
Et trop libre dans ses discours ;

Mais la fausse Julie, en quittant ses atours,

Moins brutale, & moins étourdie,
Donne un peu trop dans la Philosophie
Dans ce Monologue charmant
Qu’elle finit si joliment
Lorsque son cœur, loin de se plaindre

De son nouvel état & de son changement,

[102] Nous dit tout naturellement

Qu’être ce que l’on est, sans jamais se contraindre,

C’est la seule grandeur qu’elle bruloit d’atteindre, ◀Ebene 3

De la Cririque <sic> de nos Piéces de Théatre, je passe, Monsieur, à celle du goût des Spectateurs. Voici sur ce sujet une petite piéce de Vers qu’un Poëte, nommé Cinquant, vient de m’envoyer.

Ebene 3► Sur ce Théatre où la Raison

Voulut jadis tenir Ecole,
Ma Muse ira donner des Loix
Pour faire enrager les François
Dont souvent elle fut l’idole
Oui, je veux que chez Arlequin,
Les admirer Clairon, Du Mesnil, & Gaussin, *6

Le Public vienne reconnoitre
Que si j’ai reconnu Crebillon pour mon Maitre
N. . . . . . doit en moi reconnoitre le sien.
Pour réussir, je sçais le vrai moyen,
Je veux que les Acteurs (c’est à quoi je m’engage)
Parlent chacun un différent langage,
L’Anglois, l’Italien l’Espagnol , l’Allemand,
Le François, le Picard, le Gascon, le Normand.
Le Plan vous paroit neuf, l’entreprise hardie ;
En faisant un effort d’imagination
Le peindrai dans ma Comédie
Le Naturel de chaque Nation,
Et du Public, forcé d’admirer mon Ouvrage,
Avec moi les Acteurs obtiendront le sufrage. ◀Ebene 3

Voila de la Critique, Monsieur, & peut-être trouverez-vous que je vous en envoye trop. Pour vous en dédomager, & vous égayer un peu, je vais finir par le reçit d’une Avanture très instructive qu’un de mes Amis vient de m’écrire de Vienne, où elle est arrivée.

Vous sçavez qu’elle est la sotte façon d’agir des trois quarts & demi des hommes à l’égard de la fidélité de leurs femmes : Presque tous conviennent que cette bagatelle ne doit point interresser l’honneur d’un Mari ; Cependant aucun d’eux n’agit comme s’il étoit persuadé de cette vérité. L’infidélité avérée d’une femme, qu’il [103] n’aime souvent pas, cause à son Epoux un chagrin mortel. Il se croira engagé d’honneur à avoir de l’inquiétude sur ses galanteries, & à chercher à en arrêter le cours. Si ses remontrances & ses peines ne peuvent en venir à bout, il aime mieux se deshonorer par un éclat, que de faire paroitre une insensibilité qu’il a plu, fort mal à propos, aux hommes d’apeller honteuse.

Ebene 3► Allgemeine Erzählung► Il s'en faloit de beaucoup que le baron de C. . . . Allemand de nation, & qui avoit épousé une Françoise un peu trop belle & trop coquette pour s’en tenir à lui seul, pensat de cette ridicule façon. Plus jaloux de sa tranquilité, que de sa femme, il ne s’inquiétoit nullement d’une intrigue galante qu’elle avoit, & dont il s’aperçut, quoiqu’elle prit beaucoup de soin de la lui cacher. Un parent du baron, qui avoit aussi perce ce mistere, crut devoir lui en donner avis. Il vint pour cet effet le voir un jour qu’il étoit seul, & après quelques discours sur l’amitié qu’il lui portoit, & sur la part qu’il prenoit à tout ce qui le regardoit, il lui fit confidence de la découverte qu’il avoit faite. Après l’avoir écouté jusqu’au bout, le Baron le remercia de son zèle, lui avoua qu’il s’étoit aperçu lui même de ce qu’il venoit de lui raconter, mais que n’y sachent point de remede, il avoit toujours feint de l’ignorer. Dialog► « Que voulez-vous que je fasse, poursuivit-il ? Deffendre à ma femme de voir mon Ami ? Si elle l’aime, elle trouvera mille moyens de le voir malgré moi. Si ce n’est point lui qu’elle aime, & que ce soit un homme en général, elle en trouvera mille autres. Ma foi, peu m’importe ; c’est un mal trop général pour m’en plaindre ». . . . Fort bien, reprit le donneur d’avis. Et votre honneur ?. . . . Quoi reprit avec étonnement le Mari, mon honneur a-t-il du rapport avec les galanteries de ma femme ? Sans doute, reprit le zelé parent ; &. . . « En verité, continua le Baron d’un air froid lorsque je me suis marié je ne me suis jamais imaginé que mon honneur seroit interressé dans cette bagatelle ; & vous trouverez bon s’il vous plaît, que je persiste encore dans le même sentiment. Depuis long-tems je ne regarde Madame la baronne que comme une compagne aimable. J’ai suprimé entre nous certaines privautez que je m’inquiette fort peu qu’elle prenne avec [104] un autre. Elle ne fait point de ridicule éclat ; elle n’est ni triste, ni de mauvaise humeur, lorsque nous sommes ensemble ; ses attentions & ses bonnes manières pour moi ne se sont jamais démenties. Que puis-je exiger de plus ? L’infidélité d’une Maitresse me chagrineroit ; mais je ne suis point Amant de ma Femme. » ◀Dialog

C’est pousser la Philosophie un peu loin, repartit l’officieux parent ; elle ne seroit par recue, & l’on en riroit. . . . « Qu’on en rie, ou non, repliqua le Baron, peu m’importe. Si je veux m’en donner la peine, je rendrai la pareille à quiconque égayera sur ce sujet son humeur Satirique ; & vous, mon cher parent, vous pouriez n’être pas oublié : mais parlons sincèrement ; Si la Baronne vous avoit préféré à mon Ami, vous ne me diriez pas ce que vous me dites-là ». Le Baron devinoit juste. Le donneur d’avis étoit un Amant piqué qui cherchoit à se venger de la Baronne. Il se retira & laissa le tranquille Epoux rire de sa confusion & de l’embarras dans lequel il venoit de le mettre. Pourquoi pas de même ? ◀Allgemeine Erzählung ◀Ebene 3 J’ai l’honneur d’être, &c.

Paris ce 9 May 1750.

◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 2

Livres Nouveaux.

Qui sen vendent à la Haye, dans la Boutique de Pierre Gosse, Junior, Libraire de S. A. R. sur le Plein la seconde Maison du Heerestraat à la Haye.

Les Agrémens de la Campagne, ou Remarques Particulieres fus la Construction des Maisons de Campagne, des Jardins de Plaisance & des Plantages, &c. &c. 4. Amst. 1750.

Histoire Générale des Voyages, ou Nouvelle Collection de toutes les Relation des Voyages par Mer & par Terre, 4. Tome neuvième, la Haye, 1750. avec fig.

- - - id. 4. 9 vol. Complet fig.

- - - Universelle depuis le Commencement du Monde jusqu’à present, traduit de l’Anglois d’une Societé des Gens de Lettres, 4. fig. Tome Onzième, Amst 1750.

- - - id. 4. 11 vol. Complet Ibid.

Les Festes de l’Hymen, ou la Roze, Opera comique, 8. Haye 1750.

Les Nymphes de Diane, Opera Comique du Sr. Favard, 8. Haye 1750.

Le Bal Bourgeois, Opera Comique en un Acte, du Sr. Favard, 8. Haye 1750.

Le Babillard Comedie en un Acte en Vers, 8. Haye, 1750. ◀Ebene 1

1(a) Voyez le N°. 31. pag. 89. & suiv. & le N°. 37. pag. 143. de notre second Volume

2* Sophocle, Euripide, Eschyle, les trois seuls, d’un grand nombre d’autre, dont il nous soit restê quelques piéces.

3* Edition d’Amsterdam chez Ledet & Compagnie 1738. pag. 130.

4* Voyez la même Préface dans l‘édition de Paris & d’Amsterdam 1736.

5(a) Voyez le N°. 3. de ce Volume, page 17, & suiv.

6* Premieres Actrices de la Comédie Françoise.