Zitiervorschlag: Anonyme (Charles de Fieux de Mouhy) (Hrsg.): "No. 6.", in: La Bigarure, Vol.3\06 (1750), S. 41-48, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4637 [aufgerufen am: ].


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N°. 6.

Ebene 2► Brief/Leserbrief► L’Ouverture de nos Théatres, Monsieur, s’est faite ici, à l’ordinaire, au jour fixé, par les Ordonnances de la Police ; mais elle a été marquée, cette année, par trois événements Tragiques arrivez dans nos trois Spectacles ; événements que nous devons envisager comme des Avertissements que Dieu nous donne du peu de fonds que l’on doit faire sur la vie qui, selon l’expression des Poëtes, & selon la vérité, ne tient qu’a un fil toujours prêt à se rompre*1 . Voici de nouvelles preuves de cette importante vérité que nous ne devrions jamais perdre de vue ; Nous en ferions mille fois meilleurs que nous ne sommes.

Ayant été grand Sactateur de notre Théatre François pendant le sejour que vous avez fait ici, vous y avez sans doute vu jouer plusieurs fois Mademoiselle Conet, Actrice assez médiocre, même dans le bas Comique. Fremdportrait► Cette pauvre fille, en révenant de jouer la Comédie à Versailles, à eu le malheur de périr en chemin, les chevaux du Carosse, dans lequel elle étoit, ayant pris le Mors aux dents, brisé la Voiture en piéces, cassé les deux jambes au Cocher, & rompu le col à l’Actrice infortunée qui en est morte. ◀Fremdportrait

Ebene 3► Allgemeine Erzählung► Le Thèatre de l’Opera a été encore plus malheureux. [42] Mr. le Prevôt des Marchands qui, comme vous le sçavez, en a la direction, voulant régaler le Public d’un Spectacle des plus brillants, donnoit pour cet effet ses ordres, & prenoit tous les soins imaginables pour que rien n’y manquât. Non content de faire agir les gens commis à cet emploi, il se donnoit lui-même la peine de les faire travailler. Les Machinistes, les Peintres, les Doreurs, les Décorateurs, en un mot tous les Artistes occupez à ce Spectacle, s’y employoient tous les jours pour correspondre aux désirs de leur Directeur. L’Ouvrage avançoit, lorsqu’à la malheure pour ces infortunez arrive M. le Prevôt des Marchands, qui s’aperçoit qu’ils travalloient avec tant de hâte, qu’ils ne s’étoient pas donné le tems de bien étayer un Echafaut sur lequel ils étoient : Prenez garde mes Enfans, leur cria-t-il dès qu’il s’en aperçut ! Il me semble que les planches que vous avez posées-là ne sont pas bien assurées. « Oh ! Monseigneur, lui répond un des Ouvriers, nos Echafauts sont assez forts pour porter dix hommes ». En achevant ces mots il se met à sauter : alors deux solivaux qui soutenoient les planches se séparent ; les planches & le Cabrioleur tombent sur deux autres de ses Camarades qui travailloient plus bas ; ceux-ci sont de même culbutez ; & tous les trois tombent avec l’Echafaut sur deux autres qui faisoient quelqu’autre ouvrage dans le Parterre. De ces cinq personages, qu’on auroit pris dans leur culbutes pour autant de Phaétons que Jupiter foudroyoit du haut des Cieux, quatre ont perdu la vie ayant été écrasez tant par leur chute, que par les débris de l’Echafaut ; & le cinquieme plus heureux en a été quitte pour un bras fracassé. Il n’y a point à douter que le Prevôt des Marchands n’eut fait le sixième, s’il n’avoit pas eu la précaution de se retirer promtement.

A peine ces malheureux furent-ils tombez, que le grave Magistrat, touché de ce Tragique Spectacle : Voyez, dit-il à ceux qui l’accompagnoient ; n’avois-je pas bien prédit que cela arriveroit ? Où seroit-je si j’étois resté là ? La réponse n’est pas difficile à trouver. Il auroit été écrasé comme les autres ; ou pour parler enco-[43]re plus juste, ces derniers n’auroient point eu ce triste sort si ce Magistrat eut été chez lui occupé à des affaires plus serieuses & beaucoup plus dignes de la gravité Magistrale. En effet s’il ne fut point venu, il n’auroit pas tenu à ces Ouvriers le discours qu’il leur fit ; le Cabrioleur ne se seroit point avisé de sauter sur l’Echafaut, l’Echafaut n’auroient point enfoncé, sa chute n’auroit point culbuté ceux qui travailloient au dessous ; & ceux-ci, en tombant n’auroient point ecrasé leurs deux autres Camarades. Voilà ce qui arrive assez souvent dans le monde lorsque les grands hommes veulent se mêler des petites choses. ◀Allgemeine Erzählung

Allgemeine Erzählung► Autre événement Tragique, arrivé à la Comédie Italienne qui a fait l’ouverture de son Théatre par la Tragicomédie de Samson. Vous connoissez cette piéce, Monsieur, & le succès qu’elle a toutes les fois qu’on la répresente ; c’est pourquoi il n’est pas nécessaire de vous marquer ici que la foule y étoit des plus grandes. Un bon Vieillard, grand amateur des Spectacles, & qui y assistoit, à été si touché de celui-ci, qu’il s’est avisé de se laisser mourir subitement dans le Parterre, & est allé joindre les Philistins que Samson venoit de tuer. Cet accident inopiné a, comme vous pouvez le croire, interrompu pour quelques moments la piéce qu’on a reprise après avoir transporté ailleurs ce spectateur infortuné qui n’en a point vu & n’en verra jamais le dénoument. ◀Allgemeine Erzählung

Allgemeine Erzählung► Enfin une quatrième Avanture Tragique, dont les suites seront tôt ou tard funestes à son auteur, est celle qui est arrivée ici quelques jours avant celles que je viens de vous écrire. & que je vais vous raconter. Comme le tems de Pâques est un tems marqué parmi nous pour la dévotion, c’est aussi bien souvent celui où les Voleurs sont le plus portez à redresser les dévots, étant apparemment dans la persuasion qu’ils sont si occupez des biens du Ciel, qu’ils ne pensent point alors à ceux de la Terre. Plein de cette idée, un de ces honêtes gens à qui nous voyons de tems en tems prendre tristement le chemin de la Greve *2 , forma le dessein [44] d’aller rendre une visite au Coffre-fort d’un Greffier du Parlement, pendant qu’il étoit à l’Eglise avec toute sa famille. Quoiqu’il n’y eût pas alors grand monde dans les rues, il ne jugea cependant pas à propos de prendre ce chemin pour s’y rendre, ni d’entrer dans la maison par la porte. En homme plus prudent, & très expert dans son metier il se glisse dans l’allée d’une maison voisine de celle du Greffier, monte jusqu’au haut de l’Escalier où trouvant une fenêtre, qui donnoit sur un toit, il l’ouvre, passe par cette fenêtre, grimpe comme un Chat sur les tuiles, & gagne une des fenêtres de la maison à laquelle il en vouloit. Un marteau de Couvreur, dont il s’étoit muni, lui ouvre cette fenêtre, & lui donne entrée dans un grenier d’où il descend dans la maison. Il cherche le Cabinet du Greffier ; il le trouve, & à coups de marteau il en fait sauter la serrure. Des Arrêts, des Sentences, & quantité d’autres paperasses dont la Table étoit couverte furent les premiers objets qui se presenterent à sa vue ; mais tout cela n’étoit pas fort tentatif pour lui ; aussi n’étoit-ce pas ce qu’il cherchoit.

Notre homme alloit pousser ses recherches plus loin & passer dans quelque autre appartement, lorsqu’il apperçut un vieux Coffre tout garni de fer. Ces ferrures, qui sont ordinairement de veritables amorces pour les Voleurs, lui parlerent au cœur, & lui firent entendre que tout vieux qu’étoit ce Coffre, il n’en étoit pas pour cela moins précieux. Notre Cartouche n’est pas sourd à ce langage ; il est tenté, & se met en devoir, de visiter ce vieux meuble. La même clef qui lui avoit ouvert la fenêtre du Grenier, & la porte du Cabinet lui sert de même à ouvrir le Coffre.

Pendant qu’il étoit occupé à cette expédition, un Valet, qui revenoit de l’Eglise, rentre dans la maison, entend du bruit, monte en haut, entre dans le Cabinet qu’il trouve ouvert & où il s’imagine que quelque Chat faisoit main basse sur les papiers de son Maitre. Cependant le Voleur qui l’avoit entendu monter, mais qui pour cela ne vouloit pas manquer son coup, encore moins se laisser prendre sur le fait, se met en [45] embuscade derriere la porte, & dès le premier pas que fait le Valet dans le Cabinet il lui lâche un coup de Pistolet chargé de deux lingots de plomb qui renversent cet infortuné sur le carreau, sans qu’il donnat aucun signe de vie. Cette opération faite, il acheve la visite du Coffre-fort d’où il enleve tout l’argent qu’il y trouve. Il auroit pu, sans doute, s’il eut visitée de même le Buffet, y faire un assez bonne recolte d’Argenterie ; mais on ne fait pas toujours tout ce qu’on pouroit, non plus que tout ce qu’on voudroit bien ; d’ailleurs le tems pressoit, & l’arrivée du Domestique lui avoit annoncé que le Maître ne seroit pas longtems sans revenir ; il jugea donc qu’il étoit plus à propos de se retirer promptement avec quelques milliers d’écus qu’il avoit trouvés dans le vieux Cofre, & avec lesquels il reprit le chemin par lequel il étoit venu.

Il n’y avoit pas un demi-quart d’heure qu’il étoit sorti, lorsque le Maitre & la Maitresse, bonnes gens dans le fonds quoique assez avares, rentrent au logis. Ils ne furent pas peu étonnez de trouver toutes les portes ouvertes & personne dans la maison. Ils avancent en tremblant, parcourent tous les appartements d’en bas, & montent ensuite dans les autres. A la vue de la porte du Cabinet, que le Greffier trouve ouverte, la frayeur redouble ; Mais ce fut bien autre chose lorsque, s’étant aprochez-ils aperçurent leur Domestique étendu sur le plancher où il nageoit dans son sang. A ce Tragique Spectacle en succéda dans l’instant un autre qui fut encore bien plus sensible au Greffier. Ce fut l’évacuation qu’il s’aperçut qu’on avoit fait faire, en son absence, à son Coffre-fort. Il crie après le Voleur, qui étoit déjà bien loin, & qui ne pensoit guére à revenir. Les Voisins accourent à ses cris, & aprenant ce qui vient d’arriver, l’un court chez le Commissaire du Quartier, & l’autre chez le Chirurgien. En attendant que l’un & l’autre arrivent, on questionne le Domestique qui peut à peine articuler quelques mots. Cependant le Commissaire, qui arrive le premier, reçoit la déposition du mourant lequel expire quelques moments après.◀Allgemeine Erzählung ◀Ebene 3

[46] Je n’ai pas besoin de vous marquer ici, Monsieur, si on a fait, depuis, d’exactes recherches pour tâcher de découvrir l’auteur de ce double crime ; la chose parle assez d’elle même. Un Membre de la Justice volé ! Fut-il jamais un Attentat plus énorme ? Est-il un Suplice assez cruel pour le faire expier au Coupable qui a encore aggravé son double crime en violant, en cette rencontre, les Loix établies & inviolables, même parmi les gens de sa patibulaire profession ! Tous les Greffiers, Procureurs, Avocats, Huissiers, Sergents, Recors, & Notaires de cette bonne Ville sont si irritez & indignez de cet Attentat, que pour en découvrir l’Auteur (sur l’indice du Marteau de Couvreur que celui-ci a laissé pour les gages dans le Cabinet du Greffier) ils font arrêter tous ceux de cette profession qu’on soupçonne d’avoir, dans le cours de leur vie, travaillé dans ce quartier du Palais ; & on en a déjà emprisonné plus d’une trentaine. Reste à sçavoir si celui qu’on cherche est de ce nombre. C’est ce que le tems nous apprendra.

Pour égayer un peu votre Societé, que le recit de ces quatre Histoires Tragiques n’aura pas manqué d’attrister, je joins ici, Monsieur, un Vaudeville nouveau dont on vient de régaler nos bons Parisiens, & qui divertira sans doute les rieurs de votre Province. Ce n’est, du moins, que dans cette intention que je vous l’envoye.

J’ai l’honneur d’être &c.

Paris ce 15 Avril 1750.

◀Brief/Leserbrief

Ebene 3►

Les Melons3 ,

Vaudeville Nouveau.

Melons, Melons, j’ai des Melons ; Venez

en acheter, Chalandes : Je vous en fournirai de
[47] bons, si des bons vous êtes friandes. Le choix
en est bien épineux ; Mais prenez toujours les
Vineux.

Fanchon qui s’y connoit au mieux

S’en vint hier à ma boutique,
Me disant d’un air gracieux,
Je suis une bonne pratique :
J’aime cela plus que mes yeux,
Quand je rencontre des Vineux.

Quel est, dis-je, vôtre apétit ?

Le voulez-vous, Mademoiselle,
Court, ou long, rond, gros, ou petit ?
Il n’importe, reprit la Belle ;
S’ils sont petits, j’en prendrai deux,
Pour-vû que ce soit ces Vineux.

Je les éstime quoique durs,

Alors qu’ils fondent dans la bouche,
Je n’entends pas qu’ils soient trop murs,
Encor moins qu’ils sentent la couche :
Ceux-là souvent sont cotonneux,
Et je n’aime que les Vineux.

L’on dit qu’il faut, en choisissant,

Outre la côte façonnée,
Préferer ceux dont, en naissant,
La queüe au levant fut tournée ;
Par ce que c’est un signe heureux,
Qui peut indiquer les Vineux.

Pour vous satisfaire, en voilà :

Je ne veux point viser au lucre :
[48] De ma main prenez celui-là.
Qu’il est bien brodé ! C’est tout sucre. . .
Je n’aime point les doucereux ;
Marchand, donnez moi des Vineux.

Voulez-vous le couper. . . mais point :

Allez, vous en serez contente :
Vous aurez, en l’ouvrant à point,
Plus d’un sceau de jus par la fente.
Vous verrez que les plus jûteux
Sont d’ordinaire les Vineux.

C’est le meilleur de ceux que j’ai.

Vous m’en remercirez, ma Reine,
Je veux, quand vous l’aurez mangé,
Que vous en raportiez la graine :
Car d’en garder je suis soigneux ; . . .
Pour multiplier les Vineux. ◀Ebene 3 ◀Ebene 2

Livres Nouveaux.

Qui se vendent à la Haye dans la Boutique de Pierre Gosse Junior Libraire de S. A. R. à la Haye.

Histoire des Révolutions de l’Empire de Constantinople depuis, la Fondation de cette Ville jusqu’à l’an 1453. que les Turcs s’en rendirent Maitre, par Mr. de Burigny, 12. 3 vol. Paris 1750.

Nouveaux Memoires d’Histoire, de Critique & de Littérature, par l’Abbé d’Artigny, 12. 2 vol. Paris 1749.

Oeuvers de Monsieur L. Racine. 12. 6 vol. Amst. 1750.

Panagiana Panurgica, ou le Faux Evangeliste, par Monsieur de Premontval, 8. la Haye 1750.

Nouveau Récueil choisi & mêlé des meilleures piéces du Théatre François & Italien, 8. tome 9. 10. 11. 12. Haye, 1750.

Défense de l’Esprit des Loix, à laquelle on a joint quelques Eclaircissements, 8. Haye 1750.

Antiquitez Romaines Expliquées dans les Mémoires du Comte de B * * *, 4. fig. Haye, 1750. ◀Ebene 1

1Vita summa brevis spem nos vetat inchoare longam;
Tam se premet nox, & fabula Manes,
Et domus axilis Plutonia. . . .
Horat. Lib. I. Od. IV.

2Nom d’une grande Place de Paris où l’on exécute les malfaiteurs.

3Note des éditeurs: Dans le texte original, cette chanson est accompagnée des notes que nous n’avons pas pu copier dans cette édition digitale.